2. Des développements nouveaux que la France ne peut ignorer

a) Les exigences internationales et européennes

• Des contraintes fortes en matière de passeport

À la suite des attentats du 11 septembre 2001, trois contraintes convergentes imposent désormais à la France la mise en place rapide d'un passeport biométrique .

En premier lieu, en application d'un règlement du 13 décembre 2004 51 ( * ) , les Etats membres de l'Union européenne devront, à partir du 28 août 2006, délivrer des passeports incluant une donnée biométrique sur une puce : la photographie faciale. L'introduction d'une seconde donnée biométrique, les empreintes digitales, interviendra dans un délai de 36 mois à compter de l'adoption de spécifications techniques qui ne sont pas encore arrêtées.

En deuxième lieu, la recommandation adoptée le 9 mai 2003 par l'OACI prévoit l'intégration avant 2015 d'au moins une donnée biométrique dans les documents de voyages : la photo numérisée serait obligatoire, mais des données biométriques supplémentaires resteraient optionnelles (empreintes digitales, iris de l'oeil).

En dernier lieu, et c'est sans doute la contrainte la plus importante, les États-Unis imposent aux vingt-sept pays 52 ( * ) qui bénéficient du programme américain d'exemption de visa 53 ( * ) , une échéance précise pour la mise aux normes de l'OACI des passeports. Fixée au 26 octobre 2006, cette échéance est sanctionnée par le rétablissement des visas à l'encontre des ressortissants détenteurs d'un passeport, délivré après cette date, ne comportant pas au minimum une donnée biométrique (la photographie faciale) 54 ( * ) . Toutefois, les passeports lisibles en machine délivrés avant cette date continueront d'exempter de la présentation d'un visa.

L'échéance initiale était le 26 octobre 2004. Le Congrès avait accepté de repousser d'une année ce délai à la demande de l'administration américaine. Lors du déplacement d'une délégation de la mission d'information à Washington, il est apparu qu'un nouveau report de l'échéance devait être demandé au Congrès par le Département d'État et le nouveau ministère de la sécurité du territoire (Department of Homeland Security). L'administration américaine a concédé ne pas être prête pour le 26 octobre 2005 à mettre en oeuvre le contrôle aux frontières des passeports biométriques étrangers, ni à faire face à une recrudescence massive des demandes de visas. Toutefois, le Congrès, et en particulier M. James Sensenbrenner, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, s'était déclaré opposé à un tel report.

Le 6 juin, le gouvernement américain a annoncé, comme il était pressenti, qu'il acceptait de repousser au 26 octobre 2006 la date butoir. Toutefois, il réclame qu'au 26 octobre 2005, les voyageurs des vingt-sept pays concernés présentent des passeports avec des photographies numérisées et que les autorités de ces pays présentent un plan acceptable pour commencer à émettre les passeports biométriques à puce dans un an.

À l'heure actuelle, seules l'Autriche, la Slovénie et la Belgique délivrent des passeports répondant à ces normes.

In fine, la France devra se doter :

- d'un passeport comportant la photographie faciale numérisée au plus tard le 28 août 2006 ;

- d'un passeport incluant une seconde donnée biométrique (les empreintes digitales) à moyen terme.

Toutefois, aucune autre obligation ne s'impose. Les règles de consultation des données stockées sur le passeport ainsi que l'opportunité de la création d'un fichier central des données biométriques relèvent de l'appréciation de chaque Etat.

• Des solutions harmonisées au niveau européen

Le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 a affirmé la nécessité de dégager au sein de l'Union une approche cohérente en ce qui concerne les identificateurs ou les données biométriques utilisés. Une telle approche doit également prévaloir pour la détermination des spécifications techniques des systèmes de manière à assurer leur interopérabilité. Cette approche a été appliquée aux passeports, aux titres de séjour des ressortissants de pays tiers et aux visas.

Concernant les titres de séjour, le Conseil « justice et affaires intérieures »est parvenu à un accord sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement du 13 juin 2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers. Il prévoit le stockage obligatoire de la photographie de face et de deux empreintes digitales 55 ( * ) .

Concernant les visas, le déploiement du nouveau système d'information sur les visas (SIV II ou VIS II) en remplacement du système actuel a pour objet l'intégration des éléments biométriques sur les visas et la constitution d'un fichier central des demandes de visas Schengen. A nouveau, le choix s'est porté sur la photographie de face et deux empreintes digitales 56 ( * ) . A cet égard, la France expérimente pour l'Union européenne ce nouveau modèle de visa avant qu'il ne soit généralisé à l'ensemble de l'espace Schengen.

