TABLE RONDE RÉUNISSANT DES REPRÉSENTANTS
DES ASSOCIATIONS DE CONSOMMATEURS

M. Christian HUARD
Secrétaire général de l'Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (ADEIC), président de l'association ConsoFrance

M. Jean-Marc BILQUEZ
Vice-président de l'Association Force Ouvrière Consommateurs (AFOC)

Mme Reine-Claude MADER
Présidente de la Confédération de la Consommation,
du Logement et du Cadre de Vie (CLCV)

M. Daniel TOURNEZ
Secrétaire général de l'association pour l'Information
et la défense des consommateurs salariés CGT (INDECOSA-CGT)

M. Yves SIROT
Président de l'Organisation générale des Consommateurs (ORGECO)

M. Alain BAZOT
Président de l'Union fédérale des Consommateurs-QUE CHOISIR

Mme Gaëlle PATETTA
Directrice juridique de l'Union fédérale des Consommateurs-QUE CHOISIR

Mme Marianick LAMBERT
Responsable juridique de l'Union féminine, civique et sociale (UFCS)

M. Christian HUARD, Secrétaire général de l'Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (ADEIC), Président de l'association ConsoFrance -

Je m'exprime au nom de l'ADEIC mais également au nom de ConsoFrance qui est une coordination de huit associations nationales de consommateurs agréées. Les membres de ConsoFrance s'accordent à ramener cette question à sa juste mesure. L'action de groupe ne sera pas la solution miracle susceptible de résoudre l'ensemble des problèmes de protection des consommateurs. En revanche, nous pensons que cette procédure constitue la solution d'amélioration du droit à réparation en panne dans notre pays, notamment dans le domaine économique. En effet, si le droit à réparation dans le domaine sanitaire ou en matière d'atteinte à la santé est relativement efficace en France, le droit à la réparation économique, notamment lorsque le litige porte sur des petites sommes et concerne un très grand nombre de personnes, est en panne. Des milliers de consommateurs ne parviennent pas à obtenir réparation de litiges portant sur quelques dizaines d'euros. C'est ce à quoi il convient de s'attacher.

C'est la raison pour laquelle les propositions que nous faisons au législateur traduisent surtout une volonté de traiter cette question quitte à faire un bilan deux ou trois ans plus tard afin d'examiner les modalités d'amélioration du système. Il faut débuter modestement et ne pas vouloir construire une usine à gaz censée résoudre tous les problèmes posés à notre société. Notre ambition est dans un premier temps de trouver une solution aux contentieux de masse portant sur des petits litiges. Nous proposons même au législateur de fixer le périmètre des litiges à des réparations économiques qui, par exemple, n'excéderaient pas 1.000 euros et préjudicieraient à plus de deux cents consommateurs. Dans la même logique, nous proposons que ce type de recours soit, dans un premier temps, réservé aux associations nationales agréées de consommateurs. Nous préconisons en outre que lesdites associations soient « autorisées » par le collège des consommateurs du Conseil national de la consommation. Il y aurait en effet un risque majeur à ne pas contrôler suffisamment en amont la capacité à réparer les préjudices. Nous n'avons pas trouvé d'autre solution que d'essayer de mettre en place une action collective relativement simplifiée. Si nous faisons preuve de sagesse et de raison, nous sommes capables, en France, de faire fonctionner un tel système.

M. Jean-Marc BILQUEZ, Vice-Président de l'Association Force Ouvrière Consommateurs (AFOC) -

Nous sommes très heureux d'être présents ce matin dans la mesure où nous n'avons pas eu la chance de faire partie du groupe de travail. Une démarche auprès de ses co-présidents au mois de juillet nous avait toutefois permis d'exposer notre vision des choses. Nous pensons que l'action collective est la conséquence d'une radicalisation de la situation. Notre association, qui possède la spécificité de réunir des consommateurs salariés, a toujours privilégié la recherche de solutions amiables des difficultés rencontrées par les consommateurs. Aujourd'hui, nous constatons avec regret qu'il est de plus en plus difficile d'opter pour ce type de démarche. Dès lors, l'action collective apparaît comme un moyen nouveau et important pour les associations de consommateurs de résoudre les problèmes. Je rejoins totalement M. Huard lorsqu'il indique que l'ambition est de trouver réparation des préjudices les plus faibles qui peuvent se révéler très lourds pour les consommateurs touchés. Souvent, ces préjudices ne sont pas réglés faute de moyens pour le faire. Un certain nombre d'entreprises jouent de cette situation pour gruger les consommateurs.

