II. LES NOUVEAUX MÉDIAS : UNE CHANCE POUR LA JEUNESSE

Savoir réagir au succès des nouvelles technologies impose pour la société de comprendre et décrypter ses ressorts. Or, ils sont en fait assez simples : les nouveaux médias sont populaires parce qu'ils favorisent le bonheur de la jeunesse . Si l'univers numérique fait partie intégrante de la culture jeune c'est parce qu'il a su répondre à une grande partie de leurs attentes.

Les bienfaits des nouveaux médias sont multiples : il peut s'agir pour les jeunes du plaisir de communiquer avec leurs amis, de la possibilité d'exprimer leurs idées et leurs sentiments, de disposer rapidement et facilement des dernières créations culturelles, d'apprendre de manière ludique ou encore de soigner leurs angoisses.

Ces vertus sont diverses mais correspondent en fait à trois caractéristiques bien distinctes qui expliquent le succès des nouvelles technologies : elles sont parfaitement adaptées aux adolescents, elles répondent à une demande spécifique de biens culturels et ont des qualités pédagogiques et thérapeutiques qui poussent les adultes à encourager leur développement.

A. DES MÉDIAS ADAPTÉS À L'ADOLESCENCE

1. Un outil de socialisation douce

Les nouveaux médias permettent en fait aux jeunes à la fois de se rendre davantage autonomes et de se socialiser. M. Philippe Gutton, psychiatre et psychanalyste 15 ( * ) , insiste sur l'idée que l'adolescence est un moment de création de soi, caractérisée par la phobie du regard des autres. Or, l'usage des moyens de communication que sont le téléphone mobile et l'Internet permet aux adolescents de communiquer entre eux, en utilisant un langage particulier, tout en échappant au regard des adultes.

Ainsi, dans l'espace délimité, privilégié et cloisonné qu'est leur chambre, les jeunes s'évadent via Internet dans un autre espace à la fois transgressif (eux seuls ont le sentiment de le maîtriser) et décuplant les possibles.

Mme Florence Hermelin, dans le magazine Youthology, explique ainsi qu'Internet permet une libération de la parole parce que « reliés en permanence, [les jeunes] expérimentent certains aspects de leur personnalité pour mieux se structurer, se cachent derrière des personnages qu'ils s'inventent (à l'image des avatars qu'ils se créent pour jouer en réseau) ou se livrent plus volontiers à l'autre grâce à l'anonymat de l'écran protecteur » . Les blogs et leurs successeurs, les vlogs (blogs vidéo), ne seraient donc que l'expression concrète de cette nouvelle parole, de cette visibilité multifacettes. Cette libération de la parole est facilitée par la qualité de l'interlocuteur qui est en général un pair, c'est-à-dire un adolescent qui partage les mêmes passions rencontré sur un site fédératif, et qui est supposé pouvoir comprendre les problèmes exprimés.

Elle est également encouragée par la discrétion de cette communication à distance qui convient bien aux adolescents les plus timides ayant des difficultés à se socialiser.

Pour les plus âgés, Internet est surtout un vecteur de liens communautaires . Les jeunes de 16 à 18 ans affichent clairement leurs préférences dans leur navigation et construisent leur réseau en fonction de leurs passions. L'hyper-accessibilité du média Internet permet aux jeunes de les vivre plus intensément que toute autre génération en étant informés sur leurs passions à la fois en contenu et en expériences vécues par les autres. C'est ce qu'on appelle le « social networking » qui permet aux jeunes de créer, participer et alimenter des réseaux dans le réseau en fonction des personnes qui les composent, de naviguer d'univers en univers en y étant reconnu.

Au-delà de la possibilité de tester différents axes de sa personnalité en fonction du réseau sur lequel on évolue, ces sites recèlent ainsi de nouvelles potentialités collectives .

Internet constitue en fait un vaste de site de rencontres, mais au sens positif du terme, dans la mesure où les jeunes, suivant un centre d'intérêt spécifique (le skate-board, le jeu vidéo, le football, voire la lecture 16 ( * ) ) s'ouvrent sur des personnalités qu'ils n'auraient jamais rencontrées, d'autres secteurs géographiques, d'autres classes sociales et d'autres cultures.

La messagerie instantanée et les sites de réseaux sociaux ont la même utilité, mais constituent en outre un moyen de valoriser son image. Une étude québécoise réalisée sous l'égide du Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI) montre que le carnet d'adresses des jeunes dans leur messagerie instantanée atteint, pour 30 % d'entre eux, plus de 50 contacts. Si le noyau dur des adresses est composé des intimes, le cercle s'élargit au fur et à mesure des discussions et permet de mesurer sa capacité à entrer en contact avec les autres et à se définir comme personne . Les auteurs soulignent à juste titre que « les noms qui figurent sur sa liste MSN Messenger ont dès lors une importance cruciale, ils constituent des traces, des marqueurs identitaires qui jalonnent cette étape cruciale de leur socialisation » 17 ( * ) . Il suffit de naviguer rapidement sur Facebook pour s'apercevoir que les jeunes ont de très nombreux contacts qui leur permettent de mesurer leur popularité et leur faculté d'intégration dans la société. Socialisation et reconnaissance sociale sont alors les deux versants d'une même caractéristique qu'est la capacité d'Internet à placer les individus en contact avec les autres tout en valorisant l'image que chacun renvoie de lui-même.

