DÉBAT AVEC LA SALLE

Mme Françoise Claireaux, conseillère municipale déléguée à la Jeunesse de la ville d'Asnières-sur-Seine

J'ai de temps en temps l'occasion d'être confrontée à des femmes victimes de violences et aussi à des cas semblables à ceux que vous avez évoqués. Je voudrais dire que je les envoie toutes dans un centre spécialisé pour femmes victimes de violences. La très grosse majorité d'entre elles acceptent d'y aller une fois, elles ne veulent jamais y retourner une seconde fois. La raison essentielle est qu'on n'arrive pas à répondre immédiatement à un certain nombre de problèmes. Je crois que c'est vraiment grave, car elles manifestent une volonté de s'en sortir mais se trouvent confrontées un peu à un mur.

L'insuffisance des moyens de ces structures est énorme, ce qui fait que ces femmes s'exposent quelque part, et prennent des risques en allant dans ces centres. Finalement, il n'y a pas vraiment de réponse. Il y a des réponses pour les cas les plus dramatiques, puisque ces centres sont obligés de faire des choix, mais en réalité je crois qu'on a un besoin urgent de remédier encore plus à toutes ces questions. Je voudrais remercier spécialement ces deux personnes qui ont témoigné de leur vécu. Il faut avoir été capable de dépasser un certain nombre de problèmes pour faire ce que vous avez fait aujourd'hui.

Mme Michèle André, présidente

Nous sommes persuadés qu'il manque des moyens, des formes de prise en charge. C'est évident. Une autre question.

Leïla, auteure de « Mariée de force »

Bonjour, je me présente, je suis l'auteure de « Mariée de force » , un livre qui est paru il y a quelques années en France, dans lequel je racontais mon histoire. J'ai subi un mariage forcé. La question que je pose est la suivante : ne faudrait-il pas penser faire de la prévention dès le plus jeune âge dans les collèges et que les politiques nous considèrent comme des Français à part entière ?

J'ai utilisé un terme qui est très politiquement incorrect. Cela fait un certain nombre d'années que j'écris aux différents présidents de la République, aux politiques, etc. Je n'ai jamais eu aucune réponse, si ce n'est d'être reçue par les conseillers des uns et des autres. On m'a répondu que c'était un problème très sensible et qu'il ne faudrait pas être accusé d'intrusion dans la vie de ces gens - ces gens, c'est-à-dire nous -.

Aujourd'hui, je me pose des questions. Je m'adresse aux politiques français, puisque je suis française aussi : sommes-nous, à leurs yeux, des Français à part entière ? Je rêve de voir au moins un politique se lever, parler haut et fort de cette problématique, de ce problème social français et nous venir en aide. Il faut arrêter de se voiler la face. Doit-on se considérer - je m'excuse vraiment pour le terme que je vais utiliser - comme des « bâtardes » dont la France ne veut pas ?

Je suis très dure en utilisant ce terme, mais c'est vraiment pour faire ressortir la violence de la situation. Je suis française. Il y a beaucoup de problèmes. Je ne fais qu'écrire. Je fais comme Karima, j'envoie beaucoup de courriers à gauche et à droite. Le bureau de poste où j'achète mes timbres me connaît. Je n'ai jamais eu aucune réponse. La seule réponse que j'ai eue est celle-ci : « Oui, vous savez, c'est un problème sensible qu'on a du mal à traiter » . Aujourd'hui, je me pose plusieurs questions. Je suis intervenue dans de nombreux colloques. Je suis allée en Suisse, j'ai travaillé sur un documentaire. La Suisse se sent beaucoup plus concernée par la problématique des mariages forcés. Heureusement pour eux, et malheureusement pour nous. Nous sommes en 2010, et le mariage forcé est toujours d'actualité.

Mme Michèle André, présidente

Vous êtes là aujourd'hui avec nous, et nous considérons justement que c'est un problème. Ce colloque aujourd'hui au Sénat est bien là pour montrer qu'il faut le prendre en charge. Il faut le regarder en face ; c'est ce que disent les uns et les autres. C'est la vraie lutte dont Anne-Marie Lizin parlera cet après-midi qui nous oppose, dans les enceintes internationales, à certains pays qui s'érigent en gardiens de ces traditions.

J'ai été confrontée à cette question, que certains d'entre vous ont d'ailleurs connue il y a vingt ans, lorsque j'étais secrétaire d'État aux droits des femmes. J'ai vu un moment s'installer une forme d'acceptation de coutumes, de traditions, de barbarie au moment où s'est posée en France la question de l'excision.

À l'époque, moi, ministre, j'ai dit fermement : « Non, il est hors de question de pratiquer l'excision sur le sol français. C'est impossible. Rien ne le permet. Ce n'est pas la religion qui le demande, et quand bien même le demanderait-elle ! Non, non, non ! » Vous avez devant vous aussi des politiques qui ne veulent pas de cela, et qui vous considèrent comme des citoyennes à part entière.

Les femmes ont tant lutté pour être citoyennes à part entière. C'était le slogan de mes années de militantisme de jeunesse. Nous voulions être reconnues comme des citoyennes à part entière, pas des sous-citoyens, tout comme vous, aujourd'hui. Il faut regarder les choses en face et dire que la liberté du mariage s'applique à tous. Nous nous battons d'ailleurs pour qu'elle s'applique entre des personnes de nationalités différentes, pour que le droit du mariage soit appliqué.

