12.2.1.1.1.1.1.1.9 Audition de M. Pascal SALIN,
Directeur de recherche à Paris-Dauphine

(jeudi 7 avril 2005)

M. Jean Arthuis, président , a tout d'abord rappelé le contexte où intervenait cette audition, précisant que la commission des finances poursuivait ses travaux sur la globalisation économique et les phénomènes de délocalisation d'activités et d'emplois, cherchant, en particulier, à savoir si le tissu économique national était condamné à s'étioler, en entendant, outre des chefs d'entreprise ou des syndicalistes, des économistes. Il a souligné le rôle éminent que les universitaires assuraient dans la fécondation du débat public et a rappelé que M. Pascal Salin avait activement pris part à celui qui concernait les délocalisations, notamment par ses travaux relatifs aux prélèvements obligatoires, à leur structure ainsi qu'à leur niveau.

A titre liminaire, M. Pascal Salin a souhaité indiquer qu'il entendait exposer sur le sujet des éléments de réflexion plus que des données factuelles. S'attachant, toutefois, un instant à ces dernières, il a fait valoir que, si l'importance des questions relatives aux délocalisations n'était pas douteuse, la réalité de ces phénomènes demeurait limitée. Il a ainsi fait remarquer que le flux d'investissement français à l'étranger excédait à peine 1 % du PNB français.

M. Jean Arthuis, président , a signalé que la notion de délocalisation ne désignait pas seulement, en l'occurrence, les investissements français à l'étranger, mais visait également les cas d'externalisation d'activités à l'étranger et, partant, la non-création d'activité en France.

M. Pascal Salin ayant convenu de cette acception, il s'est attaché à analyser la relation unissant les délocalisations et le niveau du chômage. Il a soutenu, d'abord, le paradoxe que l'une des visées essentielles de tout entrepreneur consistait à « détruire des emplois », la destruction d'emplois s'avérant inhérente au développement pérenne des entreprises. A cette fin, il a rappelé que le cycle de vie d'une entreprise commençait par une innovation, laquelle permettait le lancement sur le marché d'un nouveau produit, puis, après une phase de croissance et de maturité, tandis que se développait la concurrence d'entreprises imitatrices, soit s'achevait faute d'une nouvelle innovation ou de la réorganisation de l'appareil de production, (ce qui entraînait des pertes d'emplois), soit se poursuivait grâce à la réalisation des ajustements nécessaires, qui passaient généralement par des gains de productivité impliquant également des licenciements. Il en a déduit, d'une part, que la création d'emplois était le propre des PME, tandis que les grandes entreprises étaient, davantage, portées à licencier. Il a souligné, au demeurant, que les premières représentaient effectivement aujourd'hui, parmi l'ensemble des entreprises, celles qui innovaient le plus, alors que les secondes se contentaient souvent d'acheter des brevets existants. D'autre part, il a relevé que, dans les conditions du cycle micro-économique qu'il venait de décrire, la délocalisation, qu'il s'agisse d'investissement ou d'externalisation à l'étranger, constituait pour les entreprises l'un des moyens d'assurer leur survie. Reprenant cette analyse au niveau macro-économique, et citant les travaux de Schumpeter sur la « destruction créatrice d'emplois » en insistant sur le caractère économiquement sain de la réduction du nombre d'emplois nécessaires à la production d'un bien, il a conclu que les délocalisations traduisaient, fondamentalement, une vitalité économique certaine, et a regretté qu'on ne perçoive, d'ordinaire, que leurs aspects négatifs.

