CONCLUSION : L'HEURE N'EST PAS AUX LARGESSES !

Malgré un déficit public à nouveau inférieur à la barre des 3 % fixée par le Pacte de stabilité et de croissance et en dépit du respect, pour la quatrième année consécutive, du plafond de dépenses voté par le Parlement, l'exécution du budget pour 2005 continue de faire apparaître des évolutions préoccupantes.

La part prise par les facteurs non reconductibles dans ce résultat, le fait que la dette publique semble s'être durablement établie au-dessus des 65 % du PIB , la menace que fait peser la hausse des taux d'intérêt sont autant de facteurs qui devraient susciter dans l'opinion un doute sur la soutenabilité à moyen et long terme de nos finances publiques et, partant, de notre modèle social.

En un temps où peuvent à nouveau se multiplier les promesses, votre commission des finances a voulu, une fois de plus, tirer le signal d'alarme budgétaire et souligner la nécessité d'une rupture avec les tendances passées qui passe par une politique résolue de réduction de la dépense à tous les niveaux de la sphère publique, à défaut de laquelle on ne peut écarter le risque d'un douloureux plan de redressement.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 avril 2006 , sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur l 'exécution de la loi de finances pour 2005.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Marini, rapporteur général , a tout d'abord présenté les grandes caractéristiques de l'exécution de la loi de finances pour 2005. Il a indiqué que la croissance du PIB en 2005 avait été de 1,4 %, contre 2,5 % selon la prévision associée au projet de loi de finances pour 2006, que la commission avait toujours jugée volontariste. Il a indiqué que l'exécution des charges de l'Etat avait été inférieure d'1,1 milliard d'euros aux prévisions, alors que ses recettes avaient été supérieures de 0,6 milliard d'euros aux prévisions, d'où un solde supérieur de 1,7 milliard d'euros.

Il a souligné que ce supplément de recettes était paradoxal, alors que la croissance du PIB s'était révélée inférieure aux prévisions. Il a expliqué que si les recettes fiscales auraient dû, compte tenu du ralentissement de la croissance du PIB, être inférieures d'environ 8 milliards d'euros aux prévisions, ce phénomène avait été compensé par des recettes fiscales 2004 supérieures aux estimations disponibles lors de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2005 (+ 2 milliards d'euros), par la réforme du régime des acomptes d'impôt sur les sociétés réalisée par la loi de finances rectificative pour 2005 (+ 2,3 milliards d'euros) - qui avait permis d'atténuer la moins-value sur cet impôt, qui s'élevait au final à 1,7 milliard d'euros, et par l'évolution plus favorable que prévu de plusieurs impôts ne reposant pas sur l'activité économique de l'année 2005 : l'impôt sur le revenu (+ 1,4 milliard d'euros), les donations et successions (+ 1 milliard d'euros) et l'impôt de solidarité sur la fortune (+ 0,3 milliard d'euros). Il a indiqué qu'au total, les recettes fiscales nettes avaient été supérieures de 0,6 milliard d'euros aux prévisions. Les recettes de la taxe sur la valeur ajoutée, qui tendaient à suivre l'activité économique, étaient en revanche inférieures aux prévisions, 600 millions d'euros.

Ces facteurs conjoncturels, qui n'étaient pas connus lors du débat d'orientation budgétaire pour 2006 qui s'était tenu en juillet 2005, expliquaient en grande partie que les projections de moins-values de recettes fiscales établies par le gouvernement comme par la commission des finances en juin 2005 fussent plus pessimistes, à hauteur de 4 milliards d'euros pour le gouvernement et de plus de 6 milliards d'euros pour la commission.

M. Philippe Marini, rapporteur général , a ajouté que les recettes non fiscales avaient été supérieures de 2,8 milliards d'euros et les prélèvements sur recettes supérieurs de 2,1 milliards d'euros aux prévisions, essentiellement du fait du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (+ 1,5 milliard d'euros). Il a précisé que ce supplément de recettes non fiscales provenait essentiellement de la progression des dividendes (750 millions d'euros de plus que les prévisions), de l'amende versée par les opérateurs de téléphonie mobile (+ 535 millions d'euros), de diverses opérations internationales, telles que les intérêts sur prêts octroyés à des Etats étrangers et les reversements de la COFACE (+ 1 milliard d'euros), et des frais d'assiette et de recouvrement (+ 250 millions d'euros). Il a également indiqué que le supplément du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (+ 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale) résultait de l'augmentation des appels de fonds de la Commission européenne, qui avait accéléré les mises en paiement dans la perspective de la clôture de la programmation financière 2000-2007.

