C. ... AU RISQUE DE COMPROMETTRE LE POTENTIEL DE CROISSANCE À MOYEN TERME

A l'appui de la perspective d'un retour à une croissance de 2,5 % à compter de 2010, le Gouvernement relève, outre la perspective d'un « rattrapage » avec une croissance effective repassant au dessus de son potentiel, que « la croissance potentielle continuerait à tirer profit des réformes structurelles mises en oeuvre par le Gouvernement depuis 2007 . En particulier, la mise en place de la loi de modernisation de l'économie - qui favorisera la concurrence - et du crédit d'impôt recherche - qui soutiendra la recherche et développement - renforceront les gains de productivité liés au progrès technique » tout en reconnaissant que « les effets décalés de l'envolée des prix du pétrole pourraient cependant peser un peu sur le potentiel de moyen terme » 43 ( * ) .

On rappelle que l'augmentation du potentiel de croissance d'une économie s'effectue par deux canaux : l'augmentation de la main-d'oeuvre disponible et l'augmentation de la productivité du travail. Ainsi, l'augmentation de la richesse par habitant est essentiellement permise par les gains de productivité .

PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL ET PGF

Trois facteurs sont susceptibles de concourir à l'augmentation de la productivité du travail : la durée du travail , l'intensité capitalistique et la productivité globale des facteurs (PGF) . La PGF représente l'augmentation de la production qui ne peut pas s'expliquer par l'évolution quantitative des deux facteurs de production apparents que sont le capital et le travail.

L'intensité capitalistique et la PGF déterminent la productivité horaire du travail qui, combinée à la durée du travail, détermine la productivité du travail .

La PGF, parfois qualifiée de « résidu inexpliqué » (ou « résidu de Solow »), ne peut s'expliquer que par le « progrès technique » au sens large , dont les déterminants sont essentiellement l'innovation 44 ( * ) et les progrès organisationnels .

Sur quel facteur de production « miser » pour augmenter la croissance potentielle d'une économie, et particulièrement celle de l'économie française ?

Une plus grande mobilisation de la population en âge de travailler élèverait le niveau de PIB potentiel de la France, mais cet impact ne saurait qu'être transitoire . En effet, le taux d'emploi 45 ( * ) ne peut augmenter indéfiniment, de même que la durée du travail. Concrètement, le tassement de l'augmentation de la population active pèse aujourd'hui sur l'évolution de la croissance potentielle, malgré les réformes structurelles tendant, notamment, à l'allongement de la durée d'activité :

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Variation de population active

0,54%

0,44%

0,45%

0,32%

0,23%

0,19%

0,11%

0,11%

0,08%

0,06%

Source : données OFCE annexées

Par ailleurs, il apparaît qu'une simple accumulation du capital , fondée sur l'imitation et sans le secours de l'innovation, ne peut soutenir la croissance à long terme que pour les pays en phase de « rattrapage » , les moins avancés technologiquement 46 ( * ) . D'une façon générale, sans innovation, la croissance à long terme se heurte au mur de la loi des rendements décroissants des facteurs de production, capital ou travail 47 ( * ) .

Au total, ainsi que le rappelle le rapport du Conseil d'analyse économique intitulé « Les leviers de la croissance française » 48 ( * ) , « à long terme, le ressort principal de la progression du PIB par habitant , autrement dit du niveau de vie économique moyen, est la croissance de la productivité des facteurs de production (capital et travail) via le progrès technique et l'innovation ».

Un investissement soutenu est donc indispensable pour préparer la croissance de demain , aussi bien en termes de capacités de production que de gains de productivité dans le contexte stratégique d'une économie de la connaissance. En particulier, l'investissement en recherche et développement permettrait de réaliser durablement «  le point de croissance » (celui qui rapprocherait notre croissance à moyen terme de 3 % au lieu de 2 %) qui a manqué ces dernières années à la France pour concilier le reflux du chômage avec celui de la dette publique et du déficit extérieur.

