2. Une procédure désormais apprivoisée par la pratique

La composition pénale suit une procédure complexe ponctuée de nombreuses étapes et qui nécessite l'accomplissement de multiples formalités. Les juridictions ont néanmoins globalement réussi à s'approprier cet instrument et à l'utiliser dans de bonnes conditions.

La plupart s'appuient largement sur les délégués du procureur 32 ( * ) comme la loi l'autorise et leur confient bien souvent la gestion de cette procédure d'un bout à l'autre (de la proposition de la composition pénale à la clôture du dossier).

Le moment et le lieu de la proposition de composition pénale : une grande liberté de choix

Depuis 2002, le procureur de la République peut proposer une mesure de composition pénale, par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire, à une personne placée en garde à vue. Cette pratique semble peu répandue. Les représentants des avocats entendus par la mission ont critiqué cette disposition, mettant en avant la vulnérabilité du mis en cause à cet instant et le risque que des pressions s'exercent pour obtenir ses aveux.

Dans quelques juridictions comme à Reims ou à Laval, la composition pénale est proposée au moment de l'enquête par l'officier de police judiciaire au commissariat. Dans ce cas, le délégué du procureur intervient seulement pour suivre la mise à exécution de la mesure.

La plupart des juridictions convoquent l'intéressé à un entretien au cours duquel la composition pénale est proposée. L'officier de police judiciaire joue en général un rôle intermédiaire en communiquant au mis en cause la date de sa convocation pour cet entretien. Ce mode de notification ne semble pas soulever de difficultés dans la mesure où la majorité des personnes convoquées se présentent effectivement à la date fixée 33 ( * ) .

La loi a laissé toute latitude quant au choix du lieu de la composition pénale. Ce peut être le tribunal ou tout autre lieu (mairie, antenne de justice ou maison de justice et du droit) 34 ( * ) .

La composition pénale est majoritairement mise en oeuvre au palais de justice. Le souci « d'assurer la présence symbolique de l'institution judiciaire » a été exprimé par plusieurs procureurs de la République entendus par la mission. De nombreux barreaux interrogés inclinent également en ce sens. En outre, comme l'a indiqué le ministère de la justice, « peu de maisons de justice et du droit sont dotées des moyens informatiques suffisants pour permettre les connexions adéquates avec [...] les applications pénales qui sont indispensables au suivi des dossiers... ».

Certaines juridictions -Reims et Nantes- préfèrent alterner le lieu dans lequel elle se déroule (palais de justice - maison de justice et du droit).

Plus rarement, comme à Toulon ou à Lyon, la composition pénale a lieu dans une maison de justice et du droit. Toutefois, comme l'ont exposé les magistrats rencontrés à Nîmes, cette situation résulte moins d'un véritable choix que de contingences matérielles liées au manque de locaux disponibles au tribunal.

La nature même de la composition pénale -réservée aux affaires qui auraient pu être jugées devant le tribunal correctionnel- justifie une certaine solennité. La mission préconise donc que lorsque les conditions matérielles le permettent, cette procédure se situe au palais de justice.

L'entretien de composition pénale : un « moment privilégié » entre le mis en cause et le représentant du parquet

L'entretien de composition pénale se déroule en présence du mis en cause -qui peut être assisté par un avocat 35 ( * ) - et d'un représentant du parquet. Si le procureur de la République ou un magistrat du parquet peut intervenir lui-même, tel est rarement le cas compte tenu du manque de temps dont il dispose. En pratique, la responsabilité de l'entretien est confiée à la personne habilitée par le parquet, le plus souvent un délégué du procureur ou plus rarement un officier de police judiciaire ou un médiateur du procureur.

L'auteur de l'infraction présumée est tout d'abord informé du contenu de la proposition de composition pénale décidée par le parquet.

Le recours à des tiers habilités par le parquet pour formuler la proposition de composition pénale n'affecte pas les prérogatives du procureur de la République. En effet, la mission de ces acteurs extérieurs à l'institution judiciaire consiste à transmettre la proposition du parquet à l'auteur des faits sans possibilité de remettre en cause sa teneur. Si la sanction ne leur paraît pas adaptée, ils peuvent en faire part au procureur de la République, qui peut être conduit à revoir sa proposition. En tout état de cause, celui-ci conserve entier son pouvoir de décision. Des réunions d'orientations sont d'ailleurs régulièrement organisées par les parquets pour encadrer l'activité des délégués du procureur 36 ( * ) .