Nous sommes évidemment sensibles à un certain nombre d'arguments. J'avoue avoir découvert le problème du forum shopping en écoutant M. le sénateur Badinter. Sans doute convient-il de mener une réflexion sur ce sujet. Cette dernière ne doit cependant pas empêcher la poursuite de nos travaux. Nous partons également du principe que l'intérêt de l'entrepreneur, celui du salarié et celui du consommateur sont liés. Une bonne entreprise ne peut bien produire que si elle est sérieuse. L'intérêt de tous est que les produits mis sur le marché soient de bonne qualité. Selon moi, les problèmes rencontrés, notamment en termes de sécurité, sont moindres lorsque les entreprises produisent en France ou en Europe. Notre démarche est à la fois volontaire et prudente. Les « class actions » constituent un nouvel outil qu'il conviendra de s'approprier sur le plan juridique. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il convient, dans un premier temps, de réserver la procédure aux associations agréées.

Mme Reine-Claude MADER, Présidente de la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie (CLCV) -

Il me semble important de souligner que je n'ai absolument aucun état d'âme en ce qui concerne l'intérêt de la procédure d'action de groupe. Nous bénéficions certes de dispositifs de protection des consommateurs importants, mais nous ne disposons pas encore d'une procédure nous permettant de régler les problèmes de masse, lesquels ne sont pas nécessairement d'un faible montant. Quel consommateur ira devant un tribunal pour demander réparation d'un préjudice n'excédant pas 25 euros ? Or, de tels préjudices peuvent concerner jusqu'à un million de consommateurs. Cette faille permet à certaines entreprises de bénéficier de pratiques critiquables. C'est la raison pour laquelle nous estimons que l'instauration de cette procédure constitue une démarche extrêmement importante. Du point de vue des entreprises, il me paraît également très intéressant de voir sanctionner les comportements critiquables qui portent atteinte à la concurrence et au marché.

Les rapporteurs ont fait mention des champs d'application de la procédure en introduction. Nous avons beaucoup travaillé sur cette question. C'est certainement le point pour lequel les différences d'appréciation des associations sont les plus notables. Notre association souhaite que la procédure porte sur la protection économique des consommateurs, que ceux-ci aient acheté un bien ou un service. Il convient également de s'interroger sur la qualité de celui qui pourra introduire l'action. Il s'agit d'une question centrale à laquelle nous devons réfléchir librement. Mon organisation, en l'état actuel des réflexions, estime que cette faculté doit, dans un premier temps, être réservée aux associations. Toutefois, il ne faudrait pas que cette disposition limite par trop les actions. En effet, l'exemple québécois démontre que les actions peuvent être introduites par des associations de consommateurs agréées, mais également par des groupes de consommateurs. Si nous mettons en place une procédure de ce type, il faut qu'elle permette réellement aux consommateurs d'obtenir réparation. Il ne faudrait pas que nous nous enfermions d'emblée dans un système trop restrictif. Cette problématique me semble pouvoir être résolue en prévoyant dans un deuxième temps une évaluation et une éventuelle révision de la procédure mise en place. La possibilité d'étendre la saisine au-delà des associations agréées demeure une question en suspens pour notre association.

Une autre question très importante concerne le choix entre l' opt in et l' opt out . Le fait d'ouvrir la procédure aux personnes qui ne s'y sont pas elles-mêmes inscrites nous pose problème. Nous privilégions l' opt in , ce qui suppose bien évidemment des mesures de publicité extrêmement larges une fois que le jugement sur la responsabilité a été émis, de façon à ce que tous les consommateurs concernés souhaitant s'inscrire dans la procédure puissent le faire. La création d'un fonds a également été évoquée. Si nous n'optons pas pour cette solution, les associations de consommateurs ou les groupes qui se constitueraient éventuellement pour cette occasion n'auront pas les moyens d'agir. Nous redoutons en effet beaucoup que seuls les cabinets d'avocats spécialisés, qui seraient nécessairement de taille très importante, mènent ces actions en échange d'honoraires très confortables. Cette problématique ouvre d'ailleurs une autre porte à la réflexion. En effet, il conviendra de déterminer s'il convient ou non de modifier le système de rémunération des avocats que nous connaissons en France. En effet, le choix d'un système de rémunération au pourcentage s'apparenterait pour notre association à l'ouverture de la boîte de Pandore. N'étant pas naïfs, nous sommes quand même obligés d'envisager cette solution.

