PERSONNALITÉS DIVERSES

Fédération nationale des mines et de l'énergie de la Confédération générale du travail (CGT)  2 mai

M. Jean-Pierre Sotura, responsable des questions économiques et industrielles

M. Bruno Sido , président - Nous accueillons maintenant Jean-Pierre Sotura, responsable des questions économiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la Confédération générale du travail (CGT). Je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir devant la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France. Nous menons des auditions et effectuons des visites chez nos voisins et partenaires européens afin de travailler sur ce sujet, mis en exergue par l'incident du 4 novembre 2006. Ayant interrogé et écouté avec beaucoup d'attention des intervenants de ce secteur, nous souhaiterions avoir le sentiment de votre syndicat, la CGT, sur cette question.

M. Jean-Pierre Sotura , responsable des questions économiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT - Merci, M. le président. Je représente donc la Confédération générale du travail et suis responsable des questions économiques et énergétiques à la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT. Je suis accompagné par deux autres responsables de notre Fédération : Jean Barra, chargé des questions énergétiques, et Dominique Loret, membre du conseil de surveillance de Réseau de Transport d'Electricité (RTE) parrainé par la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT.

Nous avons volontiers accepté de répondre aux questions de votre mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver. Nous pensons que la sécurité d'approvisionnement de la France repose sur trois piliers essentiels : une production apte à répondre en tout instant et en tout point à la consommation d'électricité, des réseaux capables d'acheminer l'électricité produite aux consommateurs, et enfin une gestion efficace de l'équilibre entre la production et la consommation pour assurer la sécurité du système électrique. Je vais vous présenter succinctement notre analyse sur l'état de la situation autour de trois aspects : tout d'abord, l'équilibre entre la production et la consommation nous semble fragile et nécessiter des investissements importants ; ensuite, la déréglementation nous apparaît comme un facteur de fragilisation du système électrique ; enfin, les mesures préconisées par la Commission européenne pour accroître la concurrence risquent d'aggraver la situation.

L'incapacité du marché à générer de lui-même les investissements suffisants dans les outils de productions démontre l'urgence d'une réorientation de la construction européenne autour d'une politique européenne de l'énergie fondée sur la coordination des politiques énergétiques de chaque Etat membre. Nous préconisons ainsi la création d'une Agence européenne de l'énergie. Si un débat existe sur le niveau des investissements nécessaires, il n'est pas aujourd'hui contestable, compte tenu des délais de construction nécessaires pour les moyens de production, que des choix incontournables s'imposent. Nous mettons de ce point de vue à la disposition de la mission commune d'information une étude, réalisée par l'institut Energie et développement (IED) pour le compte du Conseil Supérieur Consultatif des comités mixtes à la production d'EDF et de GDF, qui démontre que, selon des hypothèses réalistes, il est nécessaire d'investir dans des outils de production électrique pour assurer cet équilibre entre la production et la consommation, tant du point de vue des pics de consommation que de celui d'une consommation de base. La CGT considère que, tout en menant une politique d'économie d'énergie et de développement d'énergies nouvelles, d'autres réalisations que celle de Flamanville doivent être rapidement engagées.