La notification délivrée par l'intermédiaire d'un interlocuteur disposant de temps pour écouter le mis en cause dans le cadre d'une audition individuelle présente un grand intérêt pour de nombreux chefs de juridictions entendus par la mission . Elle offre un « moment privilégié » selon l'expression d'un chef de juridiction entendu par la mission permettant de « faire oeuvre de pédagogie » . Cette organisation présente un avantage d'autant plus évident dans les petites juridictions où les effectifs du parquet sont réduits, comme a pu le souligner le procureur de la République du tribunal de grande instance de Périgueux, M. Claude Bellenger.

L'accord de l'intéressé doit obligatoirement être recueilli au cours de l'entretien. La loi impose au délégué du procureur de veiller à ce que le consentement soit exprimé librement et de manière éclairée. Le mis en cause n'est jamais en situation de négocier la sanction qui lui est proposée mais se trouve davantage face « un contrat d'adhésion » 37 ( * ) .

Cet accord est recueilli par procès-verbal signé par l'intéressé qui en reçoit une copie.

Il dispose d'un délai de réflexion de dix jours pour accepter ou refuser cette proposition (code de procédure pénale, article R .15-33-39). L'instauration de ce délai avait suscité un certain scepticisme chez les magistrats lors de la création de la composition pénale, qui craignaient que cette disposition paralyse la procédure.

Or, en pratique, il est rarement mis en oeuvre. L'acceptation de la mesure intervient la plupart du temps au moment même de la notification de la sanction. Le dialogue suscité au cours de l'entretien de composition pénale explique sans doute ce constat.

Lorsque l'intéressé refuse la proposition, la procédure s'interrompt. Le procureur déclenche alors les poursuites et le dossier est orienté vers le circuit correctionnel classique 38 ( * ) . De nombreux magistrats s'étaient inquiétés de cet aspect de la procédure, craignant que des refus en grand nombre retardent in fine le traitement des dossiers soumis à la composition pénale.

Or, cette proposition est rarement refusée par le mis en cause . A Reims, Nîmes ou Toulon, les oppositions sont infimes (entre 0 et 1 % des dossiers), et même dans les juridictions où ce nombre est plus important -Nantes ou Cambrai-, il reste contenu dans des proportions acceptables (oscillant entre 15 et 25 %). La plupart des oppositions exprimées au cours de l'entretien sont motivées par une excessive sévérité de la sanction proposée.

Les statistiques recueillies par la mission démontrent que cette procédure est bien acceptée par la majorité des mis en cause . Dans l'ensemble, ainsi que l'a rappelé M. Jean-Jacques Fagni, procureur général du TGI de Bastia, la possibilité d'échapper à des poursuites pénales constitue une perspective très « motivante ». En outre, comme l'a souligné M. Léonard Bernard de la Gâtinais, procureur général de la cour d'appel de Poitiers, la composition pénale possède un atout intrinsèque indéniable en évitant aux mis en cause la part d' « aléa judiciaire » inhérente à toute décision de justice. De plus, les représentants de la profession avocat ont mis en avant l'économie de « stress et d'attente liée au jugement » pour le justiciable. Enfin, ainsi que l'ont mentionné les magistrats du parquet de Nîmes, « la qualité des explications fournies par le délégué » contribue également au succès de cette mesure auprès des mis en cause.

Les sanctions proposées : une large palette de mesures

La loi du 2 septembre 2002 et surtout celle du 9 mars 2004 ont enrichi la gamme des sanctions proposables 39 ( * ) . Le procureur de la République peut désormais choisir au sein d'une large palette de mesures énoncées à l'article 41-2 du code de procédure pénale. Le cumul de plusieurs d'entre elles est possible.

L'amende de composition est la mesure la plus souvent proposée aux mis en cause (seule ou avec d'autres mesures). D'un montant maximum de 3.750 euros 40 ( * ) , elle tend au versement d'une somme d'argent à l'Etat au titre de la compensation du dommage subi par la société. Elle peut être acquittée par timbre fiscal, chèque ou en espèces.

