B. PROLONGER L'APPRENTISSAGE DU MÉTIER DE MAGISTRAT PAR UN MEILLEUR ENCADREMENT DES PREMIÈRES ANNÉES D'EXERCICE PROFESSIONNEL

L'apprentissage du métier de magistrat ne saurait s'arrêter avec la scolarité à l'ENM. Telle est la raison pour laquelle la mission d'information a souhaité étendre son champ d'analyse aux premières années d'exercice professionnel qui en constituent l'utile prolongement et méritent à cet égard toute l'attention du législateur.

1. Un statut de la magistrature inadapté du fait de l'absence de prise en compte des conditions d'exercice particulières lors des premières années de fonction

Certains pays encadrent strictement les premières années d'exercice professionnel des magistrats .

En Allemagne , les juges qui commencent leur vie professionnelle, dénommés juges stagiaires, sont soumis à un régime particulier qui leur impose un temps de probation -qui peut durer entre trois et cinq années 87 ( * ) .

De même au Canada existe-t-il un tutorat institutionnalisé qui permet un suivi de l'activité des magistrats débutants. Comme l'a expliqué à la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau M. Michel Jeannoutot, président de la Conférence des premiers présidents de cours d'appel : « les canadiens ont un système très intéressant d'accompagnement du magistrat débutant : celui-ci, qui est toujours un ancien avocat de trente-cinq ans environ, se choisit un tuteur qui suit ses premiers pas, assiste à ses audiences, examine ses décisions et évalue avec lui la qualité de ses prestations, au regard non seulement des normes de droit, mais encore de la compréhension du justiciable. Ce tutorat peut être de nature à prévenir aussi les situations à risque » 88 ( * ) .

Tel n'est pas le cas en France où aucune disposition particulière ne réglemente le début de carrière des magistrats débutants .

Les modalités d'affectation à un premier poste sont détaillées dans l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 89 ( * ) . Elles diffèrent peu, dans leur principe, du régime applicable aux magistrats du second grade 90 ( * ) .

Les auditeurs de justice choisissent leur premier poste sur une liste établie par la direction des services judiciaires , en fonction de leur rang de classement 91 ( * ) . Ces choix sont ensuite soumis pour avis à la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, dont l'avis doit être suivi pour un poste du siège, pas pour un poste du parquet. Les auditeurs sont enfin nommés par décret du président de la République sur les propositions du garde des sceaux.

Une fois nommés, ceux-ci sont soumis aux mêmes règles que celles applicables aux autres magistrats.

Or, l'absence de prise en compte de la situation, particulière, dans laquelle se trouvent les magistrats débutants apparaît comme une faiblesse du mode de fonctionnement de l'institution judiciaire, ainsi qu'a pu le souligner le procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Louis Nadal.

- Des magistrats débutants qui exercent leurs fonctions « sans filet »

Les magistrats français, pourtant inexpérimentés, exercent leur métier sans l'assistance d'un tuteur. Aussi apprennent-ils ce métier « sur le tas ». Ils ne font l'objet que d'une évaluation pratiquée tous les deux ans par le président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle ils exercent leur fonction dont la mise en oeuvre est discutée 92 ( * ) . L'institution judiciaire n'est donc pas véritablement en mesure de prévenir d'éventuelles défaillances, préjudiciables à son bon fonctionnement.

Le besoin d'encadrement des premières années d'exercice est ressenti tant par les magistrats les plus jeunes que par les plus expérimentés .

MM. Nicolas Guillou et Samuel Gillis, magistrats issus de la promotion d'auditeurs de justice 2001, ont souligné que l'arrivée dans un premier poste en juridiction pouvait être vécue comme une « cassure », en raison d'une insuffisante articulation entre la fin de la scolarité à l'ENM et l'entrée dans la vie professionnelle. Ce problème est particulièrement aigu dans les plus petites juridictions.

Après avoir constaté que certains jeunes magistrats, convaincus d'incarner la « partie noble de la justice », raisonnaient de manière très cloisonnée comme si cette fonction régalienne était un service de l'Etat « à part », le procureur général de la cour d'appel de Reims ayant exercé des responsabilités à l'ENM, M. Christian Enquebecq, a jugé indispensable un accompagnement des jeunes magistrats .

