II. LES CARACTÉRISTIQUES DE LA CRISE IMMOBILIÈRE

La crise du secteur immobilier que traverse la France depuis la fin des années 1990 se caractérise également par une flambée du prix des logements, neufs et anciens, et par une véritable envolée des loyers du secteur privé, en particulier dans les zones à fort pouvoir d'attraction économique et universitaire ou en croissance démographique. Cette évolution doit néanmoins être mise en perspective.

En effet, les facteurs de cette actuelle explosion des prix ne sauraient être assimilés à ceux de la bulle immobilière à laquelle la France a été confrontée à la fin des années 1980. Même si ces deux cycles immobiliers revêtent les mêmes manifestations, il convient de rappeler que la crise de 1990-1991 avait des origines spéculatives. De l'avis de la très grande majorité des personnes auditionnées par votre groupe de travail, la progression des prix enregistrée depuis 1998 ne résulte pas d'opérations de nature spéculative mais d'un décalage important entre l'offre et la demande de logements. En quelque sorte, le marché immobilier serait équilibré mais à un haut niveau de prix. Ce phénomène n'est, au demeurant, pas circonscrit à la France puisque l'Espagne, le Royaume-Uni ou même les Etats-Unis connaissent des tendances similaires 9 ( * ) .

S'agissant de la situation française, ce déséquilibre entre l'offre et la demande s'explique d'abord par l'insuffisante construction de logements au cours de la deuxième moitié des années 1990, insuffisance que les dispositifs d'amortissement fiscal en faveur des investissements locatifs ne sont pas parvenus à enrayer.

Parallèlement à ce ralentissement de l'offre, les besoins en logement des Français ont fortement augmenté. D'une part, les demandeurs de logements sociaux ont fortement augmenté au cours des dernières années, vraisemblablement sous la double pression de l'envolée des loyers et de la flambée des prix de l'immobilier, puisque leur nombre était estimé à un million en 2002, dont 40 % sur la seule agglomération parisienne, alors que l'offre locative sociale neuve diminuait constamment (80.000 nouveaux logements sociaux en 1994 contre 45.000 en 2002). D'autre part, les besoins des Français en matière de logement sont devenus plus importants en raison d'évolutions socio-démographiques . Selon une étude de l'INSEE 10 ( * ) , le niveau de la demande de logements croît avec l'évolution du nombre de ménages. Ainsi quand la taille des ménages diminue, leur nombre augmente plus vite que la population. Or, depuis 1975, le ménage moyen français a perdu une demi-personne.

Cette évolution est liée à plusieurs facteurs sociologiques. En premier lieu, les phénomènes de décohabitation conduisent les jeunes à partir plus tôt du foyer parental et donc à chercher un logement. En deuxième lieu, le vieillissement de la population amène les personnes âgées à rester plus longtemps dans leur logement. Enfin, la moindre durabilité des couples mariés et le plus faible attrait pour la vie en couple conduisent, là encore, à pousser vers le haut la demande de logement. Comme le précise l'INSEE, en prolongeant ces tendances, les niveaux annuels de construction neuve permettant d'équilibrer les besoins nouveaux sont estimés à 320.000 logements neufs entre 2000 et 2004 (soit 16.000 logements de plus par an par rapport à la moyenne 1990-1999) avant de commencer à diminuer à 290.000 entre 2005 et 2009, comme le montre le tableau ci-dessous.

DEMANDE POTENTIELLE DE LOGEMENTS JUSQU'EN 2010
(EN MILLIERS DE LOGEMENTS ANNUELS)

1990-1999

2000-2004

2005-2009

moyenne 2000-2009

DEMANDE DE :

Résidences principales

Accroissement annuel du nombre de ménages, issu de la projection tendancielle du nombre de ménages réalisée par l'INSEE après chaque recensement

252

240

216

228

Logements vacants

Hypothèse d'un taux de vacance stable à 7%

11

20

18

19

Résidences secondaires et logements occasionnels

Hypothèses sur l'évolution du taux apparent de ces catégories par rapport au nombre de résidences principales

10

29

26

28

Variations du parc

273

290

260

275

Renouvellement du parc (destructions, solde des pertes/gains de l'usage d'habitation, fusions/éclatements)

Hypothèses de niveau

32

30

30

30

= DEMANDE POTENTIELLE DE LOGEMENTS NEUFS

304

320

290

305

  • Source : INSEE Première - n°875 - décembre 2002 - La demande potentielle de logements - A. Jacquot.

