N° 221

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8 février 2008

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 février 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom des délégués élus par le Sénat à l' Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur le colloque organisé le 11 décembre 2007 sur l' enseignement des littératures européennes ,

Par M. Jacques LEGENDRE,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Denis Badré, Mme Josette Durrieu, MM. Francis Grignon, Jacques Legendre, Jean-Pierre Masseret et Philippe Nachbar, délégués titulaires ; MM. Laurent Béteille, Jean-Guy Branger, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-François Le Grand, Yves Pozzo di Borgo et Roland Ries, délégués suppléants.

Message de M. Christian PONCELET, Président du Sénat de la République française

Le colloque a bénéficié du Haut Patronage du Président du Sénat de la République française, qui a bien voulu adresser aux participants un message dont M. Jacques LEGENDRE a donné lecture à l'ouverture des travaux :

« C'est pour le Sénat une grande joie et un honneur d'accueillir aujourd'hui ce colloque. Je vous souhaite une très cordiale bienvenue au Palais du Luxembourg et je remercie mon collègue et ami, M. Jacques Legendre, d'avoir accepté de vous lire ce court message.

Le thème retenu pour ce colloque souligne « l'ardente obligation » qui nous incombe de mieux faire connaître aux citoyens de toute l'Europe les richesses de leur patrimoine littéraire, dans sa diversité comme dans sa modernité.

Mieux connues et donc mieux partagées, les grandes oeuvres de la littérature européenne apporteront leur pierre à la mémoire commune. Elles renforceront les affinités et les connivences qui rapprochent les citoyens de toute l'Europe, soucieux de conserver une identité dans un monde globalisé.

Je suis sûr que vos échanges sur ces sujets, et sur d'autres, seront fructueux.

Je forme les voeux les plus sincères pour le succès de votre rencontre et de vos travaux, en espérant que vous garderez de votre passage au Sénat un excellent souvenir et que vous serez ainsi incités à y revenir. »

OUVERTURE - Ouverture des travaux par M. Jacques LEGENDRE Ancien ministre, Sénateur, Président de la Commission de la Culture, de la Science et de l'Éducation du Conseil de l'Europe

« Je vous souhaite la bienvenue.

Pour ma part, je dirai que ce colloque vient à son heure. Il se veut une contribution à une réflexion sur la place que tient la littérature - les littératures - de l'Europe dans l'identité européenne et il est organisé à l'initiative de la Commission de la Culture de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, qui rassemble 47 pays de la plus grande Europe.

Il y a plusieurs mois déjà que j'ai proposé au Bureau de notre Assemblée l'organisation de ce débat qui devait initialement comprendre deux colloques, à Torun, en Pologne, puis à Paris. Il a fallu annuler la réunion de Torun en raison des élections législatives anticipées en Pologne. Nous le regrettons mais les orateurs prévus qui pouvaient venir à Paris ont été invités aujourd'hui.

Ce débat est très actuel. Dans un journal français du 8 décembre, l'auteur d'une chronique intitulée : Europe, ta culture fout le camp ! explique : « dans tous les cas, la culture transmise [en Europe] n'irrigue plus l'ensemble des activités et des programmes scolaires... L'Europe souffre moins d'une crise de la création que de la transmission - les talents y sont plus nombreux et divers que jamais. L'obstacle est donc sa capacité de les assumer. »

Eh bien, notre colloque doit nous permettre aujourd'hui de clarifier des concepts. Au-delà, les membres de l'Assemblée parlementaire doivent prendre leurs responsabilités d'élus politiques et faire en sorte que la transmission de la culture soit assurée à l'école et à l'université.

De quoi parlons-nous. De la littérature européenne ou des littératures européennes ? De la littérature des pays européens ou des littératures s'exprimant dans une des langues européennes pour traduire éventuellement des idées ou des approches non européennes ?

