D. LE PLACEMENT SOUS TBS
Le placement sous TBS -terbeschikkinggestelden : littéralement « mise à disposition dans un établissement »- apparaît sans doute comme l'élément le plus original du dispositif hollandais visant les personnes dangereuses. Institué en 1928, il constitue non une peine mais une mesure de sûreté destinée à protéger la société de délinquants considérés comme dangereux en raison des troubles psychiatriques dont ils souffrent. Les personnes peuvent être retenues dans des établissements de soins sécurisés, placés sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire, pour une durée qui, dans certains cas, peut être illimitée 56 ( * ) .
L'efficacité de cette mesure de sûreté est parfois contestée par certaines personnalités politiques néerlandaises. Néanmoins, les critiques se sont fait récemment plus aiguës depuis le viol en 2005 de deux fillettes par deux détenus -déjà condamnés pour des faits similaires- et placés sous TBS, dont l'un bénéficiait d'une permission de sortie et l'autre s'était évadé. Une commission parlementaire procède actuellement à l'évaluation de ces établissements.
Si, pour cette raison, la délégation de votre commission n'a pu se rendre dans un hébergement TBS, elle a pu cependant recueillir, au cours de ses entretiens avec les différents acteurs de l'institution pénitentiaire, les éléments d'information sur les caractéristiques du dispositif et ses conditions actuelles de mise en oeuvre.
Le placement sous TBS peut être ordonné dès lors que trois conditions se trouvent réunies :
- la personne souffre de troubles mentaux ;
- elle a commis une infraction pénale ;
- elle présente un risque sérieux de récidive pour la société.
Cette mesure de sûreté s'applique aussi bien aux personnes déclarées irresponsables en raison de l'abolition de leur discernement qu'à celles reconnues responsables. Dans cette hypothèse, elle complète généralement une peine d'emprisonnement prononcée avec sursis.
Dans tous les cas, la décision doit être prononcée par le juge. Le TBS peut revêtir trois formes :
- le TBS illimité : prononcé contre les auteurs d'un crime ou délit intentionnel grave contre une personne, il est initialement fixé à une durée de deux ans mais peut être prorogé sans limite de deux ans en deux ans si le risque de récidive lié à la dangerosité de la personne le justifie. Le détenu est alors placé dans un établissement fermé relevant de l'administration pénitentiaire. Néanmoins, depuis 1997, le placement sous cette forme de TBS peut se poursuivre, sous contrôle médical, hors de l'établissement. En tout état de cause, la décision de mise en liberté relève du juge et non du médecin. La première structure de long séjour a ouvert en avril 1999 à Balkbrug. Selon un rapport du ministère de la justice de 2003, contrairement aux craintes initiales, aucun comportement de « desesperado » ne s'est jamais produit parmi les personnes placées sous ce mode de TBS. Cependant, ce type de réaction n'est pas exclu dès lors que la personne détenue prendrait conscience que la durée de son placement n'est pas limitée. Selon cette même étude, les patients interrogés ne souhaitent pas demeurer dans une structure de long séjour même s'ils se déclarent par ailleurs satisfaits des prestations fournies par la structure ainsi que des relations avec le personnel et les autres patients. ;
- le TBS limité à quatre années : réservé aux cas moins graves, il est prononcé pour deux ans renouvelables deux fois pour un an ou une fois pour deux ans. La personne est placée dans le même type d'établissement que pour le TBS illimité ;
- le TBS sous conditions : applicable aux infractions mineures, il n'entraîne pas de placement en centre fermé de soins ; il est prononcé initialement pour deux ans renouvelables deux fois pour un an ou une fois pour deux ans. Il s'apparente au dispositif français du sursis avec mise à l'épreuve avec obligation de soins. En effet, l'intéressé est tenu, pendant la durée du placement, de se soumettre à des obligations de soins, de suivre un traitement psychiatrique ou psychologique ou de se rendre dans un établissement de suivi social.
Les garanties juridictionnelles
Les décisions de prolongation du placement -tous les deux ans en principe- relèvent du tribunal de la détention. Elles sont prises à l'initiative du procureur de la République. La demande doit être accompagnée d'une recommandation récente et motivée établie par la structure dans laquelle la personne concernée est traitée. La juridiction compétente est le tribunal d'arrondissement qui a jugé la personne concernée en première instance pour l'infraction à l'origine de l'ordonnance. Elle entend la personne placée sous TBS, assistée de son avocat et rend, en audience publique, un jugement motivé. Cette décision peut faire l'objet d'un recours devant la chambre pénitentiaire de la Cour d'appel d'Arnhem.
