N° 135

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 décembre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) sur les relations entre la Turquie et l' Union européenne après l' ouverture des négociations ,

Par MM. Robert del PICCHIA et Hubert HAENEL,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne.

« L'Europe peut être satisfaite : l'opération que, depuis l'aube du XIX e siècle, elle n'avait cessé de suggérer au gouvernement ottoman est dès maintenant accomplie. En trois jours, la République turque a réalisé plus de réformes que la vieille Turquie en trois siècles. Se débarrassant d'un geste brusque des dernières entraves théocratiques, elle s'est élancée sans frein dans le sillon des idées européennes. C'est l'écroulement complet d'institutions que tous les penseurs et écrivains occidentaux considéraient jusqu'à hier comme immuables et figées.

Dès aujourd'hui, tous les livres de la veille, dénonçant le Turc comme incapable de changements et d'efforts, sont périmés. La République turque vient en effet de couper le cordon ombilical qui la reliait aux traditions asiatiques ; elle vient d'adopter en bloc tous les principes de la civilisation occidentale, sa mentalité, son idéal. Elle vient de dire définitivement : adieu à l'Orient. »

Paul Gentizon, correspondant du Temps à Istanbul (15 mars 1924)

Mesdames, Messieurs,

En 1999, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a décidé d'approfondir son suivi du processus de l'élargissement de l'Union européenne, en étudiant individuellement chaque pays candidat. Robert Del Picchia a dans ce cadre été désigné pour suivre les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion ; il a ainsi présenté plusieurs communications devant la délégation, ainsi qu'un rapport d'information en avril 2004 (n° 279).

Depuis ce premier rapport, la question de la candidature de la Turquie à l'Union européenne est devenue une question d'actualité en France et en Europe, notamment à l'occasion du Conseil européen du 17 décembre 2004, qui décida du principe de l'ouverture des négociations pour le 3 octobre 2005, et lors de la campagne référendaire en vue de la ratification du traité constitutionnel.

Afin de continuer à informer au mieux le Sénat sur cette candidature et dans la perspective de l'ouverture des négociations, nous nous sommes rendus en Turquie pour une deuxième mission, du 25 septembre au 1 er octobre 2005. Nous souhaitons d'ailleurs saluer les autorités turques et notre Ambassade à Ankara qui ont conjointement organisé cette mission ; elle nous a notamment permis de rencontrer Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre, Abdullah Gül, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères, ou encore Bülent Arinç, Président de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Nous nous sommes également rendus à Kars, ville frontalière avec l'Arménie, et à Istanbul, où nous avons notamment rencontré des universitaires et des représentants des chefs d'entreprises turcs réunis au sein de la TUSIAD, ainsi que le patriarche oecuménique grec orthodoxe. Après celle de février 2004, cette mission nous a conforté dans notre approche de la candidature de la Turquie.

Depuis le 3 octobre, les relations entre l'Union européenne et la Turquie sont entrées dans une phase nouvelle : le processus de négociations s'inscrit en effet dans la durée, sans que des dates fixées à l'avance ne viennent créer une sorte de psychodrame à leur approche. Il restera cependant essentiel que la délégation continue son travail de veille pour assurer la plus grande transparence aux travaux de la Conférence intergouvernementale et permettre ainsi au Sénat de donner régulièrement son avis au Gouvernement sur ce dossier.

I. DE LA DÉCISION D'OUVRIR LES NÉGOCIATIONS À LEUR OUVERTURE

1. Le Conseil européen du 17 décembre 2004

En décembre 2002, le Conseil européen de Copenhague a donné un « rendez-vous » à la Turquie : « si, en décembre 2004, le Conseil européen décide, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrira sans délai les négociations d'adhésion avec ce pays ».

Dans le cadre de ce processus, la Commission européenne a présenté le 6 octobre 2004 trois documents : le rapport annuel sur les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion, une recommandation à l'attention du Conseil européen sur le respect par la Turquie des critères politiques de Copenhague et un document présentant les questions soulevées par la perspective de cette adhésion. Lors de sa réunion du 27 octobre 2004, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a débattu longuement de l'ensemble de ces textes (voir le compte rendu de cette réunion en annexe).

Dans sa recommandation, la Commission européenne considérait que la Turquie avait accompli des progrès substantiels dans les réformes politiques, mais que certaines lois n'étaient pas encore entrées en vigueur, devaient être adoptées ou devaient connaître une mise en oeuvre adéquate par l'ensemble des institutions. Au final, la Commission européenne concluait que « la Turquie satisfait suffisamment aux critères politiques » de Copenhague ; elle recommandait en conséquence l'ouverture de négociations avec ce pays.