Si le détail des mesures à prendre doit faire l'objet de discussions, notre conviction profonde est établie. Nous sommes prêts à entrer dans le détail de la panne du 4 novembre 2006 sans manichéisme et sans concessions. Il ne s'agit pas ici de mettre en cause tel ou tel aspect en particulier mais de savoir si le processus de déréglementation constitue un facteur de dégradation de la sécurité du système. Nous rapprochons d'ailleurs la panne du 4 novembre 2006 de celle du 28 septembre 2003 en Italie : dans les deux cas, il ne s'agit pas de situations dans lesquelles des sommets de consommation ont été atteints mais au contraire de situations où le niveau de consommation était relativement faible. Parallèlement, les échanges d'énergie étaient importants en Europe : la recherche permanente de la fourniture d'électricité au prix le plus bas, liée au processus d'ouverture à la concurrence, accroît effectivement les échanges d'énergie. La Commission européenne prône l'accroissement des interconnexions aux frontières pour fluidifier le marché. Mais l'accroissement des transits sollicite fortement les réseaux et les interconnexions et a donc un coût qu'il faudrait mettre en regard des avantages qu'en retirent les facteurs qui génèrent, par leur recherche du moindre coût, des transits importants. Le principal problème posé réside toutefois dans la complexification du système électrique et dans la difficulté à assurer sa gestion optimale dans l'intérêt de l'ensemble des acteurs concernés. Lorsque le système électrique était regroupé dans une entreprise verticalement intégrée, les dispatcheurs pouvaient intervenir plus rapidement pour sauvegarder le réseau. La complexification du système fait l'objet de réflexions des gestionnaires de réseaux regroupés dans l'association « European Regulators Group for electricity and gas » (ERGEG). La Commission européenne a proposé le 10 janvier 2007 une évolution de la régulation au niveau européen dans le domaine de l'énergie qui abonde dans ce sens : l'uniformisation des procédures ou une meilleure coordination des gestionnaires de réseaux au niveau européen peuvent constituer des éléments d'amélioration de la sécurité du système. L'harmonisation des systèmes de protection des réseaux et des référentiels techniques des opérateurs de part et d'autre des frontières constitue également une évolution nécessaire.

Nous ne pensons pas pour autant que le débat de fond sur la déréglementation puisse être évité. Il s'avère en effet que certains principes fondamentaux de la déréglementation, tels que la concurrence libre et non faussée, et certaines dispositions particulières pour introduire des concurrents aux opérateurs historiques, comme les obligations d'achats, entrent régulièrement en contradiction avec les gestes élémentaires permettant une gestion optimale du réseau en temps réel : à titre d'exemple, même si un gestionnaire de réseau s'aperçoit que l'arrivée d'une production d'origine éolienne ou autre disposant d'un tarif de rachat avantageux peut poser un problème de saturation de réseau, il ne peut pas intervenir. Alors que les directives de libéralisation ne sont pourtant pas encore totalement applicables -le décret relatif à l'ouverture à la concurrence en France le 1er juillet 2007 n'est en effet toujours pas paru-, la Commission européenne a déjà préparé de nouvelles mesures de déréglementation ! Nous renouvelons notre opposition à l'ouverture à la concurrence au 1er juillet et à son corollaire, la suppression programmée des tarifs réglementés pour l'électricité et le gaz. La réunion du Conseil supérieur de l'énergie qui s'est tenue entre les deux tours de l'élection présidentielle pour débattre du projet de décret relatif à l'ouverture au mois de juillet, ce qui nous semble inacceptable puisque cette décision est politique et devrait être soumise au vote des électeurs.

En matière électrique, il existe des lois physiques qui peuvent difficilement être contournées sans remettre en cause la sécurité. Constatant la saturation des interconnexions, du fait des transits supplémentaires liés la déréglementation, la Commission européenne pense avoir trouvé une solution en préconisant d'accroître de manière importante les interconnexions. Or, cette solution ne va-t-elle pas aboutir à augmenter encore les flux d'énergie en favorisant la possibilité de rechercher à tout moment l'électricité au coût le plus bas en Europe ? Dans ce cas, les transits s'étant considérablement accrus, la complexité de la gestion du réseau sera encore plus importante et la résolution d'une panne quelconque encore plus problématique. Les lois physiques incitent à rapprocher la production et la consommation et à rechercher un équilibre sur des périmètres plus réduits, au lieu de chercher à transporter de l'électricité à longue distance.

Notre confédération défend donc des options sur la politique énergétique nationale et européenne qui s'articulent autour de cinq orientations stratégiques : amplification des économies d'énergie et de l'efficience énergétique ; mobilisation de nos atouts dans la filière nucléaire civile qu'il serait inconcevable de remettre en cause au moment où l'intérêt pour le nucléaire grandit dans le monde et où la Commission européenne reconnaît enfin sa contribution éminente à la lutte contre l'effet de serre ; développement des énergies propres non émettrices de CO 2 ; création d'un pôle public de l'énergie en France et d'une Agence européenne de l'énergie ; maintien du tarif réglementé en matière d'électricité et de gaz.