De ce point de vue, votre groupe de travail ne peut que se féliciter des chiffres de la construction pour l'année 2004, puisque ce sont plus de 360.000 logements qui ont été mis en chantier pour cette année , soit une augmentation d'environ 16 % par rapport à l'année précédente. Comme le note l'INSEE 11 ( * ) , ce niveau constitue un record puisqu'il faut se reporter à l'année 1982 pour retrouver un chiffre supérieur à 350.000 logements mis en chantier. Votre rapporteur tient néanmoins à souligner que, dans le même temps, la part du nombre de logement locatifs à loyers plafonnés dans ce total a fortement diminué.

Votre groupe de travail ne peut que former des voeux pour que cette accélération de la construction se confirme au cours des prochaines années, à un niveau aussi important afin de satisfaire les besoins des Français et pour rattraper les déficits accumulés au cours des années 1990.

A. UNE ÉVOLUTION QUI FRAGILISE LE POUVOIR D'ACHAT DES MÉNAGES

Outre les difficultés qu'elle fait naître pour l'accès à l'habitat des personnes les plus défavorisées, la crise actuelle du logement contribue à fragiliser le pouvoir d'achat des ménages.

D'une part, s'agissant des locataires, en particulier du secteur privé, votre groupe de travail note que les loyers ont continué à progresser plus fortement que l'inflation en 2002, 2003 et 2004, en raison notamment du dérapage de l'indice du coût de la construction , dont l'augmentation annuelle a atteint 4,8 % au dernier trimestre 2004. La progression de cet indice, sur lequel sont assises les indexations des loyers des logements soumis à la loi de 1989, s'explique par la hausse continue du coût de la construction, tiré par l'évolution du prix des matières premières qui est liée notamment à la demande croissante d'acier de la Chine. En outre, même si l'effet est plus marginal, le renforcement des normes techniques s'appliquant aux logements neufs vient augmenter d'autant le prix des nouvelles constructions, qu'il s'agisse des exigences sanitaires en matière de plomb, d'amiante ou de termites, de la sécurité avec le « diagnostic gaz » ou « risques technologiques et naturels » ou des nouvelles normes en termes de développement durable. Dans le même temps, les aides au logement , qui s'adressent aux ménages économiquement les plus fragiles, ont été trop faiblement revalorisées pour faire face à cette progression des loyers. Cette double évolution a ainsi contribué à faire progresser de manière significative les taux d'effort des ménages, plus particulièrement des plus démunis.

D'autre part, l'évolution des prix immobiliers a également rendu plus difficile l'accès à la propriété des ménages français. Malgré les améliorations récentes du prêt à taux zéro, on note une éviction progressive des primo-accédants, qui ne représentent plus que 55-60 % du total des accédants contre 70 % en 1998-1999. D'après les représentants de la FNAIM auditionnés par votre groupe de travail, la solvabilité des ménages est ainsi revenue à son niveau de 1995. Votre groupe de travail tient à insister sur le fait que la spirale à la hausse des prix de l'immobilier pose un grave problème pour les jeunes ménages souhaitant de venir propriétaire, qui en subissent de plein fouet les conséquences . En effet, les ménages déjà propriétaires souhaitant déménager ont tendance à revendre plus cher afin de faire face à l'augmentation des prix pour pouvoir acheter un nouveau logement sans être contraints de s'endetter à nouveau. En quelque sorte, les propriétaires, même si leur comportement est parfaitement rationnel d'un point de vue économique, auto-entretiennent cette évolution.

Toutefois, fait à ne pas négliger, l'évolution des conditions bancaires a permis de contrecarrer partiellement cette tendance haussière. En effet, s'agissant des prêts immobiliers, les taux d'intérêt se situent aujourd'hui à un niveau historiquement faible ce qui allège d'autant les mensualités de remboursement des emprunts. En outre, la durée des prêts s'est progressivement allongée au cours des dernières années et les ménages peuvent désormais s'endetter sur des périodes supérieures à vingt ans : la durée moyenne des prêts immobiliers est ainsi passée de 12,9 à 15,4 années de 1997 à 2005. Ces deux évolutions concomitantes ont, de facto , permis de compenser la hausse des prix de l'immobilier.

Il n'en reste pas moins que, malgré ces facteurs compensant la flambée des prix, ces évolutions sont préjudiciables dans la mesure où la France ne compte que 56 % de propriétaires, soit un niveau beaucoup plus faible que dans d'autres pays de l'Union européenne. Or, votre groupe de travail considère que la possession par un ménage de sa résidence principale est un puissant bouclier contre la pauvreté, surtout pour les ménages qui, arrivant à l'âge de la retraite, voient leurs revenus diminuer.