Sans une accélération de l'investissement, particulièrement en recherche et développement, il ne faudrait pas attendre une accélération durable de la productivité et de la croissance effective. Même à moyen terme, la plausibilité du scénario du Gouvernement (scénario central de l'OFCE dans le graphe ci-dessous) repose, entre autres hypothèses, sur une augmentation de la productivité :

Plus fondamentalement , il se peut que, dans une perspective « schumpétérienne » 49 ( * ) , la survenance d'une vague d'innovations conditionne pour partie le terme de la crise économique actuelle , avec de nouvelles productions qui succèderaient ou s'ajouteraient aux anciennes. Au demeurant, les exigences du développement durable et, en particulier, le défi environnemental poussent à développer de nouveaux secteurs ou modes de production ainsi que de nouvelles approches du bien-être.

En conclusion de leur rapport « Recherche et innovation en France » 50 ( * ) , MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier notaient : « la recherche constitue une activité déterminante pour l'avenir de l'humanité et son ambition ne peut qu'excéder largement une préoccupation de valorisation à l'échelle de nos territoires. La santé, l'environnement, la sécurité physique et alimentaire, l'énergie sont des biens publics mondiaux et il apparaît clairement que seule la recherche permettra de les fournir durablement. Osons le dire, la recherche est elle-même un bien public mondial . Dans cette perspective, les diverses formes de collaboration internationale et leurs relances périodiques, notamment dans le cadre européen, devraient prendre toute leur dimension (...) ».

Dans la mesure où la recherche et l'innovation pourraient aussi conditionner, pour l'avenir, de nouvelles productions susceptibles d'aider le monde à sortir de l'ornière économique et environnementale dans laquelle il semble aujourd'hui s'enfoncer, la qualification de « bien public mondial » apparaît d'une singulière pertinence.

On rappellera, à ce propos, que la dépense française de R&D 51 ( * ) n'y représente guère plus de 2 % du PIB , bien en deçà de l'objectif de 3 % en 2010 fixé au début de la décennie par la stratégie de Lisbonne, qui s'avère, sous cet angle, un échec : aujourd'hui, cette dépense stagne en Europe autour de 1,8 % du PIB .

Dans le contexte économique actuel, votre Délégation insiste pour que la quête de l'équilibre des comptes publics à moyen terme ne soit pas de nature à obérer les capacités de recherche, aussi bien publiques (dépenses budgétaires) que privées ( via la dépenses fiscales et sociales), sans préjudice, naturellement, de la nécessaire évaluation de l'efficacité de ces dépenses afin de tendre vers une allocation optimale des ressources. Elle ne doit davantage conduire à faire l'impasse sur le développement des investissements sans lesquels l'avenir serait sacrifié au présent et les générations futures dotées d'un legs invivable. Ainsi, elle estime ici indispensable que la gouvernance budgétaire, particulièrement en France et dans la zone euro, ancre sa stratégie non pas à court et moyen terme, mais à moyen et long terme .

* 43 Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 déposé à l'Assemblée nationale le 26 septembre 2008.

* 44 On distingue généralement les innovations de produit des innovations de procédé , ces dernières ayant trait au mode de production ou de distribution . Dans une autre approche, intégrant les progrès organisationnels, il est alors distingué quatre types d'innovation : innovation de produit, innovation de procédé (stricto sensu), innovation de commercialisation et innovation d'organisation.

* 45 Le « taux d'emploi » est la proportion de personnes disposant d'un emploi parmi celles en âge de travailler (15 ans à 64 ans). Le taux d'emploi reflète ainsi la capacité d'une économie à utiliser ses ressources en main-d'oeuvre (il convient de distinguer cette grandeur du taux d'activité, qui rapporte la « population active », regroupant la population ayant un emploi et les chômeurs, c'est-à-dire les individus présents sur le marché du travail, à la population en âge de travailler).

* 46 Cf. travaux de Gerschenkron (1965) puis de Acemoglu, Aghion et Zilibotti (2006).

* 47 La loi des rendements décroissants peut se formuler ainsi : lorsque l'entreprise augmente un facteur de production, capital ou travail, en maintenant l'autre fixe, la production marginale devient forcément décroissante à partir d'un certain seuil.

* 48 « Les leviers de la croissance française » par Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, novembre 2007.

* 49 Dans cette approche, la dépression correspond à une période de remise en cause de structures productives devenues surdimensionnées, de désendettement et de gestation de nouvelles innovations. La durée de chaque cycle dépend de l'importance des innovations et de leurs effets d'entraînement.

* 50 Rapport d'information n° 392 du 11 juin 2008, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification.

* 51 Recherche et développement.

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