M. Bruno Sido , président - Dans la part d'électricité qui circule dans les interconnexions, vous semblez dire que ce sont les échanges répondant à une pure logique commerciale qui sont responsables des gros trafics : mais calculez-vous la part due aux heures de pointe ?

M. Jean Barra , responsable des questions énergétiques à la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT - Bien avant la déréglementation européenne, certaines pointes en France étaient assurées grâce à l'apport hydroélectrique de la Suisse, alors même que la France est massivement exportatrice sur l'année. Ce phénomène existe donc depuis longtemps. Cependant, ces dernières années ont vu une augmentation régulière et continue des échanges internationaux en bilan global annuel. En Europe, la France est le seul pays qui soit massivement exportateur. Tous les autres pays sont importateurs, à l'exception de l'Allemagne, dont le bilan est à peu près équilibré, et d'un ensemble constitué par l'Ukraine, la Pologne et la République tchèque, qui injecte sur les réseaux de l'Europe de l'ouest environ un tiers de ce qu'exporte la France. La France exporte ainsi entre 60 et 70 terawattheures (TWh) par an, contre 25 TWh pour l'ensemble Pologne-République tchèque-Ukraine. Et ces quantités augmentent régulièrement.

Ces phénomènes sont inscrits en toile de fond mais la panne du 4 novembre ne se situe pas exactement sur ce registre-là. L'analyse que nous faisons de cette panne est la suivante : elle s'est produite dans le centre de l'Allemagne, région où les transits internes à la région Allemagne-Pays-Bas n'ont pas pu être assurés du fait d'une consommation massive à l'ouest pour une production massive à l'est. Au moment où le transit a été perturbé par l'interruption de la ligne, il aurait été possible d'empêcher la panne par une action auprès des producteurs d'Allemagne de l'est et des producteurs situés à l'ouest de la ligne interrompue : si les premiers avaient diminué leur production tandis que les seconds l'avaient augmenté, ils auraient empêché la panne. Cette pratique est traditionnelle en France. Lorsque j'étais jeune ingénieur chez EDF, les dispatcheurs interdisaient, à certains moments, de procéder à des essais pouvant perturber le réseau. Or, ce pouvoir se heurte désormais à la déréglementation qui stipule que chacun doit pouvoir librement faire appel à la concurrence. Les lois physiques ne sont pas compatibles avec ces nouveaux procédés. L'analyse de la panne le montre.

Mme Nicole Bricq - Ma première question portera sur la politique européenne de l'énergie et votre souhait de création d'une Agence européenne de l'énergie. Souscrivez-vous à la proposition faite par certains économistes, notamment Jean-Paul Fitoussi, de créer, sur le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), une Communauté pour l'énergie, c'est-à-dire une politique intégrée européenne ? Sinon, pouvez-vous développer vos attentes liées à la création de cette Agence européenne ? Ma seconde question concerne le tarif réglementé. Votre objectif est-il de maintenir les tarifs réglementés au-delà de 2008 ? Que répondez-vous à l'argument selon lequel, comme les procédures de compensation sont floues, le maintien de ces tarifs réglementés met en cause la sécurité de l'approvisionnement ?