M. Pascal Salin a ensuite mis en évidence qu'il était pertinent que les pays économiquement avancés conservent sur leur territoire les activités qui mobilisent un important capital et une main-d'oeuvre très qualifiée et que les activités requérant un capital plus modeste et une main-d'oeuvre moins qualifiée fassent l'objet de délocalisations. Il a souligné, en effet, la nécessité, pour les entrepreneurs, de tenir compte des avantages comparatifs existant en la matière et d'engager les modifications de spécialisation que commandait la rationalité économique. Il a concédé que ces modifications s'accompagnaient, naturellement, de coûts d'ajustement sensibles, mais a insisté sur le lien entre le progrès économique et le changement. Il a précisé que ce dernier pouvait, en l'espèce, revêtir l'aspect des délocalisations. Il a cité, en exemple, le secteur du textile, relevant le faussement de perspective auquel conduisait fréquemment sur le sujet, selon lui, un regard trop global, mentionnant pour cela la vitalité de l'industrie française du textile haut de gamme. Ajoutant que les processus de production étaient, aujourd'hui, de plus en plus dématérialisés dans la mesure où ils faisaient appel, comme par exemple le secteur de l'automobile, à d'importantes opérations de financement, de marketing ou de design, et soulignant que la spécialisation relative de la France concernait des activités intellectuelles, il a appelé à une vision positive des délocalisations. Il a récusé, d'ailleurs, l'idée que celles-ci puissent être analysées en une technique de dumping social, faisant valoir que le coût de production par travailleur se trouvait étroitement corrélé à la valeur ajoutée par travailleur, et qu'il ne s'agissait en somme, en délocalisant, que d'établir des activités sur le site le plus approprié du point de vue économique. A cet égard, il s'est étonné des nombreux jugements favorables que rencontrait l'aide publique au développement, dont il a relevé qu'elle s'égarait souvent dans des circuits économiquement stériles, en comparaison de l'indifférence que rencontrait l'idée de favoriser l'installation, dans les pays concernés, d'activités qui y trouveraient un terrain approprié au vu de leur plus grand avantage relatif de spécialisation.

Ayant noté que l'explication du niveau du taux de chômage français, de la sorte, ne résidait pas tant dans une destruction excessive d'emplois, qu'on pourrait imputer aux délocalisations, que dans une insuffisante création d'emplois, M. Pascal Salin s'est ensuite attaché à détailler les deux grands obstacles qui, selon lui, empêchaient la rencontre fructueuse de l'offre et de la demande de travail dans notre pays. Il a relevé, en premier lieu, l'importance des prélèvements fiscaux et sociaux, qui dissuadait non seulement l'embauche, eu égard au coût du travail induit, mais aussi les candidatures, compte tenu du faible gain marginal qu'en retirait le chômeur lorsqu'il retrouvait un emploi. Il a pointé, en second lieu, les excès d'une réglementation qui renchérissait le coût du travail et rendait les licenciements particulièrement difficiles. Il a ajouté que ces obstacles créaient, en revanche, une incitation à la recherche d'une moindre contrainte fiscale et réglementaire, c'est-à-dire à la délocalisation. Il a précisé, cependant, que la seule délocalisation dont il convenait de s'inquiéter véritablement consistait dans « l'exil » des cerveaux, de nombreux étudiants de valeur préférant quitter la France au terme de leur formation pour s'installer à l'étranger et y développer une activité qui ne serait pas profitable à leur pays d'origine. Aussi, déconseillant de céder à une quelconque tentation protectionniste, il a prôné, au contraire, la suppression des pénalisations à caractère fiscal ou réglementaire, qui décourageaient les détenteurs de capitaux financiers, (alors que l'accumulation d'une épargne constituait la condition même de l'investissement), aussi bien que les jeunes entrepreneurs potentiels.

M. Jean Arthuis, président , ayant remercié l'orateur pour la clarté de son exposé, a fait valoir que l'intérêt porté par la commission des finances aux délocalisations n'était nullement sous-tendu par le souci de mettre en oeuvre des dispositifs de type protectionniste, mais qu'il se trouvait animé par la recherche des faiblesses de notre système économique, que les phénomènes de délocalisation pouvaient contribuer à mettre en lumière. Il a déclaré partager de nombreux aspects de l'analyse développée par M. Pascal Salin, particulièrement en ce qui concernait le secteur textile et la difficulté de recourir au licenciement, précisant que cette dernière était, sans doute, en partie liée à la tradition sociale française, dans laquelle les grandes entreprises avaient longtemps agi dans le périmètre de l'Etat.

M. Jean-Jacques Jégou s'est, aussi, déclaré en accord avec nombre des propos tenus par M. Pascal Salin, s'agissant notamment des vertus de la délocalisation, même s'il a précisé ne pas souscrire à une vision trop « optimiste » sur le sujet quant aux obstacles fiscaux et réglementaires à la création d'activité et d'emplois en France. Il a interrogé M. Pascal Salin sur les réformes qu'il conviendrait, selon lui, de mettre en place pour remédier aux dysfonctionnements constatés, et lui a soumis, d'autre part, l'hypothèse de l'existence d'une « mauvaise épargne » qui, parce qu'elle restait inactive, ne profitait aucunement au dynamisme économique.

