4. L'eau potable : un bien encore rare en Polynésie française
* La très lente progression de la distribution d'eau potable
Vos rapporteurs ont observé que très peu de communes étaient en mesure de fournir à leurs habitants une eau propre à la consommation humaine. La compétence de principe pour la distribution de l'eau appartient en effet aux communes, qui en confient souvent la gestion à des syndicats intercommunaux ou à des sociétés privées (Bora Bora, Moorea, Papeete).
Le rapport 2007 du Centre d'hygiène et de salubrité publique (CHSP) sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine à Tahiti et dans les îles relève que la qualité de l'eau distribuée est très variable selon les communes 53 ( * ) . Les résultats de l'étude conduite par le CHSP montrent une très mauvaise qualité générale des eaux distribuées, 80 % des communes desservant une eau de qualité mauvaise à moyenne, et 5 communes seulement distribuant une eau de qualité « relativement satisfaisante » (Papeete, Arue, Papara, Pirae, Faa'a et Bora-Bora). Seules deux communes, Papeete et Arue, ont atteint en 2007 près de 100 % de résultats conformes.
Par conséquent, seuls 10 % des habitants de la collectivité ont accès à une eau potable à 100 % .
Aux termes de la délibération n° 99-178 de l'assemblée de la Polynésie française du 14 octobre 1999 portant réglementation de l'hygiène des eaux destinées à la consommation humaine, les communes doivent veiller en permanence à la qualité des eaux qu'elles distribuent, en mettant en place un programme d'autocontrôle, à leurs frais. En 2007, 17 communes sur 48 étaient en mesure de réaliser leurs propres contrôles sur leurs réseaux de distribution, soit 854 prélèvements, contre 490 réalisés par le CHSP.
Le rapport du CHSP identifie plusieurs causes de cette mauvaise qualité des eaux distribuées :
- une mauvaise exploitation des réseaux d'adduction en raison d'un manque de personnel technique qualifié ;
- l'absence de traitement adapté et efficient des ressources en eau de surface ;
- le manque d'unités de désinfection au niveau des forages (nécessité de mettre en place des dispositifs de chlorage) ;
- des pompages excessifs ou une sur-production d'eau au moyen d'arroseurs sous-dimensionnés, la surconsommation étant favorisée par la gratuité de l'eau.
Vos rapporteurs ont pu observer, en particulier à Moorea-Maiao, que certaines stations d'ultrafiltration de l'eau ne fonctionnaient pas en raison d'un défaut de conception et d'entretien 54 ( * ) . Les élus de cette commune ont expliqué que la station de traitement de l'eau par ultrafiltration de Papetoai avait été inaugurée en mai 2003, afin de fournir de l'eau potable de qualité aux communes associées de Papetoai et Paopao.
L'investissement s'est élevé à 110 millions de francs CFP (922.000 euros), dont 80 millions de francs CFP (670.000 euros) pour Papetoai. Les deux communes associées sont principalement alimentées par de l'eau captée dans une rivière. Un dysfonctionnement des membranes de filtration a bloqué depuis plusieurs mois le traitement de l'eau pour retenir les impuretés. Aussi la commune a-t-elle saisi la justice.
Vos rapporteurs ont en outre constaté les difficultés spécifiques que rencontrent les communes des Tuamotu et des Gambier , situées sur les îles basses, pour assurer l'adduction en eau potable.
En effet, la principale technique à laquelle recourent ces communes disposant de peu de ressources consiste à mettre en place des citernes individuelles et publiques de collecte d'eaux de pluie .
Ainsi, au collège de Rangiroa, l'eau recueillie dans les citernes est régulièrement contaminée, en raison notamment de la proximité d'une station d'épuration défectueuse. M. Prival, principal du collège, a expliqué à vos rapporteurs que son établissement était par conséquent contraint de réaliser des dépenses importantes pour acheter de l'eau minérale et préserver la santé des élèves, si bien que l'investissement dans un système de désinfection et la réparation de la station d'épuration permettraient à terme des économies considérables.
La délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 14 octobre 1999 prévoyait que les communes devraient être capables de fournir de l'eau potable à l'ensemble de la population en 2009. Cet objectif, irréaliste, ne sera pas atteint.
Le financement de la distribution d'eau potable est assuré conjointement par l'État, la collectivité d'outre-mer et le Fonds européen de développement (FED), le Syndicat pour la promotion des communes aidant celles-ci à élaborer un schéma directeur.
M. Gaston Tong Sang, président de la Polynésie française, maire de Bora Bora et alors président du Syndicat pour la promotion des communes, a indiqué à vos rapporteurs que si le financement des installations d'adduction d'eau était assuré par des subventions de l'Etat et de la collectivité, en revanche, leur fonctionnement incombait entièrement aux communes, qui ne pouvaient en général l'assumer .
Il a relevé que sa commune constituait à cet égard une exception, puisqu'elle bénéficiait d'une forte activité économique liée au tourisme. Il a précisé qu'à Bora Bora, les particuliers consommaient 70 % de l'eau distribuée mais n'en payaient que 40 %, alors que les hôtels, responsables de 30 % de la consommation, payaient 60 % du coût global, le système reposant sur un mécanisme de redevance assorti de plusieurs tarifs.
Les concours du Fonds européen de
développement
La Polynésie française appartient à la catégorie des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), qui ne font pas partie de l'Union européenne, mais lui sont toutefois associés en application de la quatrième partie du Traité instituant la Communauté 55 ( * ) . Le régime d'association des PTOM vise la promotion de leur développement économique et social, et l'établissement de relations économiques étroites entre eux et la Communauté dans son ensemble. Ainsi, alors que les importations originaires des PTOM bénéficient, à leur entrée dans les États membres, de l'interdiction des droits de douane entre les États membres, ces pays et territoires peuvent percevoir des droits de douane qui répondent aux nécessités de leur développement ou qui, de caractère fiscal, ont pour but d'alimenter leur budget. Les dispositions de la quatrième partie du Traité sont mises en oeuvre par une décision du Conseil, dite « décision d'association outre-mer », périodiquement renouvelée. La décision du 27 novembre 2001, révisée par la décision du 19 janvier 2007, est applicable jusqu'au 31 décembre 2013. Les axes d'action de cette décision visent notamment à promouvoir plus efficacement le développement économique et social des PTOM et à approfondir les relations économiques entre les PTOM et l'Union européenne. Le régime d'association implique l'éligibilité des PTOM au Fonds européen de développement (FED) . Le montant total alloué à la Polynésie française au titre du 9ème FED (2000-2007, y compris les transferts des FED précédents) est de 20,65 millions d'euros . Une convention de financement du 9ème FED a été signée par le Président de la Polynésie française le 17 septembre 2008. Cette convention porte sur le programme d'assainissement collectif des eaux usées de Moorea et de Punaauia pour un coût total s'élevant à 1,376 milliard de francs CFP, soit 11,53 millions d'euros. La Commission européenne couvrira un financement évalué à environ 1,064 milliard de francs CFP (8,91 millions d'euros) soit 77% du projet, le reste de l'investissement étant couvert par la Polynésie française (312 732 697 francs CFP, soit 2,62 millions d'euros). Dans le cadre du 9 ème FED, la Banque européenne d'investissement accorde par ailleurs 5 millions d'euros de prêts à la Polynésie française, pour le financement de projets en matière d'énergies renouvelables et d'assainissement des eaux usées. Les communes polynésiennes bénéficient donc largement des concours du FED, dont les objectifs visent directement des questions relevant de leurs compétences . Pour la période 2008-2013, les PTOM bénéficient de 286 millions d'euros au titre du 10ème FED. La Polynésie française bénéficiera d'une allocation territoriale de 19,79 millions d'euros au titre de ce fonds. |
* Le traitement des eaux usées
L'assainissement des eaux usées et la gestion des déchets constituent des enjeux cruciaux pour la Polynésie française , dont l'économie repose essentiellement sur une activité touristique haut de gamme. Souvent laissé à l'initiative des particuliers, le traitement des eaux usées est en général déficient, ce qui entraîne la pollution des lagons et la détérioration de la qualité des eaux de baignade.
