B. LA DÉPENDANCE AU JEU DOIT-ELLE ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME UN PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ ?

Est-elle un véritable problème de santé publique ?

Votre rapporteur pense que oui parce que :

1. les conséquences de cette dépendance sont graves ;

2. la dépendance atteint un nombre considérable de joueurs ;

3. le nombre de ces joueurs ne cesse de croître.

1. Des conséquences graves

Le piège s'est refermé : le joueur raisonnable du début a glissé : son besoin de jouer est devenu irrépressible.

- il jouera maintenant plus d'argent que prévu ;

- il jouera plus longtemps que prévu ;

- il jouera plus souvent que prévu.

Les conséquences sont là :

- ses pertes peuvent être considérables. A Nice, chez le Dr Bistagnin et chez une centaine de ses joueurs, elles atteignent une moyenne de 100.000 euros. En 1992, chez le Pr Ladouceur, les joueurs qui se décidaient à demander de l'aide avaient déjà perdu entre 75 à 150.000 dollars US ;

- à Nice, un malade sur six a été vu par la Commission de surendettement ou fait l'objet d'une tutelle ;

- au Québec 83 % sont endettés ;

- un malade sur cinq (ou sept suivant les auteurs) a commis des actes illégaux (du chèque sans provisions à l'attaque à main armée) pour se procurer l'argent nécessaire. Ce chiffre de 20 % est confirmé par Armelle Achour (SOS Joueurs) ; elle connaissait des délits en général peu graves mais elle observe, en 2004, une nette augmentation des détournements de fonds et des escroqueries ;

- confirmé aussi au Québec, où 36 % ont volé leur employeur et perdu leur emploi ;

- Pierre Perret trouve aussi 37 % de vols de l'employeur ;

- en revanche, ici, aucun suicide mais des idéations suicidaires.

- ailleurs en France nous ne savons pas ;

- mais nous verrons que le suicide est présent dans certains pays étrangers.

Ayant perdu la liberté de pouvoir s'abstenir de jouer, la personne dépendante est préoccupée par le jeu de manière incessante ; agitée ou irritable, elle ment à son entourage pour dissimuler la gravité du problème et sera tentée de commettre des actes illégaux ; elle perd toute relation significative dans le travail.

2. La dépendance atteint un nombre considérable de joueurs

Combien sont-ils ces joueurs dépendants ?

Comment répondre à cette question ?

Si de grands pays étrangers cernent le problème, la France, faute de produire les études indispensables, en est incapable aujourd'hui , et cette lacune contraste fort avec le nombre et la qualité des travaux scientifiques et sociaux consacrés à ce problème aux USA et au Canada.

Il paraît que, durant les cinq dernières années (2000-2005), 514 études ont fait l'objet de publications dans les revues scientifiques internationales.

La charité conduit votre rapporteur à ne pas énumérer celles que l'on doit à la France. Raison de plus pour féliciter les rares chercheurs français dans ce domaine

Notons tout de suite une difficulté majeure : il est tout aussi difficile de quantifier le nombre des joueurs dépendants que de définir les critères de la dépendance elle-même. Les deux points sont liés.

La plupart des joueurs (et des joueuses) adopte un comportement que l'on qualifiera de « social ».

Ils (elles) ne sont préoccupés (ées) que d'un loisir sans conséquences, et il est admis que le jeu est nécessaire à l'équilibre social.

D'ailleurs, si ce n'était pas le cas, pourquoi verrait-on se multiplier dans la presse écrite, les télévisions, les activités commerciales, des jeux où l'on gagne de plus en plus d'argent ? Le jeu fait partie de la vie, l'anime remarquablement : en soi, le jeu n'est pas malsain .

Mais à quel moment un joueur « social » (c'est-à-dire non pathologique) devient-il moins « social », compulsif, dépendant ?

A quel moment passe-t-il d'un côté de la statistique à l'autre ?

Bien conscient de cette difficulté, votre rapporteur entend tout de même mesurer, autant que faire se peut, le nombre des joueurs dépendants français.

En France, faute d'études spécialisées depuis un rapport du CREDOC de 1993 (!) (encore ne portait-il que sur le jeu et pas du tout sur la dépendance au jeu), on en sera réduit à des estimations.

Les plus fiables proviendront d'une extrapolation des études et statistiques étrangères et des appréciations fondées de certains spécialistes français.

