B. LE RÉGIME DE DÉTENTION : LE CAS DU CENTRE DE DÉTENTION DE BERLIN TEGEL
Les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses peuvent être mises en oeuvre en milieu ouvert. Cette situation ne concerne cependant que 16 des 350 personnes soumises actuellement à ce dispositif et qui se trouvent, dans leur très grande majorité, en détention .
Le législateur allemand a prévu que les personnes placées en détention-sûreté devaient être séparées des autres détenus et placés dans des quartiers spécialisés 64 ( * ) . Cette obligation n'est pas toujours applicable dans certains länder compte tenu du petit nombre de personnes concernées par cette mesure.
Aussi, des accords conclus entre länder ont permis le regroupement des détenus dans des quartiers spécialisés des principaux établissements pénitentiaires.
Tel est le cas en particulier, dans la plus grande prison d'Allemagne, pour le centre de détention de Tegel à Berlin.
Comme l'a expliqué à votre délégation le directeur de l'établissement, cent années séparent la construction des plus anciens bâtiments de cet important complexe pénitentiaire (1898) du plus récent (1998) 65 ( * ) .
L'établissement emploie 850 agents dont les deux tiers sont affectés au service de la détention et moins de 6 % au service médico-social. A la date de la visite de votre délégation, il comptait 1.700 détenus -parmi lesquels 110 purgeaient une peine de réclusion à criminelle à perpétuité. Il comptait également 32 % de détenus étrangers (originaires de quelques 55 nationalités différentes).
Le centre accueille 22 personnes placées en détention-sûreté . 19 d'entre elles sont réunies dans un quartier séparé d'un bâtiment moderne comportant au total 180 places (occupées par ailleurs par des condamnés à de longues peines -pour 45 d'entre eux à la réclusion à perpétuité). Trois personnes en détention-sûreté se trouvaient dans d'autres structures pour raison médicale.
Des effectifs en hausse
Selon les responsables de cette structure, 36 personnes condamnées actuellement détenues dans la prison de Tegel font actuellement l'objet d'une « mention » de placement en détention-sûreté (cas dans lesquels le tribunal s'est réservé la possibilité, dans son jugement, d'ordonner la détention sûreté au cours de l'exécution de la peine) : cette mesure pourrait leur être appliquée s'ils ne se conforment pas au programme d'accompagnement destiné à favoriser leur réinsertion. En pratique, elle est effectivement décidée par le tribunal dans la majorité des cas.
Ainsi, l'effectif concerné n'a cessé de croître au cours des dernières années : de cinq en 1996 il pourrait passer à trente d'ici 2007. Si tel devait être le cas, les limites actuelles des capacités de l'étage réservé à la détention-sûreté seraient atteintes (30 places).
Par ailleurs, la durée de la mesure tend également à s'allonger. Le plus ancien des détenus faisant l'objet de la mesure de sûreté est placé depuis douze ans en détention-sûreté -délinquant sexuel, il avait déjà purgé une peine d'emprisonnement de sept ans et demi.
Des sources de tension
Selon les informations recueillies par votre délégation, l'évolution des conditions de détention est aujourd'hui source de tension à deux titres.
En premier lieu, le législateur avait prévu que les personnes placées en détention-sûreté bénéficient d'un régime de détention plus favorable que celui des autres détenus (ce dispositif ne constituant pas une peine au sens strict mais une mesure de sûreté). Cependant, au fil des années, le régime carcéral de « droit commun » s'est amélioré et l'écart des avantages entre les conditions de détention s'est nettement réduit 66 ( * ) .
Ensuite, le choix de séparer les personnes en détention-sûreté des autres détenus et de les regrouper a contribué à renforcer leur isolement. Conjuguée avec l'incertitude du moment où interviendra leur libération, cette situation n'a pu qu'exacerber chez les intéressés le sentiment de leur différence par rapport aux autres détenus. Comme l'ont souligné les responsables de l'établissement, alors que la loi oblige à prévoir un traitement spécifique et individualisé pour chaque personne concernée par la mesure de sûreté, en pratique il apparaît presque impossible de motiver les personnes et de les intéresser à une adaptation à la vie en société dont les perspectives semblent si hypothétiques.
Ainsi les conditions de détention suscitent deux types de réaction : parfois les personnes protestent et sont en opposition permanente avec les représentants de l'administration pénitentiaire ; dans la majorité des cas cependant, l'indifférence et la résignation l'emportent. Les actes de violence ou le taux des suicides apparaissent ainsi plus limités que dans le régime de détention classique.
