2. Un recrutement concentré sur les jeunes diplômés en droit

L'accès aux fonctions de juge ou de substitut du procureur requiert exclusivement l'obtention des deux examens d'État. Aucune autre voie d'entrée dans ces métiers n'est ouverte.

Bien que le vivier des candidats -qui concerne potentiellement tous les titulaires des deux examens d'Etat avec ou sans expérience professionnelle- soit très large, les Länder recrutent principalement des jeunes diplômés n'ayant jamais exercé une profession juridique ou judiciaire et âgés en moyenne de 29-30 ans.

Vos rapporteurs ont observé que ce constat valait dans le Land de Bavière avec quelques nuances. En effet, 80 % des recrutements concernent des référendaires ayant réussi le second examen d'Etat.

Toutefois, Mme Ursula Schmid-Stein, chef de bureau des ressources humaines au ministère de la justice bavarois, a signalé que l'intégration dans la magistrature était également ouverte, à hauteur de 20 % des recrutements, aux avocats justifiant de deux ou trois ans d'expérience dans ce métier et n'ayant pas forcément obtenu les meilleures notes aux examens d'Etat. Cette interlocutrice a jugé très positif ce profil de candidats, faisant valoir qu'ils s'intégraient avec facilité au milieu judiciaire. Cette pratique s'observe dans d'autres Länder, notamment dans celui de la Sarre, mais l'ouverture du recrutement à de jeunes professionnels reste marginale.

Il est paradoxal de constater qu'en Allemagne, bien que les professions judiciaires ou juridiques soient accessibles par une filière unique, les passages d'une carrière à l'autre sont en pratique très rares. A la différence du système britannique caractérisé par une grande perméabilité entre les métiers d'avocat et de magistrat 135 ( * ) , on observe en effet une stricte séparation dans le déroulement des carrières de chaque profession du droit.

Comme l'a expliqué à vos rapporteurs M. Horst Heitland, magistrat de liaison allemand en France, les Länder ne recrutent pas de juristes chevronnés ayant exercé une autre profession, à la différence de la France qui a institué des voies parallèles de recrutement (intégration directe, concours complémentaires d'entrée dans la magistrature ou exercice temporaire des fonctions judiciaires) 136 ( * ) .

3. Les premières années d'exercice rigoureusement encadrées, un temps de probation conjugué à une obligation de mobilité fonctionnelle

La loi fédérale statutaire prévoit que le magistrat débutant est nommé en qualité de juge stagiaire ( Richter auf Probe ) durant une période comprise entre au minimum trois ans (paragraphe 10) et au maximum cinq ans (paragraphe 12). M. Wolfgang Schild a expliqué à vos rapporteurs que les magistrats stagiaires les plus brillants étaient rapidement titularisés « juge à vie » (après trois ans), ajoutant que l'ancienneté professionnelle acquise par exemple en qualité d'avocat pouvait même être déduite du temps minimal de la probation. Il semble que les Länder de l'Est de l'Allemagne attendent en moyenne cinq ans avant de titulariser les magistrats stagiaires. Cette probation s'impose aux futurs juges du siège comme aux futurs membres du ministère public.

Le magistrat stagiaire exerce ses fonctions comme magistrat du siège dans un tribunal d'instance ou de grande instance ou comme substitut du procureur. La première année, celui-ci ne peut exercer les fonctions de juge aux affaires familiales, réservées aux magistrats ayant au moins une année d'expérience professionnelle.

Durant la probation, il n'est pas inamovible . En effet, le paragraphe 13 de la loi fédérale statutaire précise que cette affectation peut être modifiée sans son consentement , ce qui implique la possibilité d'être affecté du siège au parquet et inversement.

Chaque Land organise la période probatoire selon ses propres règles avec une philosophie commune : sensibiliser les juges débutant à la polyvalence des fonctions . Telle est la raison pour laquelle le passage au parquet est une obligation durant cette période.

M. Wolfgang Schild a expliqué à vos rapporteurs que les juges stagiaires occupent alternativement des fonctions au siège et au parquet durant un ou deux ans. En Bavière, le système diffère un peu : les juges débutants doivent obligatoirement exercer au moins une année au parquet : ceux nommés au parquet (70 % d'une promotion) y restent pendant trois ans, ceux qui commencent au siège (30 % d'une promotion), au terme d'un délai maximum de deux ans, sont affectés au parquet. Dans le Land du Bade-Württemberg, les juges stagiaires exercent successivement un an au tribunal d'instance, un an au tribunal de grande instance et un an comme substitut au parquet.

Le juge stagiaire est régulièrement évalué par le président et le procureur du tribunal où il exerce ses fonctions, sous le contrôle du premier président de la cour d'appel (lecture des jugements...). Le ministère de la justice du Land n'intervient pas dans ce processus.

Le Land de Bavière a renforcé cet encadrement en mettant en place un tutorat confié à un magistrat plus expérimenté dont le bilan est positif d'après les représentants du ministère de la justice bavarois. En Sarre, ce tutorat est encouragé mais pas organisé.

Le juge stagiaire qui démontre de réelles insuffisances professionnelles peut être licencié à tout moment, sous réserve de l'avis du conseil consultatif des magistrats 137 ( * ) . Les deux premières années, le licenciement n'est pas motivé. Au-delà de cette durée, le Land doit démontrer l'incapacité de l'intéressé à exercer ses fonctions.

Toutefois, la non titularisation d'un juge stagiaire demeure exceptionnelle, comme l'ont expliqué M. Wolfgang Schild, secrétaire d'Etat à la justice et aux affaires sociales du Land de la Sarre, et la responsable du recrutement des juges au ministère de la justice bavarois, Mme Ursula Schmid-Stein. Lorsque tel est (rarement) le cas, l'intéressé choisit le plus souvent de quitter ses fonctions volontairement pour s'orienter vers une autre profession juridique.

Comme l'ont souligné tous les interlocuteurs allemands rencontrés par la délégation, la période probatoire présente plusieurs avantages en :

- constituant une ultime étape pour détecter de graves défaillances et, donc, une sécurité supplémentaire pour éviter des dysfonctionnements de la justice ;

- offrant une souplesse de gestion très appréciable dans un contexte de faible mobilité géographique des juges du fait d'un recrutement régionalisé et de l'absence d'obligation de mobilité. L'affectation des juges stagiaires dans une juridiction est laissée à la libre appréciation de l'autorité de nomination 138 ( * ) . Ce statut rappelle, sous l'importante réserve relative à l'absence d'inamovibilité, celui des magistrats placés en France 139 ( * ) ;

- imposant une nécessaire implication des chefs de juridiction dans l'apprentissage du métier de magistrat. L'évaluation à laquelle ils procèdent régulièrement leur impose nécessairement d'être attentifs aux pratiques professionnelles des jeunes magistrats ;

- prolongeant la formation pratique acquise durant le service préparatoire par l'apprentissage de différentes fonctions au siège comme au parquet.

* 135 Voir infra encadré sur le système britannique de recrutement et de formation des magistrats.

* 136 Voir le I-A de la première partie du présent rapport.

* 137 Paragraphe 22 de la loi fédérale statutaire.

* 138 En revanche, l'affectation fonctionnelle du magistrat est décidée par le praesidium, collège des représentants des magistrats du tribunal (voir en annexe, fiche sur le contexte judiciaire en Allemagne).

* 139 Rattachés à la cour d'appel et ayant vocation à être affectés dans le ressort, selon les besoins, par ordonnance du premier président ou du procureur général -selon qu'il s'agit d'un juge du siège ou du parquet- de la cour d'appel.

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