Les autres sanctions les plus couramment ordonnées sont la remise du permis de conduire ou de chasser, le dessaisissement de la chose qui a servi à commettre l'infraction 41 ( * ) , la participation à une activité non rémunérée 42 ( * ) , ou encore l'obligation d'accomplir un stage ou une formation dans un service ou un organisme sanitaire.

Cette dernière mesure 43 ( * ) est intéressante. L'expérience menée à Reims est à cet égard significative. En effet, ce parquet a enrichi sa gamme de stages afin de « tendre vers une justice mieux acceptée et facteur d'intégration ». A côté des stages routiers classiques, sont proposés des stages citoyens destinés à resocialiser les petits délinquants, pris en charge par un centre de formation professionnelle (Greta) ou encore des stages parentaux destinés aux parents qui méconnaissent gravement leurs obligations éducatives. Le mis en cause est tenu d'en supporter le coût (250 euros pour un stage routier, 180 euros pour un stage citoyen). Le procureur de la République de Reims a expliqué à la mission que les sommes à débourser étaient adaptées aux ressources de la plupart des personnes mises en cause, à l'exception du stage parental dont le coût est élevé (600 euros) et qui impose une prise en charge partielle dans le cadre du contrat de ville.

Ce type de mesure mériterait d'être utilisé par un plus grand nombre de parquets.

Enfin, l'interdiction d'entrer en relation avec la victime pendant six mois peut également contribuer à l'apaisement des conflits.

Un taux de validation des compositions pénales par le juge du siège élevé

Une fois la proposition de composition pénale acceptée par le mis en cause, celle-ci est transmise aux fins de validation à un magistrat du siège. Le refus d'homologation met fin à la procédure. Le magistrat chargé de valider la mesure peut entendre l'auteur présumé de l'infraction, ainsi que la victime. Depuis 2002, cette audition, facultative, n'est plus de droit lorsqu'elle est demandée par les intéressés 44 ( * ) , ce que déplorent tant les avocats que les associations d'aide aux victimes. Cette possibilité est rarement mise en oeuvre en pratique.

La décision du juge -qui ne peut être qu'une validation ou un rejet de la proposition du parquet sans modification possible- est rendue par voie d'ordonnance. Elle n'est pas susceptible de recours.

Les magistrats du siège entendus par la mission ont indiqué que les refus d'homologation des propositions de composition pénale étaient rares 45 ( * ) . Les chiffres fournis à la mission par le ministère de la justice -25.127 ordonnances validant une composition pénale délictuelle contre 844 ordonnances refusant celle-ci entre 2001 et 2003- le confirment.

Les raisons du rejet de la proposition les plus souvent citées par les magistrats du siège devant la mission tiennent au choix même de la procédure, inadaptée au regard de la gravité de l'infraction qui aurait « mérité » une réponse pénale plus ferme, à la sous-évaluation de l'amende proposée eu égard aux capacités financières de l'auteur ou, inversement, à l'excès de sévérité de la sanction proposée 46 ( * ) ou encore à une insuffisante prise en considération des droits des victimes.

La concertation entre le siège et le parquet explique le taux de validation élevé. Un consensus minimum entre les magistrats du siège et du parquet sur les grandes lignes de conduite de la politique pénale locale apparaît comme une des conditions de la réussite de la composition pénale. Le dialogue entre le siège et le parquet peut prendre des formes plus ou moins abouties. Dans certains tribunaux (Grasse ou Toulon), cette entente se traduit par la définition d'un barème de sanctions négocié. Le tribunal de grande instance de Reims préfère à cette méthode celle de la « politique concertée » qui se traduit par un rapprochement entre le siège et le parquet sur le champ des infractions concernées et les sanctions proposées.

Quelques tribunaux rejettent l'idée d'un barème négocié mais favorisent les échanges entre les magistrats sur les dossiers. A Nantes, une rencontre annuelle a lieu entre le siège, le parquet et les délégués du procureur pour dresser un bilan des mesures ordonnées, analyser les dossiers non validés par le siège, ce qui permet aux magistrats du parquet de définir des sanctions proches des peines encourues devant une juridiction de jugement.

