E. LA PLUS GRANDE RESPONSABILISATION DES JUSTICIABLES : LE « TICKET MODÉRATEUR JUSTICE » ET LE PRÊT À TAUX ZÉRO

1. La prévention des comportements procéduriers

Parce que le justiciable est au coeur du système de l'AJ, il doit également prendre sa part à la régulation de ce dispositif d'aide et d'assistance.

Si la majorité des justiciables ne font appel qu'en extrême limite à la justice et, le cas échéant, à l'AJ, certains « comportements limites » contribuent toutefois au déséquilibre du système dans son ensemble.

Au cours des auditions qu'il a menées, votre rapporteur spécial a, en effet, pu constater que l'AJ n'était pas épargnée par des abus de justiciables particulièrement procéduriers. Chaque président de BAJ semble être en mesure de livrer quelques anecdotes concernant des bénéficiaires de l'AJ multipliant les actions en justice d'autant plus aisément qu'ils finissent par acquérir une parfaite connaissance de l'appareil judiciaire et disposent d' un « droit de tirage » illimité en matière d'AJ.

Tout se passe alors comme si ces justiciables « tiraient à plein », si ce n'est de manière excessive, profit du système avec un coût entièrement supporté par la collectivité. Outre que toutes ces actions en justice ne sont pas toujours justifiées au regard du sérieux des causes de litige invoquées, elles contribuent, qui plus est, à engorger encore un peu plus les juridictions .

Votre rapporteur spécial estime nécessaire d'endiguer de tels comportements par une plus grande responsabilisation des bénéficiaires potentiels de l'AJ .

2. L'instauration d'un « ticket modérateur justice » plutôt qu'un prêt à taux zéro

D'une manière plus générale, votre rapporteur spécial juge souhaitable une meilleure responsabilisation de l'ensemble des bénéficiaires de l'AJ et dresse, à cet égard, un parallèle avec d'autres systèmes d'aide, eux aussi confrontés à des difficultés de financement .

Si l'AJ constitue un « filet de sécurité » pour les plus démunis en matière d'accès à la justice, elle s'apparente grandement à d'autres dispositifs d'aide et de soutien, notamment ceux relevant de l'assurance maladie 80 ( * ) . Elle présente avec eux de nombreux points communs : une philosophie d'assistance aux plus fragiles, un financement mutualisé reposant sur l'ensemble de la collectivité, des conditions d'accès en fonction des ressources.

Afin de garantir la pérennité de son financement et de renforcer la responsabilité de chacun face au système d'aide, l'assurance maladie s'est toutefois dotée de « mécanismes de rappel » tels que le forfait journalier en matière d'hospitalisation ou le ticket modérateur en matière de dépenses de santé.

Dans un contexte de crise de l'AJ qui n'est pas sans rappeler sur de nombreux points celui de l'assurance maladie, votre rapporteur spécial considère nécessaire de parvenir à une meilleure responsabilisation du justiciable en imaginant une évolution profonde du dispositif existant .

Une première piste parfois évoquée 81 ( * ) consiste en la mise en place d'un mécanisme de « prêt à taux zéro » au bénéfice du justiciable à l'AJ. Le remboursement d'un tel prêt n'interviendrait qu'à l'issue de la procédure et pourrait être recouvré sur la partie adverse succombante, partagé entre les parties, ou laissé à la charge du bénéficiaire. Encore faut-il souligner que, lorsqu'il est envisagé, ce prêt ne concerne dans la plupart des cas que le justiciable à l'AJ partielle et le paiement de tout ou partie des honoraires complémentaires librement consentis entre le justiciable et son avocat.

Votre rapporteur spécial ne privilégie pas cette piste , dans la mesure où elle supposerait le recours à un fonds ou à un organisme prêteur avec compensation par l'Etat du différentiel d'intérêt. Par ailleurs, elle impliquerait probablement des délais supplémentaires, à des fins de constitution de dossier de prêt, peu compatibles avec certaines situations d'urgence traitées à l'AJ. Enfin, cette constitution de dossier de prêt, par son abord relativement complexe, pourrait contribuer à dissuader les publics les plus fragiles, averses au risque financier et peu enclins à s'engager dans une procédure de financement dont ils percevraient peut être mal les contours et l'aboutissement final, de mettre en oeuvre leur droit à la justice.

S'inspirant de la logique de l'assurance maladie, votre rapporteur spécial estime, en revanche, souhaitable d'introduire un « ticket modérateur justice » dans le dispositif de l'AJ .

Ce ticket modérateur laisserait à la charge du bénéficiaire de l'AJ une part de la dépense de justice liée à son affaire. De par son principe, il nécessiterait bien évidemment un reprofilage de l'AJ partielle (redéfinition des niveaux de prise en charge à l'AJ partielle).

Certains publics (outre naturellement les bénéficiaires sans ressources) pourraient être exemptés de ce ticket , par exemple :

- les bénéficiaires des minimas sociaux (revenu minimum d'insertion, allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, revenu de solidarité active...) ;

- les mineurs ;

- les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, ainsi que de leurs ayants droit.