Dans la pratique toutefois, des réseaux informels permettant des échanges entre les débutants et les professionnels expérimentés se créent. M. Nicolas Guillou a par exemple expliqué à vos rapporteurs qu'il lui était arrivé de contacter ses anciens maîtres de conférences de l'ENM lorsque, du fait de son inexpérience dans son poste de juge d'instruction, il avait été confronté à des problèmes techniques.

M. Paul-André Breton, président du tribunal de grande instance d'Angers, vice-président de la conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance, a signalé à vos rapporteurs que certaines juridictions avaient mis en place une procédure d'accueil des jeunes magistrats auxquels il était remis un livret d'accueil contenant un organigramme du tribunal et du barreau et présentant les spécificités du ressort de la juridiction. Il a cependant signalé que cette présentation se limitait au contexte général de la juridiction et non au contenu des fonctions dans lesquelles ils avaient été nommés. Cette démarche, bien que modeste, démontre une prise de conscience des présidents de tribunaux de grande instance de la nécessité de ne pas laisser les moins expérimentés trop isolés.

En outre, comme l'a expliqué M. Samuel Gillis, une certaine forme de tutorat s'exerce au parquet . L'organisation hiérarchique du ministère public et le travail en équipe permettent en effet aux substituts du procureur de la République sortis de l'école d'être au contact de collègues plus expérimentés et d'avoir avec eux des échanges permanents.

- Des magistrats débutants qui exercent bien souvent des fonctions particulièrement exposées

Un autre facteur lié à l'absence d'implication du ministère de la justice dans la gestion des ressources humaines, en particulier s'agissant des premières affectations, rend particulièrement délicate la prise de fonction dès la sortie de l'ENM .

En effet, la liste des postes proposés aux auditeurs à la sortie de l'ENM résulte principalement du reliquat des postes non pourvus. Ainsi, la désaffectation des magistrats plus anciens vis à vis des postes impliquant de trop lourdes contraintes détermine largement la palette des fonctions exercées en premier poste . Il en résulte un paradoxe choquant selon lequel les fonctions les plus délicates incombent trop souvent aux magistrats les moins expérimentés . Lors du déplacement de la mission d'information à l'ENM, son directeur, M. Michel Dobkine, a regretté cette situation.

Au surplus, il convient de relever que, à la différence du système allemand 93 ( * ) , le principe constitutionnel de l'inamovibilité des magistrats du siège consacré par l'article 66 de la Constitution ne permet pas d'affecter un magistrat à une fonction particulière sans son consentement.

Ce système a pour conséquence que certaines cours d'appel (comme celle de Reims) s'appuient exclusivement sur des magistrats sortis de l'ENM. Une difficulté supplémentaire complique cette situation dans la mesure où, bien souvent, ces magistrats demandent leur mutation au terme d'un délai très bref (un an). Ainsi, en trois ans, le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a vu se succéder trois équipes différentes de juges des enfants nommés à la sortie de l'ENM. M. Paul-André Breton, vice-président de la conférence des présidents de tribunaux de grande instance, ancien président du tribunal de grande instance de Reims, a regretté cet état de fait, après avoir observé que les caractéristiques d'un ressort ainsi que la bonne connaissance des partenaires de la justice exigeaient de rester un certain temps dans une juridiction (au moins un an).

Un nombre non négligeable de postes offerts par le ministère de la justice dès la sortie de l'école -35 % pour les promotions 2004 et 2005- sont des postes solitaires, particulièrement sensibles et de grande responsabilité à l'égard des justiciables (juge d'application des peines, juge des enfants, juge d'instruction, juge d'instance). Il fut intéressant d'apprendre, lors du déplacement de la mission d'information en Allemagne, qu' a contrario les fonctions de juge aux affaires familiales sont interdites aux magistrats ayant moins d'un an d'ancienneté 94 ( * ) .