Répondant sur le premier point, M. Pascal Salin , s'agissant d'abord de l'aspect fiscal, a fait valoir qu'il était nécessaire, selon lui, de supprimer la taxation excessive du capital, en particulier celle qui résultait de l'impôt de solidarité sur la fortune, des droits de succession ou du régime d'imposition des plus-values. Il a indiqué, en effet, que, si les taux de ces prélèvements étaient objectivement faibles, il en allait de même du rendement à long terme du capital. Soulignant que l'impôt sur le revenu entravait l'épargne, il a défendu l'idée d'un « impôt sur la dépense globale », qui ne frapperait le revenu, plus-values comprises, qu'après déduction des sommes épargnées, et a souhaité une révision de la progressivité de son barème, mentionnant les bons résultats auxquels avait pu donner lieu ce type de réforme à l'étranger, en Nouvelle-Zélande ou en Estonie notamment. Concernant les obstacles réglementaires, il a principalement mis en avant le besoin de flexibilité du travail, signalant que les mesures destinées à protéger l'emploi comportaient le risque d'effets pervers, dans la mesure où elles pouvaient dissuader les embauches.

Quant à la notion de « mauvaise épargne » évoquée par M. Jean-Jacques Jégou, s'il a admis qu'elle pouvait exister, M. Pascal Salin a néanmoins indiqué qu'il ne pensait pas qu'il y ait trop d'épargne, mais que l'investissement se montrait, lui, insuffisant, alors que l'épargne contribuait à financer, elle, les déficits publics. Aussi a-t-il formé le voeu d'une revitalisation du marché financier, indiquant, d'ailleurs, l'intérêt que revêtirait à cet égard le développement d'un système de retraites par capitalisation.

M. Jean Arthuis, président , a relevé que cette dernière hypothèse pèserait cependant sur la consommation et, partant, entraînerait une baisse du produit de la TVA.

M. Maurice Blin , après avoir remercié M. Pascal Salin pour des propos qu'il a qualifiés de « stimulants », a souligné l'extrême difficulté d'arriver à convaincre l'opinion publique de la nécessité du changement et des réformes, dans un pays fortement attaché, par tradition, à la stabilité.

En réponse, M. Pascal Salin a indiqué qu'il croyait à la possibilité de prouver l'utilité des changements par l'action même, estimant que ce rôle appartenait aux responsables politiques et qu'il ne doutait pas de la capacité des hommes à s'adapter. Relevant que le vrai verrou, en ce domaine, résidait dans les mentalités, il a fait valoir qu'une réforme en profondeur serait vraisemblablement d'autant moins difficilement acceptée par les Français que l'Etat, aujourd'hui, en était venu à incarner, dans de nombreux esprits, la pression fiscale excessive et une réglementation abusivement tatillonne. Il a cependant regretté le conformisme intellectuel qui, d'après lui, sévissait dans notre pays, et a fait observer que le monopole détenu par l'Etat en matière d'enseignement universitaire n'y était, sans doute, pas étranger.

M. Yves Fréville a rejoint cette analyse en mettant l'accent sur l'incompréhension, de la part d'une grande majorité des Français, de la loi économique pourtant cardinale qui était celle de l'avantage comparatif. Il a souligné, d'ailleurs, que les avantages relatifs, aujourd'hui, connaissaient des évolutions considérablement plus rapides que par le passé.

M. Pascal Salin a abondé dans le sens de ces remarques, indiquant en particulier que les changements désormais plus prompts des avantages comparatifs, dans un contexte de mondialisation et de globalisation de l'économie, tenaient principalement à la dématérialisation des processus des productions qu'il avait évoquée. Il a précisé que ces avantages, de fait, se trouvaient à présent établis entre les entreprises elles-mêmes plus fréquemment qu'entre les secteurs où elles intervenaient.

En conclusion, M. Denis Badré , président , a remercié M. Pascal Salin pour la qualité de l'ensemble de ses propos.

Audition de M. Michel-Edouard LECLERC,
Président des centres distributeurs Leclerc


(mardi 12 avril 2005)

M. Jean Arthuis, président , a indiqué que cette audition devrait permettre, notamment, de débattre sur la question de savoir si la concentration des centres de distribution ne se traduisait pas, parfois, par un abus de position dominante susceptible de favoriser des délocalisations.

