2. Motivations et comportement des joueurs non pathologiques

Avant même d'évoquer la notion de dépendance au jeu, il faut connaître les mentalités des joueurs, leurs motivations et leurs comportements.

Il existe en France d'excellentes études comportementales des joueurs que nous devons à des psychiatres, des psychologues et des sociologues, comme le professeur Jean-Pierre Martignoni-Hutin (voir annexes) : il faut s'y référer.

Retenons seulement ici pour débuter quelques notions concernant les joueurs qui n'ont pas un comportement pathologique.

Ici tous les niveaux socio-économiques sont représentés.

Plusieurs motivations existent et, éventuellement, s'additionnent : « sortir avec des amis » - « s'amuser » - « se distraire » (sous-entendu : s'évader et échapper quelques instants aux soucis ordinaires). Le motif « gagner de l'argent » est très rarement énoncé et surtout pas en premier ; il est pourtant déterminant mais comme censuré. Seul à notre connaissance, le psychiatre Edmund Berger (1950) n'a jamais prétendu que l'appât du gain n'existait pas et qu'il s'agissait d'une névrose assise sur le désir inconscient de perdre...

Bien entendu, vide affectif, problèmes existentiels, fragilité, sont des facteurs qui conduisent à jouer et, éventuellement, à perdre la tête. « Recherche de sensations fortes, actions contra-dépressives » pour M. Jean-Michel Decugis.

L'état d'esprit du joueur est très particulier : que le jeu soit simple ou complexe, il l'aborde en croyant fermement à « sa » chance, à son talent.

Signes révélateurs : il préfère choisir « lui-même » un billet de loterie, lancer « lui même » la boule (plutôt que le croupier), il lancera les dés fort s'il recherche un chiffre élevé et doucement pour un petit chiffre.

En fait, il pense maîtriser en grande partie le jeu.

Si les anglo-saxons ne parlent que de jeux d'argent, les francophones parlent de jeux « de hasard et d'argent » (JAH).

Pourtant, presque aussitôt, la notion fondamentale de hasard tend à s'effacer dans l'esprit du joueur parce qu'elle contredit ce qui précède, c'est-à-dire la croyance en un « pouvoir » du joueur.

S'il perd, il continue néanmoins à jouer car il est sûr d'accroître ses chances de gagner en prolongeant le jeu, comme si le hasard laissait progressivement la place à un quelconque « droit à gagner » dû à sa persévérance.

C'est pour les mêmes raisons, qu'ayant perdu, le joueur retourne au casino pour « récupérer » ses pertes. Il n'intègre pas l'indépendance des événements que sont les séquences successives de jeu (Pr Ladouceur).

Un bon exemple de cela : si dans une boite il y a une bille noire et six rouges et qu'un premier tirage sort une de ces billes rouges, puis une autre, il y aura effectivement plus de chance à la troisième fois de tirer la noire qu'au début. Consciemment ou non, le joueur se fonde sur un tel raisonnement mais il oublie que cet exemple est trompeur et que chaque séquence du jeu qu'il pratique rajoute au fur et à mesure les billes rouges prélevées reconstituant sans cesse l'équation du départ. Il n'y a pas bonification des chances avec le temps.

En fait, pendant le jeu, la majorité des joueurs (80 %) oublient, nient le hasard ou ne réalisent pas que l'issue repose sur cette seule notion.

Et pourtant, la nature même du jeu de hasard est que celui-ci implique l'impossibilité de prévoir l'issue du jeu.

Le docteur Marc Valleur 42 ( * ) , psychiatre de l'hôpital Marmottant, le dit bien : « Face au jeu, personne n'est rationnel. Encore moins le joueur pathologique. Tous recherchent des sensations fortes ».

D'autres phénomènes interviennent, qui concernent plus directement la personnalité du joueur : face à l'aventure, face au suspens qu'il a recherché, il se dope à sa propre adrénaline.

La séquence de jeu est un lieu de réalisation, de puissance artificielle et complaisante : le joueur se sent bien dans le casino, le personnel est aimable, les hôtesses sont sexy et le directeur lui a serré la main. S'il souffre de troubles narcissiques, dans ce milieu là, il peut réaliser ses fantasmes.

D'autres facteurs peuvent accentuer les phénomènes déjà cités.

Si le joueur a un rôle actif dans le jeu, cela contribue à son oubli du hasard. S'il y a compétition, contre le croupier ou d'autres joueurs : même réaction.

C'est connu : le joueur se rappelle bien mieux ses gains que ses pertes.

Si le jeu est complexe, certains ont tendance à élaborer des « stratégies », à imaginer des « martingales » dont on connaît l'absence de toute valeur (ce qui n'empêche nullement qu'on en vende tous les jours aux gogos).

Visiblement, le terrain est glissant 43 ( * ) , et tous les phénomènes d'entraînement qui existent pour les joueurs non pathologiques peuvent, chez des individus plus fragiles, moins vigilants, moins solides, s'amplifier et aboutir à un véritable dérapage.

Il n'y a que ceux qui n'ont jamais tenté de pactiser avec le hasard pour s'imaginer que l'on s'amuse en jouant 44 ( * ) .

* 42 Le docteur Valleur a ouvert à Paris un Observatoire des jeux afin d'étudier les pathologies et les pratiques ludiques. Il faut l'en remercier : il précède, avec le Pr Martignoni-Hutin, sur cette voie indispensable des pouvoirs publics étrangement timides et frileux. Son voeu le plus cher est de pouvoir rapidement passer le relais à une structure officielle, objective et performante.

* 43 Cf. Dostoïevski, qui écrit dans « Le joueur », à propos de la grand-mère, dont tout le monde convoite l'héritage qu'elle dilapide à la roulette : « Que des gens comme elle mettent, rien qu'une fois, le pied sur ce terrain, ils glisseront, comme dévalant en luge une pente verglacée, plus vite, toujours plus vite ».

* 44 Les sinistrés de la roulette et les détroussés des bandits manchots savent qu'ils engagent durablement le nécessaire pour s'approprier momentanément un superflu qui leur brûlera les doigts (M. Philippe Bouvard - Bloc Notes avril 2004).

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