III. LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE CES TABLES RONDES

A. TYPOLOGIE ET STRATÉGIE DES FONDS SOUVERAINS

Les cinq intervenants de la première table ronde se sont exprimés sur le nouveau rôle des fonds souverains dans le capitalisme mondial et leurs stratégies d'investissement.

En premier lieu, M. Jean-Paul Betbèze , chef économiste du Crédit Agricole, a souligné l'accélération historique du rôle des fonds souverains, dont les réserves actuelles peuvent donner lieu à diverses interprétations : si celles-ci ne représentent que le dixième de l'encours des fonds de pension ou des fonds mutuels, leur croissance rapide ne rend pas compte de leur place croissante dans le système financier mondial, alimentée par une double rente, énergétique et de change, cette dernière étant liée à un écart de salaire élevé.

Il a souligné la diversité des placements de ces fonds, investisseurs de long terme, et mis en garde contre le double écueil d'une vision excessivement pessimiste comme d'une analyse des fonds souverains par simple référence à d'autres acteurs mieux connus, tels que les fonds de pensions, ce qui tendrait alors à sous-évaluer leurs spécificités. Il a appelé à l'élaboration d'une réponse organisée des pouvoirs publics au niveau européen, suivant l'exemple de la réflexion en cours aux Etats-Unis, ce qui exigeait une meilleure connaissance en termes d'intelligence économique, qui prenne en compte la rationalité financière des fonds souverains.

M. François Bujon de l'Estang , président de Citi France, a souligné le rôle croissant des fonds souverains comme véhicules d'investissement, lié aux déficits commerciaux des pays occidentaux, à l'accélération de l'augmentation des réserves de change et à la hausse du cours du pétrole. Il a cité plusieurs exemples de prises de participation au capital de grandes sociétés, en particulier dans le secteur financier, et a établi une classification des fonds souverains en cinq catégories, selon leur gestionnaire et leur objectif.

Il a souligné que la plupart de ces fonds procédaient désormais à des investissements plus risqués et diversifiés, recourant parfois à l'effet de levier, et a dressé un bilan des bénéfices potentiels et des menaces supposées que comportait leur développement. D'une part, leur rôle d'investisseurs de long terme ayant un faible endettement permet non seulement de bénéficier de l'apport de capitaux étrangers, mais encore d'accroître les possibilités d'entrée sur des marchés émergents, sous réserve de réciprocité. D'autre part, les règles de transparence et de gouvernance doivent être adaptées aux fonds souverains, qui représentent une forme de renationalisation du capital. Il a ainsi mis en garde contre tout réflexe défensif vis-à-vis des fonds souverains, notamment ceux d'Extrême-Orient.

M. Michael Doran , avocat associé du cabinet Gide Loyrette Nouel à Londres, a souligné les spécificités des fonds souverains en qualité d'investisseurs en titres de dette, susceptibles également de recourir à l'effet de levier. Il a évoqué la possibilité que les fonds souverains se positionnent comme intervenants directs sur le marché du crédit, en concurrence des banques, y compris au sein de l'Union européenne. A cet égard, il a appelé à ne pas sous-estimer la capacité d'adaptation des fonds souverains et à prendre place sur ce nouveau secteur d'activité malgré leur manque d'expérience.

Puis il a mentionné les discussions entre certains fonds souverains et des agences de notation pour devenir des intervenants à part entière sur l'ensemble des segments des marchés financiers. Il a estimé cette évolution d'autant plus remarquable qu'il s'agissait encore d'investisseurs hybrides, capables de combiner les qualités des fonds d'investissement et des fonds spéculatifs et dont il fallait envisager, à l'avenir, une coopération accrue dans une perspective de maximisation du profit recherché. Il a donc appelé à considérer les fonds souverains moins comme une menace stratégique que comme des conglomérats financiers.

M. Yves Jégourel , maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV, a tout d'abord souligné, tout en le relativisant, le risque potentiel de déstabilisation du prix de l'or, des matières premières ou de l'immobilier, comme des régimes de changes. Il a ajouté qu'outre leur rôle récent de financeur en dernier ressort du secteur bancaire, les fonds souverains étaient susceptibles d'exercer un impact positif sur le financement des entreprises et la stabilité financière, compte tenu de leur vocation d'optimisation du couple rendement/risque et d'investissement de moyen et long termes, avec une faible rotation des actifs.

Concernant le risque géopolitique associé à leurs participations dans des entreprises stratégiques, il a estimé qu'il pouvait alimenter des réflexes protectionnistes unilatéraux et dommageables, motivés par des critères d'investissement extra-financiers, notamment éthiques ou religieux. Ce risque n'est cependant pas propre aux fonds souverains et se retrouve dans le rôle ambigu joué par les fonds d'investissement privés sous influence gouvernementale.

Les réponses à ce risque géopolitique sont, selon lui, de plusieurs ordres :

- tenter « l'audacieux pari » du code de bonne conduite afin d'améliorer la transparence et la prévisibilité de ces fonds. Cet équilibre coopératif demeure cependant difficile à trouver et donc hypothétique ;

- favoriser l'émergence d'une définition européenne des secteurs stratégiques protégés, et imposer le principe de réciprocité ;

- renforcer le rôle des fonds de capital-risque soutenant les PME stratégiques, et trouver les conditions d'une mobilisation accrue de l'épargne nationale en faveur du financement des entreprises ;

- enfin, construire une vision géostratégique de long terme, associant pouvoirs publics, « think tanks » et secteur privé afin d'appréhender les opportunités et menaces éventuelles liées à ce nouveau « capitalisme d'Etat ».

Enfin Mme Laura Restelli-Brizard , avocate associée du cabinet Squadra, a entendu répondre à la question : faut-il craindre les fonds souverains, et si oui, lesquels ? Elle a fait référence à plusieurs typologies, dont celle élaborée par le FMI, et a identifié cinq éléments caractéristiques d'un fonds souverain : la souveraineté étatique, des excédents monétaires en devises étrangères ou revenus de matières premières, l'absence de recours à l'endettement, la haute tolérance aux investissements les plus risqués et une volonté d'investir à long terme. Elle a ensuite proposé sa propre typologie en six catégories, fonction de leur caractère « agressif » ou passif sur les marchés d'actions et de leur plus ou moins grande transparence.

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