Les conditions d'exécution des mesures

Dans presque toutes les juridictions, les délégués du procureur assurent le suivi de l'exécution de la sanction, à l'exception du travail non rémunéré qui requiert l'intervention du service pénitentiaire d'insertion et de probation 47 ( * ) . Quelques tribunaux comme Nîmes font cependant exception en confiant le suivi de l'exécution au secrétariat-greffe.

Si la mesure n'est pas exécutée, l'action publique est automatiquement mise en mouvement. Cette systématisation a été prévue par la loi du 9 mars 2004. En revanche, l'exécution de la sanction a pour effet d'éteindre l'action publique.

La loi du 9 septembre 2002 a prévu l'inscription des compositions pénales au bulletin n° 1 du casier judiciaire (accessible aux seuls magistrats). Depuis la loi du 9 mars 2004, elles doivent également figurer au fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles 48 ( * ) .

Le décret d'application de ces mesures (décret n° 2005-627 du 30 mai 2005) est intervenu tardivement -près de trois ans après leur adoption 49 ( * ) . Ce long délai de publication a été déploré par l'ensemble des personnes entendues par la mission. Les représentants des organisations syndicales représentatives des personnels des greffes ont en particulier dénoncé l'impact négatif de ce retard sur l'état d'esprit des fonctionnaires « perturbés  et ignorants de la conduite à adopter ».

La mission a d'ailleurs pu constater que les juridictions avaient des pratiques différentes - certaines transmettant au casier judiciaire les compositions exécutées, d'autres non-, faute d'une directive claire. L'intervention du décret devrait permettre de répondre à ces préoccupations. A cet égard, il paraît opportun que les juridictions mentionnent toutes les compositions pénales au casier judiciaire, y compris celles intervenues depuis 2002.

* 32 Voir II-A-6, pour plus de précisions sur le profil des délégués du procureur.

* 33 Aux tribunaux de grande instance de Bobigny et de Cambrai, respectivement 80 et 90 % des personnes convoquées se présentent effectivement à l'entretien de composition pénale.

* 34 Article 41-2, alinéa 17 du code de procédure pénale : « La composition pénale peut être proposée dans une maison de justice et du droit ».

* 35 Voir infra, I - A - 4, paragraphe sur la place de la défense dans la composition pénale.

* 36 A Reims, le procureur de la République réunit les délégués du procureur tous les mois et demi.

* 37 Selon l'expression d'un magistrat utilisée dans un article récent « Un an d'expérimentation de la composition pénale dans un tribunal de grande instance »  - J. Hederer - publié dans la revue AJ-Pénal n° 2/2003 - Novembre 2003 - page 53.

* 38 Le déclenchement des poursuites est automatique depuis la loi du 9 mars 2004.

* 39 Qui, à l'origine, étaient limitées à quatre.

* 40 Le montant de la peine ne peut toutefois excéder la moitié de la peine d'amende encourue pour l'infraction considérée.

* 41 Proche de la confiscation, définie à l'article 131-21 du code pénal.

* 42 Proche du travail d'intérêt général prévu à l'article 131-8 du code pénal.

* 43 Instituée en 2002.

* 44 En effet, cette faculté n'était que très rarement mise en oeuvre.

* 45 En 2004, le TGI de Nantes a dénombré 25 refus de validation sur 314 dossiers clôturés et celui de Nîmes a enregistré 3 refus contre 146 ordonnances de validation.

* 46 A Bobigny, le cas d'une conduite sous l'empire d'un état alcoolique pour laquelle était proposée une suspension de permis de six mois et 600 euros d'amende a été cité.

* 47 Voir le décret n° 2005-193 du 25 février 2005 relatif aux personnes condamnées à exécuter un travail d'intérêt général ou effectuant un travail non rémunéré dans le cadre d'une composition pénale et modifiant le code de la sécurité sociale. L'intervention du SPIP a été rendue nécessaire compte tenu des modalités de couverture spécifiques des publics concernés.

* 48 Art. 706-53-2 du code de procédure pénale.

* 49 Voir le décret n° 2005-627 du 30 mai 2005 qui prévoit que la composition pénale doit être inscrite au casier judiciaire dans les quinze jours suivant la constatation de l'exécution de la mesure.

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