IV. VERS UNE APPROCHE INTERNATIONALE, PRAGMATIQUE ET NÉGOCIÉE DES FONDS SOUVERAINS

A. DES INITIATIVES ENCORE ÉPARSES

La prise de conscience, à la faveur de la crise des subprimes , du rôle central des fonds souverains dans les mouvements de capitaux et de leur niveau variable de transparence, a conduit les autorités politiques des pays industrialisés à promouvoir un cadre cohérent de réalisation de ces investissements, tant du point de vue des fonds souverains que des pays d'accueil.

Ces démarches sont encore insuffisamment coordonnées puisqu'aux trois principales initiatives internationales, sous l'égide du FMI, de l'OCDE et de la Commission européenne, sont venues se greffer des démarches et réflexions nationales, en particulier aux Etats-Unis, en Allemagne et en France. La « doctrine » du gouvernement français a ainsi été formalisée dans le rapport remis le 22 mai 2008 par M. Alain Demarolle, inspecteur des finances, à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

1. Les travaux du FMI et de l'OCDE : bonnes pratiques des fonds souverains et politiques d'investissement des pays d'accueil

A l'occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale le 19 octobre 2007, le G7 a demandé aux différentes institutions financières internationales de définir des bonnes pratiques pour les fonds souverains et les pays accueillant leurs investissements. Les travaux du FMI sont plutôt orientés vers les fonds souverains, et ceux de l'OCDE vers les pays destinataires.

Le comité de l'investissement de l'OCDE s'est ainsi attaché à décliner au cas des fonds souverains les quatre principes (non-discrimination, transparence, prévisibilité et proportionnalité) applicables aux mesures de contrôle des investissements étrangers, adoptés par les chefs d'Etat et de gouvernement du G8 le 8 juin 2007. Un premier rapport intitulé « Fonds souverains et politiques des pays d'accueil » a été adopté par le comité exécutif le 6 mai 2008 et fait référence à d'autres principes de libéralisation déjà applicables aux Etats membres de l'OCDE (libéralisation progressive, interdiction de nouvelles restrictions, et non-réciprocité), et le rapport final doit être achevé au printemps 2009.

Le conseil d'administration du FMI a quant à lui adopté un programme de travail le 21 mars 2008, qui prévoit d'ici octobre 2008 l'adoption, à l'issue d'une démarche consultative, d'un recueil de bonnes pratiques selon trois axes (transparence, structure institutionnelle et gouvernance), auxquelles l'adhésion se ferait sur une base volontaire, plutôt que d'un code de bonne conduite contraignant.

Le rapport de M. Alain Demarolle, précité, souligne à raison trois failles des travaux de ces deux institutions : un décalage temporel compte tenu des échéances d'adoption des textes, un déséquilibre quant à leur portée contraignante, et l'absence de régime d'accueil des investissements étrangers dans les pays d'origine des principaux fonds souverains, qui ne sont pas membres de l'OCDE à l'exception de la Norvège.

2. L'approche communautaire : une stratégie d'incitation sans nouvelle réglementation

Dans un communiqué du 27 février 2008, la Commission européenne a proposé une stratégie commune sur les fonds souverains, acceptée par les Etats membres lors du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 et ayant pour objet d'« inciter les pays détenteurs de fonds souverains à s'entendre sur un code de déontologie, avant la fin de l'année 2008 dans la mesure du possible ».

Sa teneur équilibrée entend prévenir les tentations protectionnistes des Etats membres et tend à écarter toute nouvelle réglementation portant spécifiquement sur le contrôle des investissements des fonds souverains, qui serait de nature à donner une image restrictive de l'Union européenne. La communication fixe ainsi cinq principes :

- l' attachement au principe d'ouverture aux investissements , tant dans l'Union européenne que le reste du monde, notamment dans les pays tiers qui gèrent des fonds souverains ;

- un appui aux travaux multilatéraux menés dans des organisations internationales telles que le FMI et l'OCDE ;

- une utilisation des instruments existants aux niveaux de l'Union européenne et des Etats membres ;

- le respect des obligations liées au Traité CE et des engagements internationaux, par exemple dans le cadre de l'OMC ;

- la proportionnalité et la transparence.

La communication expose également certaines normes fondamentales de gouvernance et de transparence appelées à figurer dans le code de déontologie préparé par le FMI, reconnu comme la solution la plus efficace et proportionnée. En matière de gouvernance , les recommandations ont ainsi trait à une séparation claire des responsabilités et à la publication de la stratégie et des objectifs d'investissement du fonds, des principes déterminant la relation entre le fonds et les autorités gouvernementales, des principes généraux de gouvernance interne et de la stratégie de gestion des risques.

Quant aux normes en matière de transparence , elles se résument à l'exercice des droits de vote et à la publication annuelle des positions d'investissement, de la répartition des actifs, de l'utilisation de l'effet de levier, de la ventilation par devise, du volume et de la provenance des ressources, et de publication de la réglementation du pays d'origine et des règles de surveillance applicables au fonds.

3. Les initiatives américaine et allemande

Les Etats-Unis ont opté pour une approche bilatérale plus opérationnelle et ont adopté, le 20 mars 2008, une déclaration commune avec des représentants des gouvernements d'Abu Dhabi et de Singapour et des fonds souverains ADIA et GIC. Si l'esprit de cette déclaration est conforme à celui des travaux du FMI et de la Commission européenne, les bonnes pratiques qu'il met en oeuvre diffèrent 4 ( * ) .

