2. Les inquiétudes de la délégation relatives à la dignité et à la sécurité des femmes hospitalisées
Au cours d'un entretien chargé d'émotion, Mme Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie (FNAPSY), a apporté à la délégation un certain nombre de témoignages particulièrement alarmants sur la situation de détresse de certaines femmes hospitalisées sous contrainte.
La délégation note que la fédération qu'elle préside, et qui regroupe actuellement 64 associations sur toute la France, soit environ 7 000 personnes, a préféré l'utilisation du terme d' « usager » à celui de « patient » : cette terminologie évite ainsi de stigmatiser des personnes et, tout particulièrement, des mères dont certaines craignent d'être privées de leurs enfant si elles révèlent leurs difficultés psychologiques.
a) Les prémisses de l'analyse : la nécessité d'un renforcement de la prévention
Mme Claude Finkelstein a souligné devant la délégation la spécificité des maladies psychiatriques qui sont, par nature, fluctuantes, traitées sur le long cours et n'offrent pas de perspective de guérison définitive mais plutôt de stabilisation temporaire , avec une forte probabilité de rechutes. Elle a considéré que le terme de « dysfonctionnement » était le plus approprié pour désigner la maladie mentale en général.
Toutefois, la représentante de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie a constaté que l' hospitalisation revêtait, dans la quasi-totalité des cas, la forme de l'urgence, dans la mesure où aucun dispositif de prévention n'était mis en oeuvre en matière de psychiatrie . Elle a en effet souligné que, la plupart du temps, le diagnostic de la maladie mentale n'était établi que tardivement et que 80 % des hospitalisations se faisaient à l'occasion de la survenue d'une crise mentale. Elle a mis en avant l'importance, dans ce contexte, de l'environnement du malade, et notamment de l'accompagnement familial ou de la qualité du suivi par le médecin généraliste.
De façon réaliste, elle a également constaté que les hospitalisations étaient souvent rendues difficiles par l'ignorance ou le déni, par le patient, de sa propre maladie . Elle a relevé que l'hospitalisation sous contrainte était moins strictement encadrée en France que dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne où elle était automatiquement suivie, au bout de 72 heures, de l'intervention d'un juge des libertés. Elle a déploré cette absence de contrôle, estimant que les personnes hospitalisées de façon contrainte n'avaient pas la possibilité de se défendre ni, a fortiori, celle d'avoir accès à un avocat.
Il est, bien entendu, regrettable que les hospitalisations soient le plus souvent placées sous le signe de l'urgence, faute de prévention. Les parlementaires de la délégation ont cependant rappelé les difficultés concrètes auxquelles doivent faire face les mesures préventives. On peut en effet se demander dans quelle mesure le respect de la volonté d'un patient qui refuse de se soigner ne peut pas déboucher sur une situation de non-assistance à personne en danger.
Mme Blandine Cabannes-Rougier, psychiatre, observant également que les troubles psychiatriques sont des maladies chroniques qui réclament des soins et une médication à long terme, a, de façon pragmatique, souligné la nécessité du dialogue avec les familles des patients pour les convaincre du caractère bénéfique de l'hospitalisation dans les phases de « décompensation » des malades.
b) Les conditions d'hospitalisation sous contrainte : mieux garantir le respect à la dignité des femmes
Mme Claude Finkelstein a comparé les conditions de l'hospitalisation pour les femmes à celles de la prison, rappelant que les femmes arrivaient en hôpital psychiatrique sans vêtements, ni effets personnels et que leur intimité n'était pas respectée. Insistant sur l'importance de la protection et de la prise en charge du corps chez les personnes atteintes de maladies psychiques, elle a déploré des conditions d'hébergement peu dignes dans les hôpitaux psychiatriques français, contrairement à la situation de certains autres pays européens. Se référant aux établissements qu'elle avait été amenée à connaître, elle a indiqué que les femmes étaient accueillies dans des salles pouvant comporter jusqu'à trois ou quatre lits, avec les sanitaires et les douches à l'extérieur, au bout d'un couloir. Elle a insisté sur l'insalubrité de certaines chambres d'isolement, comme à l'asile psychiatrique de Charenton, où existe encore le système des seaux hygiéniques. Elle a par ailleurs cité l'exemple du centre hospitalier de Fréjus, dont le service psychiatrique comporte une salle d'isolement sans fenêtre, d'environ 5 mètres carrés, équipée d'un seul matelas à même le sol et de toilettes à la turque.
Elle a également indiqué aux membres de la délégation que les doléances les plus fréquentes chez les femmes hospitalisées dans des structures psychiatriques concernaient la propreté , les douches et la tranquillité notamment. Elle a également soulevé la problématique des visites des familles et surtout des enfants, auxquels on ne savait généralement pas expliquer les raisons de l'hospitalisation de leur mère.
c) Le risque de briser le lien mère-enfant
Mme Claude Finkelstein a souligné que les femmes concernées étaient, dans de nombreux cas, en instance de divorce, et que le fait d'être hospitalisées pour des raisons psychiatriques était de nature à compromettre leurs chances d'obtenir la garde de leur enfant, alors que la volonté de les conserver pouvait aider à se stabiliser.