Il a indiqué que les recettes de privatisations avaient été de 10 milliards d'euros en 2005, ce qui correspondait essentiellement au débouclage de l'opération France Telecom/ERAP (4 milliards d'euros), à GDF (2,4 milliards d'euros), à France Telecom (1,8 milliard d'euros), à SNECMA/Sagem (1 milliard d'euros) et à Bull (0,5 milliard d'euros). Il a considéré que si ces sommes avaient servi à des opérations de capitalisation ou de recapitalisation, celles-ci avaient concerné, pour 7 milliards d'euros, des organismes chargés de réaliser des dépenses d'avenir, structurantes : Agence de financement des infrastructures de transport de France (4 milliards d'euros), Agence de l'innovation industrielle (1,7 milliard d'euros) et Agence Nationale de la Recherche (1,3 milliard d'euros). Il a considéré que l'annonce, pour 2006, de l'affectation de l'intégralité du produit escompté de 10 milliards d'euros au désendettement de l'Etat était une novation à caractère « vertueux », dans la mesure où, jusqu'alors, les recettes de privatisation avaient très largement été utilisées pour la recapitalisation des entreprises publiques. A cet égard, il a relevé que le récent rapport de M. Michel Pébereau sur la dette publique évaluait les recettes des opérations de privatisation entre 1986 et 2004 à 83 milliards d'euros, dont seuls 14 %, soit 12 milliards d'euros, avaient été affectés directement au désendettement de l'Etat.

Il a indiqué que l'Etat avait respecté en 2005 la norme de dépenses du « zéro volume », ce qui, selon lui, n'allait pas de soi, et que les comptes spéciaux du Trésor avaient amélioré le solde d'1,1 milliard d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale, essentiellement en raison du compte d'avances aux collectivités territoriales.

Evoquant son entrevue, le 23 février 2006, avec M. Pierre-Mathieu Duhamel, alors directeur du budget, il a indiqué que 2,1 milliards d'euros de dépenses non prévues par la loi de finances rectificative pour 2005 donneraient lieu à des ouvertures de crédits en loi de règlement, dont 1 milliard d'euros de remboursements et dégrèvements. Le 1,1 milliard d'euros restant concernait principalement des dépenses évaluatives telles que les charges sociales, les frais de justice, les pensions, l'Agence française de développement, les garanties et la dette négociable. Il a ajouté que plus de 800 millions d'euros de crédits limitatifs, qui n'avaient pu être consommés lors des derniers jours de l'année 2005, avaient été ouverts sur la période complémentaire, correspondant notamment à la prime de Noël des allocataires du RMI (286 millions d'euros) et à des aides personnelles au logement (155 millions d'euros). Ces 2,1 milliards d'euros de dépenses seraient toutefois compensées par des annulations de crédit en loi de règlement.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré que la LOLF avait un double effet vertueux sur les reports : d'une part, le plafond de 3 % limitait fortement le volant des crédits reportables, de seulement 5,4 milliards d'euros en 2006 (pour des reports de 9,7 milliards d'euros en 2005) ; d'autre part, le réexamen de l'opportunité de la dépense permettait d'accentuer davantage la pression sur les reports de crédits. Il a ainsi indiqué que 200 millions d'euros de reports de crédits, dans le cadre du plafond de 5,4 milliards d'euros, avaient été annulés. Il a déclaré que les reports 2006 s'établissaient donc à 5,2 milliards d'euros, ce qui constituait un minimum « historique » et une diminution de moitié par rapport au montant des reports sur 2005, et qu'à ce titre, il adressait un « satisfecit » aux auteurs de la LOLF comme au gouvernement. Il a considéré que l' « épée de Damoclès » des reports sur la gestion de l'exercice en cours s'effaçait donc quelque peu.

Il a jugé que cette diminution des reports était positive pour les gestionnaires, du fait de la diminution de mises en réserve de crédits. Il a indiqué que la mise en réserve prévue pour 2006 était ainsi de 5,1 milliards d'euros en crédits de paiements, contre 7,4 milliards d'euros en 2005 (9,7 milliards d'euros de reports issus de la gestion précédente) et 6,6 milliards d'euros en 2004  (9,0 milliards d'euros de reports issus de la gestion précédente). Il a précisé qu'aucune autre mesure de régulation n'était prévue à ce stade.