Enfin, en vigueur depuis le 15 janvier 2003, Eurodac est un système européen de contrôle et de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile et des étrangers susceptibles de le devenir un jour. Les Etats membres prennent en effet les empreintes digitales des étrangers de plus de quatorze ans ayant déposé une demande d'asile, franchi irrégulièrement une frontière de l'Union ou se trouvant illégalement sur le territoire de l'un des Etats membres. Il s'agit d'éviter qu'un demandeur d'asile ne présente des demandes multiples dans plusieurs Etats parties. Ce système prévu par le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système « Eurodac » doit en effet permettre l'application efficace de la convention relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers signée à Dublin le 15 juin 1990 (dite « Convention de Dublin »). Cette convention a été récemment remplacée par le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 dénommé aussi « règlement Dublin II ».

Par ailleurs, la prochaine version du système d'information Schengen appelée SIS II intègrera des données biométriques et en premier lieu des empreintes digitales 57 ( * ) . Ce projet est développé conjointement avec le projet VIS II.

b) Un foisonnement d'expériences et de projets à l'étranger

Outre la mise aux normes des passeports et la préparation du passage à des titres de séjour et des visas biométriques, plusieurs de nos partenaires européens travaillent à des projets strictement nationaux relatifs à une carte d'identité biométrique 58 ( * ) . En effet, beaucoup développent une nouvelle génération de titres d'identité électroniques ou envisagent de le faire comme l'illustre le tableau ci-après. Chaque pays conserve ses spécificités selon son histoire et les objectifs qu'il assigne à cette carte.

Les projets de carte d'identité biométrique en Europe

Etat
d'avancement du projet

Éléments biométriques insérés dans la puce

Existence
d'un fichier
central

Italie

En cours de délivrance depuis juillet 2002

Empreintes digitales

Non

Espagne

Loi de 2004
Délivrance dès 2006

Empreintes digitales + photographie

Pays-Bas

A l'étude 1
Objectif : 2007

- photographie faciale
- empreintes digitales

Projet de création d'un numéro d'identification unique

Royaume-Uni

Projet de loi en cours d'examen à la Chambre des communes

- empreintes digitales
- photographie
- peut-être l'iris

Création d'un registre national d'identité intégrant les données numériques

Allemagne

Loi fédérale
du 2 janvier 2002 autorise l'insertion
de données biométriques

À définir 2

Non

Suède

A l'étude

Autriche

A l'étude 3

Estonie

A l'étude 4
Objectif : second semestre 2006

- empreintes digitales
- autres

1 Depuis octobre 2002, tous les documents d'identité émis par les Pays-Bas ont un emplacement prévu pour de futures données biométriques stockées sur une puce.

2 A ce jour, aucun projet de loi n'a été déposé pour définir les éléments biométriques utilisés. La loi du 9 janvier 2002 prévoit que ces données ne pourraient être utilisées que pour contrôler l'authenticité du document et prouver l'identité du titulaire.

3 La carte en vigueur a été conçue pour intégrer ultérieurement une puce électronique supportant des données biométriques.

4 Depuis janvier 2002, une carte d'identité électronique et non biométrique est délivrée aux Estoniens et aux étrangers qui en font la demande.

L'exemple britannique est le plus significatif. La carte nationale d'identité n'y a été introduite qu'à deux reprises au cours de l'histoire du pays lors des deux guerres mondiales. Traditionnellement perçue comme une atteinte aux libertés individuelles, elle pourrait cependant être prochainement rendue obligatoire, payante et biométrique. En outre, un registre national d'identité contenant de nombreuses informations sur toutes les personnes résidant au Royaume-Uni âgées de plus de seize ans et incluant des données biométriques serait constitué. Un projet de loi a été redéposé devant le parlement britannique après les élections législatives de mai 2005.

Cette véritable révolution témoigne de la nouvelle sensibilité des gouvernements européens au problème de la fraude à l'identité et de ses conséquences sur le fonctionnement sur nos sociétés.

c) Un enjeu incontournable pour la France

Ce contexte international et européen contraint la France à réfléchir à la place de la biométrie et à son utilisation.