Elle a ensuite considéré que l'hospitalisation en structure psychiatrique constituait généralement un choc plus violent pour les femmes que pour les hommes et a précisé que ces derniers étaient davantage touchés dans leur parcours professionnel, tandis que les femmes se voyaient dénier leurs droits et leur rôle de mère. Elle a d'ailleurs insisté sur la forte stigmatisation dont étaient victimes les femmes qui ont séjourné en hôpital psychiatrique.
Votre rapporteure note que la délégation a enregistré des doléances similaires chez les femmes détenues dans les prisons avec cette même insistance sur le maintien du lien avec l'enfant.
d) La difficile question des viols et de la sexualité des patientes hospitalisées en psychiatrie
Mme Claude Finkelstein a ensuite indiqué à la délégation que les problèmes de violences envers les femmes étaient fréquents au sein des structures psychiatriques. Elle a, à ce sujet, évoqué le cas d'une jeune fille de treize ans qui, ayant été hospitalisée dans un service d'adultes à la suite d'une tentative de suicide, avait été violée et violentée par un autre patient, la direction de l'établissement ayant refusé d'installer un système de porte à verrou.
Elle a également déploré certaines formes de prostitution des femmes au sein des hôpitaux , parfois dans le seul but d'obtenir des cigarettes, du fait d'une situation de dépendance au tabac relativement fréquente chez les personnes sous traitement antipsychotique. Elle a indiqué que des relations sexuelles avaient lieu dans l'enceinte des structures psychiatriques malgré leur interdiction, que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à contracter des maladies sexuellement transmissibles, et qu'elles couraient, en outre, le risque de tomber enceintes, du fait de l'absence de préservatifs dans les établissements.
e) Une prise en compte suffisante de la fragilité des femmes ?
En réponse à une interrogation de votre rapporteure, sur l'opportunité de laisser en prison des femmes présentant des troubles psychiatriques graves, Mme Claude Finkelstein a indiqué que nombreuses étaient celles qui disaient préférer la prison à l'hôpital psychiatrique.
Elle a ajouté que les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP), chargées, en application de l'article L.3222-5 du code de la santé publique, « d'examiner la situation des personnes hospitalisées en raison de leurs troubles mentaux au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes », faisaient état d'une grande détresse féminine au sein des hôpitaux psychiatriques, et notamment de la part des femmes immigrées.
Elle s'est déclarée favorable à des unités pour malades difficiles (UMD) pour les personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques, afin que ces dernières puissent être enfermées, mais dans des lieux de soins. Elle a, en revanche, indiqué être défavorable aux Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les détenus au sein des hôpitaux psychiatriques, considérant que ces dernières devraient être réservées aux personnes en hospitalisation libre ou contrainte mais qui n'ont pas commis de crime.
Elle a indiqué que, d'après une enquête réalisée par la FNAPSY, la proportion de demandes de levées d'hospitalisation sur demande d'un tiers (HDT) ou d'hospitalisation d'office (HO) que les CDHP ont à examiner est d'environ 55 % d'hommes et de 45 % de femmes. Elle a relevé que les hommes avaient, dans le cadre d'une hospitalisation, davantage de facilité à faire valoir leurs droits et a souligné également que les femmes hésitaient souvent à se faire soigner en hôpital psychiatrique pour protéger leurs enfants et par crainte d'être stigmatisées.
Interrogée par les parlementaires de la délégation sur les modalités d'accompagnement souhaitables pour les enfants dont la mère est hospitalisée, Mme Claude Finkelstein, sur la base de son expérience personnelle, a insisté sur l'importance de l'entourage, de la famille et des amis qui constituent des relais précieux pour prendre en charge les enfants de femmes atteintes d'une maladie mentale. Elle a ajouté que l'alcoolisme de la mère était la maladie la plus marquante et déstabilisante pour les enfants. Elle a également souhaité que soient mis en place des systèmes d'aide pour ces femmes afin de leur apporter un soutien matériel pendant la période de traitement, et notamment les problèmes de ménage ou encore les problèmes administratifs.
Mme Blandine Cabannes-Rougier, psychiatre, a indiqué qu'elle avait travaillé, pendant toute sa carrière hospitalière, dans des lieux mixtes où sont institués un certain nombre d'interdits portant sur l'alcool, la drogue et les relations sexuelles : leur transgression appelle les personnels hospitaliers à une grande vigilance, notamment pour protéger l'intégrité et l'intimité des femmes. Elle a témoigné de la rareté des violences incontrôlées, tout en signalant la difficulté d'interprétation de certains témoignages ainsi que le cas particulier des femmes dont la pathologie inclut des attitudes « séductrices » ou qui peuvent se plaindre d'agressions sexuelles dont la réalité peut être sujette à caution. Évoquant les développements du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui proposait d'autoriser la vie en couple, elle a estimé qu'il convenait de bien différencier les lieux thérapeutiques et les lieux de vie.
M. Roland Lubeigt a précisé que la mise en oeuvre du principe de mixité devait s'accompagner de la prise en compte des difficultés qu'il peut engendrer dans l'organisation des établissements hospitaliers. Il a souligné qu'à l'heure actuelle, en cas d'agression, de plainte ou lorsqu'une patiente évoquait une agression sexuelle, la conduite à tenir par les personnels hospitaliers était formalisée par un protocole précis : le médecin entend les patients concernés, les services de police sont aussitôt prévenus, et des consignes prévoyant la fermeture des chambres ainsi que la préservation des preuves matérielles sont appliquées.