6. Les rapports de la fin des années 1990

a) Le rapport de l'INSERM de 1997 : « épidémie » de maladies liées à l'amiante et « pandémie » de mésothéliomes

En 1997, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), à la demande des ministères chargés du travail et de la santé, publia, au titre d'une expertise collective, un rapport intitulé Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante .

Ce rapport intervenait plus de dix ans après qu'un groupe d'experts, mis en place par l'administration américaine, se fût intéressé à l'évaluation des risques pour la santé liés aux expositions à l'amiante et après que cinq autres groupes d'experts américains, britanniques et canadiens se fussent prononcés sur cette question.

Selon M. Jean-Luc Pasquier, le rapport de l'INSERM est la conclusion d'une de ses initiatives : « Juste avant mon départ du ministère [1994] , j'ai sollicité mon directeur. Je lui ai indiqué que nous étions face à un vrai problème et que nous devions rassembler rapidement tous les experts travaillant sur le sujet. En l'espace de quatre jours, nous les avons tous réunis 23 ( * ) . Cela a donc été fait sans délai et cette réunion a débouché sur l'expertise collective de l'INSERM qui, elle-même, a été à l'origine des mesures des années 1990. J'assume la responsabilité de l'organisation de cette réunion. Le directeur des relations du travail n'a exprimé aucune objection à cette décision et a même annulé tous ses rendez-vous pour pouvoir présider, en personne, cette séance. Je détiens le procès-verbal de celle-ci. Vous constaterez, sur la base de ce document, que les experts qui réclamaient l'interdiction de l'amiante en 1995 et 1996, ne la demandaient pas à cette époque ».

Le rapport de l'INSERM était un rapport de synthèse rappelant :

- certains faits essentiels concernant l'amiante : principales caractéristiques physico-chimiques, grands types d'utilisation dans les pays industrialisés, méthodes de mesure, principales circonstances d'exposition des populations, réglementation de l'utilisation de l'amiante et de la protection des travailleurs et du public ;

- les risques pour la santé associés à l'exposition à l'amiante, avec un rappel des principales manifestations pathologiques induites par l'exposition à l'amiante et un résumé des données scientifiques provenant de l'expérimentation et de l'observation épidémiologiques ;

- les principales conséquences de la connaissance des risques pour la santé de l'exposition à l'amiante du point de vue de la gestion de ces risques.

D'une manière générale, le groupe d'experts a souhaité apporter des éléments de connaissance scientifique validés concernant les risques pour la santé associés à l'exposition à l'amiante mais il a considéré que la gestion de ces risques n'était pas de son ressort.

Le rapport de l'INSERM, a rappelé M. Jacques Barrot, a « mis en évidence la difficulté de maîtriser le risque lié à l'amiante en place dans les bâtiments et équipements du fait de sa large utilisation passée et fourni des prévisions élevées de nombre de décès par mésothéliomes ou cancers du poumon imputables à l'amiante. Ce rapport de l'INSERM était très clair ». Celui-ci a ainsi « établi que des expositions régulières ou répétées à faible dose ou des expositions ponctuelles à fortes doses pouvaient être dangereuses ».

Mme Martine Aubry a expliqué que l'expertise collective de l'INSERM « montre, à partir d'hypothèses non démontrées mais scientifiquement crédibles, qu'un risque de cancer significatif pourrait subsister même à de très faibles doses d'exposition », alors qu'il aurait été jusque-là généralement admis qu'une exposition à de faibles quantités de fibres était inoffensive.

Ce rapport a permis de faire prendre conscience de la nocivité de l'amiante pour la santé mais l'essentiel des données scientifiques et médicales qu'il comporte existait déjà puisque l'expertise ainsi conduite constituait une revue de près de 1.200 publications scientifiques mondiales.

C'est pourquoi le « choc » qu'il a créé, pour reprendre le terme employé par M. Claude Michel, ingénieur conseil régional adjoint et responsable de la direction des services techniques de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, apparaît bien tardif. M. Jacques Barrot a, lui aussi, indiqué qu'il avait été « très surpris » par les conclusions du rapport et qu'il ne pensait pas que « le risque était aussi considérable ».

L'introduction de la synthèse du rapport pose le problème en termes d' « épidémie » : « L'accroissement considérable de la production et des utilisations industrielles de l'amiante qui a commencé au début du siècle a été accompagné dans les décennies suivantes d'une « épidémie » majeure de fibroses pulmonaires, de cancers du poumon et de mésothéliomes parmi les travailleurs directement exposés. Il est également à l'origine d'une pollution du voisinage immédiat des sites industriels de production et de transformation de l'amiante. Le niveau général des fibres dans l'air, l'eau et les aliments est probablement plus élevé qu'il ne l'était avant cette période et croît peut-être encore du fait de la démolition des structures contenant des fibres d'amiante (navires, bâtiments, véhicules, canalisations d'eau, etc.), de la proximité d'installations industrielles polluantes, de l'accumulation de matériaux contenant de l'amiante et se détériorant. De plus, pendant les années 60 et 70, de très nombreux bâtiments ont été floqués à l'amiante, occasionnant une exposition des occupants de ces bâtiments. Il est donc légitime de chercher à évaluer les risques pour la santé dans diverses populations exposées à l'amiante, dans des conditions qui peuvent être très différentes ».