Le Québec , les USA , l' Australie ... ont des connaissances et une expérience très largement supérieures à la nôtre.

La Suisse , une fois de plus, fait ici la preuve du remarquable sérieux avec lequel le Confédération aborde ces sujets : on en trouvera d'autres preuves dans ce rapport.

Au Québec , on constate une croissance exponentielle du jeu.

Le rapport de cette industrie est passé de 58 millions de dollars en 1971, à 3,6 milliards de dollars en 2001 (au point de faire penser à un retour à la prohibition).

Depuis 2002, ministère de la santé, services sociaux et Loto Québec financent les recherches et un numéro vert de secours.

Le professeur Ladouceur, fondateur du Centre québécois d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu, distinguait en 1996 : 2,1 % de joueurs pathologiques et 2,4 % de joueurs à problème.

5 % est un chiffre avancé par les joueurs québécois eux-mêmes.

Au Canada certains estiment que la dépendance des mineurs est de 4 à 8 %, d'autres de 10 à 15 %.

Des études récentes, effectuées par huit provinces, relèvent que 2,7 à 5,4 % des adultes interrogés avaient des problèmes associés au jeu.

Trois études nationales réalisées aux Etats-Unis donnent une moyenne de 7,2 % de joueurs à problèmes et 2,3 % de joueurs pathologiques.

Certains états, comme la Louisiane, enregistreraient 7 %.

La dernière étude 2002 de « Responsible gaming council » a montré que, sur 5.000 joueurs de l'Ontario, 18 % (!) présentaient une dépendance modérée et 3,8 % une dépendance sévère.

Le Wall Street journal (USA) de septembre 2002 : un nombre croissant d'américains âgés se débattent avec des problèmes d'argent liés au jeu.

Le Conseil californien des jeux : le nombre d'appels à l'aide émanant de seniors est passé de 12 % en 2000 à 15 % en 2001.

Le « Wisconsin council on problèmes gambling » estime que l'accoutumance aux machines à sous atteint 5 à 7 % de la population ; le New-Jersey dit 15 % en 2001, l'Arizona 23 et le Connecticut 35 % !

En Australie , avec 200.000 machines à sous, championne du monde (malheureuse) dans le domaine du jeu, la dépendance est devenue un fléau national majeur car il a pris l'aspect d'une véritable épidémie.

Le chiffre retenu est de 7 %.

D'ores et déjà, les dégâts sociaux sont tels que leurs coûts pour l'Etat dépasse, selon certaines estimations, le montant de ses recettes tirées du jeu.

Pour le département psychiatrique des hôpitaux universitaires suisses (1998), le niveau est à 8 % : 5 à 6 % de « dépendants modérés » et 2 à 3 % de « dépendants sévères ».

Dans ces conditions, que peut-on faire pour estimer le nombre de nos compatriotes qui sont dépendants au jeu ? Deux approches sont possibles :

1. S'appuyer sur le nombre, relativement mieux connu, des joueurs réguliers, six millions, et lui appliquer un pourcentage hypothétique de 2 %, 3 % ?

Cela nous donnerait, en première analyse, quelque 180.000.

Pourquoi alors rencontre-t-on le plus souvent des chiffres beaucoup plus importants : 300.000, 500.000 ?

Le Dr Marc Valleur avançait celui de 300.000... en 1999 !

Eric Bouhanna (Adictel) estime à 20.000 les joueurs dépendants dans les casinos « terrestres ».

2. S'appuyer sur le nombre des interdits volontaires de jeux ?

La sous-direction des libertés publiques du ministère de l'intérieur (SDLP) tient le fichier de ces joueurs qui ont sollicité cette interdiction pour 5 ans ; celle-ci leur barrait l'accès aux salles de jeux traditionnels mais laissait libre pour eux l'accès aux machines jusqu'à la mise en place d'un contrôle d'identité en 2006.

Le fichier de la SDLP contenait 28.000 noms avant sa mise à jour 2006 et reçoit entre 2.000 et 3.000 nouvelles demandes par an.

On dit que ce type de demande a été multiplié par 6 pendant que celui du nombre de casinos ne l'a été, pendant le même laps de temps, que par 1,27.

Votre rapporteur reviendra, plus loin, sur le problème des interdits de jeux, en étudiant le cas particulier de l'accès aux salles de jeux.

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