M. Michel-Edouard Leclerc, président des centres distributeurs Leclerc , a exposé, tout d'abord, que les centres de distribution étaient constitués d'une fédération de 500 commerçants indépendants, créée par son père. Il a ajouté qu'il s'agissait d'un mouvement associatif utilisant des outils coopératifs, et non d'un groupe familial, ou d'une société cotée en bourse. Il a souligné que les centres distributeurs Leclerc avaient constitué un réel moyen de promotion pour des diplômés.

Il a fait valoir que son père était parvenu à convaincre les commerçants de ce que la richesse personnelle pouvait se combiner avec une utilité sociale. Il a indiqué que les centres distributeurs Leclerc étaient associés au groupe « Système U » et avec d'autres partenaires de différents pays membres de l'Union européenne, comme l'Espagne et l'Italie. Il a ajouté que sa fédération était constituée de 85.000 salariés en France et qu'avec 32 milliards d'euros de chiffre d'affaires, elle était la première enseigne d'hypermarchés. Il a précisé que les adhérents étaient propriétaires, non franchisés, et que le groupe Leclerc permettait une mutualisation des achats.

M. Michel-Edouard Leclerc a fait valoir que les établissements Leclerc avaient procédé à des investissements pour contourner les monopoles, évoquant, à titre d'exemple, le rachat d'un abattoir dans les Côtes d'Armor. Il s'est félicité de ce que le groupe Leclerc soit le premier bijoutier français, relevant que 80 % de l'offre y étaient d'origine française, le restant provenant d'Italie, sans qu'il y ait d'écart de coût de production. Il a déploré que, depuis 1997, la « loi Galland » interdise une répercussion, par le distributeur, de la totalité des marges arrière, ce qui était de nature à favoriser la concentration. Il a relevé que 90 % des produits vendus par son groupe l'étaient par l'intermédiaire d'une centrale d'achats. Il a précisé, en réponse à M. Jean Arthuis, président , que le groupe disposait, à Zurich, d'une antenne de sept personnes « chasseurs de prix ».

Se référant à une déclaration du Premier ministre, selon laquelle les grandes marques étaient vendues en France 10 % plus cher que dans les autres pays de l'Union européenne, il a considéré que la cause en revenait à la législation française et non au passage à l'euro, en raison de l'interdiction de répercuter la marge arrière sur les prix à la consommation. Il a souligné que la « loi Galland » débouchait, ainsi, sur des tarifs non négociables.

En réponse à M. Aymeri de Montesquiou , il a rappelé qu'aux Etats-Unis la vente à perte était autorisée, alors que la France se cantonnait à la fixation de règles débouchant sur des prix artificiellement élevés.

M. Jean Arthuis, président , a considéré que la législation française avait trouvé sa source dans la nécessité de lutter contre le recours à des pratiques abusives de vente à perte, utilisées comme prix d'appel. Il s'est demandé pourquoi les marges arrière étaient aussi importantes.

M. Michel-Edouard Leclerc a répondu que celles-ci étaient de l'ordre de 14 % du prix en moyenne, ajoutant que ce taux était variable selon les produits, allant jusqu'à 50 % pour la charcuterie et les salaisons. Il a fait valoir que la décision, pour les marges arrière, relevait du fournisseur.

Il a justifié la nécessité de modifier la « loi Galland » par celle d'améliorer le pouvoir d'achat en France, ce qui ne pouvait pas être réalisé par des augmentations significatives de salaires.

M. Jean Arthuis, président , s'est inquiété de la représentation du groupe en Asie.

M. Michel-Edouard Leclerc a indiqué que les importations, hors carburant, du groupe Leclerc, représentaient 8 % de ses ventes. Il a précisé que son groupe disposait de bureaux à Hong-Kong et Madras et d'agences en Turquie, en Amérique du Sud et au Canada. Il a noté que les importations ne portaient pas principalement sur des produits alimentaires, précisant, au sujet de ces produits, qu'il n'y avait pas d'écart de coût de production, sauf pour le gigot d'agneau en provenance d'Océanie.

Il a fait valoir que le groupe Leclerc procédait, parfois, à des achats directs pour s'associer à des projets écologiques ou environnementaux, et qu'il contribuait au développement du commerce équitable dont il était le premier distributeur en France.