M. Daniel TOURNEZ, Secrétaire général de l'association pour l'Information et la défense des consommateurs salariés CGT (INDECOSA-CGT) -

Dans un premier temps, je souhaite revenir sur les voeux émis par le Président en 2005. L'action de groupe doit régler de petits litiges à la consommation touchant un grand nombre de consommateurs qui, pris séparément, pourraient difficilement faire valoir leurs droits. Ce point me semble essentiel pour les consommateurs, mais aussi pour les associations. En effet, nous nous rendons compte que le poids économique que représente la somme des petits litiges pèse plus lourdement que la pression que nous sommes susceptibles d'exercer en tant qu'association. Le président de ConsoFrance, qui est une association à laquelle nous adhérons également, a rappelé l'essentiel de nos positions. Nous nous inscrivons dans un schéma de réparation ainsi que dans un système garantissant une protection supplémentaire du consommateur. Nous n'entendons pas nous substituer au législateur par cette nouvelle procédure. Ce système une fois mis en place impliquera de revisiter un certain nombre de dispositifs existants. Ainsi, j'ai en mémoire la décision du Conseil de la concurrence concernant trois opérateurs de téléphonie mobile et le montant de la sanction, avec en arrière plan un éventuel cumul avec la réparation individuelle et ses conséquences sur les entreprises.

Ces questions de responsabilité ne sont pas simples et ressortent pleinement du rôle des associations de consommateurs agréées. En effet, nous partageons l'idée selon laquelle un dispositif de la sorte doit être instauré progressivement et être, dans un premier temps, limité à la consommation et à quelques législations concernant les consommateurs, limitativement énumérées. Il me semble également nécessaire de limiter le montant des préjudices concernés dans la mesure où les consommateurs ne disposent pas de tous les outils leur permettant d'avoir la vigilance requise pour des faibles valeurs. S'agissant de sommes plus conséquentes, le consommateur se montre plus vigilant et a davantage les possibilités d'agir en bon père de famille. Nous privilégions les associations agréées car nous avons constaté, sur la base d'exemples étrangers, que l'intérêt du consommateur n'était pas toujours le premier. Ainsi, nous savons quels sont les rapports qui peuvent s'instaurer entre les différents acteurs des nouvelles technologies de l'information et de la communication et les manipulations dont peuvent être victimes les consommateurs en ce qui concerne l'accès aux réseaux. Nous avons intérêt à faire preuve de vigilance pour préserver l'intérêt des consommateurs. Marc Guillaume et Guillaume Cerutti ont également évoqué les conséquences sociales des actions de groupe au niveau des entreprises. Les salariés sont également des consommateurs. Il convient par conséquent d'examiner cette question d'un point de vue macroéconomique. Nous avons en effet besoin de relancer la consommation et ne devons pas nous priver d'un certain nombre de consommateurs.

En outre, je ne suis pas certain qu'il soit opportun de n'envisager que des réparations sonnantes et trébuchantes pour les très petites sommes où la réparation individuelle paraît disproportionnée par rapport au coût initial du préjudice. Il me paraît en effet possible de proposer à l'entreprise une réponse beaucoup plus globale. Ainsi, en matière de téléphonie, la réparation pourrait consister en une amélioration de la qualité des réseaux du service universel visant à permettre aux consommateurs d'accéder de manière plus large aux nouvelles technologies. Dans la mesure où ces questions importantes concernent l'intérêt collectif des consommateurs, nous sommes favorables à ce que l'avis d'un collège de consommateurs ou du Conseil national de la consommation soit requis. En conclusion, il me semble important de souligner que l'instauration d'une telle instance ne pourra se faire sans une étude préalable de l'existant. En effet, l'objectif est de donner plus de poids aux consommateurs, mais aussi aux associations afin qu'elles puissent mieux les défendre, mieux agir et mieux négocier avec le monde de l'entreprise. Il me paraît par conséquent nécessaire de revoir les dispositions existantes du code de la consommation. Si les procédures du Conseil des Prud'hommes sont inquisitoires, le consommateur, qui est tout aussi démuni face aux entreprises, doit quant à lui assumer une procédure accusatoire. Il me semble par conséquent important de réfléchir à une procédure aidant davantage les consommateurs individuellement.

