III. LES COMMUNES POLYNÉSIENNES : DE LA TUTELLE À LA LIBRE ADMINISTRATION, MAIS AVEC QUELS MOYENS ?
Les communes et les archipels de la Polynésie française connaissent des situations très contrastées, qui posent de façon cruciale la question d'un développement équilibré du territoire. Or, les relations entre les 48 communes et la collectivité sont marquées, depuis les années 1970, par une ambiguïté qui n'est pas véritablement propice à une correction réfléchie des déséquilibres.
En effet, malgré quelques améliorations potentielles apportées par la loi organique du 27 février 2004, modifiée en 2007, les communes demeurent largement dépendantes des transferts financiers que leur accorde la Polynésie française. Cette relation de dépendance peut de surcroît favoriser des recompositions politiques d'opportunité et contribuer par conséquent à l'instabilité politique.
En outre, face aux échéances qui s'imposent aux communes notamment en matière de gestion des déchets et d'assainissement, il apparaît indispensable de réorganiser la distribution des recettes fiscales en Polynésie française et de développer l'intercommunalité.
A. DES SITUATIONS TRÈS INÉGALES, MARQUÉES PAR UNE DÉPENDANCE GÉNÉRATRICE D'INSTABILITÉ POLITIQUE
1. Des communes récentes, souvent isolées et parfois dispersées sur plusieurs îles
La situation des communes polynésiennes est d'autant plus complexe qu'elle n'est pas uniforme. En effet, il existe peu de points communs entre les communes urbanisées de Tahiti, telles que Papeete, Faa'a ou Pirae, et les communes dispersées sur les atolls des Tuamotu, ou encore la commune de Rapa (Australes). Cette dernière, la plus méridionale de toutes, n'est en effet accessible que par bateau. Les évacuations sanitaires y sont effectuées par un hélicoptère de l'armée. Les femmes enceintes quittent donc leur île trois mois avant leur accouchement, afin de bénéficier de la sécurité sanitaire qu'offrent les établissements hospitaliers de Tahiti.
Aussi les maires que vos rapporteurs ont rencontrés, dans leurs communes et lors d'une réunion avec les organismes intercommunaux, ont-ils souligné les nombreuses conséquences de l'insularité et de l'éloignement sur l'organisation des services tels que l'adduction d'eau, l'électricité, la gestion des déchets, la sécurité civile, l'éducation (internats).
* Des communes récentes et dispersées
La création des communes est relativement récente en Polynésie française, puisqu'elle procède de la loi n° 71-1028 du 24 décembre 1971 relative à la création et à l'organisation des communes sur le territoire de la Polynésie française. Ainsi, 44 communes se sont ajoutées aux 4 communes qui existaient déjà : Papeete, créée en 1890, Uturoa, créée en 1931, Faa'a et Pirae, créées en 1965 .
Aussi la Polynésie française compte-t-elle 48 communes, incluant 98 communes associées , situation qui s'explique notamment par l'existence de communes dispersées sur plusieurs îles 41 ( * ) . L'ensemble des communes se répartit sur 118 îles, représentant 4 000 km² de terres émergées dispersées sur 4 millions de kilomètres carrés d'océan.
Jusqu'à l'ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de le Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics, ces communes demeuraient régies par des dispositions issues du code des communes précédemment applicable en métropole (étendu par la loi n° 77-1460 du 29 décembre 1977 modifiant le régime communal dans le territoire de la Polynésie française). Elles restent soumises, de façon désormais transitoire, à un régime de tutelle de l'État, avec un contrôle a priori de leurs actes par le haut commissaire de la République 42 ( * ) .
Aussi M. Gaston Tong Sang, président de la Polynésie française, maire de Bora Bora et alors président du Syndicat pour la promotion des communes, a-t-il expliqué à vos rapporteurs que les communes polynésiennes étaient à la fois soumises à la tutelle administrative de l'Etat et à la tutelle financière du pays .
* Les communes associées
Parmi les 48 communes de Polynésie française, 30 comprennent des communes associées.
M. Gaston Tong Sang a indiqué à vos rapporteurs que dans les communes comprenant des communes associées, le scrutin proportionnel ne s'appliquait pas, chaque commune associée élisant au scrutin majoritaire ses propres conseillers municipaux (art. L. 438 du code électoral). Précisant que chaque commune associée élisait également un maire délégué, il a estimé que ce dispositif équivalait dans les communes dispersées à une forme d'intercommunalité.
