ANNEXE 5 - LE CONTEXTE JUDICIAIRE EN ALLEMAGNE

UNE CARTE JUDICIAIRE DENSE, DES JURIDICTIONS BIEN DOTÉES EN PERSONNELS, UN STATUT DES MAGISTRATS MARQUÉ PAR LA SÉPARATION DES CARRIÈRES ET L'AUTO-GESTION

- L'organisation judiciaire allemande, un maillage du territoire étroit

La carte judiciaire allemande qui regroupe près de 1.150 tribunaux sur l'ensemble du territoire est dense. Le nombre de juridictions pour 100.000 habitants s'élève à 1,4 (contre 1,2 pour la France). Outre les juridictions constitutionnelles, on dénombre cinq ordres de juridiction différents .

Les juridictions de droit commun qui concentrent le plus grand nombre de tribunaux (près de 830) sont compétentes en matière civile et pénale. Elles regroupent des juridictions qui relèvent des Länder -les tribunaux d'instance ( Amtsgerichte ) (675), les tribunaux de grande instance ( Landgerichte ) (116) et les cours d'appel ( Oberlandesgerichte ) (24)- et la Cour fédérale de justice ( Bundesgerichtshof ), équivalent de notre Cour de cassation. Comme en France, le nombre d'instance est de trois, avec une particularité par rapport au système français : les tribunaux de grande instance sont compétents pour statuer en appel sur les jugements des tribunaux d'instance (sauf en matière familiale).

Les quatre autres catégories de juridiction sont des juridictions spécialisées : les tribunaux administratifs (67 tribunaux des Länder et une Cour fédérale), les tribunaux des finances (19 tribunaux des Länder et une Cour fédérale), les tribunaux du contentieux de la sécurité sociale (84 tribunaux des Länder et une Cour fédérale) et les tribunaux du travail (140 tribunaux des Länder et une Cour fédérale).

- Des effectifs étoffés

La Loi Fondamentale allemande confie aux juges le soin de rendre la justice (article 92). Tout le contentieux est jugé par un même corps de magistrats, y compris le contentieux administratif ou encore les litiges en droit du travail.

Les effectifs des juridictions allemandes sont supérieurs à ceux des tribunaux français à périmètre d'activités équivalent. En effet, actuellement, le nombre de juges du siège allemands exerçant des compétences équivalentes à celles de leurs homologues français s'établit à un peu plus de 17.500 153 ( * ) , auxquels s'ajoutent 5.100 membres du ministère public, soit au total près de 22.600 professionnels pour une population de 82,5 millions d'habitants, contre un peu plus de 7.500 magistrats, siège et parquet confondus, dans les tribunaux judiciaires français 154 ( * ) pour 62,2 millions d'habitants.

Les tribunaux ordinaires des Länder (tribunal d'instance, tribunal de grande instance et cour d'appel) s'appuient sur 59.000 agents non juges et 12.300 rattachés au parquet, soit un effectif global de 71.300 155 ( * ) - contre 21.700 fonctionnaires et contractuels pour les services judiciaires français. 38.200 fonctionnaires sont plus particulièrement chargés d'assister les juges allemands dans leur activité juridictionnelle (secrétariat et personnels des greffes). En outre, on dénombre environ 12.000 Rechtspfleger -catégorie particulière de fonctionnaires sans équivalent en France exerçant des attributions quasi-juridictionnelles et prenant des actes judiciaires susceptibles de recours (en matière de tutelle ou de droit des successions).

- Le statut des juges allemands : une séparation des carrières entre le siège et le parquet, des magistrats du siège indépendants, des juges peu mobiles géographiquement

- Le siège et le parquet, deux carrières parallèles qui peuvent se croiser

Les magistrats du siège et du parquet reçoivent une formation initiale commune . Puis, les carrières se distinguent soit au stade du recrutement, soit à l'issue de la période probatoire, selon les pratiques des Länder. Comme en France, le magistrat du parquet est un fonctionnaire lié par les instructions de ses supérieurs hiérarchiques. Toutefois, le parquet jouit d'une indépendance de fait liée à la quasi-absence d'instruction donnée par le pouvoir exécutif. A la différence des magistrats du siège, les membres du ministère public ne sont pas soumis à un statut particulier. Ils ne bénéficient donc pas de l'inamovibilité.