M. Yves SIROT, Président de l'Organisation générale des Consommateurs (ORGECO) -

Je partage, pour l'essentiel, les positions rapportées par les précédents intervenants. Il est évident qu'une disposition spécifique au traitement des actions de groupe manque à la panoplie juridique française, de façon à lutter contre l'influence de certains lobbies, voire cartels de professionnels. Les outils actuels sont, en l'état, inadaptés à la prise en compte de l'intérêt collectif des consommateurs sur la base du traitement de litiges de masse. Dernièrement, une affaire spectaculaire concernant l'entente de trois grands opérateurs s'est soldée par le versement à l'Etat d'une amende de 534 millions d'euros. Cependant, il semble que les consommateurs qui ont été les premières victimes des agissements aient été au départ ignorés. Pourtant ce sont eux qu'il fallait rembourser ou pour le moins favoriser.

En ce qui nous concerne et compte tenu des principes juridiques français et des acteurs de l'opération, il nous semble que l'introduction d'un nouveau dispositif tel que présenté dans le rapport n'aurait pas la finalité souhaitée. De plus, elle risquerait d'introduire dans le droit français certains dispositifs qui ont favorisé les excès et les dérives que nous constatons notamment en Amérique du Nord. Nous pensons notamment aux cabinets spécialisés dans ce genre d'opérations. Nous estimons toutefois qu'il n'est pas souhaitable que les amendes puissent mettre en difficulté des entreprises et les conduire à procéder à des licenciements. N'est-il pas plus réaliste et efficace d'adapter une procédure existante ? Nous sommes favorables à l'application effective de la réparation des dommages identifiés causés aux consommateurs, assortie de sanctions pénales. Le tout devra être réalisé simultanément en une procédure unifiée, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.

L'adaptation et l'élargissement de l'action en représentation conjointe, mais surtout son application dans l'intégralité des aspects prévus par la loi - sanctions et indemnisations - nous semble être la solution la plus intéressante pour répondre à la finalité souhaitée. Précisons qu'il nous paraît préférable de favoriser la réparation. Nous ne sommes toutefois pas opposés à une nouvelle formule dès lors que l'objectif indemnisation/condamnation est atteint. Selon moi, la loi du 18 janvier 1992 ayant visé l'action en représentation conjointe pourrait parfaitement servir de base à la mise à plat de ce genre de dispositions. Je m'écarte effectivement des préconisations du groupe de travail et du souhait émis par le Président de la République, mais je pense que la solution que je viens de présenter serait aussi efficace.

M. Jean-Jacques HYEST -

Le Directeur général de la DGCCRF a souligné que seules cinq actions en représentation conjointe avaient été menées depuis la mise en place de cette procédure. Un bilan figure dans le rapport qui contient des exemples précis.

M. Yves SIROT -

C'est parce que la procédure n'était pas adaptée. Au départ, l'action en représentation conjointe avait été mise en place dans le but de réaliser des actions de groupe. La procédure n'a pas été appliquée dans son intégralité. En ce qui nous concerne, nous déplorons que la plupart des lois ou des dispositions prises ne soient pas totalement appliquées, ce qui crée des déviances.

M. Jean-Jacques HYEST -

Vous confondez application et utilisation des lois. Or c'est totalement différent. Certaines dispositions légales ne sont parfois pas utilisées parce que la procédure est trop contraignante. Si la procédure avait été bonne, elle serait sans doute davantage mise en oeuvre et nous n'aurions pas à nous poser ces questions. Il nous reste à entendre Monsieur Bazot et Madame Lambert.

M. Alain BAZOT, Président de l'Union fédérale des Consommateurs-QUE CHOISIR -

Je pourrais être frustré de n'avoir que cinq minutes pour m'exprimer. En effet, l'UFC- QUE CHOISIR a acquis une réelle expertise dans la mesure où elle travaille sur ce dossier depuis des mois et s'est très largement impliquée dans les débats initiés par le Gouvernement. Ce n'est pas en un si court laps de temps que nous pourrons vous présenter les dispositions très concrètes que nous avons élaborées. Je pense que vous avez déjà reçu un document de travail. Je souhaite à ce titre rappeler que l'UFC-QUE CHOISIR est une association de consommateurs et que par conséquent je ne défendrai que l'intérêt de ces derniers et non celui des entreprises.

M. Jean-Jacques HYEST -

Nous le savons très bien. Je précise par ailleurs que nous n'avons pas reçu le document que vous mentionnez.

