II. UNE QUANTIFICATION DIFFICILE

L'immigration irrégulière échappe par nature au recensement. Dans une réponse aux questions écrites qui lui avaient été posées, M. Patrick Stefanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, convient que : « l'estimation du nombre de personnes en situation irrégulière est un exercice délicat et hautement aléatoire ». Cet exercice est toutefois nécessaire. Il ne sera sans doute pas possible sans une meilleure connaissance statistique de la population étrangère régulière.

A. DES INDICATEURS PEU FIABLES

Dans son rapport sur l'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration, la Cour des comptes relève à juste titre que : « La grande diversité des méthodes utilisées dans l'Union européenne pour quantifier l'immigration clandestine reflète leur caractère exploratoire et leur manque de fiabilité. En France, les tentatives d'estimation s'avèrent peu nombreuses et sont rarement le fait de statisticiens 18 ( * ) . »

1. Les indicateurs retenus par le Gouvernement

Le deuxième rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration, remis par le Gouvernement au Parlement au mois de février 2006, propose différents indicateurs dont le rapprochement est censé permettre d'appréhender le nombre des étrangers en situation irrégulière ainsi que son évolution.

Indicateurs de l'immigration irrégulière

2003

2004

2005

?

Indicateurs de pression à l'entrée

Nombre de placements en zone d'attente

17.073

17.098

16.157

-5,50 %

Nombre de refus d'admission

20.278

20.893

23.542

+12,68 %

Réadmissions

11.945

12.339

12.379

+0,32 %

Demandes d'asile à la frontière

5.912

2.513

2.278

-9,35 %

Indicateurs de pression migratoire au séjour

Déboutés du droit d'asile

56.248

61.760

n.d.

+9,8 %

Titres de séjour délivrés à des étrangers entrés irrégulièrement

20.744

22.814

26.338

Indicateurs de la population en situation irrégulière

Nombre d'étrangers interpellés en situation irrégulière

45.500

44.545

63.681

+42,96 %

Délits à la police des étrangers en France métropolitaine

66.062

70.529

n.d.

+6,8 %

Placements en centres de rétention administrative

28.155

30.043

n.d.

+6,7 %

Nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat

170.000

145.000

n.d.

-14,7 %

Source : rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration - février 2006.

Le rapport reconnaît lui-même que « ces indicateurs connaissent une évolution contrastée qui rend difficile toute appréciation générale ». De surcroît, et comme le relève le secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration : « tous n'ont pas la même fiabilité, ne serait-ce que parce que certains reflètent non pas le comportement des étrangers eux-mêmes mais l'activité des services de police, de gendarmerie et de douanes ». Ils peuvent également être entachés de doubles comptes, par exemple si un même étranger est interpellé à plusieurs reprises dans l'année.

L' aide médicale d'Etat (AME) a été instaurée par la loi n°  99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle. En bénéficient, sous condition de ressources, les étrangers qui, en raison de leur situation irrégulière au regard de la réglementation relative au séjour en France, ne peuvent être affiliés à un régime de sécurité sociale. Depuis le 1 er janvier 2004, et en application de la loi de finances rectificative pour 2003, une condition de résidence de trois mois est exigée. Le respect des conditions légales fait l'objet d'un contrôle renforcé depuis la publication de deux décrets du 28 juillet 2005.

Il s'agit d'un indicateur imparfait . Tous les étrangers en situation irrégulière n'en sollicitent pas le bénéfice, notamment par crainte d'être repérés. Ceux qui y ont eu recours une année donnée peuvent avoir quitté le territoire ou obtenu une régularisation de leur situation. Jusqu'à une période récente, les doubles comptes n'étaient pas impossibles et, en l'absence de contrôle, l'aide pouvait être accordée à des Français ou des étrangers en situation régulière, par exemple des sans domicile fixe.

Lors de son audition, M. François Héran, directeur de l'Institut national des études démographiques, a noté que : « Les réformes successives de l'AME ont levé une partie des incertitudes sur les doubles comptes, les identités individuelles, la nationalité des patients, les durées de séjour. Mais la difficulté s'est maintenant inversée : le renforcement notable des conditions d'accès à l'AME a dû altérer la représentativité de cette source administrative en réduisant le nombre des étrangers en situation illégale qui peuvent y avoir recours. Du point de vue de la statistique de l'immigration clandestine, l'AME avait commencé par embrasser trop large, elle embrasse désormais trop étroit. Or l'on ne peut mesurer des évolutions que si l'on dispose d'un outil de mesure stable, fût-il approximatif et imparfait . »

Le nombre des demandes d'asile connaît régulièrement d'amples fluctuations, ce qui interdit d'effectuer des extrapolations à long terme et oblige à une certaine prudence dans l'interprétation des variations observées. De surcroît, il est difficile de déduire du nombre de déboutés du droit d'asile une évaluation du nombre d'immigrés qui demeurent irrégulièrement sur notre sol, dans la mesure où une partie d'entre eux choisit de quitter la France.

* 18 Rapport au président de la République, suivi des réponses des administrations et des organismes intéressés - La Documentation française - Novembre 2004.

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