Dans la plupart des Länder, le passage du siège au parquet -et inversement- est toujours possible . En pratique , la situation diffère selon les Länder. Ainsi, en Bavière, le passage d'un corps à l'autre est obligatoire pour accéder à une fonction plus élevée dans la hiérarchie. Dans d'autres Länder comme la Basse-Saxe ou le Bade-Wurtemberg, il existe une certaine perméabilité entre les deux corps. Quand tel est le cas, il s'agit le plus souvent d'un passage du parquet au siège, à l'instar de ce qui s'observe en France. Dans les Länder du Nord de l'Allemagne (Rhénanie du nord-Westphalie), cette situation est exceptionnelle.

- L'indépendance des magistrats du siège consacrée par les textes

Les magistrats du siège n'ont pas le statut de fonctionnaire au sens strict 156 ( * ) , bien que certaines dispositions statutaires de la fonction publique leur soient applicables. Leur indépendance , consacrée par la Loi Fondamentale (article 97), leur permet d'être libres de toute instruction ou influence des autorités de l'Etat. A l'instar de leurs homologues français, les magistrats du siège allemands, nommés à vie (en pratique jusqu'à l'âge de la retraite), sont inamovibles : ils ne peuvent donc être révoqués ou mutés contre leur volonté. Ils bénéficient de garanties en cas d'atteinte à leur statut : seule une décision juridictionnelle prise en application de la loi est susceptible d'autoriser une mesure disciplinaire.

Mais, cette inamovibilité -moins large qu'en France- se limite à la nomination dans le tribunal et non à l'affectation à un poste particulier au sein de la juridiction concernée. En effet, l'affectation fonctionnelle est décidée par le collège des magistrats du tribunal ( Präsidium ), composé du président du tribunal et de juges élus par leurs pairs dont le nombre dépend de la taille de la juridiction (10 membres pour les juridictions dont l'effectif est supérieur à 80 juges). Ce conseil fixe avant le début de chaque année judiciaire la composition des différentes chambres du tribunal, la répartition des attributions entre les magistrats et désigne les juges des enquêtes. L'auto-gestion ainsi pratiquée au sein de chaque tribunal présente plusieurs avantages : les fonctions sont réparties de manière collégiale et souple, ce qui laisse la possibilité de retirer, sans stigmatisation inutile, une fonction à un juge qui resterait un magistrat capable mais ne présenterait pas les qualités requises pour telle ou telle affectation.

- Le déroulement de la carrière judiciaire

Une fois nommés à vie, les juges allemands accomplissent généralement leur carrière dans le Land qui les a recrutés et qui les rémunèrent. En théorie, la mobilité d'un Land à l'autre est possible. En pratique, elle est rendue plus difficile par l'absence d'équivalence entre les Länder pour la prise en compte de l'expérience professionnelle acquise antérieurement dans un autre Etat pour la constitution des droits à pension.

L'Allemagne n'a pas de Conseil supérieur de la magistrature. L'avancement des magistrats relève d'une gestion décentralisée : la liste des emplois judiciaires est publiée au Journal Officiel du Land. Les candidats sont évalués par le président du tribunal d'instance ou du tribunal de grande instance. Cette évaluation est transmise au président de la cour d'appel qui vérifie les évaluations et les harmonise à l'échelle du ressort puis propose un candidat à l'exécutif du Land. Sous réserve de quelques nominations, le ministère de la justice choisit le candidat après avis soit d'une commission composée exclusivement de juges ( Präsidialrat ), soit d'une commission spéciale composée de juges, de parlementaires et d'avocats.

En Allemagne, le grade est indépendant de la fonction : ainsi, une promotion à un grade plus élevé n'implique pas nécessairement l'exercice de fonctions judiciaires fondamentalement différentes.

L'avancement dans la hiérarchie judiciaire s'effectue au mérite comme le prévoit la Loi Fondamentale (article 33, alinéas 2 et 5). D'autres critères sont en outre pris en compte pour départager plusieurs candidats : le sexe du candidat (l'autorité de nomination devant veiller à ce qu'il y ait suffisamment de femmes dans la juridiction) et enfin l'ancienneté.

* 153 Cet effectif comprend les magistrats des juridictions de droit commun, des juridictions du travail et des juridictions du contentieux de la sécurité sociale. Le nombre de magistrats du siège exerçant dans les juridictions allemandes s'élève au total à près de 20.400 dont la très grande majorité -près de 20.000- au service des tribunaux des Länder.

* 154 Annuaire statistique de la justice, édition 2006, Ministère de la justice, page 15.

* 155 Systèmes judiciaires européens - Edition 2006 (données 2004)- Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ)- Conseil de l'Europe- pages 85 et 110.

* 156 Par exemple, les magistrats reçoivent une rémunération supérieure aux fonctionnaires.

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