Il a exposé que 40 % à 50 % des produits textiles vendus par son groupe étaient importés, indiquant que des marques françaises pouvaient comporter des biens eux-mêmes issus en réalité d'importations.

M. Michel-Edouard Leclerc a considéré que l'industrie textile avait sa part de responsabilité dans la crise qu'elle traversait, soulignant que la délocalisation avait précédé le développement des hypermarchés. Il a indiqué que beaucoup d'entreprises délocalisées avaient refusé, ensuite, de vendre leurs produits au groupe Leclerc, ajoutant qu'une telle attitude ne provenait pas seulement de grandes marques.

Il a jugé que des accords de partenariat auraient pu retarder certaines délocalisations, et s'est interrogé sur les conditions de négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), soulignant, en particulier, le paradoxe consistant à faire suivre, quelques mois après, de mesures correctives un abaissement des quotas. Il a mis en exergue des pays d'Asie, comme la Chine, le Vietnam ou l'Inde, qui ne se caractérisaient pas seulement par une main-d'oeuvre « bon marché », mais aussi par la fabrication de produits de qualité, relevant ainsi qu'il y avait plus d'usines certifiées en Inde qu'en France.

Evoquant ensuite le secteur de l'électronique, il a observé que 90 % des ordinateurs vendus dans certaines surfaces commerciales spécialisées provenaient de Taiwan ou d'autres pays asiatiques, non seulement en raison de leurs prix, mais aussi du savoir-faire de la main-d'oeuvre. A propos des articles de sport, il a dénoncé le fait que Peugeot n'ait jamais voulu vendre de cycles en grandes surfaces, ce qui avait inéluctablement conduit les établissements Leclerc à s'approvisionner avec des produits fabriqués à l'étranger. Il a dénoncé les pratiques de nombreuses marques françaises consistant à faire fabriquer leurs produits en Asie, soulignant ainsi que, pour appréhender l'ampleur des délocalisations, il ne convenait pas de se référer à la nationalité d'une marque.

M. Eric Doligé s'est demandé s'il ne serait pas opportun de contraindre les distributeurs à réinvestir une partie des marges arrière en direction des petites et moyennes entreprises (PME).

M. Michel-Edouard Leclerc a estimé, au contraire, qu'une telle règle serait de nature à accroître la dépendance des PME vis-à-vis des grossistes. Il a souhaité que l'Etat développe des formules de partenariat avec les PME et institue un interlocuteur administratif stable pour le secteur du commerce. Il a ajouté que, plutôt que de créer des systèmes de réaffectation des marges arrière, il était préférable de supprimer purement et simplement de telles pratiques. Il a indiqué que le projet de loi relatif aux PME présenté le 13 avril 2005 en Conseil des ministres devrait maintenir l'interdiction de répercuter les marges arrière sur les prix, mais dans une limite de 20 %, en en déduisant qu'il serait nécessaire d'avoir beaucoup de marges arrière pour pouvoir vendre moins cher et que ce taux de 20 % risquait de devenir la norme.

M. Michel-Edouard Leclerc a préconisé d'en revenir aux propositions de la « commission Chatel », pour qui il devrait être établi un plan pluriannuel de réduction de la proportion des marges arrière non reportables sur les prix, avec pour objectif, dans un délai déterminé, de parvenir à une totale liberté en la matière.

En réponse à M. Eric Doligé , il a considéré que la suppression des marges arrière n'aurait pas d'incidence notable sur la concurrence.

M. Roger Besse s'est demandé si, au sein du groupe Leclerc, les prix ne variaient pas en fonction des établissements, et quelle était l'attitude des centres Leclerc par rapport aux grands groupes de producteurs.

M. Michel-Edouard Leclerc a répondu que les gammes de prix étaient établies, en principe, selon les produits, même s'il pouvait y avoir des écarts dus notamment aux conditions matérielles d'approvisionnement. Il a cependant ajouté qu'il n'existait pas d'obligation formelle de prix uniformes au sein du groupe Leclerc, faisant observer que, dans certains secteurs géographiques, plusieurs établissements pouvaient se trouver en concurrence mutuelle, ce qui justifiait alors des différences de tarif. Il a indiqué, par ailleurs, que les produits issus des grands groupes, comme Coca-Cola, étaient incontournables pour toutes les grandes chaînes de distribution.