M. Jean-Pierre Sotura - Deux questions sont posées, relatives aux tarifs. La première question porte sur les moyens d'obtenir des mécanismes efficaces pour maîtriser la demande d'énergie et mettre des moyens de production en adéquation avec la consommation réelle, avec les réductions de consommation possibles en matière d'habitat. La seconde question vise à définir la politique tarifaire. Pour certains, il faudrait laisser les prix augmenter jusqu'au prix du marché pour que les prix de l'énergie se régulent naturellement. D'autres marchés énergétiques, comme celui du pétrole, démontrent que certains éléments dans la consommation ne sont pas compressibles : l'incompressibilité des besoins est spécifique aux marchés énergétiques. Pour l'électricité en particulier, nous considérons que la régulation par le marché et par des prix élevés s'avérerait inefficace par rapport à l'objectif poursuivi. En revanche, des leviers doivent être utilisés pour aboutir à la maîtrise de la demande : on peut en particulier penser aux mesures relatives aux isolations des logements. Mais il est socialement injuste et économiquement inefficace de s'en remettre à la loi du marché : les tarifs réglementés ayant été conçus en fonction des coûts complets de production, intégrant les investissements dans le réseau de production, la libération des prix pour permettre aux producteurs de pratiquer les prix qu'ils souhaitent signifie la fin de l'avantage compétitif dont dispose la France, à travers son parc nucléaire, pour le bénéfice des consommateurs. Seuls les producteurs en tireront bénéfice, à travers la vente à un prix plus élevé. Je le redis : ces mesures ne sont ni socialement justes ni économiquement efficaces.

Mme Nicole Bricq - Ma question concernait plutôt le mécanisme complexe mis en place par la loi. Comment est-il possible de rendre le système de tarif réglementé plus clair, sans introduire ces distorsions en termes de compensation ? Le système actuel est effectivement compliqué et insatisfaisant.

M. Jean-Pierre Sotura - S'agissant de la politique intégrée, notre confédération soutient la création d'une Agence européenne de l'énergie. Nous participons aux débats en cours sur les moyens de mettre en place une réelle politique européenne de l'énergie. Les politiques énergétiques nationales doivent, tout en conservant des spécificités propres à chaque pays, être coordonnées. Il est nécessaire de coordonner les réseaux, ou de fournir des efforts de recherche coordonnés sur les nouvelles techniques de production. Nous partageons également certains des objectifs contenus dans le paquet énergétique européen, tels que les réductions d'émission de gaz à effet de serre, les politiques coordonnées de maîtrise de la demande ou le développement des énergies nouvelles. Nous souhaiterions coordonner au niveau européen l'ensemble des outils de politique énergétique et notamment le développement de l'énergie nucléaire. Sur ce point, il existe déjà des éléments positifs mais qui semblent insuffisants pour reconnaître le rôle important de l'énergie nucléaire. Quelles formes peuvent revêtir cette coordination ? Nous développons l'idée d'une Agence européenne de l'énergie. Il existe d'autres idées et le débat doit continuer. Mais au lieu de persévérer dans la voie de la déréglementation et d'une politique fondée sur la concurrence en Europe, il apparaît nécessaire de construire des politiques énergétiques au niveau européen, fondées sur des coopérations et des coordinations beaucoup plus efficaces entre les différents pays.

M. Jean Barra - Nous nous trouvons à la veille de l'apparition de sérieuses difficultés sur ce terrain. Le rachat avorté d'Endesa par E.ON et les accords avec Enel montrent bien que chaque pays veut conserver la maîtrise de son périmètre. Une politique centralisée d'énergie me semble donc être prématurée. Parallèlement à sa commande de l'étude d'IED sur l'équilibre entre la production et la consommation en France, le Conseil Supérieur Consultatif des comités mixtes à la production d'EDF et de GDF a fait réaliser une étude comparative sur la situation en Europe, qui établit que chaque pays possède ses propres initiatives et souhaite, en cas de problèmes internes, faire appel au marché pour trouver des compléments au niveau européen. Or, cette approche suppose une analyse des marges au niveau de l'ensemble de l'Europe mais cette analyse n'a encore jamais été réalisée. Nous ne pensons pas qu'il faille substituer un organisme supranational aux initiatives des différents pays, mais plutôt coordonner les politiques nationales. Les transits augmentent et il est désormais plus facile de se fournir en électricité auprès des autres pays. Les ressources de chaque pays ne sont cependant pas infinies et il est nécessaire d'étudier la cohérence des transits. Il faut absolument réfléchir en commun sans coercition. L'Agence européenne de l'énergie ne vise pas, dans notre optique, à exporter le système français mais à permettre à chaque citoyen européen de bénéficier d'une énergie de qualité et à moindre coût. Les évolutions libérales se développent, mais les investissements tardent à se mettre en place : il est donc possible que les difficultés soient davantage présentes à l'avenir.

