f) L'évolution de la gouvernance mondiale de la pêche
S'agissant de la haute mer, le droit international de la pêche n'est pas inexistant :
- convention des Nations Unies sur les stocks de poisson chevauchants et sur les stocks de poissons de grandes migrations,
- code de pêche responsable élaboré par la FAO ou,
- convention de Montego Bay qui fixe les droits et les devoirs riverains, CICTA, organisation regroupant 43 pays et chargée depuis 40 ans de la gestion partagée des stocks de thonidés, commission des pêches pour la méditerranée, politique de l'Union européenne, etc.
Cette gestion internationale permet d'avancer dans la prise en charge du problème posé par les eaux internationales, comme en témoignent :
- l'accord récent de la commission internationale pour la conservation des thonidés (CICTA) pour limiter la taille des prises et réduire, encore trop faiblement, les tonnages de prises ;
- l'interdiction depuis le 30 septembre 2007 du chalutage des thonidés dans le Pacifique Sud.
Mais ce droit et sa gouvernance doivent évoluer car cette architecture naissante est fragile :
- du fait de l'intervention tardive de ces accords, lorsque les ressources et les écosystèmes qui les supportent sont très altérés ou en voie d'altération ;
- du fait de la multiplicité des accords sur lesquels il repose, en l'absence d'une organisation internationale spécifiquement dédiée au problème ; est donc posé à nouveau le problème de la création d'une institution internationale traitant des problèmes planétaires de l'environnement ;
- du fait que ces accords ne sont pas généraux et que leur application repose le plus souvent sur le bon vouloir et le degré de contrôle des états signataires ;
- du fait que ces accords ne sont pas toujours respectés par les états signataires. Le cas des thons en Méditerranée est tristement illustratif. La commission des pêches en Méditerranée estime que les prises réelles sont deux fois plus élevées que les quotas fixés par les États (y compris par les États membres de l'Union européenne comme la France ou l'Italie) ;
- et, parce que cette addition de conventions et de normes internationales repose sur une conception du droit au prélèvement qui ne répond plus à l'état de la ressource disponible :
* la politique de quotas de prise a abouti au suréquipement technologique des flottes et au report des prises vers d'autres espèces, ce qui a abouti à l'érosion de beaucoup d'écosystèmes océaniques ;
* les accords et notamment ceux qui établissent les quotas annuels de prise ne prennent pas en compte l'évolution à long terme des écosystèmes, en particulier au regard des modifications qui pourraient être indirectes par le changement climatique.
C'est pourquoi, outre les problèmes institutionnels que l'on ne pourra longtemps éluder (création d'un organisme des Nations Unies dédié au développement durable, effectivité des contrôles, adhésion de l'ensemble des pays concernés à des pratiques de pêches durables, prescription des pratiques consistant à signer les accords mais à développer des activités de pêche océanique dans des zones de complaisance), la gouvernance mondiale de la pêche devrait reposer sur une capacité de planification stratégique à long terme incorporant la notion d'écosystème .
Mais, comme le soulignait M. Philippe GROS, directeur de recherche à l'IFREMER, à l'occasion de l'audition publique organisée le 28 mars dernier par vos rapporteurs, cette évolution implique de remettre en cause - à l'échelon international - les droits à produire, en passant d'une ressource commune à une ressource encadrée et régulée.
Le choix est le suivant :
- limiter par des dispositions de contrôle de l'outil de production (mailles, chaluts, etc.) et/ou par une politique très stricte de quotas un droit de pêche gratuit ;
- ou mettre ces droits de pêche sur le marché.
La première solution ne peut être efficace que sur des milieux marins très restreints permettant à la fois un contrôle par la puissance publique et un certain autocontrôle de la profession : c'est le cas de la coquille Saint-Jacques en baie de Saint Brieuc.
Mais dès que l'on s'adresse à des stocks halieutiques, la politique des quotas aboutit au suréquipement des chalutiers 35 ( * ) , à une montée des prises accessoires et au report des pêches vers d'autres espèces.
La seconde solution , l'attribution aux enchères de quotas individuels de pêche transférables et rétrocessibles , pourrait faire passer les flottes du statut de prédateur à celui de gestionnaire d'un fonds naturel assis sur la durabilité et qui permettrait de valoriser le capital engagé à l'occasion de l'obtention du droit de pêcher.
Au surplus, la concession de ces droits pourrait être assortie de sujétions (quotas, limitation progressive des prises accessoires) .
On ne doit pas se dissimuler les difficultés d'application de cette remise en cause du statut des eaux européennes et internationales :
- nécessité de faire la part entre les attributions respectivement réservées, aux artisans pêcheurs et aux flottes plus capitalistiques,
- problème des préfinancements de l'acquisition des droits de pêche par les artisans pêcheurs qui doivent également supporter des charges d'équipement importantes,
- répartition entre pays dans les zones de pêche de l'Union européenne,
- contradiction entre le droit de la concurrence européenne et la mise aux enchères des quotas individuels de pêche...
Adoptés, en particulier en Islande et en Nouvelle Zélande, ces quotas individuels transférables ont marqué en première approche un progrès vers une pêche plus durable.
Il serait souhaitable qu'à l'échelon de l'Union européenne, des expériences de ce type soient mises en oeuvre sur certains stocks de poisson.
* 35 Sur la période 1980-2000, les capacités de capture de la flotte mondiale ont été multipliées par 3 et le volume déclaré des débarquements par 1,3.