D. LA FIN DE L'INÉGALITÉ CHOQUANTE DES AVOCATS DEVANT LES CHARGES DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

1. Une profession « à deux vitesses » au regard de la contribution au fonctionnement de l'aide juridictionnelle

Un rapide retour en arrière est nécessaire pour remettre en perspective la philosophie du système de l'AJ et ses dysfonctionnements actuels.

L'AJ est, en effet, l'héritière d'une pratique relevant tout à la fois de la charité et du devoir de solidarité envers les plus démunis . Tel était, notamment, l'inspiration du législateur en 1851 instaurant une protection juridique afin de garantir un équitable accès aux tribunaux et à la justice. Ce souci était partagé par l'avocat, conscient de son rôle en la matière.

Le vocabulaire juridique a d'ailleurs forgé une expression rendant compte de cet esprit doublé d'une pratique : le « pro bono » . Ce terme, signifiant littéralement « pour le bien public », traduit la démarche de l'avocat consacrant volontairement une partie de son temps, gratuitement ou pour des honoraires modiques, à faire reconnaître ou protéger les droits de personnes défavorisées, à fournir des services juridiques afin d'aider des organisations représentant les intérêts de membres démunis de la collectivité ou à améliorer les lois ou le système de justice.

Cette oeuvre collective de défense des plus démunis a toutefois eu tendance à se déliter au fil du temps pour en laisser finalement peser la charge à un nombre limité d'avocats.

Ainsi que le soulignait votre rapporteur spécial ( cf. supra , partie II-B-1), tous les avocats ne contribuent pas aujourd'hui au fonctionnement de l'AJ . Sur les 47.798 répartis sur le territoire, seuls 22.466 avocats ont exercé au moins une mission d'AJ en 2005, soit un peu moins de un sur deux (47 %). Une concentration probablement excessive est même en cours, dès lors que 9,4 % des avocats (soit 4.492 avocats) assurent 64 % des missions d'AJ.

Cette rupture de l'égalité des charges au regard de ce service public qu'est en réalité l'AJ pèse sur l'ensemble de la profession d'avocat . Elle explique certains des dysfonctionnements actuels et des récriminations formulées par la profession. Ainsi en va-t-il, par exemple, du cas des avocats refusant, ponctuellement ou systématiquement les missions à l'AJ 78 ( * ) , dans la mesure où un tel investissement remettrait en cause la rentabilité et, parfois même, la survie de leur cabinet. Parallèlement et assez paradoxalement, du côté des pouvoirs publics, un soupçon peut également s'insinuer quant à la nature de la contribution de l'AJ à la rentabilité financière de certains cabinets. Il n'est, en effet, pas rare d'entendre que certains d'entre eux « ne vivent que de l'AJ » 79 ( * ) .

Au total, votre rapporteur spécial regrette cette trop grande disparité au sein de la profession d'avocat dans le cadre de la mise en oeuvre de l'AJ et estime nécessaire une plus juste répartition de la charge .

* 78 Un avocat commis d'office ne peut refuser sa commission, sauf motif légitime apprécié par le bâtonnier.

* 79 Même si les représentants de la profession d'avocat contestent que certains d'entre eux puissent vivre exclusivement de l'AJ, votre rapporteur spécial a pu constater, au cours de sa mission, que cette critique était pourtant assez fréquemment menée.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page