III. LA MOBILISATION DES RESSOURCES HUMAINES AU SERVICE DE LA CROISSANCE

L'Inde fonde son développement économique sur une mobilisation efficace de ses ressources humaines, alliée à une meilleure insertion dans l'économie internationale. Pour que sa croissance se poursuive, elle doit veiller à desserrer certains goulets d'étranglement, notamment la pénurie de travailleurs qualifiés et la faiblesse de ses infrastructures.

A. DYNAMISME ET PESANTEURS DE L'ÉCONOMIE INDIENNE

Un trait original de l'économie indienne, comparée à celle d'autres pays en développement, est l'importance du secteur des services, largement tourné vers l'exportation. Si le secteur manufacturier se développe, grâce au faible coût de la main d'oeuvre, le monde agricole connaît une certaine stagnation qui pèse sur la performance économique globale du pays.

1. L'importance des services high-tech

L'Inde se caractérise par le fort développement des services à forte valeur ajoutée . On en distingue deux catégories principales : les services informatiques ( IT services ) et les services aux entreprises ( BPO ou business process outsourcing ).

Le secteur IT/BPO, qui produit un chiffre d'affaires évalué à 22 milliards de dollars en 2004-2005, dont une part prépondérante est réalisée à l'export (17 milliards), emploie directement environ 650 000 salariés 9 ( * ) . Les géants du secteur sont les groupes Infosys, Wipro ou Tata Consultancy Services (TCS), filiale du puissant groupe familial Tata.

Très concentrées sur le secteur IT/BPO, les exportations de services de l'Inde ont progressé à un rythme moyen de 17 % par an au cours des années 1990 (contre une moyenne mondiale de 5,6 %). Elles représentaient 5 % du PIB indien en 2005 contre 2 % seulement en 1995.

Le succès indien dans ce secteur s'explique par la présence d'une importante main-d'oeuvre bien formée dans les domaines scientifique et technique. Chaque année, l'Inde forme 300 000 ingénieurs et 150 000 informaticiens, généralement anglophones 10 ( * ) . Les Instituts indiens de technologie (IIT) qui les forment jouissent d'une réelle renommée internationale.

Le niveau de rémunération de ces professionnels est de plus très inférieur à celui pratiqué en Europe ou aux Etats-Unis : en 2005, un jeune diplômé embauché par une société de BPO touchait de 150 à 250 euros mensuels ; un ingénieur débutant dans le software percevait une rémunération deux fois plus élevée et un chef de projet environ 900 euros par mois 11 ( * ) .

L'Inde s'illustre également par la qualité de ses professionnels de santé, qui alimente un véritable « tourisme médical ». Des clients, notamment nord-américains, viennent se faire soigner en Inde pour un prix très inférieur à celui dont ils devraient s'acquitter dans leur pays.

2. L'essor récent du secteur manufacturier

Alors que la Chine a fondé en grande partie son développement sur l'exportation de produits manufacturés à bas coût, la croissance du secteur industriel indien est restée, jusqu'à une date récente, beaucoup plus modérée.

Ainsi, la part du secteur secondaire dans le PIB de l'Inde est de seulement 26,4 %, sur l'année fiscale 2006-2007, contre 55,1 % pour le secteur des services. En Chine, à titre de comparaison, le secteur secondaire représente 50 % du PIB et les services un peu plus du tiers.

L'Inde dispose pourtant d'une main d'oeuvre non qualifiée très abondante et dont le niveau de rémunération est inférieur à celui observé en Chine ou en Asie du Sud-Est. Mais la croissance de l'industrie a longtemps été entravée par un environnement réglementaire très contraignant : les investissements des entreprises privées faisaient l'objet de contrôles administratifs, avant le tournant des réformes du début des années 1990, et de nombreuses productions étaient réservées aux très petites entreprises. Le poids du secteur public, qui produisait 30 % de la valeur ajoutée à la fin des années 1980, a pu également entraver le développement des entreprises privées en rendant plus difficile l'accès au capital.