Il a cependant considéré qu'il y avait une tension sur la dépense, les constatations de l'Agence France Trésor sur l'évolution récente des taux courts, sans préjuger de l'évolution à venir en cours d'année 2006, conduisant à réévaluer à la hausse la prévision relative à la charge de la dette de l'Etat, pour 450 millions d'euros.

Il a indiqué qu'en 2005 le déficit public avait été de 2,9 points de PIB, conformément aux données du programme de stabilité, et la dette publique de 66,8 points de PIB. Il a considéré que, malgré l'amélioration du solde public, la situation demeurait alarmante, la dette publique étant durablement établie au-dessus des 60 % du PIB, et la dépense publique poursuivant sa croissance (54 % du PIB en 2005, contre 53,3 % en 2004), de même que les prélèvements obligatoires (44,1 % du PIB en 2005, contre 43,1 % du PIB en 2004).

Il a précisé qu'en mars 2006, Eurostat avait modifié le mode d'enregistrement des dépenses militaires d'équipement, ce dont avait résulté, en 2005, une amélioration du solde public de 0,1 point de PIB. Il a rappelé, par ailleurs, que la soulte versée par les entreprises électriques et gazières avait contribué à la réduction du déficit à hauteur de 0,4 point de PIB en 2005. Il a également estimé que les conditions dans lesquelles l'organisme Eurostat délibérait étaient critiquables et que son indépendance était perfectible, et qu'il importait donc qu'il devienne une autorité administrative européenne indépendante.

Cet exposé a été suivi d'un large débat.

M. Jean Arthuis, président , a relevé que les Etats membres de l'Union européenne n'avaient pas accordé un droit de contrôle à Eurostat.

En réponse à une question de Mme Nicole Bricq , M. Philippe Marini, rapporteur général , a précisé que la réévaluation, à hauteur de 450 millions d'euros, de la charge de la dette de l'Etat pour 2006, se rapportait à une prévision globale de flux d'endettement de 39,2 milliards d'euros.

M. Maurice Blin a fait part de son vif intérêt pour cette présentation, qui contenait, selon lui, une appréciation objective de la situation, et s'est référé aux recommandations contenues dans le rapport de son collègue Paul Girod sur la gestion de la dette publique. Rappelant que la dette de la France n'était guère plus élevée que celle d'autres partenaires européens, il a souhaité connaître l'affectation de la dette, notamment aux dépenses productives, et la structure de la dette prévalant dans les Etats membres dont le taux d'endettement était supérieur à celui de la France.

M. Yves Fréville a estimé qu'il serait utile de disposer d'une estimation de la dette française selon les concepts britanniques, qui incluaient notamment l'amortissement du capital. Il a considéré qu'une augmentation des dégrèvements accordés par l'Etat contribuait à améliorer le solde du compte d'avances aux collectivités territoriales, et que l'accroissement des reports de crédits militaires s'inscrivait à contre-courant de la tendance des reports sur les dépenses civiles. Revenant sur le rôle d'Eurostat, il a estimé que le débat portait également sur la manière dont ses critères étaient appliqués par les organismes statistiques nationaux.

S'interrogeant sur la stratégie gouvernementale pour le budget de 2007 et les modalités de réduction de la dette publique, M. Serge Dassault a émis le voeu que la commission fasse des propositions de réelles économies budgétaires au gouvernement, portant sur des dispositifs tels que les aides à l'emploi et la réduction du temps de travail, afin que le déficit public puisse à terme disparaître.

M. Jean Arthuis, président , a relevé l'annonce de la création de 50 000 postes d'auxiliaires, dans les établissements scolaires, pour un coût évalué à 75 millions d'euros.

M. Jean-Jacques Jégou a déploré que les données notifiées à Eurostat n'intègrent pas la reprise de la dette du Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FIPSA), pour un montant de 2,5 milliards d'euros, ni le déficit de cet organisme pour 2005 et 2006, estimé à respectivement 1,5 et 1,6 milliard d'euros. Il a également rappelé que la dette de Réseau Ferré de France s'élevait à 18 milliards d'euros, et que les intérêts correspondants n'étaient plus remboursés depuis 1994. Considérant l'ampleur des déficits des organismes publics et sociaux, il a estimé nécessaire, dans une optique pédagogique, d'établir la liste exhaustive de la dette de l'ensemble des entités relevant du secteur public. Puis répondant à une observation de M. Jean Arthuis, président , qui se demandait si le rapport sur la dette publique de M. Michel Pébereau n'avait pas déjà fourni cette information, il a considéré que ce rapport n'était pas suffisamment détaillé et que le périmètre retenu n'était pas le plus extensif.