Tous les deux ans, les cours doivent ainsi se prononcer en moyenne sur le renouvellement de 1.700 TBS.
Selon une étude conduite en 2005 par le ministère de la justice néerlandais, il est rare que les juges décident une sortie du TBS contre l'avis des experts. Néanmoins, des divergences d'appréciation peuvent apparaître pour trois motifs principaux : le renouvellement du placement sous TBS préconisé par l'expertise se fonde sur des raisons liées au traitement du patient alors que le juge prend seulement en compte le risque de récidive ; les expertises tendent à recommander le renouvellement systématique sur la base du « principe de précaution » et ne convainquent pas nécessairement les juges de la réalité de ce risque ; enfin, les cours peuvent ne pas suivre l'expertise lorsqu'elles considèrent le traitement effectué par la clinique comme inadapté.
Un groupe de travail mis en place au sein du ministère de la justice a recommandé que la décision de justice soit expressément motivée en cas de non renouvellement de la mesure afin de permettre en particulier aux établissements TBS de prendre en compte ces éléments dans leur politique de traitement.
Des établissements de soins sécurisés.
Les placements sous TBS se font dans l'un des douze établissements spécialisés TBS. Ces derniers répondent à une double vocation. D'une part, ils visent à protéger la société. D'autre part, ils ont aussi pour objectif de dispenser des soins en aidant les personnes à connaître et maîtriser les troubles dont elles sont atteintes, à les rendre attentives à leurs responsabilités et à favoriser leur réinsertion. Logées dans de petites unités, les intéressés bénéficient d'activités professionnelles, sportives, culturelles.
Dans la perspective de la préparation de la sortie, ils disposent de permissions de sortie afin de déterminer leur capacité de réadaptation et de vérifier qu'ils ne présentent plus de risque pour la société. Un détenu sous TBS qui ne reviendrait pas à l'issue de sa période de sortie est considéré comme un évadé et un mandat d'arrêt sera décerné à son encontre.
Le placement sous TBS concerne actuellement quelque 1.400 personnes parmi lesquelles une soixantaine, actuellement accueillies dans un service de longue durée, ne devraient vraisemblablement plus jamais être libérées 57 ( * ) .
Un bilan encourageant en matière de prévention de la récidive
Quel bilan peut-on aujourd'hui donner du dispositif du TBS ? Les informations recueillies par votre délégation permettent de présenter ici les différents éléments du débat en cours aux Pays-Bas.
Le système de placement sous TBS tend à réduire le risque de récidive. En effet, selon une étude du ministère de la justice, le taux de récidive des personnes dont le placement sous TBS s'est terminé entre 1994 et 1998 serait de l'ordre de 36 % -au cours des six années suivant leur sortie- tandis qu'il s'élève à 71 % pour les autres personnes incarcérées (78 % s'ils avaient été condamnés une première fois alors qu'ils étaient mineurs). La prise en charge médicale semble donc porter ses fruits.
Si les conditions de contrôle des personnes placées sous TBS ont été critiquées à la suite de l'évasion de deux prisonniers psychiatriques, le nombre d'évasions semble néanmoins limité et concernerait chaque année quelque 10 personnes sur un ensemble de 50.000 mouvements de permissions de sortie. Il est en outre exceptionnel que de nouveaux crimes soient commis à cette occasion.
Le ministre de la justice a pris plusieurs mesures destinées à renforcer la sécurité du système : interdiction de permission de sortie en cas de jugement divergent des spécialistes durant les deux dernières années; suspension de toutes les autorisations de sortie pour les cliniques ayant connu des évasions répétées ; pour les permissions de sortie accompagnées, présence de deux gardiens disposant d'instructions d'intervention plus étendues ; depuis le 1 er septembre 2005, mise en place d'un système de contrôle par bracelet électronique mobile.
Selon une communication du ministère de la justice à la seconde chambre des Pays-Bas en février dernier, le dispositif de surveillance par GPS présente certains inconvénients (autonomie limitée de la batterie -4 heures-, manque de fiabilité du système -le signal émis par le bracelet n'étant pas perceptible à proximité d'immeubles élevés par exemple-, coût élevé -de l'ordre de 300 euros par jour). Les autorités néerlandaises ont également relevé que ni le Royaume-Uni, ni les Etats-Unis -les deux pays où la surveillance électronique mobile est actuellement mise en oeuvre- ne considèrent ce dispositif adapté pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques.