À la suite de cette recommandation, le Conseil européen du 17 décembre 2004 a fixé l'objectif d'une ouverture des négociations le 3 octobre 2005 et a adopté les conclusions suivantes :

Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004

Conclusions de la présidence (extrait relatif à la Turquie)

***

17. Le Conseil européen a rappelé ses précédentes conclusions concernant la Turquie, dans lesquelles il avait estimé, à Helsinki, que la Turquie était un pays candidat, qui a vocation à rejoindre l'Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres pays candidats, puis déclaré que, s'il décidait, lors de sa réunion de décembre 2004, sur la base d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l'Union européenne ouvrirait sans délai des négociations d'adhésion avec ce pays.

18. Le Conseil européen a salué les progrès décisifs accomplis par la Turquie dans son vaste processus de réforme et s'est déclaré convaincu que la Turquie poursuivrait ce processus. Par ailleurs, il attend de la Turquie qu'elle poursuive activement ses efforts pour mettre en vigueur les six textes législatifs spécifiques mentionnés par la Commission. Il convient de faire en sorte que le processus de réforme politique soit irréversible, qu'il soit pleinement mis en oeuvre, de manière effective et dans tous ses aspects, notamment en ce qui concerne les libertés fondamentales et le respect intégral des droits de l'homme. À cet effet, ce processus continuera à être suivi de près par la Commission, qui est invitée à continuer d'en rendre compte régulièrement au Conseil, en abordant tous les sujets de préoccupation recensés dans le rapport et la recommandation présentés par la Commission en 2004, notamment pour ce qui est de la mise en oeuvre de la politique de tolérance zéro à l'égard de la torture et des mauvais traitements. L'Union européenne continuera de suivre attentivement les progrès réalisés dans les réformes politiques sur la base d'un partenariat pour l'adhésion énonçant les priorités du processus de réforme.

19. Le Conseil européen a salué la décision de la Turquie de signer le protocole relatif à l'adaptation de l'accord d'Ankara, qui tient compte de l'adhésion des dix nouveaux États membres.

En conséquence, il s'est félicité de la déclaration de la Turquie selon laquelle « le gouvernement turc confirme qu'il est prêt à signer le protocole relatif à l'adaptation de l'accord d'Ankara avant l'ouverture effective des négociations d'adhésion et après que les adaptations qui sont nécessaires eu égard à la composition actuelle de l'Union européenne auront fait l'objet d'un accord et auront été finalisées ».

.../

20. Le Conseil européen, tout en soulignant la nécessité d'un engagement sans équivoque en faveur de relations de bon voisinage, a pris note avec satisfaction de l'amélioration des relations de la Turquie avec ses voisins; il s'est félicité que la Turquie soit disposée à continuer de coopérer avec les États membres concernés en vue du règlement des différends frontaliers non résolus, dans le respect du principe du règlement pacifique des différends énoncé dans la Charte des Nations Unies. Conformément à ses précédentes conclusions, notamment celles qu'il a adoptées à Helsinki sur cette question, le Conseil européen a fait le point de la situation en ce qui concerne les différends qui subsistent et s'est félicité des contacts exploratoires qui ont eu lieu à cette fin. À cet égard, il a rappelé son point de vue selon lequel les différends non résolus qui ont des répercussions sur le processus d'adhésion, devraient au besoin être portés devant la Cour internationale de justice en vue de leur règlement. Le Conseil européen sera tenu au courant des progrès réalisés, qu'il examinera selon qu'il conviendra.

21. Le Conseil européen a pris acte de la résolution adoptée par le Parlement européen le 15 décembre 2004.

22. Le Conseil européen s'est félicité de l'adoption des six textes législatifs mentionnés par la Commission. Il a décidé que, à la lumière de ce qui précède et compte tenu du rapport et de la recommandation de la Commission, la Turquie remplit suffisamment les critères politiques de Copenhague pour que soient ouvertes des négociations d'adhésion, à condition que ce pays mette en vigueur ces six textes législatifs spécifiques.

Il a invité la Commission à présenter au Conseil une proposition relative à un cadre de négociation avec la Turquie, sur la base des éléments figurant au point 23. Il a demandé au Conseil de parvenir à un accord sur ce cadre en vue de l'ouverture de négociations le 3 octobre 2005.

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