Mme Evelyne Bevort, auditionnée par votre rapporteur, a bien souligné que cette socialisation n'était pas seulement virtuelle mais qu'elle avait un impact bien réel sur la vie des jeunes. Ainsi permettait-elle à certains jeunes vivant dans des familles recomposées ou ayant quitté leur pays d'origine de réconcilier une double vie familiale. L'outil Internet leur donne la possibilité d'être en même temps « ici et là-bas » et de résoudre des contradictions dont ils ne parvenaient pas à sortir. Soulignons, à cet égard, l'avancée colossale que représente le téléphone portable pour les communications contemporaines et l'usage massif qu'en font les parents pour discuter et rester en contact avec leurs enfants lorsque ceux-ci ne sont pas la maison.

Selon une étude américaine récente, les jeux vidéo en ligne eux-mêmes, souvent décriés pour isoler les joueurs, sont eux aussi potentiellement vecteurs de socialisation, dont l'importance ne peut être ignorée 18 ( * ) . Une recherche dirigée par M. Mark Griffiths, de l'Université de Nottingham 19 ( * ) , montre ainsi que 75 % des joueurs de jeux massivement multi-joueurs (dits « mmorpg 20 ( * ) ») nouent des contacts dans le jeu, et qu'environ la moitié d'entre eux finissent pas se voir dans la vie réelle (dire « IRL », à savoir « in real life » ou « dans la vie réelle »). 10 % de ces rencontres déboucheraient même sur une histoire d'amour avec la personne rencontrée !

Votre rapporteur tient à souligner l'importance de l'anonymat sur Internet . D'une part, les pseudos ou autres avatars offrent une réelle protection contre l'extérieur (voir infra , partie sur les risques), et d'autre part, ils constituent un bon moyen de s'affranchir des pressions de l'extérieur, et donc de libérer la parole.

Sur Internet, c'est donc le masque qui libère et la transparence qui enferme .

Comme le souligne le magazine Youthology n° 2 élaboré par le NRJ Lab, « la technologie leur offre aussi de vivre par procuration sur la toile, en créant leurs avatars, qui leur permettent de se réaliser autrement ».

Cet aspect est particulièrement important pour les enfants timides ou différents des autres.

Alors que leurs relations sociales sont le plus souvent limitées à la classe, dans laquelle les autres élèves les enferment dans une identité, Internet ouvre une porte vers une altérité plus prometteuse. Dans son ouvrage sur Internet et les adolescents , Mme Annette Dumesnil souligne que certains complexes peuvent être dépassés grâce à l'outil informatique : un collégien surnommé « Bouboule » dans son collège et qui avait des difficultés d'intégration, disposait d'une véritable aura sur le chat de « kazibao », espace de dialogue qu'elle animait.

Une étude très récente d'une chercheuse de l'Université de Stanford 21 ( * ) a montré l'impact positif des espaces d'échanges, où les ados se mettent en relation avec d'autres partageant les mêmes problèmes, « et se sentent ainsi moins marginaux . Les jeunes homosexuels par exemple partagent leurs questionnements ou expériences en ligne(...) », ce qui favorise de manière efficace une rupture de leur isolement 22 ( * ) .

* 15 Table ronde sur « les adolescents et la téléphonie mobile » organisée à Paris le 11 avril 2008.

* 16 A cet égard, force est de constater la vitalité des sites consacrés à Harry Potter et le caractère passionné des discussions qui peuvent avoir lieu sur leurs forums.

* 17 Jacques Piette, Christian-Marie Pons et Luc Giroux, « Les jeunes et Internet », 2006, rapport final au ministère de la culture et de la communication, Québec.

* 18 Pew Internet & American life project, Teens' gaming experiences are diverse and include significant social interaction and civic engagement, 16 septembre 2008, Amanda Lenhart, Joseph Kahne.

* 19 Mark Griffiths, «Social Interactions in Massively Multiplayer Online Role-Playing Gamers", 2005.

* 20 Massive multiplayer role-playing game, ou jeux de rôle massivement multi-joueurs.

* 21 Mimi Ito, Participatory Learning in a Networked Society: Lessons from the Digital Youth Project, Presentation for the 2008 Annual Meeting of the American Educational Research Association Presidential session, mai 2008.

* 22 Votre rapporteur signale à cet égard qu'un quart des tentatives de suicide des garçons âgés de 15 à 25 ans et 10 % de celles des filles seraient liés à leur homosexualité, dont ils ne peuvent parler qu'à la suite de ce geste (Eric Verdier et Jean-Marie Firdion, Homosexualité et suicide, H&o, 2004).

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