Répartition des postes proposés aux auditeurs de justice à la sortie de l'ENM -promotions 2004 et 2005 entrées en fonctions en décembre 2006 et 2007-

Promotion 2004

Promotion 2005

Fonction

Nombre

Pourcentage

Nombre

Pourcentage

Juge chargé du service du tribunal d'instance

21

8 %

28

10 %

Juge d'instruction

13

5 %

25

9 %

Juge des enfants

24

9 %

28

10 %

Juge de l'application des peines

35

13 %

17

6 %

Juge placé auprès du premier président

29

10 %

39

14 %

Substitut placé auprès du procureur général

32

12 %

24

8 %

Juge

32

11 %

35

13 %

Substitut

89

32 %

79

29 %

Total

275

100 %

275

100 %

Les fonctions exercées à juge unique figurent en gras.

Source : ENM

Le témoignage de M. Nicolas Guillou fut à cet égard particulièrement éclairant. Ce magistrat, issu de la promotion d'auditeurs de justice 2001 entrée en fonctions en décembre 2003, a expliqué avoir débuté sa carrière à l'instruction au tribunal de grande instance de Meaux et être devenu « doyen » des juges d'instruction après -seulement- deux années d'exercice , les deux postes de vice-président n'étant pas pourvus, faute de candidat. Plusieurs magistrats entendus par la mission d'information ont confirmé que cette hypothèse était loin d'être rare.

Enfin, contrairement à ce qui prévaut en Italie ou en Allemagne 95 ( * ) , la structure actuelle des emplois du corps judiciaire -auxquels correspond un grade précis- contribue à accentuer ce déséquilibre 96 ( * ) . Ainsi, de nombreux postes en collégialité, nécessairement moins exposés, tels ceux de conseiller de cours d'appel ou de la Cour de cassation sont réservés aux plus gradés (premier grade et hors hiérarchie), tandis que la plupart des fonctions à juge unique (juge d'instruction, juge des enfants par exemple) correspondent à un poste du second grade.

2. Des initiatives récentes en faveur d'un meilleur encadrement des premières années d'exercice professionnel

- La collégialité de l'instruction, une avancée législative significative dans son principe, modeste dans son champ d'application

Afin de faciliter les conditions d'exercice des juges d'instruction, la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau, a préconisé la mise en place d'une instruction collégiale : « on comprendra aisément que la collégialité de l'instruction permette de concilier ces exigences [d'indépendance] et satisfasse en particulier au nécessaire concours de compétences et d'expériences diverses, sans mettre en cause les principes d'indépendance de la justice et l'exercice de l'autorité hiérarchique » 97 ( * ) .

Dans la continuité de ces travaux, le législateur a prévu la création de pôles de l'instruction, dont l'entrée en vigueur a été fixée au 1 er janvier 2010 98 ( * ) . Seules les juridictions dotées d'un tel pôle pourront instruire les affaires criminelles ainsi que les affaires pour lesquelles plusieurs juges d'instruction seront désignés. L'instruction de ces dossiers deviendra donc collective, chaque information devant être ouverte par le président auprès d'une formation collégiale composée de trois juges d'instruction, dont un du premier grade exerçant les fonctions de juge coordonnateur. Cette collégialité s'imposera pour les actes les plus importants (mise en examen, octroi du statut de témoin assisté, placement sous contrôle judiciaire, saisine du juge des libertés et de la détention, mise en liberté d'office, avis de fin d'information, ordonnances de règlement et de non-lieu).

Le directeur des services judiciaires entendu par vos rapporteurs, M. Léonard Bernard de la Gatinais, s'est félicité de cette innovation, la présence de magistrats du premier grade lui semblant de nature à prévenir plus efficacement certains écueils.

Une telle évolution ne peut être qu'approuvée. Toutefois, elle n'apporte qu'une réponse limitée à l'instruction au problème plus global de l'accompagnement des magistrats débutants.

- Une dynamique nouvelle au sein du ministère de la justice, le souhait d'une gestion plus active de la carrière des magistrats

Un progrès en faveur d'une gestion plus responsable des ressources humaines par le ministère de la justice est perceptible. En effet, depuis l'année dernière, il a été décidé d'exclure de la liste des postes proposés à la sortie de l'ENM ceux de juge d'instruction dans des juridictions ne comportant qu'un seul magistrat instructeur.

La récente annonce, de plus large portée, de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice de créer, dès le 1 er août prochain, un service chargé de gérer les carrières des magistrats mérite également d'être soulignée.