Depuis 2000, cependant, la croissance du secteur industriel s'est accélérée, comme en témoigne le tableau ci-dessous, entraînant un rythme plus élevé de créations d'emplois : alors que la croissance annuelle moyenne de l'emploi est d'un peu plus de 2 % sur la période 1993-2005, elle est nettement plus forte en fin de période : 3,8 % en moyenne entre 2000 et 2005. Le secteur manufacturier est en effet plus riche en emplois que les services à haute valeur ajoutée dans lesquels l'Inde s'est spécialisée jusqu'ici.

Taux de croissance annuel de la production industrielle
( base 100 : 1993-1994 )

Années

1995
1996

1996
1997

1997
1998

1998
1999

1999
2000

2000
2001

2001
2002

2002
2003

2003
2004

2004
2005

2005
2006

2006
2007 *

%

13,0

6,1

6,7

4,1

6,7

5,0

2,7

5,7

7,0

8,4

8,2

10,6

* Avril-Novembre

Source : Central statistical organisation of India

Les créations d'emplois sont principalement dues à la petite industrie, qui connaît un taux de croissance de l'emploi compris entre 4 % et 5 % par an. Elles sont indispensables pour permettre à l'Inde d'absorber, dans de bonnes conditions, les dix millions d'actifs supplémentaires qui arrivent chaque année sur le marché du travail, du fait de la croissance démographique. La jeunesse de la population indienne (la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans) constitue un défi considérable en matière d'insertion professionnelle.

Les délocalisations d'activités industrielles sont demeurées jusqu'ici peu nombreuses, l'Inde parvenant plutôt à attirer des activités de services. Les investisseurs français que la délégation a rencontrés en Inde ont souligné que leurs projets visaient à renforcer leurs positions sur le marché local, et non à produire localement pour exporter ensuite leurs marchandises vers les pays développés. Ils ont par ailleurs attiré l'attention des membres de la délégation sur les difficultés qu'ils rencontrent pour obtenir des autorités locales les visas qui leur sont nécessaires pour faire venir en Inde des salariés français. La délégation souhaite que le ministère des affaires étrangères use de son influence auprès du Gouvernement indien pour que ces expatriations soient facilitées.

Les membres de la délégation ont cependant pu observer qu'un mouvement de délocalisation s'amorce, par exemple dans le secteur textile : textile haut de gamme avec l'entreprise Tissage Lesage, spécialisée dans les broderies et les tissus de luxe ; production de série dans les ateliers localisés dans la Mahindra World City , près de Madras, qui bénéficient de contrats de sous-traitance conclus avec les marques Liberto, Quicksilver et Décathlon.

3. La stagnation du monde rural

Le manque de productivité du secteur agricole est l'un des points faibles de l'économie indienne. Alors qu'il emploie la moitié des actifs, le secteur primaire ne produit plus que le quart du PIB indien.

Le secteur agricole concentre le plus fort sous-emploi et les plus faibles rémunérations : un travailleur occasionnel rural perçoit un salaire journalier de 45 roupies (0,8 euro) contre 98 roupies (1,7 euro) dans les activités non agricoles, soit un rapport du simple au double.

La croissance de la production agricole, de l'ordre de 2 % par an en moyenne, avec de fortes variations annuelles en fonction des conditions climatiques, est nettement inférieure à la croissance globale de l'économie, ce qui conduit à une stagnation de l'emploi agricole (autour de 191 millions d'actifs). La faible superficie des parcelles agricoles (1,2 hectare en moyenne) est un frein à la modernisation des techniques de production.

Un enjeu majeur pour l'avenir de la croissance indienne est donc la capacité du pays à orienter ses travailleurs agricoles vers les emplois plus productifs de l'industrie et des services.

* 9 Cf. Michel Testard, L'appel de l'Inde, éd. Pearson Education, 2006, p. 15.

* 10 A titre de comparaison, la France compte, selon l'INSEE, environ 450 000 informaticiens.

* 11 Cf. Jean-Joseph Boillot, L'économie de l'Inde, éd. La Découverte, 2006, p.57.

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