2. Une application de la loi de programmation des finances publiques qui suscite certaines interrogations

La loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 comporte des dispositions de nature à sécuriser les prélèvements obligatoires.

Il en existe deux principales :

- l'article 11 oblige, chaque année, à gager les mesures nouvelles accroissant les niches fiscales (y compris, semble-t-il, celles de fiscalité locale) ou sociales par d'autres mesures nouvelles relatives aux niches et en sens contraire ;

- l'article 10, qui ne s'entend qu'à l'échéance de la période de programmation (soit 2012) interdit de fait de prendre des mesures nouvelles (qu'elles concernent ou non des niches) qui, considérées globalement, réduiraient les recettes fiscales de l'Etat ou les recettes sociales.

L'application de ces dispositions pourtant récemment votées semble problématique.

a) L'obligation de gager annuellement les créations de « niches » fiscales ou sociales est interprétée de manière laxiste par le Gouvernement
(1) L'article 11 de la loi de programmation des finances publiques

L'article 11 de la loi de programmation des finances publiques comprend une « règle de gage », selon laquelle les créations ou extensions de « niches » fiscales ou sociales sont compensées par des suppressions ou diminutions d'autres « niches » de la même catégorie.

A l'initiative de votre commission des finances, les dispositions de l'article 11 ont été « durcies ». Ainsi, contrairement au texte initial, la règle fixée par l'article 11 s'entend au titre de chaque année de la période de programmation (et non de la période de programmation considérée globalement).

Dans son rapport relatif au débat d'orientation budgétaire pour 2010, le Gouvernement indique : « Les articles de loi nécessaires au respect de la règle de gage devront être soumis au vote du Parlement dans le cadre du PLF ou du PLFSS suivant l'adoption de la dépense fiscale ou de la niche sociale (ou du même PLF / PLFSS pour les mesures qui y figurent) et non pas reportés à la date d'entrée en vigueur de la mesure, même si celle-ci est éloignée dans le temps ».

Ainsi, il faut distinguer deux cas de figure :

- les niches fiscales créées par un PLF doivent être gagées par ce même PLF ;

- celles créées hors PLF doivent être gagées par le PLF suivant.

Dans son rapport relatif au débat d'orientation des finances publiques pour 2010, le Gouvernement indique son intention de ne pas prendre en compte les créations ou extensions de niches instaurées par le plan de relance, en principe non pérennes.

La baisse de la TVA sur la restauration prévue par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, dont le coût en année pleine est évalué à 3 milliards d'euros, fait ainsi son entrée dans le tome II du fascicule des Voies et moyens, qui retrace l'ensemble des dépenses fiscales. En 2010, cette mesure serait la cinquième niche la plus coûteuse. On ne peut manifestement la considérer comme intégrée au plan de relance, et elle est en principe pérenne...

(2) La décision du Gouvernement de considérer que cette disposition ne s'applique qu'à la situation en « régime de croisière »

Le Gouvernement retient une interprétation laxiste de la règle de « gage des niches », qui la vide de fait de l'essentiel de sa portée.

En effet, il indique, dans son rapport précité relatif au débat d'orientation des finances publiques pour 2010, que « le coût des dépenses fiscales et des niches sociales à prendre en compte pour le gage devra être apprécié en régime de croisière ».

Ainsi, il met en avant le fait que les mesures relatives aux niches fiscales prises à partir de la loi de finances initiale pour 2009 auront pour effet, en 2013 (soit une année après la fin de la période couverte par la loi de programmation des finances publiques), d'accroître ces niches de seulement 0,2 milliard d'euros. Cependant, les années précédentes les alourdissements nets de niches fiscales seront significatifs : 2,2 milliards d'euros en 2010, 1,3 milliard d'euros en 2011, et encore 1 milliard d'euros en 2012.

La mise en oeuvre de la règle de gage des mesures relatives aux niches fiscales prévue par l'article 11 de la loi de programmation des finances publiques

(en milliards d'euros, par rapport à la situation à droit 2008 inchangé)

2010

2011

2012

2013

Droit actuel

Mesures proposées par le Gouvernement en PLF 2009

0,6

0,8

0,8

0,8

dont mesure agrocarburants

0,6

0,8

1,1

1,1

dont autres mesures proposées en PLF 2009

0

0

-0,3

-0,3

Coût des amendements au PLF 2009

-0,3

-0,1

0,2

0,9

dont amendement mesure agrocarburant

-0,1

-0,1

-0,1

-0,1

dont amendement demi-part supplémentaire

0,1

0,3

0,6

0,9

dont autres amendements

-0,4

-0,3

-0,3

0,1

Coût des mesures nouvelles mise en place par d'autres lois

-2,8

-2,5

-2,5

-2,4

dont loi outre-mer

-0,3

-0,3

-0,4

-0,3

dont loi pour le logement

-0,1

0

0

0,1

dont TVA restauration (loi de développement et de modernisation des services touristiques)

-3

-3

-3

-3

dont Loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion

0,6

1

1

1

dont basculement d'une partie de la PPE vers le RSA

0,3

0,6

0,6

0,6

dont suppression du dégrèvement d'office de TH attaché au statut de bénéficiaire du RMI