A cet égard, votre rapporteur spécial précise que de telles exemptions ne devraient naturellement pas donner lieu à un éventuel transfert de charges sur le budget des conseils généraux.

Le niveau du « ticket modérateur justice » constitue bien évidemment le noeud de ce nouveau dispositif d'AJ. Trop élevé, il représenterait une barrière à l'accès à la justice et remettrait en cause l'esprit même de l'AJ. Trop bas, il n'aurait qu'un effet de responsabilisation à la marge et resterait sans réelle incidence sur la problématique du financement de l'AJ.

La comparaison avec le système de l'assurance maladie peut ici, une nouvelle fois, se révéler éclairante. Le forfait journalier s'élève à 16 euros par jour dans la majorité des cas et à 12 euros par jour dans les services psychiatriques des établissements de santé 82 ( * ) . Le ticket modérateur, qui définit la part financière restant à la charge de l'assuré après le remboursement de l'assurance maladie, varie en fonction des actes et des médicaments, ainsi que du respect ou non du parcours de soins coordonnés.

La consultation chez un médecin généraliste : un exemple du ticket modérateur de l'assurance maladie

Lorsque l'assuré consulte son médecin traitant qui est un médecin généraliste conventionné en secteur I, il règle 21 euros (tarif au 1 er août 2006).

Sur ce montant, l'assurance maladie lui rembourse 70 % du tarif, soit 14,70 euros, moins 1 euro au titre de la participation forfaitaire.

Son remboursement est donc de 13,70 euros et le montant du ticket modérateur demeurant à sa charge est de 7,30 euros , soit 34,8 % du tarif du médecin.

Afin d'illustrer le raisonnement et de contribuer à la réflexion sur les masses financières en jeu, votre rapporteur spécial a procédé à une simulation selon quatre scénarios en fonction du niveau du « ticket modérateur justice ».

Une fois encore, les hypothèses doivent ici être prises avec toutes les réserves qui s'imposent . En particulier, votre rapporteur spécial n'a pris en compte, dans la simulation qu'il vous propose, que l'effet du ticket modérateur sur l'AJ totale et a laissé de côté son impact sur l'AJ partielle. En outre, en s'appuyant sur les statistiques fournies par le ministère de la justice statistiques suffisamment fines, il a retenu pour hypothèse de travail le nombre total des admissions à l'AJ duquel ont été retranchés les bénéficiaires « sans ressources » (447.218 en 2005) ainsi que les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI), du Fonds national de solidarité et de l'allocation d'insertion (73.321 en 2005).

L'impact du « ticket modérateur justice » sur le budget de l'AJ :
une simulation selon quatre scénarios

Votre rapporteur spécial a retenu quatre scénarios possibles quant au niveau du « ticket modérateur justice » :

- scénario n° 1 - « Ticket bas » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 5 euros ;

- scénario n° 2 - « Ticket moyen - » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 15 euros ;

- scénario n° 3 - « Ticket moyen + » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 30 euros ;

- scénario n° 4 - « Ticket haut » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 40 euros.

Le nombre de justiciables concernés est fixé à 278.614 (nombre de bénéficiaires à l'AJ totale en 2006 duquel ont été retranchés les bénéficiaires « sans ressources », les bénéficiaires du RMI, du Fonds national de solidarité et de l'allocation d'insertion).

Le budget de l'AJ est fixé à 328,7 millions d'euros (crédits ouverts en loi de finances pour 2007).

Scénario

Ticket bas

Ticket moyen -

Ticket moyen +

Ticket haut

Recette budgétaire (en millions d'euros)

1,4

4,2

8,4

11,2

Part du budget de l'AJ

0,4 %

1,2 %

2,6 %

3,4 %

En fonction du scénario retenu, on constate donc que la recette budgétaire obtenue via l'instauration du « ticket modérateur justice » varie de 1,4 million d'euros à 11,2 millions d'euros . Rapportés au budget de l'AJ ouvert par la loi de finances pour 2007 (328,7 millions d'euros), ces montants varient de 0,4 % à 3,4 % de l'enveloppe budgétaire consacrée à cette aide .

Afin de remettre en perspective les niveaux envisagés dans la simulation pour le « ticket modérateur justice » , votre rapporteur spécial juge utile de rappeler le montant du revenu minimum d'insertion (RMI), qui s'élève à 440,86 euros pour une personne seule et 661,29 euros pour un couple 83 ( * ) , ainsi que le plafond de l'AJ totale, qui est fixé à 874 euros 84 ( * ) .

* 80 Notamment la couverture maladie universelle (CMU) qui permet d'accéder aux soins sans reste à charge ni avance de frais.

* 81 Cf. notamment le rapport d'étape de la commission d'accès au droit du CNB, adopté en assemblée générale les 12 et 13 janvier 2007.

* 82 Barème au 1 er janvier 2007.

* 83 Montants au 1 er janvier 2007.

* 84 Plafond au 1 er janvier 2007.

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