12.2.1.1.1.1.1.1.8 Audition de M. Jean-Philippe DAUVIN,
Vice-président de ST MicroElectronics
(jeudi 7 avril 2005)
Au préalable, M. Jean Arthuis, président, a remercié M. Jean-Philippe Dauvin d'avoir accepté son invitation à participer à un cycle d'auditions visant à mieux appréhender le phénomène des délocalisations, ayant rappelé que ST MicroElectronics constituait l'un des groupes les plus importants dans le domaine des technologies de pointe, dont de nombreuses unités de production étaient situées, désormais, en Asie.
M. Jean-Philippe Dauvin a donné, tout d'abord, un certain nombre de précisions concernant son groupe : ST MicroElectronics, né en 1987 de la fusion entre AGS et Thomson, était alors le vingtième fabriquant mondial des micro-processeurs, et il figurait, aujourd'hui, parmi les cinq premiers ; en particulier, ST MicroElectronics était le troisième groupe mondial pour les puces destinées au radio-téléphone, à l'automobile et au numérique « grand public », et le deuxième groupe mondial pour les circuits intégrés. M. Jean-Philippe Dauvin a indiqué que ST MicroElectronics employait 50.000 personnes dans le monde, dont 20.000 en Europe, et que 45 % de son chiffre d'affaires était réalisé en Asie, où il était présent depuis 30 ans. Puis il a souligné le contexte très concurrentiel où se situait l'activité du groupe, puisque le marché, après avoir connu une croissance annuelle de 15 %, allait voir celle-ci réduite à 5 % les années à venir, alors même que le nombre de concurrents avait doublé. Il en a conclu que la situation des entreprises du secteur n'était pas sans rappeler celle des compagnies aériennes au début des années 90.
Enfin, il a estimé que, d'une façon générale, l'électronique était un facteur primordial d'amélioration de la productivité (le secteur de la santé présentant encore, à cet égard, un potentiel particulièrement élevé), et de création de richesses : à titre d'exemple, lorsque le contenu en semi-conducteur d'un radio téléphone augmentait de 5 %, les opérateurs voyaient leur chiffre d'affaires progresser de 3 %.
Abordant la problématique spécifique des délocalisations, M. Jean Philippe Dauvin a distingué la stratégie de conquête commerciale de la stratégie en matière de recherche et de développement. Concernant la conquête commerciale, il a indiqué qu'il s'agissait, pour son groupe, d'être présent là où se situaient les marchés, c'est-à-dire les industries électroniques en phase de développement, dont la Chine constituait l'archétype, puisqu'elle représentait 20 % du marché mondial et devait, désormais, contribuer à 40 % de la croissance du marché des semi-conducteurs. Dans cette perspective commerciale, il a précisé que son groupe avait aujourd'hui des unités au Brésil et en Inde, qui, comme en Chine, faisaient systématiquement appel à des vendeurs et à des personnels techniques.
Concernant la stratégie en matière de recherche et de développement, il a souligné que l'Europe était largement privilégiée, car elle permettait une coopération avec les laboratoires publics et un recrutement d'ingénieurs de haute qualité, citant en exemple le centre de Crolles, près de Grenoble. Toutefois, il a indiqué que les produits de « bas de portefeuille », pour lesquels les coûts et la capacité de recherche et développement devaient être proportionnés à de moindres contraintes concurrentielles et technologiques, avaient donné lieu à une implantation progressive de « centres de design » dans une « zone intermédiaire » constituée, notamment, du bassin méditerranéen avec le Maroc et la Tunisie, de l'Europe de l'Est, et, pour la recherche logicielle, de l'Inde. Répondant à M. Jean Arthuis, président, qui s'inquiétait d'un tel « grignotage », M. Jean-Philippe Dauvin a précisé que cette « aspiration » des unités de production et de recherche trouvait des limites : en effet, les déplacements d'unités présentaient le risque d'être victimes d'espionnage industriel, ce qui expliquait, par exemple, qu'une grande entreprise japonaise du secteur refusait toute délocalisation en Chine, tandis que la diversité croissante des clients allait susciter, probablement, une hausse des dépenses de recherche et développement, qui se prêtaient moins aisément, comme il l'avait montré, aux délocalisations.
M. Jean Arthuis, président, a alors demandé à M. Jean-Philippe Dauvin d'évoquer la délocalisation de l'unité de Rennes.
M. Jean-Philippe Dauvin a d'abord relevé qu'il s'agissait d'une usine construite il y a trente ans, qui comportait de forts risques de pollution et qui, située en pleine campagne, avait été « rattrapée » par la ville. Par ailleurs, d'après lui, sa capacité était devenue insuffisante, compte tenu de la nécessité de concentrer ses productions. Enfin, il a précisé qu'il n'y avait jamais eu de « licenciements secs » et que l'intégralité du personnel s'était vu proposer un reclassement dans d'autres sites.
