II. LES GARANTIES DEVANT ENTOURER LE DÉVELOPPEMENT D'UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE TITRES D'IDENTITÉ ÉLECTRONIQUES
Une nouvelle génération de titres d'identité électroniques émerge dans les pays occidentaux. Certains comportent des données biométriques afin d'assurer un meilleur contrôle de l'identité de leurs titulaires. D'autres intègrent des fonctions d'authentification et de signature électroniques afin de promouvoir le développement de l'administration et du commerce électroniques. Dans la mesure où ils sont susceptibles de donner lieu à des traitements automatisés de données à caractère personnel, leur développement éventuel doit être entouré de garanties préservant les libertés individuelles.
A. UN TITRE D'IDENTITÉ BIOMÉTRIQUE : QUELS AVANTAGES POUR LA SÉCURITÉ ?
Les technologies biométriques ouvrent de nouvelles possibilités. Sujet de controverse, la biométrie est pourtant déjà une réalité. Elle s'impose d'ores et déjà comme un instrument fort de sécurisation des documents. Toutefois, la plus-value en terme de sécurité reste mal évaluée. La biométrie n'est pas une solution miracle ; son efficacité dépend de nombreux facteurs.
1. La biométrie : définition et intérêt
a) Définition
La biométrie est, au sens étymologique, la mesure des choses vivantes. Appliquée à l'homme, elle constitue l'anthropométrie 44 ( * ) . Toutefois, par un abus de langage, la biométrie désigne l'ensemble des technologies de reconnaissance physique ou biologique des individus.
En effet, chaque être humain se distingue de ses « semblables » par un ensemble de caractéristiques morphologiques et biologiques qui rendent son identification possible. Le cerveau humain effectue en permanence des opérations de reconnaissance biométrique, notamment de reconnaissance faciale. Lorsque nous croisons un individu, nous mesurons inconsciemment l'écartement des yeux, la taille du nez, la position des oreilles. Ces informations sont comparées à notre mémoire afin d'y associer un nom.
Les technologies biométriques fonctionnent d'une façon similaire. Couplée à des traitements informatisés de plus en plus puissants, la biométrie peut permettre l'identification d'un individu parmi plusieurs millions avec certitude. La précision du système varie selon le type et le nombre d'éléments biométriques utilisés.
En effet, ces données biométriques sont de plusieurs types, chacune présentant des avantages et des inconvénients en fonction de l'usage qui en est fait. Les principales sont la morphologie du visage, les empreintes digitales ou palmaires, la forme de la main, la reconnaissance de l'iris et les empreintes génétiques. D'autres sont plus confidentielles ou expérimentales comme le dessin du réseau veineux de la main. M. Emmanuel-Alain Cabanis, président de la Société de biométrie humaine, a évoqué la cartographie intracorporelle, notamment celle des circonvolutions du cerveau.
b) Des utilisations anciennes
A l'origine, l'anthropométrie s'est efforcée d'établir des corrélations physiques précises distinguant l'homme des autres espèces animales. Un des développements 45 ( * ) de cette discipline fut l'anthropométrie judiciaire également appelé bertillonnage 46 ( * ) . Cette méthode d'identification des criminels par leurs mensurations prit un essor particulier avec la découverte des empreintes digitales dans les premières années du XXème siècle.
Aujourd'hui, la police scientifique reste le principal champ d'application de la biométrie. Ainsi, au 1 er janvier 2005, le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) comptait 1.981.615 empreintes digitales enregistrées et 151.992 traces non identifiées. Ce fichier ne cesse d'être enrichi, puisqu'un décret du 27 mai 2005 47 ( * ) permet désormais d'y archiver des clichés anthropométriques ainsi que des empreintes et traces palmaires.
Un autre fichier créé en 1998, le fichier automatisé des empreintes génétiques (FAEG), tend à se développer très rapidement. Au 31 décembre 2002, il ne contenait que 2.824 profils génétiques de personnes définitivement condamnées et 179 traces non identifiées. Au 26 mai 2005, 50.000 profils génétiques étaient enregistrés. Ce nombre devrait atteindre plusieurs centaines de milliers d'ici quelques années.
Toutes les polices du monde disposent de fichiers similaires.
Depuis plus de vingt ans, ces technologies se sont étendues au secteur de la sécurité aux fins de surveillance des sites sensibles et de contrôle des accès.
c) Un intérêt renouvelé
Le développement et la mondialisation de la fraude à l'identité posent des difficultés inédites. Les modes traditionnels de preuve de l'identité sont affaiblis. Comme il a été vu 48 ( * ) , la notion de nom patronymique est de moins en moins pertinente pour s'assurer de l'identité des personnes.
La biométrie offre a priori des réponses à ce défi :
- d'une part, elle est universelle et immuable, chaque être humain pouvant être identifié de la sorte quelle que soit sa culture et quel que soit son âge 49 ( * ) ;
- d'autre part, elle garantit l'unicité de la personne en établissant un lien unique entre la donnée biométrique et son porteur, la robustesse de ce lien pouvant résister, à certaines conditions, à la comparaison de plusieurs centaines de millions d'individus entre eux ;
- surtout, les progrès de l'informatique ouvrent de nouvelles possibilités pour son utilisation.
Les qualités précitées de la biométrie sont connues depuis longtemps. C'est ainsi que l'on relève l'empreinte de l'index gauche lors de la délivrance de la carte nationale d'identité sécurisée. Lorsqu'une vérification est nécessaire, l'empreinte est consultable dans le dossier en préfecture. Mais, il ne s'agit alors que d'une sécurité supplémentaire très difficilement exploitable 50 ( * ) .
Le traitement informatisé de la biométrie ouvre la voie à la notion d'identité biométrique . Cette identité ne se substituerait pas à l'identité au sens classique. L'état civil resterait la base de l'identité. Mais la biométrie rendrait l'identité indissociable d'un processus technique d'identification.
Toutefois, il ne faut pas confondre identité numérique et identité biométrique. L'identité numérique, c'est-à-dire la numérisation des données relatives à l'identité d'une personne, notamment sur un support comme une puce, peut se concevoir sans biométrie. La biométrie présente des enjeux spécifiques.
* 44 Née au milieu du XIXème siècle, l'anthropologie est la science de l'homme. L'une de ses branches, l'anthropologie physique ou anthropométrie, étudie les caractères anatomiques et biologiques de l'homme.
* 45 Les théories raciales en furent un autre...
* 46 Alphonse Bertillon fonda en 1870 le premier laboratoire de police scientifique d'identification criminelle et inventa l'anthropométrie judiciaire. Ce système d'identification reposait sur le relevé d'une vingtaine de mensurations du squelette et de la photographie de face et de côté.
* 47 Décret n° 2005-585 du 27 mai 2005 modifiant le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur.
* 48 voir supra page 23.
* 49 Les éléments biométriques ne sont pas tous parfaitement immuables. Les empreintes digitales peuvent, par exemple, être altérées par l'usage de certains produits ou avec l'âge.
* 50 voir supra page 35.