2. Les services agronomiques
a) La pollinisation
Dans les pays développés, les abeilles, domestiques et sauvages, sont les sentinelles de la dégradation progressive des écosystèmes.
Le collapsus actuel de leurs colonies est donc un signe très préoccupant.
Victimes des espèces invasives comme le frelon asiatique et de l'accroissement de l'usage de pesticide, elles sont aussi affaiblies - et donc rendues plus sensibles aux agressions de leurs pathogènes - par l'appauvrissement des biotopes agricoles, la suppression des haies et la généralisation des courtes périodes de floraison.
Or, ces apidés - il existe près de 20 000 espèces apparentées aux abeilles - contribuent à la survie de plus de 80 % des espèces de fleurs et à la production de 35 % de la nourriture végétale de l'homme (arboriculture, tomates, etc.) ; elles ont également un rôle très important dans le développement des cultures destinées au bétail (luzerne, trèfle) et des cultures oléagineuses (colza, tournesol).
Mais cet apport n'est maximal que lorsqu'il existe une biodiversité de milieu propice aux abeilles ou aux bourdons faute de quoi ils ne remplissent qu'imparfaitement ces fonctions.
L'exemple qui suit, tiré de travaux présentés par J.C. Lefeubvre, est une bonne illustration des effets d'une modification des écosystèmes sur la pollinisation et indirectement des pertes de rendement qui résultent de l'affaiblissement de la biodiversité des écosystèmes :
« Des légumineuses comme le trèfle sont essentiellement pollinisées par des insectes hyménoptères regroupés au sein de la superfamille des apoïdes et des bourdons.
La comparaison entre abeilles et bourdons donne un net avantage à ces derniers. Par rapport à une abeille, une reine de bourdon pollinise 5 fois plus de fleurs par minute, tandis que les ouvrières de bourdon à langue longue sont 2,5 fois plus efficaces et celles à trompe courte 1,5 fois plus que les abeilles. Par ailleurs, les bourdons travaillent par tous les temps alors que les abeilles sont de bons agents pollinisateurs uniquement par beau temps.
On conçoit dès lors que lorsque les agriculteurs producteurs de graines de trèfle dans le Val d'Authion ont vu leur rendement décliner fortement au fil du temps dans les années 1970, un regard particulier a été porté aux bourdons . Dans les conditions « normales », l'ensemble des bourdons présents, à trompe longue ou courte, associés parfois à des abeilles, permettent d'obtenir des récoltes de graines variant de 600 à 800, voire 1250 kg/ha .
(...) Les chutes de rendement constatées l'étaient dans les zones soumises au remembrement caractérisé par des arasements de talus boisés et se traduisant par des chutes importantes de densité de bourdons aux 100 m2 (inférieure à 20). Cela s'explique par le fait que les reines fondatrices de colonies ne peuvent hiverner dans les champs soumis au labour ; elles se réfugient sur les talus (sous la mousse, dans la terre ou le terreau des arbres creux). Au printemps, elles bénéficient pour nourrir leur colonie du nectar des plantes sauvages à floraison précoce telles que : les saules, le bugle rampant, le merisier, etc. que l'on trouve sur les talus à un moment où aucune plante domestique ne fleurit sur les champs. La destruction des talus se traduisant donc par une chute importante des populations de bourdons, la densité de ces insectes étant trop faible, bien des fleurs ne pouvaient être fécondées, d'où des rendements se situant autour de 200 kg/ha.
Mais les données se sont compliquées avec l'arrivée de nouvelles variétés de trèfle, en particulier d'un trèfle tétraploïde. En effet, si ce trèfle est intéressant en raison de sa production de biomasse, on avait négligé le fait que si les feuilles s'accroissent, il en est de même de la longueur de la corolle. Cette élongation élimine bien sûr les abeilles mais aussi tous les bourdons à trompe courte ; une seule espèce est alors capable de polliniser les fleurs. Résultat encore plus catastrophique : les bourdons à trompe courte développent un comportement spécifique, le « robbing » qui lui fait percer des trous à la base des fleurs pour aller chercher le nectar, se transformant d'auxiliaire en ravageur de culture. C'est ainsi que dans les conditions d'une zone remembrée, avec seulement 10 bourdons/100m2, la production chute à 80kg/ha , soit d'un facteur 10 par rapport à la « productivité » d'un écosystème intact . »