M. Aymeri de Montesquiou s'est interrogé sur le risque de constitution d'oligopoles.

M. Michel-Edouard Leclerc a reconnu qu'il était plus difficile d'être industriel que distributeur, puisque le premier, producteur spécialisé, ne disposait pas de marges d'évolution à court ou moyen terme, contrairement au second, qui pouvait faire évoluer sa politique d'achat, en fonction de la conjoncture, d'une catégorie de produits à une autre.

Il a admis que les pouvoirs publics avaient le droit de fixer des limites à la libre concurrence, citant par exemple des mécanismes de prix minimum ou d'intervention. Il a observé que l'inflation était plus forte, généralement, pour les produits de grande marque, que la moyenne et a souligné l'incidence négative de la hausse des prix dans un contexte de chômage.

M. Aymeri de Montesquiou s'est interrogé sur les circonstances de l'adoption de la « loi Galland ».

M. Michel-Edouard Leclerc a évoqué la pression des PME, elles-mêmes soumises de plein fouet à la crise et a jugé que certaines politiques avaient parfois eu tendance à prendre la grande distribution comme « bouc émissaire ». Il a regretté que cette loi ait été votée sans étude d'impact préalable sérieuse à l'appui.

M. Marc Massion, après avoir relevé l'intérêt et la franchise des propos tenus par l'intervenant, s'est étonné de ce que l'on découvre, maintenant, l'importance de l'importation, alors même que les délocalisations avaient débuté dès la fin des années 60. Il a relevé le discours quelque peu pessimiste de M. Michel-Edouard Leclerc concernant la qualité des produits français par rapport à ceux qui sont importés. Il a déploré que la recherche ait été négligée en France et considéré qu'à court terme, la relance de la consommation était le seul levier disponible.

M. Michel-Edouard Leclerc s'est inquiété de ce que les entreprises françaises ne répondaient pas fréquemment aux appels d'offre en ligne émanant, notamment, des pays d'Europe de l'Est, regrettant que celles-ci, PME comprises, n'aient pas une culture de réseaux.

Il a approuvé la proposition de création d'une « TVA sociale », tout en espérant que celle-ci soit présentée d'une manière suffisamment pédagogique pour ne pas apparaître comme un nouvel impôt. Il a souligné que les entreprises supportaient une part croissante du coût du « non-emploi » et a estimé indispensable de mettre la Commission européenne devant ses responsabilités afin de supprimer les « droits de douane à l'envers » que constituaient les charges sociales. Il s'est demandé pour quelles raisons la proposition de création d'une « TVA sociale » suscitait tant d'opposition, alors qu'elle était de nature « moins perverse » que les quotas, précisant toutefois que cette réforme se devait d'être engagée progressivement. Il a jugé préférable de mettre en place des dispositifs « positifs », plutôt que de multiplier des mesures protectionnistes.

M. Maurice Blin , après avoir salué l'origine éthique du groupe, s'est interrogé sur les raisons de la mauvaise image des grands distributeurs dans la société.

M. Gérard Longuet , estimant que la grande distribution avait suscité une nouvelle bourgeoisie, s'est inquiété des modes d'utilisation, par celle-ci, des bénéfices non réinvestis.

M. Michel-Edouard Leclerc a objecté que cinq distributeurs figuraient parmi les entreprises préférées des Français, et qu'il était ainsi, selon les sondages, le chef d'entreprise préféré. Il s'est félicité de ce que « d'anciens épiciers » avaient pu, par le biais de la grande distribution, bénéficier d'une promotion importante. Il a fait valoir que le supplément de bénéfice résultant de la « loi Galland » avait été réinvesti par les centres Leclerc, leur marge nette étant passée de 2,30 % à 2,65 % du chiffre d'affaires hors taxes. Il a souligné que la distribution devait être un acteur important du rétablissement du tissu industriel. Il a mis en lumière les 3.000 emplois créés chaque année par les centres Leclerc depuis dix ans, ainsi que le fait que leur taux d'importation était inférieur à la moyenne, en raison, notamment, de la priorité accordée aux « produits du terroir ».

M. Jean Arthuis, président , s'est félicité du caractère fructueux de cet échange et a remercié M. Michel-Edouard Leclerc pour la qualité de ses réponses.

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