M. Jean Arthuis, président , s'est alors préoccupé de l'impact du travail des analystes financiers lorsqu'ils établissaient le coût moyen d'un ingénieur en recherche et développement, afin d'apprécier la rentabilité globale de l'entreprise et des risques potentiels de « surréaction » des marchés qui pourraient en découler.
En réponse, M. Jean-Philippe Dauvin a précisé que, depuis 1993, les marchés boursiers avaient accueilli très favorablement ST MicroElectronics, 12,8 milliards de dollars ayant été ainsi recueillis. Les contraintes de management imposées par les marchés ne portaient guère, selon lui, que sur les règles de gestion industrielle, devenues, il était vrai, très sévères, et qui obligeaient à une plus grande prudence pour décider de la création d'une nouvelle unité de production. En revanche, d'après lui, hormis cette difficulté, ST MicroElectronics se voulait indépendante des marchés financiers pour tous les aspects de sa stratégie de développement et avait pu assurer son essor dans de bonnes conditions.
M. Maurice Blin, après avoir déploré que les entreprises les plus performantes soient souvent méconnues, et douté que le développement exemplaire de ST MicroElectronics puisse constituer un exemple transposable à des industries plus traditionnelles, s'est posé la question de l'importance relative du coût des chercheurs, leur motivation étant probablement l'élément primordial de la qualité des relations entre l'université et la recherche, de la raréfaction des vocations d'ingénieurs chercheurs et du danger que présentait la coopération technologique en termes de concurrence, ainsi que l'exportation du TGV en Corée du Sud l'avait montré, puisque cette dernière s'apprêtait à vendre, à la Chine, un train à grande vitesse.
En réponse, M. Jean-Philippe Dauvin a d'abord indiqué que la masse salariale se situait dans une fourchette habituellement comprise entre 20 % et 25 % du chiffre d'affaires, et que l'incontestable motivation des ingénieurs-chercheurs constituait, assurément, un objectif majeur, pour la réalisation duquel ST MicroElectronics avait développé un type de management particulier. Puis il a observé que les relations entre ses unités industrielles, les laboratoires publics et les universités donnaient toute satisfaction, comme cela pouvait être constaté dans les sites de Crolles, de Tours ou de Rousset.
M. Yves Fréville s'étant alors posé la question de la qualité de ces relations en région parisienne, qui hébergeait 50 % de la dépense de la recherche publique, il a estimé que le contact quotidien entre ingénieurs et chercheurs publics ou universitaires était, en effet, un facteur essentiel de réussite, qu'il a qualifié d'« effet cantine ». Concernant les vocations de chercheurs pour les carrières industrielles, il en a, en effet, déploré la raréfaction, relevant que la perception de l'économie offerte par l'enseignement secondaire valorisait, peut-être trop, l'Etat, et insuffisamment, l'entreprise, ce qui aurait pu constituer un élément explicatif. Enfin, il a indiqué que le meilleur rempart contre les appropriations technologiques par la concurrence résidait dans une démarche d'innovation permanente. Elargissant le bilan économique de son groupe, M. Jean-Philippe Dauvin s'est félicité d'une augmentation de l'emploi de 4 % par an au niveau mondial, avec une profitabilité maintenue.
M. Jean-Jacques Jégou , après avoir estimé que l'attachement au travail était vraisemblablement plus important dans les usines que dans les bureaux, s'est interrogé sur le rôle de la recherche et du développement, qui pouvait constituer le premier moteur de l'innovation ou une simple réponse aux sollicitations de clients, sur les voies et moyens d'une amélioration de la productivité du système de santé, et sur les causes de comportements industriels, peut-être trop audacieux, qui avaient pu mener à la fermeture d'unités de production lors de la crise de 2001, marquée par « l'éclatement de la bulle Internet ».
En réponse, M. Jean-Philippe Dauvin a relevé que la recherche et le développement se situaient, incontestablement, à l'origine de l'innovation, conformément aux principes de l'économie de l'offre, et à rebours d'une vision keynésienne devenue obsolète. Concernant la productivité des systèmes de santé, il a évoqué l'existence de procédés technologiques de surveillance médicale reposant sur le principe d'un émetteur mobile accompagnant le malade, dont l'utilisation serait susceptible d'engendrer des économies en traitant certains symptômes le plus en amont possible. Enfin, il était exact que les marchés financiers exigeaient une rentabilité de l'ensemble des sites de production, et que les actionnaires se montraient désormais vigilants concernant la création de nouveaux sites. En tout état de cause, il a précisé que si la part des coûts attribués aux usines était tombée de 25 % à 17 %, celle de la recherche et du développement s'était hissée de 15 % à 22 %.
Après avoir remercié M. Jean-Philippe Dauvin pour la clarté et l'intérêt de son propos, M. Jean Arthuis, président, a conclu que l'industrie méritait que l'on s'y intéresse, que les délocalisations n'étaient pas une fatalité, mais que la mobilité constituait désormais une exigence.