Ainsi semble se confirmer la démarche selon laquelle ce ministère aurait, enfin, pris la mesure de l'importance de son rôle dans la gestion des ressources humaines .

Ce nouveau service devrait assurer le suivi individuel des carrières des magistrats dès leur sortie de l'ENM, avec l'objectif de déceler les talents ou les lacunes . La ministre a précisé que cette politique pourrait conduire à orienter certains magistrats vers des fonctions précises.

La mission ne peut que se réjouir d'une telle avancée.

3. La nécessaire définition d'un statut des magistrats débutants plus adapté

Comme le mettait déjà en évidence en 1994 M. Jean-Jacques Hyest, à l'époque député chargé par le Premier ministre d'établir un rapport sur la formation professionnelle des magistrats et des avocats, « un magistrat sortant de l'ENM va immédiatement, dans la majorité des cas, assumer les responsabilités de juge d'instruction, de juge des enfants, de juge d'application des peines... Après dix ans d'expérience, il continuera d'exercer des fonctions de même type avec des responsabilités quasiment identiques. »

Depuis lors, cette situation -en dépit de critiques récurrentes- n'a guère évolué.

Tous les magistrats entendus par la mission d'information ont souligné l'importance du premier poste en juridiction dans la carrière d'un magistrat . Les premières années d'exercice des fonctions marquent un professionnel et revêtent ainsi un caractère stratégique fondamental .

Il apparaît dès lors contre-productif de confier à des débutants des postes peu attractifs en raison d'un contexte difficile (nature du poste, localisation ou caractéristiques du ressort) et susceptibles à terme d'engendrer un certain découragement. Il importe donc de nommer les jeunes magistrats à des postes adaptés à leurs capacités.

Toutes les fonctions juridictionnelles, en particulier celles à juge unique, particulièrement délicates à assumer et qui nécessitent un minimum de recul et d'expérience compte tenu des intérêts fondamentaux en jeu (liberté individuelle, vie de famille) ne paraissent pas répondre à cet impératif.

Les jeunes magistrats, pour être pleinement opérationnels, doivent exercer de véritables responsabilités mais, dans le même temps consolider la formation reçue à l'ENM, l'apprentissage du métier de magistrat étant loin de s'achever à la date d'installation dans un premier poste.

Trois solutions se sont dégagées au cours des auditions tendant à mieux prendre en compte la situation particulière des magistrats débutants au sein de l'institution judiciaire.

La mise en place d'un tutorat institutionnalisé -un jeune magistrat exerçant sous le contrôle d'un tuteur- a été évoquée à plusieurs reprises. Toutefois, cette solution, au demeurant séduisante, se révèle difficile à mettre en oeuvre en pratique compte tenu de la charge de travail des magistrats et des contraintes budgétaires du ministère de la justice dont le budget actuel s'élève à 2,3 % du budget de l'Etat. La commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau avait d'ailleurs renoncé à ce dispositif, faisant valoir sa difficile conciliation avec le principe d'indépendance de la justice et les difficultés de positionnement du tuteur 99 ( * ) .

L'exercice de responsabilités limitées aux formations de jugement collégiales a également été mis en avant comme un objectif idéal à atteindre par de nombreux interlocuteurs de la mission d'information. Les magistrats sont en effet traditionnellement attachés à ce mode de jugement qui garantit le débat et l'équité et permet aux moins expérimentés de bénéficier de la qualité de raisonnement et de l'analyse de magistrats plus chevronnés.

En outre, sur le fond, comme l'a relevé M. Christian Enquebecq, procureur général près la cour d'appel de Reims, le travail de réformation et de confirmation qui s'effectue dans les juridictions d'appel constitue une forme d'apprentissage du métier très formatrice.

Là encore, cette piste de réforme, qui suppose de redévelopper plus largement le mode de jugement collégial, a semblé difficile à concrétiser, les moyens alloués aux juridictions, déjà limités, étant soumis à la rigueur budgétaire qui s'impose à l'ensemble des administrations.

De plus, la structure actuelle des emplois de magistrat ne permettrait pas d'orienter tous les auditeurs de justice d'une promotion (247 auditeurs de justice issus de la promotion 2007) vers des fonctions dédiées à la collégialité. A cet égard, M. Christian Charruault a suggéré une intéressante évolution qui consisterait à créer des postes de conseillers référendaires dans les cours d'appel accessibles aux magistrats du second grade, à l'instar de ce qui existe à la Cour de cassation.