M. Alain BAZOT -

Vous auriez dû le recevoir. Je veillerai à ce qu'il vous soit transmis. Nous avons récemment organisé un colloque auquel ont participé des sénateurs -tels que Monsieur le vice-Président Zocchetto- ainsi que Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation, M. Guy Canivet. Nous mettrons évidemment tous les documents à la disposition des parlementaires. Quelques minutes me suffiront, je crois, à attirer l'attention des élus sur l'enjeu de ce dossier. Quelqu'un a dit au cours d'une précédente intervention que la réforme devait être modeste et prudente. J'ignore quelle est la définition d'une réforme modeste. Il me semble au contraire qu'il conviendra de se montrer ambitieux dans le résultat à atteindre. En effet, se lancer dans une réforme de type procédurale n'est payant que si le l'objectif que l'on se fixe est atteint. Aujourd'hui, le constat qui consiste, en France, à affirmer que les lois ne sont pas appliquées parce qu'il n'y a pas de débouchés auprès du juge me paraît hypocrite. L'ineffectivité du droit de la consommation est patente et il convient d'y remédier. La procédure mise en place doit permettre l'accès efficace de millions de consommateurs au juge et l'application du droit. De deux choses l'une : ou le droit est mal fait et l'on peut se contenter que les lois ne soient pas appliquées ; ou l'on considère que les lois sont faites pour être appliquées et l'on se donne les moyens de type procédural pour ce faire.

Je ne comprends pas cet argument selon lequel il convient de concilier la compétitivité des entreprises et l'intérêt des consommateurs. Appliquer le droit ne devrait pas être considéré comme un risque pour les entreprises. Si tel est le cas, cela signifie qu'il est mal fait et qu'il convient de revoir le droit de la consommation. Selon moi, trois grandes idées devraient guider les travaux des parlementaires. La première réside dans le fait que la procédure doit être efficace. Nous sommes une association praticienne du droit. Nous avons dépassé le stade de la théorie ou de l'idéologie. Nous sommes sur le terrain et menons une centaine de procédures par an. Nos associations de consommateurs agréées sont présentes sur l'ensemble du territoire et sont en bute à des centaines de milliers de litiges par an ne trouvant pas de débouchés. La réalité du terrain nous conduit à considérer que l'option d'exclusion -l' opt out - est la seule qui permet effectivement à des millions de consommateurs d'être dans une procédure. Je profite de ma présence devant des sénateurs pour indiquer que le choix de l' opt in poserait nombre de problèmes aux Français établis à l'étranger, catégorie géographiquement à part qui aurait alors bien des difficultés à bénéficier d'une procédure d'action de groupe.

Le deuxième élément fondamental est lié aux conflits d'intérêts. Selon moi, ce sont ces derniers qui risquent de torpiller les velléités de réforme. Il ne faut pas que les actions de groupe soient considérées comme un effet d'aubaine par les avocats et génèrent une activité qui serait préjudiciable à l'ensemble du secteur. Il conviendra par conséquent de veiller à ce que les règles de déontologie continuent à s'appliquer. Il reviendra également aux juges de vérifier que les conventions d'honoraires continuent à respecter la conception du droit français. Il ne faut pas davantage que la procédure tourne au bénéfice des associations de consommateurs. Les règles doivent exclusivement être orientées vers la protection et l'indemnisation des victimes. Il ne s'agit pas de créer directement ou indirectement une source de financement des associations de consommateurs.

Le troisième élément fondamental concerne le respect des droits des parties. Le dispositif que nous proposons doit être innovant. Il n'est pas possible de conserver les règles qui imprègnent notre culture juridique dans la mesure où elles sont issues d'un procès individuel. Nous devons avoir l'audace d'innover tout en respectant nos grands principes parmi lesquels figurent les droits des parties. Le juge doit avoir un rôle fondamental. Les craintes que nous avons en ce qui concerne le modèle américain naissent du fait que les conceptions de ce dernier sont aux antipodes du modèle français. Les juges américains sont par exemple élus. Il existe des dommages et intérêts punitifs. Beaucoup d'éléments font que nous sommes, si nous y prenons garde, à l'abri des dérives du système américain. Il convient de veiller aux droits de la défense ainsi qu'au principe de l'accès effectif au droit. Il me semble que le Conseil constitutionnel aura à arbitrer par rapport à ce point. Dans le détail, les propositions de l'UFC-QUE CHOISIR sont essentiellement guidées par l'efficacité, l'absence de conflits d'intérêt et le respect des droits des parties. Il ne me semble pas que ce projet soit excessif. Il faut savoir être innovant sans prendre de risques inconsidérés. Ce système peut parfaitement être intégré aux grands principes de nos procédures judiciaires. Les parlementaires devront choisir entre les arguties juridiques et le fait de privilégier l'effectivité du droit.