Le dispositif belge Sur le fondement de la loi de défense sociale du 9 avril 1930 modifiée notamment en 1964, l'auteur d'une infraction pénale qui se trouve dans un état soit de démence, soit de grave déséquilibre mental, soit de débilité mentale ne peut être reconnu responsable. Les juridictions d'instruction ou de jugement peuvent décider son internement . Il s'agit d'une « mesure de protection » et non d'une peine. Une commission de défense sociale -attachée à chaque maison d'arrêt pourvue d'une annexe psychiatrique- détermine les modalités d'exécution de l'internement et en particulier la structure de défense sociale où s'effectuera la mesure (soit une annexe psychiatrique d'un établissement pénitentiaire, soit un établissement de défense sociale, soit un secteur de défense sociale au sein d'un établissement psychiatrique). La commission de défense sociale peut aussi, pour des raisons thérapeutiques, décider le placement dans une institution psychiatrique telle qu'un hôpital psychiatrique. En Wallonie et à Bruxelles, les internés sont répartis au sein des annexes psychiatriques des différentes prisons (Mons, Namur, Jamioulx et Forest) ; de l'établissement de défense sociale de Paifve ; de l'hôpital psychiatrique « Les Marroniers » à Tournai (360 internés) 1 . En Flandre, les internés sont répartis soit dans les annexes psychiatriques de certaines prisons (Merksplas, Turnhout, Gand, Anvers, Louvain et Bruges), soit au sein de trois cliniques psychiatriques (Rekem, Zelzate et Bierbeek). Les commissions de défense sociale assurent ensuite le suivi de la personne internée : elles peuvent décider d'une libération définitive ou -plus souvent- d'une libération conditionnelle (suivi psychiatrique ou placement dans un hôpital psychiatrique). La mesure de libération est subordonnée à une amélioration de l'état de la personne et à la possibilité de l'intéressé de se réadapter en société. En 1998, la loi de défense sociale a été modifiée pour permettre à l'avocat de l'intéressé d'interjeter appel contre la décision de rejet par la commission de défense sociale, d'une demande de mise en liberté. En 2004, la Belgique comptait près de 3.300 personnes internées parmi lesquelles 1.300 avaient fait l'objet d'une mesure effective d'internement (les autres pouvant faire l'objet d'un placement dans un hôpital psychiatrique ou d'une prise en charge ambulatoire). En 2004, le ministère de la justice dressait un double constat portant d'une part sur l'insuffisance des capacités d'accueil au sein des annexes psychiatriques des prisons, d'autre part, sur les difficultés pour ajuster la rémunération des médecins et des psychiatres opérant dans les structures publiques à celle des professionnels du secteur privé avec pour conséquence une prise en charge limitée des internés. _______________________________________________________________ 67 A Tournai, le secteur de défense sociale (10 unités de soins accueillant 350 hommes ayant commis une infraction pénale) se trouve au sein d'une centre hospitalier psychiatrique qui comporte aussi un secteur hospitalier (263 lits), un secteur résidentiel (120 lits) pour héberger plus particulièrement des patients stabilisés, un secteur extra-hospitalier (habitations protégées offrant 57 places dans 12 maisons réparties dans Tournai). La même année, un groupe de travail commission placé sous la responsabilité de M. Paul Cosyns, professeur de psychiatrie à l'université d'Anvers, a été chargé par le ministre de la justice de réfléchir sur l'amélioration des conditions de prise en charge des internés. Il a présenté des recommandations différenciées pour la Wallonie et la Flandre compte tenu des spécificités des deux parties du pays. Pour la Wallonie, elle a notamment préconisé la réhabilitation de certaines infrastructures et la réintégration des internés présentant un faible degré de dangerosité dans le circuit de soins psychiatriques régulier. Pour la Flandre, le groupe de travail préconise la création de plusieurs institutions d'une capacité maximale de 250 lits -une institution étant considérée comme difficilement gérable au-delà de ce seuil. |
Le dispositif canadien Le dispositif canadien concernant les personnes dangereuses se signale par trois traits marquants : - la possibilité de prononcer une peine à durée indéterminée pour les délinquants les plus dangereux ; - la faculté d'assurer un suivi des délinquants « à risque » au cours d'une période maximale de dix années après la libération ; - une procédure très méthodique de traitement des délinquants sexuels. La loi C 55 adoptée en 1997 a complété les dispositions du code criminel du Canada relatives à la déclaration du « délinquant dangereux » tout en instituant une nouvelle désignation de « délinquant à surveiller ». 