Cette évolution paraît souhaitable, mais sa portée limitée. En effet, si la collégialité est indispensable pour traiter les affaires complexes, le recours au juge unique pour les affaires simples paraît irréversible, eu égard à la nécessité de rendre la justice dans un délai raisonnable au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen.

Les avantages d'une affectation au parquet en début de carrière ont enfin été unanimement soulignés .

M. Christian Raysséguier, inspecteur général des services judiciaires, a considéré que l'exercice des fonctions au sein du ministère public lui semblait particulièrement approprié aux premières années de fonction, compte tenu de la polyvalence des tâches à assumer (direction des enquêtes, contrôle de la police judiciaire, défense de l'ordre public en matière civile, participation à la mise en oeuvre des politiques publiques) et du caractère collectif du travail . Le parquet lui a semblé la meilleure école d'application et le plus utile moyen de remédier à la solitude des magistrats et de connaître l'institution et le milieu judiciaires . Le directeur des services judiciaires, M. Léonard Bernard de la Gatinais, a exprimé un point de vue analogue.

M. Samuel Gillis, magistrat issu de la promotion d'auditeurs de justice 2001, affecté en premier poste au parquet du tribunal de grande instance de Bobigny en qualité de substitut, a témoigné à quel point son expérience au parquet lui avait été précieuse pour découvrir son métier. Il a fait valoir que cette fonction était une « véritable école d'humilité », après avoir expliqué que le substitut requiert mais ne décide pas in fine , ce qui lui permettait de relativiser sa position .

Afin que les magistrats débutants puissent remplir leur mission dans de meilleures conditions, la mission d'information a jugé indispensable de revoir les conditions de leur affectation et leur statut au cours des premières années d'exercice . Les auditions et les déplacements ont démontré la nécessité de prévoir une période intermédiaire entre la fin de la scolarité à l'ENM et l'exercice de responsabilités juridictionnelles lourdes et délicates pour permettre un exercice graduel des responsabilités .

Cette démarche ne doit pas être interprétée comme une volonté de cantonner les magistrats débutants à un rôle passif. Bien au contraire, elle tend à faciliter leur immersion dans le milieu professionnel et à compléter la gamme des outils dont ils disposent en leur confiant les responsabilités les plus adaptées à leur profil .

Une telle réforme n'apparaît pas complètement inédite puisque le Conseil supérieur de la magistrature, dans son rapport d'activité 2002-2003 100 ( * ) , en avait esquissé les contours selon des modalités un peu différentes de que ce que vous proposera la mission d'information : « certains suggèrent d'aménager les deux premières années d'exercice professionnel du magistrat afin que celui n'exerce que des fonctions dans un cadre collégial ou hiérarchisé, sauf décision contraire, de sorte que les auditeurs ayant fait preuve de qualités particulières pourraient dès leur premier poste, occuper des fonctions de juge unique ». Cette instance avait toutefois écarté cette hypothèse compte tenu de sa « complication pratique » « en raison du nombre important de fonctions qui sont confiées à un juge unique ».

La mission vous propose un dispositif qui combine les trois propositions précédemment formulées, dans le souci de définir un statut des magistrats débutants plus adapté à leur situation et mieux à même de répondre aux besoins des juridictions.

Elle recommande donc :

- l'instauration d'une période de probation , soumise à une évaluation régulière menée conjointement par les chefs de juridiction et des représentants de l'Ecole nationale de la magistrature pendant au moins deux ans, voire trois ans en cas de difficulté, à l'issue de la formation ; le magistrat débutant, dénommé magistrat référendaire , serait juge de plein exercice et ferait l'objet d'un suivi régulier. Des rendez-vous périodiques - à l'issue du premier mois, du troisième mois, du sixième mois de la première année, puis tous les six mois la deuxième année et, le cas échéant, la troisième année- devraient avoir lieu avec le président de la juridiction ou son délégué (recommandation n° 19).