S'agissant des mésothéliomes dans les pays industrialisés, l'INSERM note que « l'analyse de l'évolution de l'incidence du mésothéliome chez les hommes des pays industrialisés montre qu'une véritable pandémie est apparue à partir des années 50, la progression étant environ de 5 à 10 % par an depuis cette période. Cette pandémie, et la dynamique de celle-ci, est en liaison étroite avec l'introduction et le développement de l'usage massif de l'amiante dans les pays industrialisés, qui a commencé à partir de la fin de la Première Guerre mondiale dans la plupart des pays ».

Le rapport de l'INSERM concluait, au sujet de l'estimation des risques liés aux expositions à l'amiante, qu'« il est, aujourd'hui, clairement établi que :

« - toutes les fibres d'amiante sont cancérogènes, quelle que soit leur provenance géologique,

« - les risques de cancer du poumon et de mésothéliome, « vie entière », sont d'autant plus importants que les expositions sont élevées, précoces et durables,

« - le risque de cancer du poumon est plus élevé pour des fibres longues et fines, qu'il s'agisse de fibres d'amphiboles ou d'appellation commerciale « chrysotile », et le risque de mésothéliome est plus élevé pour les fibres d'amphiboles que pour les fibres d'appellation commerciale « chrysotile »,

« - la modélisation définie et discutée de façon détaillée dans le cadre du présent rapport rend bien compte des risques de cancer du poumon et de mésothéliome observés dans les populations ayant subi des expositions professionnelles continues (40 h/sem. x 48 sem./an = 1.920 h/an), à des niveaux allant de 1 à 200 f/ml.

« Les incertitudes relatives à l'estimation des risques de cancer du poumon et de mésothéliome associés aux expositions à l'amiante à 1 f/ml et moins, sont de deux ordres :

« - il s'agit d'abord de la forme exacte de la relation dose-risque pour les expositions inférieures ou égales à 1 f/ml,

« - il s'agit ensuite d'incertitudes relatives aux expositions à l'amiante qui ont existé ou existent au sein de la population française ».

Mme Martine Aubry a estimé que, « si le rapport de l'INSERM était sorti dix ou vingt ans plus tôt, on aurait interdit » l'amiante. Elle a également expliqué qu'en 1996, « nous n'étions toujours pas devant des liens de causalité mais devant une présomption que nous n'avions jamais eue auparavant » et que « ce n'est qu'en 1994 et 1997 [...] qu'il est apparu non pas la certitude absolue mais la présomption que, même en dessous de ces niveaux, à partir des études qui ont été faites, notamment auprès de garagistes qui ont percé des éléments amiantés, il pouvait y avoir un risque ».

La mission rappelle que l'INSERM s'est appuyé sur des études existantes et qu'une telle présomption existait bien avant 1994 - l'étude du Britannique Julian Peto - et 1996 - l'expertise collective de l'INSERM.

Mme Martine Aubry a expliqué, prenant l'exemple de son action ministérielle concernant les éthers de glycol et l'importation de viande bovine britannique pendant l'affaire de la « vache folle », que, « sur ces sujets, il ne faut pas attendre : dès que l'on a un doute, même mineur, il faut saisir ceux qui peuvent répondre [...] Il faut des études, il faut que ceux qui savent puissent le dire et, s'il y a présomption que le risque est réel, il faut intervenir ».

Certes, « la connaissance n'était pas là » mais, alors que l'utilisation de l'amiante est désormais interdite, la certitude scientifique n'est toujours pas là. Dans ce cas, la thèse de l'adaptation de la réglementation en fonction de l'avancée des connaissances paraît fragilisée puisque, dans un cas de santé publique comme celui de l'amiante, les connaissances n'étaient pas indispensables pour prendre une décision d'interdiction, seule la présomption d'un risque étant suffisante.

La mission, même s'il n'y a pas eu de présomption avant 1994 et 1997 sur les faibles doses, se demande si l'ensemble des éléments présentés plus haut sur l'accumulation des connaissances scientifiques et médicales sur l'amiante n'était pas de nature à faire naître une présomption, quelles que soient les doses d'exposition, chez les décideurs publics.

* 23 Cette réunion a eu lieu le 20 décembre 1994.

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