B. UNE INADÉQUATION ENTRE L'OFFRE ET LA DEMANDE

La dernière caractéristique de la crise du logement se situe enfin dans la nature de l'offre mise à la disposition de nos concitoyens, qui n'est pas forcément adaptée à leurs besoins.

En premier lieu, votre groupe de travail ne peut que constater un ralentissement de la construction locative sociale de 1994 à 2002. D'une part, le plan de rattrapage mis en place en 2001 a permis de relancer la mécanique de construction et d'autre part, la définition d'objectifs ambitieux par le plan de cohésion sociale devraient permettre de remonter le niveau de l'offre locative nouvelle à un niveau plus proche des besoins des ménages français.

Les évolutions budgétaires du début des années 2000 n'ont cependant pas facilité cette reprise de la construction locative sociale et votre groupe de travail souhaite que les financements de l'Etat soient à la hauteur des objectifs fixés par le plan de cohésion sociale pour ne pas en fragiliser l'exécution. En effet, la subvention budgétaire moyenne versée par l'Etat pour chaque nouveau logement social construit a constamment diminué depuis 2003. Alors qu'elle s'établissait à 15.000 euros en 2003 pour un logement PLAI, cette subvention est passée à 11.000 euros en 2005 et pour les PLUS ces montants sont passés de 5.400 euros à 2.300 euros. Votre groupe de travail estime souhaitable que les conséquences de cette diminution sur l'équilibre des opérations locatives sociales soient examinées avec précision afin que cette tendance ne se traduise pas par un report trop massif sur les finances des collectivités territoriales.

Cependant, force est également de constater que deux évolutions réglementaires ont permis de contrebalancer cette réduction des subventions budgétaires. En effet, la baisse du taux du Livret A et l'allongement de 15 à 25 ans de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les logements locatifs sociaux construits entre le 1 er juillet 2004 et le 31 décembre 2009 sont de nature à doper la construction de logements locatifs sociaux.

S'agissant de la promotion privée, votre groupe de travail a abordé à plusieurs reprises la question des effets du nouveau régime d'amortissement fiscal pour favoriser les investissements locatifs (amortissement « Robien »). Même s'il est indéniable que ce produit, entré en application le 3 avril 2003, a permis de relancer massivement la construction de logements locatifs privés (environ 50.000 logements par an quand le régime « Besson » se traduisait par la construction de 20.000 à 30.000 logements), votre groupe de travail estime qu'il a également eu des effets pervers.

En particulier, dans certaines régions françaises, de nombreux logements financés grâce à ce dispositif ont été mis en chantier alors même qu'ils ne répondaient pas exactement à la demande locale. En outre, cet amortissement a été conçu par plusieurs réseaux de commercialisation comme un outil d'optimisation fiscale, proposé aux contribuables-investisseurs comme un produit de défiscalisation comme un autre. Il est ainsi possible que nombre d'investisseurs ne se soient que peu préoccupés des caractéristiques précises du logement construit, de sa localisation et de la possibilité effective de pouvoir le louer au niveau des loyers plafonds. Enfin, votre groupe de travail estime que dans certains cas, le « Robien » a contribué à l'accélération de la flambée des prix du foncier.

* *

*

En conclusion, votre groupe de travail estime nécessaire de prendre des mesures fortes afin de favoriser le développement d'une offre d'habitat adaptée aux besoins de nos concitoyens . Il est indispensable de proposer au plus vite une perspective à nos concitoyens en la matière afin de faciliter la constitution de parcours résidentiels ascendants . Au surplus, votre groupe de travail est persuadé que le développement d'une offre d'habitat plus conforme aux besoins des Français est un préalable indispensable pour que le droit au logement, principe à valeur constitutionnelle, ne reste pas lettre morte.

Au total, sur la base de ces différents éléments, votre groupe de travail est amené à émettre trois séries de préconisations tendant à :

- mener une politique foncière ambitieuse au service du logement ;

- poursuivre dans la voie du renforcement du rôle des collectivités territoriales en matière de politique foncière et d'habitat ;

- accompagner la mise en oeuvre du « volet logement » du plan de cohésion sociale.

* 9 Lettre de l'OFCE n° 257, mercredi 9 février 2005, Logement : sommets atteints ? par Valérie Chauvin et Sabine Le Bayon.

* 10 INSEE Première - n° 875 - décembre 2002 - La demande potentielle de logements - Alain Jacquot, division Logement.

* 11 INSEE Première - n° 1021 - juin 2005 - La construction en 2004 : une année exceptionnelle pour le logement - Cyrille Godonou, division Comptes et études de l'industrie.

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