0,4

0,4

0,4

0,4

dont LFR 2008 et 2009

0

-0,1

-0,1

0

DROIT ACTUEL

-2,5

-1,8

-1,5

-0,7

Mesures proposées par le Gouvernement en PLF 2010

0,3

0,5

0,5

0,5

Impact de la suppression de la TP

0,8

0,8

0,8

0,8

Impact taxe carbone

-0,6

-0,6

-0,6

-0,6

dont impact RSTA

0,1

0,1

0,1

0

Modification des modalités de taux réduit de TVA sur travaux de rénovation

0,1

0,1

0,1

0,1

Verdissement du CI TEPA

0

0

0,1

0,2

Autres variations

-0,1

0

0,1

0,1

Solde après prise en compte du présent projet de loi de finances

Solde

-2,2

-1,3

-1

-0,2

Remarque importante : contrairement à ce qui est habituellement le cas, la présentation retenue par le Gouvernement, et conservée ici, prend pour référence le droit de 2008 (et non le droit de l'année précédente, ce qui correspond à la présentation dite en « mesures nouvelles »). Ainsi, en 2010 l'ensemble des mesures relatives aux niches prises à partir de la loi de finances initiale pour 2009 aggraveront le déficit de 2,2 milliards d'euros, et en 2013 elles l'aggraveront de 0,2 milliard d'euros.

Un signe négatif indique un coût.

Conformément à l'interprétation de la règle de gage faite par le Gouvernement dans son rapport relatif au débat d'orientation des finances publiques pour 2010, les mesures du plan de relance ne sont pas prises en compte.

Sources : projet de loi de finances pour 2010, tome II du fascicule « Voies et moyens »

Cette réduction nette des nouvelles niches prévue entre 2010 et 2013 vient du fait que loi de finances pour 2009 comprend diverses dispositions dont l'impact évoluerait au cours du temps :

- l'amendement sur la demi-part supplémentaire, après avoir rapporté seulement 0,1 milliard d'euros en 2010, en rapporterait 0,9 milliard en 2013 ;

- les autres amendements, considérés globalement, coûteraient 0,4 milliard d'euros en 2010 mais rapporteraient 0,1 milliard d'euros en 2013.

La prise en compte du seul impact à long terme des dispositions relatives aux niches vide la règle de la loi de programmation des finances publiques de l'essentiel de sa portée. En effet, on conçoit bien que le Gouvernement de 2013 ne se sentira pas lié par les décisions prises par le Gouvernement actuel, et que rien ne l'empêcherait, si la règle de compensation des niches est toujours en vigueur, d'instaurer à son tour de nouvelles niches, dont la durée serait limitée à quelques années ou qui seraient compensées par des mesures ne devant entrer en vigueur que progressivement.

Par ailleurs, le coût effectif des mesures en « régime de croisière » ne pourra être vérifié que trop tardivement pour qu'il soit possible de juger de l'effectivité de l'application de la règle. Cette interprétation n'est évidemment pas conforme à l'esprit de la loi.

b) L'application effective de la règle de gage global de l'ensemble des mesures nouvelles fiscales ou sociales d'ici 2012 suscite certaines interrogations
(1) Une disposition qui ne doit pas forcément s'appliquer annuellement

La principale disposition de la loi de programmation des finances publiques tendant à sécuriser les prélèvements obligatoires est son article 10, qui prévoit qu'au titre de la période de programmation, les mesures nouvelles (qu'il s'agisse ou non de la création de « niches » : cela inclut donc les autres allégements, mais aussi les alourdissements) relatives aux recettes fiscales nettes de l'Etat ou aux recettes des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ne peuvent avoir pour conséquence de réduire ces recettes par rapport à certains niveaux , définis en euros courants. Cette règle doit être appliquée séparément à ces deux catégories de recettes (une consolidation globale n'est pas possible).

Dans la situation actuelle, les recettes étant nettement inférieures à ces montants, et devant probablement le rester d'ici 2012, cela signifie que la sommation de toutes les mesures nouvelles de 2009 à 2012 (les créations et extensions de niches, mais aussi les autres allégements, ainsi que les alourdissements) devra être neutre ou positive.

Les mesures nouvelles relatives aux impôts locaux ne sont pas concernées, la loi se référant explicitement aux « recettes fiscales nettes de l'Etat ».

On rappelle que le Gouvernement a donné un avis défavorable à un amendement de la commission, selon lequel cette règle s'apprécierait chaque année. Il convient donc d'être vigilant sur son application effective d'ici 2012.

(2) L'obligation d'alourdir d'ici 2012 les prélèvements obligatoires d'environ 6 milliards d'euros par rapport au droit actuellement prévu

La commission des finances s'est efforcée de synthétiser les principales mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires prévues en 2009, 2010 et 2011. Au total, l'ensemble de ces mesures s'élève à 6,6 milliards d'euros, dont 3,2 milliards d'euros pour la suppression de la taxe professionnelle. Si l'on prend en compte l'Etat et la sécurité sociale, seuls concernés par les règles fixés par la loi de programmation des finances publiques, les mesures nouvelles de 2009-2011 auront pour effet d'accroître les recettes de 2011 de 3,4 milliards d'euros. Cependant, la règle s'applique séparément à l'Etat et à la sécurité sociale. Comme les mesures nouvelles accroissent les recettes de la sécurité sociale de 3,1 milliards d'euros et réduisent celles de l'Etat de 6,5 milliards d'euros, c'est uniquement ce dernier chiffre qui doit être retenu.