M. Jean-Marc Pastor , rapporteur - Nous nous sommes rendus dans différents pays européens pour mieux comprendre la situation. A la suite de ces visites, mon idée sur ce sujet a largement évolué. Je suis très sensible à la notion d'un paquet énergétique européen et cette approche me semble désormais incontournable. Mais les positions des différentes structures que nous avons visitées au niveau européen, celles des représentants des gouvernements et des secteurs publics ou privés, montrent que les esprits ne sont pas prêts à avoir une approche cohérente de la gestion de l'énergie en Europe. J'adhère aux propos que vous tenez, mais je m'interroge sur les délais nécessaires à une telle réalisation, que j'estime à plusieurs décennies. Quel fonctionnement peut être mis en place d'ici là ? Comment convaincre les différentes parties intéressées ? Ma question par rapport à ce navrant constat est la suivante : avez-vous, en tant que représentants syndicaux, abordé ces sujets avec des représentants syndicaux européens ? Quelles sont leurs positions ? Nous avons rencontré des Anglais, des Polonais, des Allemands, des Italiens, et chacun possède sa vision personnelle.

Ma deuxième question est relative à la matière première qui permettra de produire l'électricité. Le monde entier lorgne sur la Russie et son gaz, dans la perspective de se mailler d'ici 2030 avec Gazprom et l'Etat russe. Lorsqu'est évoquée l'indépendance énergétique, il semble surprenant qu'un certain nombre d'Etats portent leur regard sur la Russie. Quelle est votre interprétation ? Enfin, dans les perspectives des différents Etats, en 2030 ou 2040, entre 30 et 40 % de l'électricité proviendra de centrales thermiques au charbon. Comment convertir les anciennes centrales en centrales propres, non polluantes, dans les pays comme la Pologne ? La France a choisi de rénover ses centrales, mais des sociétés anglaises ou espagnoles rachètent les sites français où était extrait du charbon. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

M. Jean-Pierre Sotura - Sur la question des échanges européens, nous sommes investis au niveau du syndicalisme européen, tant dans la Confédération européenne des syndicats (CES) que dans les fédérations sectorielles : la Fédération chimie et énergie et la Fédération européenne des services publics (FSESP). Il existe des évolutions importantes au sujet de la déréglementation, l'ensemble des syndicats européens posant un constat d'échec à son égard. La CES et la FSESP soutiennent la possibilité laissée à chaque Etat de décider d'ouvrir ou non son marché au 1er juillet 2007 : s'il est difficile de rassembler les Etats sur certains choix énergétiques, des convergences existent au sein du syndicalisme. Une de ces convergences concerne les conséquences de cette politique de déréglementation sur l'emploi, puisque 300 000 emplois ont déjà été supprimés en Europe. Nous partageons également une perception négative de l'ensemble des processus de fusion qui ont eu lieu au niveau européen et qui nient les droits des salariés. Au lieu d'utiliser l'argent dégagé par les groupes pour investir dans la production ou les réseaux, l'argent finance les rachats d'entreprises. Il existe certes des divergences au sujet des choix énergétiques, mais l'urgence perçue dans la lutte contre le changement climatique fait en revanche l'objet d'une unité d'analyses des syndicats européens. Il est donc possible d'avancer au niveau européen sur certaines options fortes en matière énergétique et de travailler à unifier les contenus.