Mme Marianick LAMBERT, Responsable juridique de l'Union féminine, civique et sociale (UFCS) -

Personne, aujourd'hui, ne veut d'une « class action » à l'américaine en droit français. D'une part, car cette procédure n'est pas conforme à la culture française et, d'autre part, parce que le droit français n'a pas besoin des moyens de la « class action » américaine. Contrairement à ce que l'on entend trop souvent affirmer, personne ne souhaite introduire une telle procédure. Nous ne voulons pas davantage des dérives de ce système. Il me semble à ce titre qu'il convient de ne pas mélanger l'atteinte à l'image de marque des entreprises et le recours collectif. Une marque n'est pas uniquement atteinte par l'existence d'une « class action ».

Je souhaite centrer mon intervention sur les raisons qui font que le recours collectif me semble nécessaire en droit français et sur la possibilité de mettre en oeuvre cette procédure. Aujourd'hui, un double constat est partagé par tous. Nous constatons une augmentation des contentieux de masse liée à la multiplication des contrats d'adhésion. Or, l'arsenal juridique français n'est absolument pas adapté à ce type de contentieux. Si les actions en représentation conjointe n'ont pas été utilisées, c'est parce qu'elles ne sont pas utilisables et ne présentent que des inconvénients. Ce type de procédure n'est pas pensé pour régler des contentieux de masse et s'adresse à des groupes limités à quelques dizaines de consommateurs. Le problème ne relève pas de la collecte du mandat ou de la responsabilité des associations, mais de la gestion du procès par l'institution judiciaire.

Le système du procès individuel n'est évidemment pas adapté à un contentieux de masse. La dernière procédure impliquant un nombre important de plaignants traitée par le Parquet de Paris mettait en cause une entreprise de time share baptisée « Le Lagon vert ». Elle concernait 2.000 parties civiles dont 800 se sont présentées à l'audience. La loi organique relative aux lois de finances -la LOLF- n'était hélas pas encore en vigueur : il aurait en effet été intéressant de connaître le coût de gestion de cette procédure. Il n'est actuellement pas possible de gérer à un coût raisonnable un procès impliquant quelques dizaines de milliers de parties. Or, une procédure de recours collectif suppose d'assurer la réparation du préjudice de dizaines de milliers de personnes. Nous devons trouver une procédure juridique efficace permettant d'assurer la réparation du préjudice économique tout en étant raisonnable dans son coût de gestion. En effet, la tendance actuelle consistant à choisir la voie pénale dans un certain nombre de contentieux de la consommation au prétexte que l'expertise et la procédure sont gratuites pour le consommateur ne me paraît pas saine. J'estime qu'il est anormal de faire supporter par la solidarité nationale la réparation d'un préjudice individuel fusse-t-il multiplié par quelques dizaines de milliers de parties.

Le groupe de travail a réfléchi à ces problèmes en tenant compte de ces critères. Il est possible d'introduire le recours collectif en droit français rapidement et sans révolutionner le système juridique français. Le système du jugement type qui existe en droit administratif et qui, me semble-t-il, vient d'être adopté en Allemagne par une loi votée en août 2005 ne révolutionne pas notre droit et ne me paraît pas générer un coût excessif. En effet, il s'agit du système que nous connaissons actuellement s'agissant des actions d'intérêt collectif. Un groupe type de consommateurs sert à un jugement en déclaration de responsabilité, ce qui correspond au système classique du droit français. C'est seulement la phase d'ouverture du droit à réparation sur la base d'un jugement en responsabilité extensible à l'ensemble des parties qui serait innovante. Cette solution n'est pas révolutionnaire. Elle est réalisable et ne me paraît pas atteindre un coût excessif. Elle n'entraînera pas davantage pour le tribunal de grande instance vraisemblablement en charge de la procédure une surcharge d'actions et la nomination de juges supplémentaires. Une phase test permettrait de tester l'efficacité d'un recours collectif a minima sans coût, sans révolution de l'arsenal juridique, de façon assez pragmatique et sans que les entreprises puissent agiter l'argument de l'atteinte à l'image. Pour toutes ces raisons, il me semble que le recours collectif est réellement nécessaire en droit français.