En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué que le tableau de financement de l'Etat pour 2006, tel que détaillé dans l'article 66 de la loi de finances initiale pour 2006, exposait un total de ressources et de besoins de financement de 133,4 milliards d'euros. Le besoin de financement comprenait le déficit budgétaire prévisionnel (46,9 milliards d'euros) et l'amortissement de la dette à moyen et long terme (84 milliards d'euros), auxquels avait été ajoutée en cours de discussion budgétaire une somme de 2,5 milliards d'euros au titre du FIPSA, tandis que les ressources incluaient 125 milliards d'euros d'emprunts nets à moyen et long terme, 2,5 milliards d'euros de bons du Trésor à taux fixe et 5,9 milliards d'euros de variations des « comptes de tiers », c'est-à-dire des dépôts des correspondants et du compte du Trésor. Il ressortait, en outre, qu'une partie des dépenses de fonctionnement de l'Etat était financée par emprunt, à hauteur de près de 28 milliards d'euros. Puis, en réponse à une question de M. Maurice Blin , il a précisé que la Commission européenne publiait des situations comparées du besoin de financement des Etats membres. Il a rappelé que la dette publique de la Belgique, en dépit d'efforts importants de réduction, se situait encore autour de 100 % du PIB, et que la dette française était à un niveau nettement inférieur, mais poursuivait une dynamique haussière, qui ne pourrait être arrêtée qu'à un niveau de déficit public d'environ 2,5 % du PIB.

Revenant sur les propos de M. Yves Fréville, il a indiqué qu'il allait approfondir la question du compte d'avances aux collectivités territoriales, et que sa critique d'Eurostat ne portait pas sur la décision de cet organisme relative au traitement des dépenses d'investissement militaire, mais plutôt sur son positionnement institutionnel et sur le caractère évolutif de sa doctrine comptable au regard de certaines pratiques d'ingénierie financière publique, telles que les opérations de titrisation de l'Etat italien. Il a, à cet égard, établi une parallèle avec les nouvelles normes comptables internationales des entreprises, dont l'impact économique avait été sous-estimé et qui étaient élaborées par un organisme dont les autorités politiques européennes s'étaient désintéressées.

M. Jean Arthuis, président , a confirmé que la régulation comptable internationale échappait totalement à la puissance publique.

M. Yves Fréville a souhaité que la commission des finances puisse intervenir auprès du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, pour que le compte d'avances aux collectivités territoriales fasse apparaître le détail des dégrèvements accordés par l'Etat.

Après que M. Jean-Jacques Jégou eut estimé que le gouvernement aurait dû entreprendre, dès 2002, une action plus vigoureuse de redressement des finances publiques, et que M. Serge Dassault se fut demandé s'il serait vraiment possible de « redresser la barre », compte tenu des promesses qui ne manqueraient pas d'advenir au cours de la campagne électorale de 2007, M. Philippe Marini, rapporteur général , a rappelé qu'il avait été l'un des seuls à proposer, lors de la discussion de la proposition de loi qui allait devenir la LOLF, que le budget de l'Etat se dote à terme de la « règle d'or », consistant à ce que l'emprunt public ne finance que des dépenses d'investissement.

M. Jean Arthuis, président , a relevé que la situation n'avait, à cet égard, guère changé depuis 1996, et que la limitation du déficit public était aujourd'hui largement tributaire de l' « ingéniosité » financière, via des opérations telles que la soulte gazière ou l'anticipation du versement de l'acompte d'impôt sur les sociétés, qui ne pourraient pas être renouvelées à l'avenir. Il a proposé, en conséquence, que la communication du rapporteur général, eu égard à son intérêt, fasse l'objet d'un rapport d'information distinct de celui portant sur la loi de règlement pour 2005.

La commission a approuvé ce principe après que M. Philippe Marini, rapporteur général , eut estimé qu'il importait de ne pas laisser entendre que la relative embellie économique actuelle permettait de dégager de nouvelles marges de manoeuvre budgétaires.

La commission a ensuite donné acte de sa communication à M. Philippe Marini, rapporteur général, et décidé d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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