b) La compensation des occupations d'espaces
(1) Les législations existant à l'étranger
De très nombreux pays - et en France même, certaines municipalités et la population -, ont pris conscience des problèmes posés par l'érosion des espaces naturels.
Sans être exhaustif, on citera :
- les Etats-Unis dont le « Clean Water Act » de 1972 prévoyait qu'en cas de destruction d'une zone humide, cette zone devrait être remplacée. Sur cette base ont été créées les « Mitigations Banks » (ou banque de compensation), institutions privées ou mixtes qui assument cette compensation sur un marché de l'ordre de 1 milliard de dollars.
Suivant le même principe, des Conservations Banks visant à la protection des espèces et de leur habitat ont suivi l'adoption de la loi sur les espèces menacées (Endangered Species Act du 1973).
- Aux Indes, des corridors reliant des massifs forestiers et des programmes de reforestations de zones de bidonvilles autour de métropoles témoignent des préoccupations des autorités.
- les Pays-Bas avaient dès 1962 voté une loi forestière pour relier entre eux les espaces forestiers du pays. En 2005, ils ont adopté une « Stratégie nationale spatiale » qui établit que tout projet ne peut affecter la biodiversité que s'il est d'intérêt général et que sur des options alternatives n'existent pas. Dans ce cas une compensation financière est due.
- en France, la notion de trame verte fait partie des conclusions du Grenelle de l'environnement.
(2) La législation française
Le dispositif existant :
La loi de juillet 1976 sur l'environnement a établi pour les projets d'un montant prévisionnel supérieur à 1,9 millions d'euros et au-dessus de seuils de surface variables, l'obligation « d'éviter, d'atténuer et de compenser » les atteintes à l'environnement.
Le mécanisme est le suivant.
Les maîtres d'ouvrage doivent faire expertiser les atteintes à l'environnement consécutives à la réalisation des projets qu'ils présentent ; cette expertise est, alors, soumise à l'administration qui évalue les compensations proposées - celles-ci variant suivant les milieux considérés et l'ampleur des atteintes à ces milieux.
Ce système dont le coût est de l'ordre de 1 % du coût des projets concernés marque un progrès, mais il est susceptible d'être amélioré sur de nombreux points.
Les voies d'amélioration de cette législation pourraient être les suivantes.
- l'ampleur et la réalité du contrôle
Pour les projets dont l'ampleur les situe sous le seuil de déclenchement des offres de compensation, comme les SCOT et les PLU, ne sont soumises à appréciation que les conséquences les plus lourdes des aménagements qu'ils prévoient. Ce qui signifie que l'on ne compense pas les amputations d'espaces naturels faites de l'addition de multiples petits projets (lotissement, parking, etc.) et ce d'autant plus que l'administration, faute de moyens, se concentre sur les plus gros projets 36 ( * ) .
- l'autorité d'évaluation des compensations est le ministre de l'environnement pour les projets nationaux, mais c'est le préfet pour les projets régionaux. Or, dans leurs circonscriptions, ceux-ci doivent souvent concilier des intérêts contradictoires, ce qui ne les porte pas toujours à arbitrer en faveur des espaces naturels.
- l'évaluation des compensations
Peu à peu - notamment sous l'impulsion de la Caisse des dépôts - se construit une grille de compensation qui devrait graduellement pouvoir être déclinée à l'échelon régional, avec une palette de compensation assez fine. Par exemple, il ne s'agira pas de compenser la perte d'un espace forestier par un autre, mais d'insister sur la variété de la palette des essences à replanter.
Quand cette grille sera finalisée, il serait intéressant de pouvoir la rendre opposable juridiquement.
- la durée de la compensation
Le maître d'ouvrage ne conserve en portefeuille l'actif représentatif de la compensation (forêt, champs pour protéger un marais, etc.) que jusqu'à la bonne fin de l'ouvrage - en général environ cinq ans. Une modification de la législation doit être envisagée :
- soit en prévoyant l'affectation des biens offerts en compensation à un conservatoire ;
- soit en allongeant la durée de conservation en l'alignant, quand c'est possible sur la durée des concessions.
- La gestion de la compensation
Par exemple, si l'on constitue des zones humides en compensation de la destruction d'un espace de même type, il sera nécessaire de gérer cette zone en évitant qu'elle soit l'objet d'introduction d'espèces invasives. Il serait possible d'inclure le coût de cette gestion dans le calcul de la compensation.
- La création d'un marché
A terme, l'activation de ces compensations introduira la notion de marché et pose le problème de la structuration de ce marché. Dans un premier temps sur territoire français et, ultérieurement, à l'échelon européen.
A l'aide des grilles de compensation, évoquées ci-dessus, on pourra constituer des « unités de biodiversité » qui pourront être échangées sur le marché de compensation.
L'émergence d'un tel marché présenterait l'avantage de clarifier les transactions, de permettre aux entreprises - éventuellement à titre de mécénat - de faire figurer des certificats de biodiversité dans leurs actifs et de poser les bases d'une gestion future de la biodiversité dans la perspective du changement climatique.
* 36 Ceci renvoie à la proposition (cf. supra a)) visant à faire mieux prendre en compte la biodiversité par l'ensemble des documents d'urbanisme.