Le gaz soulève des problématiques lourdes, auxquelles les réponses sont politiques et se situent au niveau européen. Ce constat fondait notre opposition à la fusion Suez-GDF puisque nous estimions que les questions de l'approvisionnement en gaz doivent être traitées d'un point de vue politique, entre l'Europe et les grands pays producteurs comme la Russie et l'Algérie. Le processus de déréglementation incite les pays producteurs à vendre leur gaz directement aux consommateurs.

Quant au charbon, il soulève des enjeux de maîtrise de technologie de fabrication. Si la France n'est pas appelée à utiliser fortement ce produit dans les prochaines années, il demeure cependant une ressource importante au niveau européen et mondial, avec des enjeux industriels et de recherche sur lesquels la France doit pouvoir jouer un rôle et qui semblent rendre nécessaire la coopération européenne. Le rachat de sites français par des acteurs européens démontre que le charbon conserve un avenir. Mais dans quelles conditions se mettra en place l'exploitation des sites, sera-ce bénéfique pour les salariés et les populations ? Quelle durée d'utilisation auront les sites charbonniers ? Si des possibilités d'utilisation du charbon en France sont envisageables, il faut les saisir. Les groupes français ne semblent toutefois pas intéressés par ces activités.

M. Michel Billout , rapporteur - Je souhaiterais revenir sur la question du développement du nucléaire civil. Le dernier paquet énergétique européen ouvre la voie au développement du nucléaire à l'échelon européen, en tant qu'élément de réponse aux défis environnementaux. De très fortes résistances perdurent néanmoins dans certains Etats pour contribuer à ce développement chez eux. Le « chez eux » me semble important. En Allemagne, cette question est taboue mais il est envisageable qu'E.ON développe du nucléaire en Ukraine. En Pologne, le débat sera long du fait du souvenir encore vivace de Tchernobyl, mais le développement du nucléaire en Lituanie, par la participation à un programme en partenariat, est acté. Au Royaume-Uni, la question du nucléaire n'est plus taboue et il est de toute manière envisagé de développer certaines interconnexions avec la France pour pouvoir utiliser le nucléaire français. En Italie, la question semble réglée, mais EDF Energie souhaiterait développer des interconnexions privées entre la France et l'Italie pour importer de l'énergie nucléaire à bas coût dans la péninsule et y occuper de ce fait une position concurrentielle actuellement impossible car le transporteur italien maintient subtilement le prix de l'électricité en fonction de son propre intérêt. En Espagne, les représentants des électro-intensifs ont longtemps demandé le développement des interconnexions avec la France pour bénéficier d'une énergie moins coûteuse. Il semble donc très difficile de développer le nucléaire en Europe mais, comme il existe une forme d'acceptabilité sociale réglée en France, beaucoup envisagent que, dans le cadre d'un marché européen intégré, la France devienne le pays producteur en nucléaire pour l'Europe entière et permette ainsi, par des mécanismes de solidarité, la réduction des émissions en gaz à effet de serre. La politique énergétique de la Pologne est structurellement fondée sur le charbon : dans ces conditions, l'objectif de réduction de 20 % des émissions de CO 2 d'ici 2020 semble difficile à atteindre pour ce pays. Que pensez-vous de cette idée de développer une telle solidarité en Europe et que la France devienne le poumon nucléaire de l'Europe ? Par ailleurs, à part E.ON et Suez, il ne me semble pas que beaucoup de sociétés privées soient intéressées par une reprise du nucléaire : il y a là une contradiction capitalistique puisque l'investissement dans des centrales nucléaires exige une mobilisation des capitaux sur le long terme avant de pouvoir en retirer le moindre bénéfice. Néanmoins, le secteur privé fait aujourd'hui fonctionner des centrales nucléaires en Suisse ou en Belgique, avec succès semble-t-il. Que pensez-vous de la gestion du développement de ce nucléaire privé, par la mise en place de partenariat avec le public ?