En premier lieu, il lui faut satisfaire à ses engagements internationaux et aux demandes américaines qui valent de fait normes communes.

Le passeport biométrique devra être délivré dans un an environ. Toutefois, le débat a encore sa place, chaque État étant libre par exemple de créer ou non un fichier central des données biométriques.

En deuxième lieu, la France a anticipé le recours à la biométrie en matière de visa et de titre de séjour au niveau européen. En effet, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration prévoit que les empreintes digitales et la photographie des demandeurs de visa peuvent être relevées et faire l'objet d'un traitement automatisé. Lorsque le visa est accordé, le relevé est obligatoire . Cette disposition s'ajoute à une autre, plus ancienne, introduite par la loi du 24 avril 1997 dite « loi Debré » et qui permet le relevé des empreintes digitales des ressortissants étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour , sont en situation irrégulière en France ou font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français 59 ( * ) . La loi du 11 mai 1998 dite « loi Chevènement » ne l'a pas remise en cause.

Toutefois, ces dispositions, bien que discutées au Parlement, n'ont pas été précédées d'un débat général sur la biométrie et les conditions de son utilisation. Il est significatif que la loi du 24 avril 1997 précitée n'ait toujours pas été mise en oeuvre et que le relevé des empreintes digitales des demandeurs de visas voté en novembre 2003 fasse l'objet d'une expérimentation 60 ( * ) lancée au début de l'année 2005 seulement. L'utilisation de la biométrie est complexe et ne peut s'improviser.

En outre, ces dispositions doivent être coordonnées avec le projet européen VIS II en cours de discussion. C'est la raison pour laquelle l'expérimentation en matière de visa a été mise en place en coopération avec la Commission européenne et d'autres Etats membres 61 ( * ) . Financée sur des fonds communautaires, la mission BIODEV (BIOmétrie des DEmandeurs de Visas) a débuté la production de visas biométriques le 22 mars 2005 au consulat général de France à Bamako. Au total, une dizaine de consulats devraient délivrer progressivement 50.000 visas biométriques. Les données biométriques (la photographie et les dix empreintes digitales) sont enregistrées dans un fichier central et dans une carte à puce insérée dans une pochette plastique collée en page de couverture du passeport. Cela permet un double contrôle aux frontières en confrontant les empreintes du porteur du visa aux empreintes insérées dans la puce et au fichier central. Cette expérimentation doit permettre de mieux cerner les difficultés technologiques, administratives, économiques et sociologiques qu'implique le déploiement d'un système biométrique visant des dizaines de millions de personnes réparties sur l'ensemble de la planète.

Votre mission remarque incidemment que l'application de la biométrie aux étrangers ne soulève pas les mêmes débats et oppositions que ceux de ces derniers mois lorsqu'il s'agit d'appliquer la biométrie à des citoyens français. Pourtant, les enjeux éthiques ou moraux sont similaires, en dépit de notre tradition juridique qui permet d'assujettir les étrangers à une législation spécifique pour des raisons de police.

En troisième lieu, les nombreux projets nationaux de carte d'identité biométrique en Europe ne peuvent manquer d'avoir un impact sur les réflexions françaises. D'une part, la Commission européenne a reçu mandat, dans le cadre du programme de La Haye 62 ( * ) , de contribuer à l'élaboration d'une norme minimale en terme de sécurisation des titres d'identité délivrés par les Etats membres par référence aux normes de l'OACI. Cette position, défendue par la France, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne, se justifie par le fait que la carte d'identité est reconnue comme document de voyage au sein de l'Union européenne. Dès lors, il ne peut y avoir un pays « maillon faible ». D'autre part, la biométrie étant déjà utilisée ou étant sur le point de l'être comme élément d'identification des demandeurs d'asile ainsi que sur tous les documents de voyage (passeport, visa) ou de séjour, pourquoi l'exclure complètement pour la seule carte nationale d'identité ? Plus que tout autre document, la carte nationale d'identité atteste de l'identité d'une personne. En outre, un déploiement coordonné de la biométrie permettrait de mutualiser les coûts.