Nous avons demandé à une équipe d'universitaires de nous aider à préparer ce colloque. Dès 1992, Mme Benoît et M. Fontaine ont publié un Manuel Universitaire d'Histoire de la littérature européenne, qui existe en plusieurs langues et dont une nouvelle édition vient de sortir. Un « réseau universitaire des lettres européennes », que préside Mme Maryla Laurent, rassemble des spécialistes de tous les pays européens. Mais suffit-il qu'on en rédige un manuel pour qu'existe une littérature européenne ?

Ne faut-il pas plutôt parler de l'interaction des littératures des pays européens qui se fécondent et réagissent, comme je l'ai appris à l'Université en cours de littérature comparée ?

Comment qualifier une littérature s'exprimant dans une langue européenne pour rendre compte des vibrations d'un autre continent ? J'ai enseigné le français en Afrique. J'admire Léopold Sédar Senghor. Mais c'est bien sa négritude qu'il entend exprimer avec les mots du français. Peut-on le considérer comme un écrivain européen ?

Nous avons aussi voulu éviter une injustice. Nous souhaitons que les chefs d'oeuvre, au moins des littératures européennes, soient portés à la connaissance du maximum d'Européens. Bien évidemment des noms viennent à l'esprit : Cervantès, Dante, Voltaire, Tolstoï, Goethe, Shakespeare. Mais les langues de moindre diffusion ont aussi produit des chefs d'oeuvre. Comment les traduire, comment les éditer ? Les nouvelles technologies de la communication doivent nous aider. Comment ? Où en sommes nous ?

Je pose ici beaucoup de questions. Mais j'ai une certitude : la fréquentation des livres aide à vivre. Montesquieu disait qu'il n'est pas de chagrin qu'une heure de lecture n'eût dissipé. Dans l'immense trésor des poèmes, des comédies, des tragédies, des romans, des nouvelles et même des chansons exprimées dans les diverses langues des États du Conseil de l'Europe, chacun de nos 800 millions de concitoyens peut trouver les correspondances secrètes avec ses propres rêves, ses aspirations, ses désirs d'échanger aussi avec d'autres hommes sur d'autres continents, et peut être enrichir à son tour le trésor commun de nouvelles créations.

Il ne s'agit pas d'une nécessité scolastique, encore moins de l'exaltation de particularismes irréconciliables.

Il n'existe pas de littérature de la Tour d'Ivoire - qu'on songe aux florilèges qui ont nourri des générations d'Européens, de Daphnis et Chloé de Longus, prototype du roman, aux frères Karamazov avec lesquels nous avons plongé dans les tourments humains.

Qui peut fixer les limites de l'invention littéraire ? Jean de la Fontaine eut ses modèles antiques. Et où est né Don Juan ? A Séville ou sous la plume de Molière avant d'inspirer le chef d'oeuvre de Mozart ? Roméo et Juliette sont-ils nés de la seule inspiration de Shakespeare ? Autant de légendes, d'influences, d'inspirations réciproques qui ont vivifié, d'âge en âge, autant de chefs d'oeuvre échappant à tout régionalisme étroit.

Je crois profondément que si on ne construit rien de respectable sur la censure des voix singulières ni sur l'uniformisation de leurs expressions linguistiques originales, l'universel parle à chacun de nous à travers mille récits nés de mille régions, de mille situations, de mille tempéraments, de styles bien individualisés s'influençant d'ailleurs d'époque en époque.

Il nous appartient, chers amis, auteurs, éditeurs, traducteurs, spécialistes de la numérisation, d'illustrer cette nécessité d'étendre et d'échanger le meilleur des créations littéraires accessibles dans les langues de la grande Europe pour vivre les bonheurs, et parfois les consolations, que nous ont apportés et nous apportent les écrivains.

Ce Colloque prépare l'adoption d'une recommandation par l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe mais il doit être aussi bien plus : un manifeste en faveur de la restitution à tous les jeunes européens des racines littéraires de leur culture commune. »

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