12.2.1.1.1.1.1.1.6 Audition de M. Jean-Louis SERVENT,
Président-directeur général du groupe Lapeyre
(mercredi 30 mars 2005)
M. Jean Arthuis, président , a rappelé que cette audition s'inscrivait dans le cadre d'un cycle d'auditions consacrées aux délocalisations. De manière liminaire, il a demandé à M. Jean-Louis Servent de rappeler les activités du groupe qu'il présidait ainsi que son positionnement dans la compétition internationale.
M. Jean-Louis Servent a rappelé que le groupe réalisait un chiffre d'affaires de 5,6 milliards d'euros et que son activité principale était basée sur les 130 magasins en France, en Suisse et en Belgique, ainsi que sur la pose de fenêtres et de portes. En outre, il a précisé que le groupe réalisait une activité de chantier : la quinzaine d'usines intégrées au groupe étaient partiellement délocalisées, dont l'une en Pologne et l'autre à Belém, au Brésil. Au total, 4.500 collaborateurs du groupe, soit un tiers de ses effectifs, étaient intégrés dans des activités industrielles.
Au sein de la quinzaine d'usines du groupe, il a dressé le bilan suivant, lors de sa nomination en 2000 : un premier tiers des usines présentait un niveau de rentabilité relativement élevé, un deuxième tiers était dans une situation incertaine et le dernier tiers avait de réelles difficultés économiques.
Au plan conjoncturel, il a mis en exergue deux évolutions majeures depuis les années 90, qui avaient été défavorables aux activités du groupe : d'une part, le PVC avait tendu à remplacer le bois pour la fabrication des volets, portes et fenêtres ; d'autre part, des fabricants spécialisés dans les produits d'entrée de gamme (« hard discounters ») avaient concurrencé de plus en plus fortement son groupe, alors davantage positionné sur des produits situés en milieu de gamme.
M. Jean-Louis Servent a présenté les quatre solutions développées par son groupe pour faire face à ces éléments de conjoncture défavorables : la recherche de gains de productivité, la création d'un pôle de recherche-développement, l'externalisation d'une partie des fabrications, ainsi que la délocalisation au sein du groupe de certaines fonctions, comme la fonction achats. Dans le même temps, son groupe avait fait le choix de maintenir le chiffre d'affaires et les effectifs de ses usines, tout en s'orientant vers des productions à forte valeur ajoutée et non pas banalisées.
Un large débat s'en est suivi.
M. Maurice Blin s'est demandé si, dans le contexte des délocalisations, une solution pour les entreprises françaises ne consistait pas à conjuguer savoir-faire et développement de nouveaux produits à plus forte valeur ajoutée.
M. Jean-Louis Servent a répondu que trois cas de figure pouvaient être distingués, s'agissant des activités du groupe Lapeyre.
Il a observé, d'abord, qu'il existait des produits pour lesquels il était particulièrement difficile de lutter contre le phénomène de délocalisation, citant le cas d'une cabine de douche qui était produite à un coût quatre fois moindre en Chine qu'en Italie et dont le coût de transport s'avérait relativement faible.
Il a cité, ensuite, l'exemple de produits pour lesquels l'externalisation était partiellement possible, comme pour les activités dites « de pré-débit » délocalisées au Brésil et donnant lieu, à une étape ultérieure de fabrication, à un assemblage sur mesure en France.
Il a souligné, enfin, que le groupe qu'il présidait s'était engagé dans un processus tendant à débanaliser ses produits, citant l'exemple d'une fenêtre en PVC sur mesure réalisée dans un délai de trois semaines et qui devait donc nécessairement être produite en France.
M. Maurice Blin s'est interrogé sur l'adaptation des salariés à ces évolutions majeures du mode de production, ainsi que sur les perspectives de développement effectif de la politique de recherche-développement pour un groupe comme le sien.
M. Jean-Louis Servent a reconnu que les salariés avaient dû accepter l'évolution de leurs métiers, mais que celle-ci était apparue nécessaire au maintien de l'emploi en France.
S'agissant de la politique de recherche-développement, il a cité comme exemple le dépôt de brevets de son groupe pour donner au bois des caractéristiques de plus grande stabilité et résistance aux perturbations atmosphériques. Il a observé que ce choix s'inscrivait dans un processus de création de valeur à long terme, permettant une différenciation majeure par rapport aux « hard discounters ».
MM. Jean Arthuis, président , et Jean-Jacques Jégou ont souhaité savoir comment son groupe faisait face au développement de l'économie parallèle.
M. Jean-Louis Servent a préféré évoquer la notion « d'informabilité ». Il a rappelé que la diminution à 5,5 % du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour les travaux à domicile, en 1999, avait entraîné une hausse d'un tiers du chiffre d'affaires d'une des sociétés du groupe dans les deux ans qui avaient suivi, alors qu'a contrario, l'augmentation de 7 % à 24 % du taux de TVA en Pologne s'était traduite par une contraction de ce segment de marché, de l'ordre de 40 %.
