F. L'AMÉLIORATION IMPÉRATIVE DU RECOUVREMENT DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE
1. Un recouvrement défaillant de l'aide juridictionnelle
L'article 43 de la loi précitée du 10 juillet 1991 prévoit que les frais avancés au titre de l'AJ sont recouvrables contre l'adversaire du bénéficiaire de l'AJ condamné aux dépens et qui ne bénéficie pas lui-même de l'AJ. Ce dernier est tenu, sauf dispense totale ou partielle du juge, de rembourser au Trésor public, dans la proportion des dépens mis à sa charge, les sommes avancées par l'Etat au titre de l'AJ ( cf. supra , partie II-D-2).
Le recouvrement est effectué par le Trésorier payeur général (TPG) au vu d' un état de recouvrement transmis par le SAR, après avoir été établi et notifié à la personne contre qui les sommes sont à recouvrer par le greffier de la juridiction concernée.
Toutefois, dans les faits, nombre des juridictions n'établissent pas systématiquement d'état de recouvrement, et certaines n'en établissent pas du tout. Ainsi, un tiers des juridictions judiciaires n'établit pas d'états de recouvrement 85 ( * ) . Cette proportion, déjà trop importante, traduit qui plus est une dégradation du recours à cette procédure, puisqu'en 2000-2001 seulement 20 % des juridictions déclaraient ne pas établir d'états de recouvrement.
Au final, comme votre rapporteur spécial l'a déjà indiqué ( cf. supra , partie II-D-2), les montants recouvrés au titre de l'article 43 apparaissent très insuffisants. En 2004 et 2005, ils n'ont représenté que, respectivement, 11,4 millions d'euros et 11,5 millions d'euros, pour un montant théorique maximal estimé à 20 millions d'euros 86 ( * ) .
Montant de l'AJ recouvré
(en millions d'euros)
Année |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Montant recouvré |
9,8 |
10,3 |
11,4 |
11,5 |
Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - direction générale de la comptabilité publique
Cette défaillance du recouvrement de l'AJ est d'autant plus préjudiciable que, non seulement, elle nuit à la bonne gestion des deniers publics, mais que, par ailleurs, elle ne permet pas de garantir l'égalité entre les justiciables astreints à supporter le coût du fonctionnement de la justice mis à leur charge .
2. Une obligation de plus grande performance
L'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ, dont les conclusions ont été rendues en février 2007, met en évidence une marge de progression de l'ordre de 9 millions d'euros, soit 2,7 % du budget de l'AJ .
Sans reprendre tous les constats dressés par l'audit de modernisation réalisé, votre rapporteur spécial souhaite néanmoins souligner les principaux facteurs de blocage identifiés à l'occasion de cet audit ainsi que les pistes d'amélioration suggérées.
L'audit relève, en effet, la grande complexité de la chaîne de recette correspondant au recouvrement de l'AJ, dont le processus est décrit dans le tableau suivant.
Les acteurs du processus de la chaîne de recouvrement
Décision AJ/ transmission aux juridictions |
Mise à jour du répertoire civil, enregistrement des données d'état civil des parties |
Vérification, certification, taxation des justificatifs de dépense (AFM, mémoires) |
Décision
|
Etat de frais, notification, état de recouvrement, transmission au SAR |
Formule exécutoire du titre de recette |
Recouvrement, poursuite du redevable |
|
BAJ |
Oui |
||||||
Greffier en chef/greffier |
Oui |
Oui |
Oui |
||||
Magistrat |
Oui |
Oui |
|||||
SAR |
Oui |
||||||
Trésor |
Oui |
Source : audit de modernisation - rapport sur le recouvrement de l'aide juridictionnelle (février 2007)
Rappelant que l'émission des titres de recette n'est pas le « coeur de métier » des juridictions, l'audit constate que nombre d'acteurs de la chaîne du recouvrement perçoivent mal la finalité de cette émission de recette et y voient même, parfois, comme une injustice pour les personnes astreintes au paiement, notamment pour les moins fortunées d'entre elles.