En dernier lieu, l'enjeu industriel pèse sur ce débat. Plusieurs entreprises françaises détiennent ensemble plus de la moitié du marché mondial de la biométrie qui est en pleine expansion. Mais cette domination est menacée par l'émergence de nouveaux concurrents en Asie et aux États-Unis. Aux yeux des industriels, il pourrait sembler paradoxal que la France ne se dote pas d'un système performant d'identification biométrique. Le parallèle peut être fait avec la carte bancaire à puce. Nos entreprises sont les premières sur ce marché et la France est le pays où le paiement par carte bancaire est le plus développé et le plus sûr.

d) Le projet INES

Le projet INES fait le choix d'un usage intensif de la biométrie pour garantir l'identité des personnes.

Au mois de mars 2005, le ministère de l'intérieur envisageait :

- de fusionner les procédures de délivrance du passeport et de la carte nationale d'identité , afin de réduire les coûts de production de ces documents et de simplifier les démarches administratives des citoyens ;

- d' équiper la carte nationale d'identité et le passeport d'une puce électronique contenant des données relatives à l'état civil et des identifiants biométriques , la photographie et les empreintes digitales 63 ( * ) .

La même démarche de sécurisation du titre en recourant à la biométrie pourrait être étendue par la suite au permis de conduire.

L'ensemble de ce système reposerait sur la création d'une base centrale constituée de plusieurs fichiers . Cette segmentation doit garantir un accès proportionné aux données contenues dans la base. Tous les usages de cette base ne nécessiteraient pas d'accéder aux mêmes types de données personnelles et, a fortiori, à l'ensemble des données.

Celle-ci contiendrait :

- un fichier des six empreintes digitales recueillies lors de la demande initiale de titre, destinée à éviter la délivrance de titres sous plusieurs identités à une même personne ou sous une même identité à plusieurs personnes ;

- un fichier des photographies ;

- un fichier de gestion des titres avec l'identité, proche du fichier de gestion existant pour la carte nationale d'identité sécurisée ;

- le fichier des archives contenant les justificatifs scannés présentés lors du dépôt de la demande de titre.

Ces fichiers seraient reliés par un numéro de liaison technique.

* 51 Règlement (CE) n° 2252/2004 du Conseil du 13 décembre 2004 établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les Etats membres. Publié au JOUE du 29 décembre 2004.

* 52 Le Patriot Act du 26 octobre 2001 impose l'introduction d'éléments biométriques dans le passeport des personnes désireuses de se rendre aux Etats-Unis.

* 53 Le « visa waiver program », dont l'ensemble des Etats de l'Union européenne à l'exception de la Grèce est membre, dispense de visas les citoyens de ces vingt-sept pays pour les séjours d'une durée inférieure à trois mois. D'ores et déjà, pour en bénéficier, un passeport lisible optiquement en machine (passeport Delphine en France) est impératif.

* 54 Les Etats-Unis n'ont décidé que récemment de doter leurs compatriotes de passeports biométriques et de s'imposer de la sorte ce qu'il impose aux autres. Les premières expérimentations devraient être lancées au second semestre 2005 avec les passeports diplomatiques ou de service. Au cours du déplacement d'une délégation de la mission à Washington, il est apparu que cette décision était guidée par un souci de courtoisie et de réciprocité, plus que par des craintes sur la sécurité des passeports américains.

* 55 La proposition de règlement (document COM (2003)558 final) doit encore être soumise à la consultation du Parlement européen.

* 56 Voir la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1683/95 établissant un modèle type de visa.

* 57 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II). Document COM (2005) 236 final présentée par la Commission européenne le 31 mai 2005.

* 58 L'Union européenne n'a pas encore proposé l'harmonisation des cartes d'identité. Un groupe de travail a toutefois été constitué. À moyen terme, la carte d'identité valant titre de voyage dans l'Union européenne, une harmonisation semble probable.

* 59 Ces dispositions ont été codifiées aux articles L. 611-3 à L. 611-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 60 Décret n° 2004-1266 du 25 novembre 2004 pris pour l'application de l'article 8-4 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France et portant création à titre expérimental d'un traitement automatisé des données à caractère personnel relatives aux ressortissants étrangers sollicitant la délivrance d'un visa

* 61 Etats participants : la France (chef de file), la Belgique (elle co-expérimente en délivrant des visas biométriques dans plusieurs de ses consulats), l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Pologne.

* 62 Réunion du Conseil européen du 4 novembre 2004.

* 63 Pour le passeport, seule la photographie serait dans un premier temps insérée, puis les empreintes digitales en application du règlement du Conseil du 13 décembre 2004.

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