M. Jean-Pierre Sotura - Nous ne nous situons pas dans une optique où la France deviendrait le poumon nucléaire de l'Europe. Notre pays possède des atouts certains dans le nucléaire, et il doit préparer le renouvellement de son parc, notamment grâce à l'EPR, pour pallier le futur déclassement des anciennes centrales. Ce renouvellement est important pour la France et pour l'industrie électronucléaire française. Dans le monde, et notamment en Chine, il existe une attraction forte pour le développement du nucléaire, en lien avec les enjeux climatiques. L'EPR est un projet franco-allemand, mais un élargissement des pays souhaitant développer le nucléaire est souhaitable, chaque pays devant faire librement le choix du nucléaire. La France occupe un rôle de leader du nucléaire en Europe et exerce une influence dans le débat qui a lieu au niveau européen. Le paquet énergie constitue une première avancée pour le nucléaire. Pour autant, nous nous opposons clairement à l'exploitation du nucléaire par les entreprises privées. La réussite du nucléaire en France est effectivement fondée sur la maîtrise de la sûreté et sur l'efficacité de la gestion d'un parc intégré qui n'ont été possible que grâce à l'existence d'un exploitant unique et public. Cet élément essentiel du nucléaire est fondamental pour l'acceptabilité sociale du nucléaire dans le pays : pour nous, EDF doit être l'exploitant unique du parc nucléaire français.

M. Jean Barra - Je souhaite fournir un complément sur la fourniture du nucléaire français à l'ensemble de l'Europe. La panne de novembre 2006 a démontré la difficulté à assurer les transits sur le continent pour aller chercher l'électricité la moins chère puisque les réseaux ne sont pas en mesure d'y faire face. Si la France devenait fournisseur en nucléaire pour l'ensemble de l'Europe, cela poserait des problèmes supplémentaires en termes de réseaux et les difficultés seraient accrues. Les transits massifs d'énergie ne se retrouvent historiquement que dans deux exemples : d'une part, l'alimentation d'une partie de l'Europe de l'est s'effectuait par l'électricité soviétique, ce qui posait à ces pays des problèmes en termes de sécurité de l'approvisionnement ; d'autre part, un transit existe au Canada entre la Baie James, où est produite l'hydroélectricité, et la vallée industrielle du Saint-Laurent, où cette électricité est consommée, avec des lignes de un million de volts pouvant supporter cet important transit. Or, il n'existe pas en Europe de telles lignes. Il serait donc nécessaire de repenser totalement le réseau, ce qui créerait de nouvelles difficultés. L'intérêt de l'Agence européenne telle que nous la souhaitons serait de mettre en face l'ensemble des problèmes de production, de transit et de consommation : chaque pays se rendrait alors compte des difficultés existantes en Europe sur ces questions.

M. Dominique Loret , membre du conseil de surveillance de RTE - Il faut se demander à quel niveau doit se faire l'équilibre entre la production et la consommation : est-ce au niveau européen, avec les inconvénients possibles pour un pays de produire tout le nucléaire ou tout le charbon, ou est-ce au niveau régional, voire national ? Il faut profiter des opportunités énergétiques de chaque pays, avec notamment l'hydraulique dans le nord de l'Europe. Ce débat doit être ouvert. Par ailleurs, un réseau électrique chargé, avec des transits importants, est plus sensible aux aléas qu'un réseau peu chargé qui les absorbe alors mieux : plus un réseau est chargé, plus il est complexe à gérer.

Mme Nicole Bricq - Envisagez-vous un régulateur européen ?

M. Jean-Pierre Sotura - Nous souhaitons la coordination des politiques énergétiques au niveau européen : nous ne nous prononçons donc pas pour la mise en place d'un régulateur, bien qu'il soit important de définir ce qui fait l'objet d'une telle régulation. Il s'agit d'abord de définir les objectifs poursuivis. En termes de coordination, certaines options techniques sont envisageables. Un régulateur européen disposerait de pouvoirs sur l'ensemble des autres pays, ce qui ne semble pas justifié par la situation.

M. Bruno Sido , président - Je vous remercie pour ces points de vue qui nous seront fort utiles pour la rédaction de notre rapport.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page