Plus fondamentalement, les raisons invoquées par les BAJ pour expliquer ces carences en matière de recouvrement renvoient au manque de personnel et de temps , à la méconnaissance des procédures , au manque d'information sur l'adresse du débiteur et à la survenance d'appels et de recours.
Le délai de mise en recouvrement 87 ( * ) traduit ces carences et est couramment supérieur à un an. Dans certains cas, il peut même dépasser deux ans.
Au regard des montants pris en charge par le Trésor public , le taux d'encaissement constaté est de 48,3 % et, après la prise en compte des admissions en non valeur, le taux de recouvrement de l'AJ s'élève à 72,2 % 88 ( * ) .
Ces taux témoignent de la difficulté du recouvrement de l'AJ du fait des caractéristiques socio-économiques et psychologiques des débiteurs de l'AJ, qui présentent des spécificités souvent peu propices à un recouvrement facile . Ainsi, les redevables sont-ils souvent en situation précaire. Comme le souligne l'audit de modernisation, « des délais de paiement sont accordés, mais rarement respectés. Les poursuites mises en oeuvre dans le cas des saisies-ventes (au-dessus de 200 euros) aboutissent souvent à l'établissement de procès verbaux de carence, compte tenu de l'absence de patrimoine du débiteur ».
En outre, le dispositif de récupération des avances d'AJ est méconnu des redevables, qui acceptent difficilement de payer les frais de leur adversaire , tandis que les procédures applicables au recouvrement de l'AJ sont parfois difficiles à mettre en oeuvre lorsque le débiteur refuse de payer. En particulier, elles nécessitent la plupart du temps l'intervention d'un huissier.
Les principales recommandations , auxquelles souscrit votre rapporteur spécial, résultant de l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ sont reprises dans l'encadré suivant.
Les principales recommandations de l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ (février 2007) Les principales conclusions de l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ tendent à préconiser de : - finaliser une circulaire commune au garde des Sceaux et au ministre des finances donnant des instructions précises sur les conditions requises pour un recouvrement efficace ; - s'appuyer sur des comités de pilotage locaux constitués entre les SAR et les services du Trésor ; - prévoir un doublement des montants de recouvrement émis par les SAR aux trésoreries ; - focaliser la politique de recette sur les cours d'appel, dans la mesure où leur rendement potentiel en euros est le plus important parmi l'ensemble des juridictions ; - inciter tous les TGI à procéder à l'émission de titres ; - faire des SAR le pivot de l'organisation de la chaîne de recette de recouvrement dans sa phase relevant des juridictions ; - conduire une expérimentation permettant d'apprécier le dispositif centralisé faisant intervenir le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) attaché au ministère de la justice ; - mettre en place un dispositif permettant de corriger l'insuffisance ou l'inexactitude des renseignements identifiant le redevable ; - sensibiliser les acteurs à l'importance du processus de recette ; - introduire des objectifs et des indicateurs mobilisateurs pour la recette dans les programmes 101 « Accès au droit et à la justice » et 156 « Gestion fiscale » ; - diffuser auprès des juridictions un guide pratique de la recette établi avec le concours de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) ; - renforcer la formation des greffiers et des magistrats sur le processus de recette de l'AJ ; - développer une approche client auprès des redevables visant à mieux informer du caractère potentiellement remboursable de l'AJ, de son montant, de son fondement et des conditions de reversement. |
* 85 Cf. lettre de cadrage relative à la mission d'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ dont les conclusions ont été rendues publiques en février 2007.
* 86 Rapport de la mission d'audit de modernisation sur le recouvrement de l'aide juridictionnelle (février 2007).
* 87 Le délai de mise en recouvrement est le délai entre le moment où la décision de justice est notifiée aux parties et celui où la partie condamnée aux dépens reçoit l'avis de paiement du Trésor.
* 88 Etude réalisée sur la période 1993-2005 par l'audit de modernisation.