Aussi vos rapporteurs ont-ils évoqué avec tous les élus municipaux rencontrés la question de la préservation de l'environnement, qui suppose une action exemplaire des communes en matière de traitement des eaux usées et des déchets.
Actuellement, les eaux usées des zones urbaines sont encore rejetées directement dans la nature, qu'elles soient ou non passées par une station d'épuration. La collecte, et l'assainissement des eaux usées apparaissent comme une priorité en matière d'environnement.
A cet égard, les situations sont très contrastées . Si Bora Bora, dont l'extraordinaire développement est fondé sur une hôtellerie très haut de gamme, a atteint un niveau d'équipement exemplaire, les autres communes disposent d'installations qui ne fonctionnent pas, ou ne possèdent encore aucun dispositif de traitement des eaux usées.
M. Gaston Tong Sang, président de la Polynésie française, maire de Bora Bora, et alors président du Syndicat pour la promotion des communes, a indiqué à vos rapporteurs qu'à Tahiti, chaque maison et chaque immeuble disposait, dans le meilleur des cas, de son propre système de traitement (fosses ou stations). Il est en outre courant que les eaux usées soient rejetées dans la nappe phréatique ou dans le lagon.
Vos rapporteurs ont ainsi visité l'usine de dessalement d'eau de mer de Bora Bora, qui recourt à l'osmose inverse, et l'une des deux stations d'épuration de cette île, qui est dotée d'un réseau de tout à l'égout. Le coût des installations d'assainissement collectif de cette commune a atteint 2,4 milliards de francs CFP, soit 20,1 millions d'euros, financés à 85 % par l'Union européenne et à 15 % par la collectivité.
Vos rapporteurs ont par ailleurs visité, à Moorea-Maiao, la station d'épuration de Nuuroa, inaugurée en mars 2004 et inutilisée depuis. D'une capacité de traitement de 1800m 3 /jour, extensible jusqu'à 3600m 3 /jour, cette station être raccordée à de gros usagers comme les hôtels et les lotissements. L'investissement de 920 millions de francs CFP (7,7 millions d'euros) a été financé à 92 % par le pays et à 8 % par l'Etat. Deux sociétés sont intervenues pour la construction de cette unité.
Les élus municipaux ont expliqué que ce réseau d'assainissement collectif des eaux usées devait favoriser la protection de l'ensemble du lagon. Toutefois, depuis janvier 2005, les négociations entre le pays et la commune pour déterminer l'autorité qui devra supporter le coût de fonctionnement des installations ont été infructueuses, si bien que la station demeurait, en mai 2008, à l'abandon.
* 53 Ce rapport dresse une synthèse des contrôles réalisés dans 26 communes de Polynésie française, couvrant 93 % de la population de la collectivité.
* 54 L'ultrafiltration consiste à faire passer l'eau à travers des membranes dont les pores sont 10.000 fois plus petits que ceux de la peau humaine. L'eau obtenue est pure, car dépourvue de toutes les particules d'une taille supérieure à 0,01 micron : pollens, algues, parasites, bactéries, virus et germes.
* 55 La liste des vingt PTOM figurant à l'annexe II du traité comporte l'ensemble des collectivités d'outre-mer françaises : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, les îles Wallis et Futuna, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises. Les autres PTOM relèvent du Royaume-Uni (11), des Pays-Bas (Aruba et les Antilles néerlandaises dont fait partie Sint Maarten) et du Danemark (le Groenland).