II. UNE EXIGENCE POUR L'ÉCOLE : MIEUX RÉPONDRE AUX BESOINS PRIORITAIRES D'ÉDUCATION

L'« institution scolaire » a payé un lourd tribut à la « crise des banlieues » de l'automne dernier : plus de 250 établissements ont servi de cibles aux émeutiers, symboles d'une école ébranlée, montrée du doigt, désignée comme première responsable de la « colère » et des frustrations d'une partie des jeunes, qui la rejettent parce qu'elle les a rejetés.

La mission a ainsi pu constater, au cours de ses auditions et de ses déplacements, mais aussi à travers le questionnaire adressé aux maires des villes de plus de 10 000 habitants, la prégnance des questions liées à l'éducation et à la formation, qui traduit l'ampleur du malaise, mais également -et surtout- l'intensité des attentes et le caractère central et prioritaire de ces enjeux. Pour reprendre les propos tenus par le maire de Tremblay-en-France, la médiocrité des résultats scolaires constitue, dans les quartiers défavorisés, l'un des principaux rouages d'une « spirale [qui] tire l'ensemble de la société vers le bas ».

En effet, pour un trop grand nombre de ces « enfants de la politique de la ville », l'école représente leur première expérience vécue de l'échec et de la relégation, contribuant ainsi, à défaut de vraiment les assumer, à cristalliser les inégalités : ce constat en dit long sur les insuffisances des dispositifs mis en place depuis plus de 20 ans -notamment dans le cadre de l'éducation prioritaire-, ainsi que sur les inadaptations d'un système de formation qui n'apparaît pas en phase avec les besoins de nombreux jeunes d'une part, qui perdent pied à défaut de voir le sens et la finalité des apprentissages, et les besoins des employeurs d'autre part.

A cet égard, la mission a pu mesurer le décalage entre les attentes des équipes éducatives, dont elle a pu apprécier la mobilisation et l'engagement, et le discours des hauts responsables du système éducatif, qui lui est apparu déconnecté de ces réalités du terrain.

Certes, il ne faut sans doute pas tout attendre de l'école , tant elle est confrontée, dans ces quartiers, à des « adversaires » -la « ghettoïsation » urbaine, la fragilisation des familles, la crise des valeurs et de l'autorité, le chômage, la désespérance sociale, etc-, qui amplifient les défaillances du système et rendent la tâche extrêmement difficile et éprouvante pour les personnels et les enseignants. Toutefois, rien ne se fera sans elle : il nous faut redoubler d'efforts pour offrir aux jeunes les mêmes chances de réussite et d'insertion, et refaire ainsi de l'école un moteur d'intégration et de promotion.

Notre système d'éducation et de formation doit en effet constituer l'un des premiers leviers d'une action de fond en faveur des quartiers en difficulté, face aux défis de l'emploi, de la prévention et de la cohésion sociale . Il existe, comme l'a relevé la présidente du conseil d'orientation de l'ONZUS, « une importante marge de progression » , qui appelle, dans le prolongement des dispositifs mis en place ces derniers mois par le Gouvernement, des mesures pragmatiques, plus souples et mieux adaptées à des besoins prioritaires d'éducation.

A. OFFRIR AUX JEUNES LES MÊMES CHANCES DE RÉUSSITE SCOLAIRE : DES POLITIQUES À REPENSER

1. Un « effet ghetto » qui aggrave les inégalités

a) Les pièges de la carte scolaire : de « délits d'initiés » en logiques d'enfermement

Conçue, il y a plus de quarante ans, comme un instrument de mixité scolaire et sociale, la politique de sectorisation des écoles a montré ses limites, en favorisant, dans les quartiers eux-mêmes devenus des marqueurs de la relégation sociale, la constitution de « ghettos » scolaires où se concentrent les publics les plus en difficulté.

En effet, si les collèges situés en ZUS accueillent, en moyenne, 63 % d'élèves issus de milieux défavorisés et 12 % d'élèves de nationalité étrangère, ces proportions peuvent atteindre 90 % et 80 % dans certains établissements 49 ( * ) .

Ségrégation urbaine et ségrégation scolaire s'alimentent ainsi l'une et l'autre : « Les écoles à la fois subissent le manque de mixité sociale, mais en même temps contribuent à le renforcer . Bailleurs et enseignants se renvoient d'ailleurs la balle : « comment avoir une politique de gestion locative avec des écoles aussi peu attractives ? » disent les bailleurs. « Comment peut-on conduire notre enseignement avec une population qui concentre tant de difficultés ? » disent les enseignants. » 50 ( * )

A cet égard, certaines personnalités 51 ( * ) ont souligné devant la mission les effets pervers de la carte scolaire : en raison des stratégies de contournement ou d'évitement mises en oeuvre par les familles les plus « initiées », celle-ci ne s'impose finalement qu'à celles qui n'ont pas le choix ; dans les zones socialement homogènes, a fortiori quand l'école se situe « au pied des tours », elle participe à l'enclavement des populations.

C'est pourquoi une « remise à plat » s'impose, notamment dans le cadre des stratégies de rénovation urbaine. La localisation des établissements scolaires et la définition de leurs périmètres de recrutement doivent se fonder sur l'examen précis des réalités locales, dans le cadre d'une réflexion globale, menée en concertation étroite avec les collectivités territoriales -communes et conseils généraux- qui en ont la responsabilité, pour les écoles et les collèges. En effet, les problèmes ne se posent pas de la même façon, ni avec la même acuité, d'un contexte à l'autre.

* 49 Voir annexe n° 9 (Partie I).

* 50 « Pour de grands projets d'éducation dans les grands projets de ville », rapport remis à Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, le 11 avril 2002.

* 51 Voir notamment l'audition d'Hugues Lagrange et Marco Oberti (15 mars 2006).

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