Enfin, les évadés sont recherchés dans les 48 heures avec l'appui d'une politique active d'annonces devant les medias.
Chaque année, les Cours prennent en moyenne 220 décisions de placement sous TBS et 70 décisions de sortie. Le nombre de placements tend ainsi à croître de 150 par an. Cette évolution s'explique, selon le ministère de la justice, par l'augmentation, d'une part, des pathologies graves et complexes dont souffrent les personnes placées sous TBS et, d'autre part, du risque de récidive parmi les personnes traitées.
Si les tendances actuelles se prolongent, le nombre de personnes placées sous TBS pourrait s'élever à 2.500 d'ici 2010.
Au-delà des seules considérations de sécurité, les préoccupations portent également sur l'augmentation du nombre de patients difficilement guérissables et l'insuffisance des capacités d'accueil des établissements TBS. L'administration pénitentiaire est ainsi obligée de recourir à des structures privées pour mettre en place certains de ces placements.
Actuellement, 200 personnes soumises à un placement sous TBS attendent en prison qu'une place se libère au sein d'un établissement d'accueil. Le délai d'attente est de l'ordre de 9 mois.
En principe une personne soumise à une mesure de TBS devrait, selon la loi, être admise dans un établissement TBS dans les six mois de la prise d'effet de l'ordonnance TBS. Cette période peut être prolongée par le ministre de la justice pour des périodes de trois mois renouvelable si le placement s'avère en pratique impossible. En l'absence de décision explicite du ministre de la justice, le renouvellement de la détention provisoire est automatique. La Cour européenne des droits de l'homme (arrêt Morsink c. Pays-Bas, 11 mai 2004) s'est prononcée sur les conditions de prolongation de la détention provisoire. Si elle admet que « pour des motifs liés aux nécessités inhérentes à une gestion efficace des fonds publics, un certain écart entre la capacité disponible et la capacité requise des établissements TBS est inévitable et doit être jugé acceptable » en revanche, elle a constaté qu'une admission tardive dans un établissement TBS a pour effet de retarder le traitement de la personne intéressée « ce qui emporte forcément des conséquences pour ses chances de succès dans le délai légal de deux ans correspondant à la validité initiale d'une ordonnance TBS. De surcroît, les chances d'avoir à prolonger la validité de l'ordonnance TBS s'en trouvent accrues de manière correspondante ». Dans ces conditions, la Cour a estimé qu'un retard de quinze mois dans l'admission au sein d'un établissement TBS était inacceptable et elle a condamné les Pays-Bas sur ce point.
Le nombre de places pour les personnes considérées comme incurables pourrait ainsi être porté à 200 -soit la création de 140 places. Il faut, par ailleurs, souligner le coût relativement élevé de ce dispositif de l'ordre de 500 euros par jour.
Depuis le déplacement de votre délégation aux Pays-Bas, la commission d'enquête parlementaire a fait connaître ses conclusions. Deux grandes orientations paraissent se dégager :
- d'une part, le renforcement du dispositif TBS à travers l'allongement du TBS limité dont la durée serait portée de 4 à 9 ans mais aussi l'augmentation des placements à vie pour les personnes considérées comme non amendables avec une sécurité renforcée et des prestations médicales plus limitées ; ou encore la possibilité d'exiger des soins et des prises de médicaments ;
- d'autre part, un suivi renforcé après la sortie du dispositif : mise en place de systèmes de contrôle (en particulier pour interdire la consommation d'alcools ou de stupéfiants), prolongations d'obligations de soins, voire mise en place d'un suivi médico-légal en clinique psychiatrique afin d'éviter une rupture trop forte par rapport au placement en clinique TBS.
* 56 En mai 2001, une commission associant le ministère de la justice et celui de la santé avait préconisé de placer les soins dispensés dans le cadre du TBS sous la responsabilité de structures dépendant du ministère de la santé -le ministère de la justice conservant la responsabilité de la sécurité de la structure. Les permissions de sortie auraient relevé d'une autorité indépendante pluridisciplinaire tandis que les décisions de prolongation du TBS ou de sortie définitive seraient demeurées du ressort des juridictions. Ces propositions n'ont pas abouti à ce jour.
* 57 Selon des statistiques de 2003, 448 patients sur 1.047 personnes placées sous TBS pouvaient être considérées comme dangereuses, tandis que 210 patients sur 610 personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques -« de droit commun »- pouvaient également être estimées potentiellement dangereuses.