Certes, d'autres interprétations de la règle sont possibles. Il n'est pas précisé, par exemple, si elle s'entend ou non au sens de la comptabilité nationale, ou si les mesures nouvelles résultant, à compter de 2009, de textes antérieurs à la loi de finances initiale pour 2009, doivent ou non être prises en compte. Cette règle n'en semble pas moins impliquer que d'ici 2012, en sus des mesures nouvelles actuellement prévues, soient prises des mesures nouvelles augmentant les recettes fiscales nettes de l'Etat de l'ordre de 6 milliards d'euros (soit environ 0,3 point de PIB).

Les principales mesures fiscales et sociales en 2009, 2010 et 2011

(en mesures nouvelles et en milliards d'euros, selon les concepts de la comptabilité nationale)

2009

2010

2011

Total

Sous-total PLF 2010

-

-12,5

11,5

-1

Réforme taxe professionnelle

-

-11,7

8,5

-3,2

Taxe carbone

-

1,5

-0,4

1,1

Prorogation de la mesure relance du crédit impôt recherche

-

-2,5

3

0,5

Autres mesures

-

0,2

0,4

0,6

TVA restauration

-1,5

-1,5

0

-3

Sous-total Plan de relance

-12,8

14,3

0

1,5

Crédit impôt recherche

-3,8

4,8

0

1

Remboursement anticipé de RAD

-3,7

5,3

0

1,6

Augmentation du taux de l'amortissement dégressif

ND

-0,4

0

-0,4

Mensualisation des remboursements de crédits TVA*

-3,5

3,5

0

0

Mesures en faveur des classes moyennes modestes

-1

1

0

0

Sous-total TEPA

-2,1

-0,6

-0,5

-3,2

Crédits d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt

-0,5

-0,5

-1

Allégement des droits de successions et de donations

-0,2

0

-0,2

Sous-total PLF 2009

0

-0,1

0,1

0

Suppression de l'IFA

-0,3

-0,6

-0,4

-1,3

Aménagements du soutien aux biocarburants

0,3

0,2

0

0,5

Instauration d'un éco-PTZ

-0,1

0

-0,1

Imputation du RSA sur la PPE

0,3

0,3

0,6

Limitation du bénéfice de la demi-part supplémentaire

0,1

0,2

0,3

Sous-total PLFSS 2010

-

1

0,1

1,1

Forfait social

0,4

0

0,4

Suppression exonérations décès (assurance vie)

0,3

0

0,3

Baisse seuil cession valeurs mobilières

0

0,1

0,1

Contribution exceptionnelle sur les organismes complémentaires

0,3

0

0,3

Retraites chapeau

0

0

0

Sous-total autres mesures

0

-1,1

-0,9

-2

TOTAL DES PRINCIPALES MESURES

-16,4

-0,5

10,3

-6,6

Dont Etat

-18,4

10,2

1,7

-6,5

Dont sécurité sociale

2

1

0,1

3,1

Dont collectivités territoriales

0

-11,7

8,5

-3,2

* En comptabilité budgétaire, la mesure coûte 6,5 milliards d'euros en 2009. Cela vient du fait que la comptabilité nationale, qui raisonne en droits constatés, ne prend en compte que le coût correspondant aux entreprises qui ne se seraient pas fait rembourser (même plus tard) en l'absence de la mesure.

Remarque importante : conformément à l'usage, la présentation retenue ici est celle dite en « mesures nouvelles », c'est-à-dire indiquant l'évolution du droit par rapport à l'année précédente. Ainsi, la mesure « TVA restauration » coûte 3 milliards d'euros par an en régime de croisière (dernière colonne), mais comme elle est entrée en vigueur mi-2009 l'impact par rapport au droit de l'année précédente est de 1,5 milliard d'euros en 2009, 1,5 milliard d'euros en 2010 et est nul ensuite.

L'impact par rapport à une situation à droit inchangé depuis 2008 est donc la somme des mesures nouvelles, présentée dans la dernière colonne.

Sources : commission des finances du Sénat, d'après le rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, et les estimations révisées du coût du plan de relance

Les modalités retenues par le Gouvernement pour l'application de l'article 11 précité de la loi de programmation laissent cependant craindre qu'il considère que cette règle s'entend également en « régime de croisière ». Il pourrait ainsi considérer que les mesures destinées à « gager » d'ici 2012 les diminutions nettes de recettes fiscales de l'Etat ou de recettes des régimes obligatoires de base n'ont pas vocation à entrer en vigueur en 2012, mais peuvent le faire bien au-delà, ce qui, là encore, priverait la règle de l'essentiel de sa portée.

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