Une passerelle vers d'autres fonctions publiques pourrait être ouverte en cas d'échec constaté au cours de cette période probatoire. Vos rapporteurs souhaitent insister sur le rôle fondamental des chefs de cours d'appel et tribunaux dans ce dispositif. En effet, il incombera aux plus hauts magistrats de veiller à la bonne transmission des pratiques professionnelles et de s'assurer que les débutants feront face à leurs nouvelles responsabilités avec des interlocuteurs disponibles pour les aider ;

- la définition de modalités d'affectation propres aux « magistrats référendaires » pour permettre l'apprentissage de la polyvalence des fonctions et élargir leur expérience ; lors de l'examen de sortie de l'ENM, les magistrats référendaires choisiraient leur juridiction d'affectation et non plus un poste précis, à charge pour les chefs de la cour d'appel (premier président, procureur général) du ressort de les nommer prioritairement dans des fonctions du parquet ou, subsidiairement, dans des formations collégiales du siège . Ce dispositif permettrait d'offrir aux chefs de juridiction la souplesse de gestion nécessaire , à l'instar de ce qui existe pour les magistrats placés (recommandation n° 20).

A cet égard, la création de postes de conseillers référendaires au sein des cours d'appel, accessibles à ces magistrats, serait souhaitable. De même, il paraît nécessaire de revaloriser les fonctions en juge unique en les faisant, bien plus qu'aujourd'hui, correspondre à des postes élevés dans la hiérarchie. A tout le moins, si ces modalités d'affectation n'étaient pas retenues, il serait souhaitable que le ministère de la justice porte une attention particulière à la liste des postes proposées aux auditeurs de justice pour la limiter aux fonctions collégiales et au parquet.

* 87 Voir I-B-3 de la deuxième partie du présent rapport.

* 88 Rapport de la commission d'enquête parlementaire chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau précité.

* 89 Article 26.

* 90 Les magistrats sont soumis à la procédure de transparence qui exige la diffusion au CSM et à l'ensemble des magistrats des projets de nomination à une fonction du premier grade ou du second grade, accompagnés de la liste des candidats proposés à cette fonction avec la possibilité pour les candidats de formuler une observation sur le projet de nomination. Cette procédure ne s'applique pas aux auditeurs de justice (art. 27-1 de l'ordonnance statutaire).

* 91 Voir sur les conditions de sortie de l'ENM, II-A-1 de la présente partie.

* 92 Article 12-1 de l'ordonnance statutaire. Cf rapport d'activité du CSM de 2004 : « ses avantages évidents (proximité, connaissance directe des magistrats évalués, de leur activité et son contexte, pertinence du dialogue entre l'évaluateur et l'évalué) comportent quelques inconvénients symétriques (poids de la relation hiérarchique, éventuelles situations conflictuelles entre l'évalué et l'évaluateur ou, à l'inverse, difficulté ou gêne pour celui-ci de dire ou écrire tout ce qu'il pense de celui-là) ». En outre, l'inspecteur général des services judiciaires entendu par la mission, M. Christian Raysséguier a indiqué que cette procédure, pourtant obligatoire, n'était parfois pas appliquée.

* 93 Cf fiche sur le contexte judiciaire en Allemagne annexée au présent rapport. Dans ce pays, l'inamovibilité se limite à la nomination dans un tribunal et non à l'affectation à un poste particulier au sein de la juridiction concernée. L'affection fonctionnelle est décidée par un collège des magistrats du tribunal.

* 94 Voir I-B-3 de la deuxième partie du présent rapport.

* 95 Dans ces deux pays, le grade et la fonction sont distincts, voir IIème partie du présent rapport.

* 96 Cf articles 2 à 5 du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.

* 97 Rapport précité - pages 358 et 359.

* 98 Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 renforçant l'équilibre de la procédure pénale. Voir rapport n° 177 de M. François Zocchetto (Sénat, session 2006-2007) sur ce texte.

* 99 Rapport de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau précité, pages 358 et 359 : « on ne peut occulter [...] le fait que le tutorat dans les petites juridictions est susceptible de soulever des difficultés d'application justifiant le regroupement des plus petites d'entre elles. Par ailleurs, le tutorat doit pouvoir se conjuguer avec l'indépendance de la justice, indissociable de l'exercice des fonctions judiciaires, ce qui là non plus n'est pas sans poser problème ».

* 100 Page 106.

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