Il a mis en exergue deux facteurs, d'une part le poids des charges sociales et, d'autre part, le respect des normes dans un secteur caractérisé par le poids de l'économie informelle.
M. Jean-Jacques Jégou a souligné la pertinence de cette illustration, plus particulièrement en ce qui concernait le contre-exemple d'une hausse ciblée de la TVA.
M. Jean Arthuis, président , a toutefois tenu à rappeler que la TVA ne constituait qu'une part mineure de l'ensemble des charges des entreprises, et qu'il était, pour sa part, favorable à une « TVA sociale », c'est-à-dire à une réduction de la structure des prélèvements consistant à diminuer les cotisations sociales des entreprises en contrepartie d'une adaptation du niveau de l'imposition pesant sur la consommation.
M. Jean-Jacques Jégou a déploré que le groupe Lapeyre, qui se situait à la lisière entre l'industrie et les activités de service, ne fût malheureusement qu'en situation, défensive, de maintien des emplois existants. Il a estimé que le renouvellement des constructions dans les nouveaux Etats membres de l'Union européenne pouvait susciter des perspectives d'essor de ce marché.
Il a également souhaité savoir si son groupe avait procédé à des labellisations pour nouer des contacts privilégiés avec des architectes construisant des logements collectifs, afin d'élever les normes de qualité dans l'ensemble du parc immobilier.
M. Jean-Louis Servent a souligné que la création d'emplois pérennes exigeait la stabilité du cadre législatif, réglementaire et fiscal. Il a aussi estimé que le seul maintien de l'emploi sur les sites industriels du groupe constituait, en soi, une performance, compte tenu du coût inhérent aux reclassements à l'intérieur du groupe.
Il a relevé, enfin, que le marché allemand de la construction était en récession depuis près de dix ans, ce qui incitait à élaborer des prévisions économiques prudentes.
M. Jean Arthuis, président , a rappelé que la rigidité du droit social et l'instabilité des règles fiscales constituaient des freins très significatifs au développement économique et à la création d'emplois.
Il s'est également interrogé sur le contrôle ou non, par son groupe, des activités de pose.
M. Jean-Louis Servent a précisé que 14 % du chiffre d'affaires du groupe étaient obtenus grâce à des artisans agréés, ce qui faisait de son groupe le « premier artisan de France », puisqu'il recourait à environ 3.000 emplois équivalent temps plein.
Dans ce cadre, il convenait d'adopter une gestion prudente, afin notamment de s'assurer que n'existaient pas des relations d'employeur de fait, auxquelles s'appliqueraient les règles du code du travail. Le déficit d'artisans en France, par exemple s'agissant des plombiers, rendait la situation particulièrement ardue.
M. Jean Arthuis, président , s'est demandé s'il ne fallait pas que l'apprentissage ne fût plus le seul fait des petites entreprises.
M. Jean-Louis Servent a observé que ce débat sur le champ de l'apprentissage restait ouvert.
En réponse à la question de M. Jean-Jacques Jégou sur les normes de qualité, il a souligné la nécessité pour celles-ci de rester simples et lisibles afin d'être pleinement appliquées, du fait du caractère difficilement réversible des choix industriels. A cet égard, il s'est félicité de la qualité du dialogue social au sein du groupe, même si l'aménagement et la réduction du temps de travail avaient pu être, ponctuellement, un facteur de tensions.
M. Philippe Dallier s'est interrogé sur le choix d'implanter une usine au Brésil, alors qu'il aurait pu être procédé à l'achat direct des productions concernées sans y installer une unité de production. Il s'est également demandé si les « hard discounters » avaient diminué les prix, tout en maintenant la qualité des produits.
M. Jean-Louis Servent a noté qu'il avait choisi de spécialiser l'entreprise brésilienne de Belém, implantée avant qu'il n'accédât à la direction du groupe, sur des produits à moins forte valeur ajoutée, tout en privilégiant des productions haut de gamme dans les entreprises françaises. Il a ajouté que l'usine polonaise se situait à un niveau intermédiaire de qualité de production, entre l'entrée de gamme et le haut de gamme.
En réponse à la seconde question de M. Philippe Dallier sur les prix, il a souligné que son groupe avait relevé le double défi de la qualité et de nombreuses baisses des prix, notamment pour les produits situés en entrée de gamme et plus directement concurrencés par les « hard discounters ».
M. Michel Moreigne a souhaité obtenir des précisions sur la politique de communication du groupe.
M. Jean-Louis Servent a observé que son groupe avait toujours mis l'accent sur une politique de communication ambitieuse soulignant que plus de 10 millions de catalogues étaient distribués chaque année et que le site Internet était consulté par plus de 5 millions de visiteurs.
M. Jean Arthuis, président , a remercié M. Jean-Louis Servent pour la clarté de son exposé qui illustrait un souci partagé par les élus tendant à garantir l'attractivité des territoires français.