Elle est ainsi moins contraignante en matière de gouvernance 5 ( * ) et ne comporte pas de publication sur l'exercice des droits de vote, la composition du portefeuille par devise ni sur le volume et l'origine des ressources, informations qui pourraient être perçues par les fonds comme source de désavantage compétitif si elles étaient publiques 6 ( * ) (en particulier par rapport aux hedge funds et fonds de capital-investissement). L'approche américaine prévoit néanmoins une déclaration garantissant que les investissements sont motivés par des considérations uniquement commerciales et financières, une concurrence équitable avec le secteur privé et le respect des normes du pays d'accueil.

Cet accord connaît un certain succès puisqu'il a été élargi avec la constitution d'un groupe de travail composé d'une vingtaine de fonds, placé sous la coprésidence de Temasek et ADIA, qui a annoncé mi-juillet 2008 être en mesure de présenter un code qui « rende compte de façon satisfaisante des pratiques et objectifs de placement ».

Le gouvernement allemand a, pour sa part, adopté le 20 août 2008 un projet de loi protecteur , dont la compatibilité avec le Traité CE n'est pas encore assurée. Il permet en effet au ministère de l'économie de s'opposer à toute prise de participation d'un investisseur non-européen (donc parmi lesquels l'essentiel des fonds souverains), supérieure à 25 % des droits de vote ou du capital d'une entreprise allemande, dès lors qu'elle serait constitutive d'une menace à « l'ordre et la sécurité publics ». La réforme de cette législation, dont le principe avait été décidé il y a plus d'un an, s'inscrit dans une tendance générale à un renforcement du caractère restrictif des réglementations sur les investissements étrangers .

4. Une approche française qui se veut équilibrée

La nouvelle réglementation française, prévue par le décret
n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 qui comporte une liste précise de 11 secteurs soumis à autorisation ministérielle dans les domaines de la défense (4 secteurs) et de la sécurité publique (7 secteurs), se révèle plus souple que celle de plusieurs de ses principaux partenaires, en particulier l'Allemagne, les Etats-Unis et le Japon. La lettre comme l'application de ce dispositif 7 ( * ) contrastent avec l'image de notre pays , encore perçu comme peu ouvert par les investisseurs étrangers et plus particulièrement les fonds souverains.

A ce titre, le rapport précité de M. Alain Demarolle témoigne d'une approche « bienveillante » à l'égard des fonds souverains et souligne le caractère « fondamentalement positif » de leur montée en puissance, en dépit de légitimes interrogations. Il rappelle opportunément que la quasi-totalité des tentatives récentes de prises de contrôle d'entreprises considérées comme stratégiques ont été le fait d'entreprises publiques et non de fonds souverains, et que ces derniers constituent de précieux investisseurs et n'ont de manière générale ni les moyens ni la volonté de fonder un projet de contrôle industriel .

Dans un contexte de compétition accrue entre nations industrialisées et de raréfaction du capital, la France a besoin des fonds souverains (qui ont de fait été le plus souvent sollicités par des entreprises françaises avant d'investir dans leur capital) et peut faire valoir trois principaux atouts en tant que destination de leurs investissements : des entreprises performantes correspondant aux priorités d'investissement de ces fonds, un régime ciblé et sûr de contrôle des investissements étrangers (cf. supra ), et l'absence de toute discrimination ou réglementation visant spécifiquement les fonds souverains.

Le rapport promeut in fine trois orientations pour une stratégie française efficace d'accueil des fonds souverains :

- établir un dialogue confiant avec ces investisseurs, c'est-à-dire définir clairement nos attentes et exigences de transparence 8 ( * ) , refuser tout traitement discriminatoire (notamment par rapport aux hedge funds et capital-investisseurs), et formaliser des engagements réciproques d'ici la fin de l'année 2008 ;

- favoriser un dialogue productif pour les entreprises françaises : promouvoir les secteurs d'investissement de long terme et peu couverts par les marchés (en particulier les énergies renouvelables et le renforcement des fonds propres des PME, le cas échéant en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations) et renforcer la participation des professionnels français de la finance à la gestion déléguée et la modernisation de ces fonds ;

- fonder ce dialogue sur le principe de réciprocité aux niveaux national et communautaire. Ce principe doit trouver à s'appliquer à l'accès des investissements français et européens aux pays d'origine des fonds souverains, à toute réglementation européenne des investissements étrangers par secteur, et au droit boursier via l'exception de réciprocité retenue par la France et d'autres Etats membres lors de la transposition de la directive sur les offres publiques d'acquisition (OPA).

* 4 Le rapport précité de M. Alain Demarolle (pages 18 et 19) comporte ainsi un utile tableau comparatif des bonnes pratiques proposées par la Commission européenne, le FMI (du moins avant publication de son rapport définitif) et l'accord conclu par les Etats-Unis.

* 5 Il n'est pas prévu, par exemple, de publication d'une politique d'investissement définissant les objectifs du fonds, des principes généraux sur les relations du fonds avec les autorités gouvernementales, ni des principes généraux de gouvernance interne garantissant l'intégrité.

* 6 De telles informations sont cependant, en pratique, susceptibles d'être communiquées aux investisseurs sur une base individuelle.

* 7 En 2006 et 2007, le ministre de l'économie s'est prononcé sur 69 opérations. Aucune n'a fait l'objet de refus et des engagements ont été demandés à l'investisseur dans un peu plus d'un cas sur deux.

* 8 Le rapport retient à cet égard trois critères présentés comme nécessaires et suffisants : quels critères d'investissement ? Quel rôle des autorités politiques dans la définition et le contrôle de la politique d'investissement ? Quelle conception du rôle d'actionnaire ?

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