M. Jean-Jacques HYEST -

Mes chers collègues, j'ai le sentiment que ces différentes intervenants nous ont bien éclairé sur les points de vue des représentants d'associations de consommateurs en ce qui concerne la procédure d'action de groupe. Ma question s'adresse au Président de l'UFC-QUE CHOISIR. Vous avez évoqué l' opt out et l' opt in . Or, il existe une interprétation d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel largement partagée en ce qui concerne cette procédure. Une action ne peut être engagée au nom d'un consommateur sans qu'il en soit averti et donne son accord.

M. Alain BAZOT -

Je note qu'il n'existe pas d'unanimité des universitaires en ce qui concerne l'interprétation qu'il convient de donner à cette décision du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques HYEST -

Nous pouvons poser la question à l'ancien Président du Conseil constitutionnel, notre collègue Robert Badinter.

M. Alain BAZOT -

Je note en effet la présence de Monsieur Badinter. Un arrêt a également été rendu par la Cour de cassation qui laisse une porte ouverte par rapport à la position du Conseil constitutionnel. Il ne faudra pas que les juristes, fussent-ils constitutionnalistes, prennent le pas sur le législateur. Se censurer sur la base d'interprétations de décisions du Conseil constitutionnel qui ne sont pas évidentes ne me paraît pas opportun. Je ne suis pas certain que la décision du Conseil constitutionnel ferme à ce point la porte. Je me réfère également à la position du Premier président Canivet qui a déclaré que « la voie était étroite mais pas impraticable ». Il ne faut pas oublier que les décisions du Conseil constitutionnel sont toujours rendues dans un contexte particulier. Ce dernier cherche toujours à concilier des grands principes. Or, le principe de l'accès au juge et de l'effectivité du droit qui figure également dans la Convention européenne des droits de l'Homme n'est aujourd'hui pas appliqué.

Le fait qu'une procédure originale vienne redimensionner un certain nombre de principes, tels que celui des droits de la défense, ne me semble pas poser problème. L'argument selon lequel la personne poursuivie ne peut pas produire des éléments contre une masse indéterminée de personnes que, par définition, elle ne connaît pas, ne tient pas. En effet, le juge, dans le dispositif que nous proposons, donnera une configuration au groupe en les liant par un point commun. Le groupe sera constitué de personnes se trouvant dans la même situation. Nous ne voyons pas quels seraient les moyens de défense spécifiques à une personne. Le cas échéant, un individu conserve la faculté de s'exclure du groupe. Rien n'empêche un plaignant de faire cavalier seul. Il n'y a pas d'atteinte au droit d'action. La liberté d'agir en justice est parfaitement préservée.

M. Jean-Jacques HYEST -

C'est votre point de vue, Monsieur le Président. Je dois cependant vous avouer que je ne partage absolument pas votre position en ce qui concerne les décisions du Conseil constitutionnel.

M. François ZOCCHETTO -

En participant au groupe de travail, vous avez montré que vous aviez un rôle dans la réflexion. Parallèlement à ce travail en amont, vous occupez également des fonctions directement opérationnelles puisqu'il est extrêmement fréquent que vous vous constituiez partie civile et que vous obteniez des sommes allouées par des juridictions. Je souhaite par conséquent savoir si vous souhaitez vous réserver un rôle opérationnel dans le cadre de l'action de groupe que vous envisagez. Dans votre esprit le système doit-il passer par les associations ? Si tel est le cas, pourrait-on imaginer que, pour les mêmes dossiers, des actions de groupe soient initiées au même moment par des associations différentes. Une concertation des associations sera-t-elle mise en place ? Je suis en effet étonné que des associations qui semblent représenter les mêmes intérêts collectifs puissent percevoir des dommages et intérêts qui s'additionnent pour celui qui est condamné.