1. La déclaration de délinquant dangereux La déclaration de délinquant dangereux permet au tribunal de prononcer une peine de détention pour une période indéterminée. Cette déclaration est subordonnée à une double condition (art. 753-1 du code criminel) : - l'infraction commise constitue des sévices graves à la personne et le délinquant qui l'a commise « constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien-être physique ou mental de qui que ce soit », en vertu de preuves établissant que par la répétition de ses actes, notamment celui qui est à l'origine de l'infraction dont il a été déclaré coupable, il démontre qu'il est soit incapable de contrôler ses actes, soit indifférent aux conséquences que ses actes peuvent comporter sur autrui ; cette dangerosité peut aussi être attestée par un comportement qui, associé à la perpétration de l'infraction dont il a été déclaré coupable, apparaît d'une « nature si brutale que l'on ne peut s'empêcher de conclure qu'il y a peu de chance pour qu'à l'avenir, ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement » ; - l'infraction commise constitue des sévices graves à la personne et la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétuation de l'infraction dont il a été déclaré coupable démontre son incapacité à contrôler les impulsions sexuelles et laisse prévoir que, vraisemblablement, il causera à l'avenir de ce fait des sévices à d'autres personnes. La demande de déclaration de délinquant dangereux relève du procureur général provincial. Elle doit donner lieu à une évaluation psychiatrique de 60 jours et sur la base du rapport d'expertise, l'Etat décide s'il convient de donner suite à cette demande. Le cas échéant, le tribunal doit se prononcer après une enquête permettant de déterminer si le délinquant présente une dangerosité suffisamment établie pour mériter une peine indéterminée, sans possibilité de libération conditionnelle, soit la peine la plus sévère prévue par le code criminel. En mai 2005, le Canada comptait 334 délinquants déclarés dangereux (17 d'entre eux ayant bénéficié d'une libération conditionnelle). 2. La désignation de délinquant à contrôler Ce dispositif vise les délinquants qui ne satisfont pas aux conditions requises pour la déclaration de délinquant dangereux mais présentent un risque élevé de récidive . Il vise principalement les délinquants sexuels et permet de les placer sous surveillance pendant une période maximale de 10 ans suivant leur libération. La désignation de délinquant à contrôler appartient au tribunal. Elle est soumise à trois conditions : l'intéressé doit être condamné à une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans ; il présente un risque élevé de récidive ; ce risque pourra être maîtrisé au sein de la collectivité. La décision de la juridiction doit, comme tel est déjà le cas pour la déclaration de délinquant dangereux, être précédée d'une évaluation psychiatrique du condamné. La période de supervision d'une durée maximale de 10 ans (8 ans en moyenne) inclut le respect d'obligations telles que l'engagement de ne pas troubler la paix et l'interdiction de posséder des armes à feu. Il peut aussi comprendre des conditions spéciales comme l'interdiction de consommer des psychotropes ou des obligations de soins. Le manquement à ces obligations est passible d'une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans. En février 2005, 300 personnes faisaient l'objet d'une désignation de délinquants à contrôler parmi lesquels 113 avaient déjà purgé leur peine. 3. L'évaluation et le traitement des délinquants sexuels Au moment de son admission dans un établissement pénitentiaire fédéral, le délinquant sexuel est soumis à une évaluation destinée à déterminer le rythme, les objectifs, la forme et le contenu du traitement ainsi que le niveau du risque que présente la personne. L'évaluation concerne sept aspects distincts : l'historique et le développement du comportement sexuel, la préférence sexuelle, les attitudes et distorsions cognitives, les aptitudes sociales, les antécédents médicaux, la psychopathologie et les résultats des évaluations et programmes antérieurs. Les programmes pour délinquants sexuels, fondés sur le consentement de l'intéressé, visent à leur faire assumer la responsabilité de ses actes ainsi qu'à reconnaître les situations où elles risquent de récidiver et à leur faire adopter en conséquence des stratégies pour surmonter ce risque. (Source : service correctionnel du Canada) |
* 64 Article 140 de la loi sur l'exécution des peines.
* 65 Au total, 130.000 m 2 , soit la superficie de quelques quatorze terrains de football. Le mur d'enceinte long de 1,3 km est surveillé à partir de treize miradors.
* 66 Tel est le cas en particulier s'agissant de la liberté de choisir sa tenue ou de se faire la cuisine, reconnue désormais, sous certaines conditions, à l'ensemble des détenus. Les personnes placées en détention-sûreté continuent cependant de bénéficier de certains avantages comme la perception d'une rémunération légèrement plus avantageuse même lorsqu'ils ne travaillent pas (de 40 à 50 euros par mois contre 30 euros pour un détenu purgeant sa peine). Ils peuvent aussi recevoir des colis mais cette possibilité est en réalité peu utilisée compte tenu du relâchement des liens familiaux.