Chaque commune associée, qui peut être une île ou la subdivision d'une île, constitue en effet une section électorale (art. L. 255-1 du code électoral). Ainsi, parmi les communes visitées par vos rapporteurs :
- Rangiroa (Tuamotu) élit 23 conseillers municipaux, dont : 1 à Makatea (+1 suppléant), 1 à Mataiva (+1 suppléant), 17 à Rangiroa et 4 à Tikehau ;
- Tahaa (Iles sous le Vent) en élit 29 : 3 à Faaaha, 5 à Haamene, 2 à Hipu, 7 à Iripau, 3 à Niua, 3 à Ruutia, 4 à Tapuamu et 2 à Vaitoare ;
- Tubuaï (Australes), en élit 19 : 5 à Mahu, 9 à Mataura et 5 à Taahuaia ;
- Nuku Hiva (Marquises) en élit 23 : 3 à Hatiheu, 17 à Taioahe et 3 à Tapivai, ces communes associées appartenant toutes à la même île.
Le maire délégué de la commune associée remplit les fonctions d'officier d'état civil et d'officier de police judiciaire. Il peut être chargé, dans la commune associée, de l'exécution des lois et règlements de police et recevoir certaines délégations du maire.
Des communes isolées et dispersées : le cas de Fangatau Fangatau est une commune des Tuamotu-Gambier, située à 975 km de Tahiti. La commune compte au total 252 habitants, répartis sur deux atolls distants de 90 km, chacun constituant une commune associée : Fangatau, chef-lieu de la commune, où vivent 131 habitants, et Fakahina, qui compte 212 habitants. Chacune des deux communes associées élit ses conseillers municipaux et un maire délégué, qui remplit les fonctions d'officier d'état civil et d'officier de police judiciaire. Le conseil municipal, composé de 11 membres issus des communes associées, élit le maire de la commune. M. Raymond Voirin, maire de Fangatau, a expliqué à vos rapporteurs que sa commune était reliée à Tahiti par avion une fois par semaine et par bateau une fois toutes les deux semaines. Il a précisé que pour se rendre d'un atoll à l'autre au sein de sa commune, il était parfois contraint de passer par Tahiti, c'est-à-dire de parcourir 2.000 km. En effet, la mise en place d'une navette maritime entre les deux atolls, qui améliorerait considérablement ces conditions de transport, se révèle très difficile en raison de l'étroitesse de la darse et de conditions météorologiques souvent agitées. Le bateau est par conséquent contraint de rester au large, une baleinière le reliant à l'atoll. Soulignant qu'il n'y avait pas de création d'emploi sur les deux îles, il a indiqué que sa commune connaissait un fort exode vers Tahiti, où vivent près de 1.000 habitants originaires de Fangatau-Fakahina. |
Les élus de Taravao (Iles du Vent), qui regroupe quatre communes associées, ont expliqué à vos rapporteurs que l'existence des communes associées présentait des difficultés, en faisant obstacle à l'application de la représentation proportionnelle et en donnant peu de moyens à ces communes. Ils ont observé que l'application du scrutin majoritaire dans chaque commune associée pouvait donner lieu lors de l'élection du maire de la commune à une sorte de « troisième tour » au résultat inattendu.
Indiquant qu'il leur semblerait préférable de créer quatre communes de plein exercice, ils ont précisé que l'Etat ne serait disposé qu'à la fusion des communes associées pour créer une seule commune. Ils ont relevé que chaque commune associée souhaitait disposer des équipements dont bénéficiait sa voisine, ce qui entraîne une augmentation artificielle des investissements.
Malgré la faiblesse de leurs ressources propres, les communes sont les principaux employeurs dans les îles peu peuplées qui ne bénéficient pas du développement du tourisme. Aussi les communes réalisent-elles beaucoup de travaux en régie, afin de compenser l'absence d'entreprises locales et d'assurer un minimum d'emplois à leur population.
* 41 Trois communes comptent plus de 20.000 habitants : Faa'a (28.000 habitants), Papeete (26.000) et Punaauia (24.000).
* 42 Les actes des communes n'entrent en application que trente jours après leur transmission au haut commissaire ou au chef de subdivision administrative ; celui-ci peut abréger ce délai. Certaines délibérations ne peuvent être exécutées qu'après approbation de l'autorité de tutelle.