M. Christian HUARD -

Vous posez la question la plus importante à mon sens. Aucune association, quelle que soit sa représentation, ne peut prétendre à elle seule représenter tous les consommateurs. Dans la mesure où il existe dix-huit associations nationales agréées, les probabilités sont fortes que, dans le cadre des contentieux de masse, une majorité des consommateurs ne soit adhérent d'aucune association. Cette dernière ne représente par conséquent pas les intérêts de ses membres mais est porteuse d'un intérêt général vis-à-vis de l'intérêt général des consommateurs. Dès lors, la position de ConsoFrance en cas d'action collective en réparation serait de confier cette dernière aux associations agréées désignées à la majorité par le collège des consommateurs du Conseil national de la consommation. Il s'agit, en quelque sorte, d'une auto-évaluation de l'ensemble des associations agréées qui désignent à la majorité celles qui participeront à l'action. Ce contrôle devrait rassurer les entreprises dans la mesure où il garantit une régulation très forte. Je rappelle, en outre, que la première condition pour l'agrément d'une association est l'indépendance à l'égard des entreprises. Nous offrons les garanties nécessaires qui permettront de mettre en oeuvre un dispositif effectif et efficace.

Mme Reine-Claude MADER -

Il me semble utile de rappeler quelle est la situation actuelle. En effet, les associations de consommateurs disposent d'un certain nombre de possibilités pour agir dans l'intérêt collectif. En examinant la situation de plus près, il apparaît qu'en réalité seules deux ou trois associations agissent de façon très courante. Il paraît par conséquent peu probable que l'action de groupe suscite subitement l'engouement des associations pour les procédures. Les associations de consommateurs ont jusqu'à présent fait preuve de beaucoup de discernement dans les actions qu'elles entreprennent et que, de manière générale, elles gagnent. Notre association a, par exemple, remporté 99 % des actions qu'elle a initiées.

Il me semble, en outre, important de préciser que, pour notre association, l'action de groupe ne doit en aucun cas devenir un moyen de gagner de l'argent. Cette procédure consiste à mettre des moyens à la disposition des consommateurs de façon à mettre en oeuvre le droit de la consommation et à obtenir réparation des préjudices. Les associations qui penseraient que les actions de groupe constituent un moyen de se doter de moyens financiers supérieurs se trompent. Il existerait dans ce cas un conflit d'intérêt patent.

Les associations qui agiront seront celles qui seront les plus opérationnelles. En ce qui me concerne, je ne suis absolument pas prête à m'enfermer dans un système où la décision serait prise collectivement par dix huit associations qui, bien qu'ayant pour objectif principal la défense des consommateurs, possèdent des champs d'activité très différents.

Mme Gaëlle PATETTA, Directrice juridique de l'Union fédérale des Consommateurs-QUE CHOISIR -

Il est vrai qu'en pratique les associations qui agissent en justice dans l'intérêt collectif des consommateurs sont peu nombreuses. Je ne vois pas en quoi le nouveau système changerait la situation actuelle. Le seul changement pourrait résider dans le fait que les associations, en parallèle de la réparation individuelle des préjudices des consommateurs, pourraient demander la réparation des préjudices dans l'intérêt collectif. Or, nous ne sommes pas favorables à cette forme de réparation dans la mesure où nous voulons éviter les conflits d'intérêts et ne pas détourner la procédure de son objectif, c'est-à-dire la réparation des préjudices individuels. Nous souhaitons également ouvrir la possibilité de saisine du juge aux consommateurs de manière individuelle, aux groupes de consommateurs et aux associations qui se seraient créées autour d'un problème donné. Nous ne voyons pas pour quelles raisons l'accès au juge devrait être restreint aux associations agréées. En effet, dans certains cas de figure, ces associations peuvent ne pas vouloir agir dans un domaine donné soit parce qu'elles n'en ont pas les moyens, soit parce qu'elles ne sont pas intéressées. Il faut par conséquent ouvrir l'accès au droit et au juge à toutes les personnes qui y ont un intérêt.

M. Daniel TOURNEZ -

Il me semble qu'il convient de revoir la décision collégiale des associations de consommateurs. Ce système ne doit pas être vécu comme une chape de plomb ou un instrument de blocage. Notre objectif est avant tout de donner aux consommateurs les armes et les moyens d'obtenir réparation des professionnels. Cette décision permettra peut-être également de revaloriser les travaux du Conseil national de la consommation en ce qui concerne ces questions. La collégialité des associations renforce le poids des consommateurs. Nous avons besoin d'avoir un levier nous permettant de faire pression sur les professionnels.

M. Jean-Jacques HYEST -

Nous allons aborder la seconde table ronde. Je vous remercie beaucoup de votre contribution. Je rappelle qu'il ne s'agit pour nous que d'un éclairage dans la mesure où les « class actions » ne font pas l'objet d'un projet qui serait examiné par la commission des Lois.

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