Ici, nous vous apportons une réponse ferme. Oui, nous sommes des citoyens égaux, des citoyennes égales et nous ne voulons pas de pratiques dans lesquelles on bafoue la liberté. C'est évident. Je pense qu'Anne-Marie le redira cet après-midi. Nous en avons apporté la démonstration ensemble dans d'autres espaces. C'est absolument indispensable de considérer cela ainsi. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu aujourd'hui aborder cette problématique à cette tribune, officiellement, pour dire : « Nous, femmes parlementaires, hommes parlementaires, nous ne voulons pas de pratiques dans lesquelles on céderait le pas à ces traditions » .

Nous savons bien cependant qu'au niveau international c'est très difficile. Nous l'avons vécu, il y a très peu de temps, à l'ONU, lors d'un vote où les partisans de la tradition ont gagné sur ceux de la liberté. C'est cela le combat. Nous sommes fermement décidés à ne pas laisser installer des pratiques qui sont contraires au libre mariage, au libre choix du mariage. Même si l'on considère que toutes ces unions ne réussissent pas, au moins il y va pour chacun de son aventure et de sa vie personnelle, d'un choix de personnes.

Mme Justine Rocherieux, membre de l'association Groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS)

Je suis Justine Rocherieux de l'association GAMS, une association qui travaille aussi sur la thématique du mariage forcé, notamment dans l'accompagnement des victimes. Nous faisons partie du réseau « Agir avec elles » qui inclut plusieurs autres associations, dont l'association « Voix de femmes » dirigée par Christine Jama que nous entendrons tout à l'heure.

Je voulais apporter des précisions par rapport à certaines thématiques qui viennent d'être évoquées : quel accompagnement propose-t-on ? Que peut-on faire ? Quel est le positionnement moral et politique de la société française ?

Je pense qu'on est dans une récurrence. Sur l'ensemble des violences, en particulier celles faites aux femmes, on peut remarquer qu'il a fallu plusieurs années, voire décennies et siècles, pour que les choses soient prises en compte, mises en lumière, qu'elles soient considérées non plus comme quelque chose de privé, mais comme quelque chose de sociétal qui intéresse tout le monde.

Sur la thématique des mariages forcés, on est exactement dans les mêmes schémas, avec une sorte de handicap supplémentaire qui est celui de la différence culturelle. Non seulement c'est une violence familiale, privée, etc., mais en plus ce n'est « pas de chez nous », d'où un double ou triple tabou, ce qui explique que, pendant très longtemps et encore parfois aujourd'hui, on peut se voir répondre par les services sociaux, la police, la loi que c'est leur « truc » à eux, qu'ils font comme cela chez eux, et qu'on ne doit pas s'en mêler.

Au niveau de l'hébergement, vous avez raison Françoise, c'est vraiment le socle sur lequel on doit faire reposer l'accompagnement et la résolution de ce type de situation. La France n'est effectivement pas très en avance sur cette dimension, malheureusement. Dans l'exploration que nous avons pu faire avec le réseau dans d'autres pays européens, nous avons remarqué et constaté que certains pays avaient, depuis de nombreuses années, mis en place des dispositifs d'hébergement spécialisés qui fonctionnent bien, sont vraiment efficaces et compétents. Ils font la démonstration qu'on peut régler ce genre de situation.

On s'en est inspiré et - c'est aussi l'occasion de l'annoncer - le réseau « Agir avec elles » a enfin des pistes plus que sérieuses autour de la création d'un foyer d'hébergement spécialisé dans l'accueil des jeunes filles et des jeunes femmes en situation de rupture familiale, du fait d'une situation de mariage forcé ou de crime dit d'honneur. Ce foyer s'ouvrira dans le cadre d'un partenariat avec la Croix-Rouge, l'association porteuse qui nous permet de pouvoir trouver cette structure.

Aujourd'hui, nous sommes bien lancés, les choses ont bien avancé, néanmoins on continue d'avoir besoin du soutien des politiques à tous les niveaux. Vous savez sans doute mieux que moi qu'un foyer ne s'ouvre pas comme cela, cela demande énormément de démarches, de soutiens, de passer des agréments. On avance étape par étape, mais nous serons sans doute amenés encore une fois à vous solliciter prochainement.

Tout cela pour vous dire que les choses avancent petit à petit. Je ne dirai pas qu'il faut être patient, car on ne peut pas être patient, c'est clair. Au fur et à mesure, les choses continuent d'avancer. C'est à nous aussi à continuer à être « droites dans nos bottes ».

Mme Michèle André, présidente

Ce n'est pas une belle formule !

Mme Justine Rocherieux

Je l'aime bien.

Mme Michèle André, présidente

Elle est très militaire.

Mme Justine Rocherieux

On parle de choses graves, on parle de violences. Il n'y a aucune raison d'être dans la nuance. Nous continuons d'être « droites dans nos bottes ». Ce sont des violences qui sont inacceptables. Peu importe qu'elles soient considérées comme culturelles et même parfois exotiques - c'est l'un des mots qui peut être employé -, on doit trouver une solution efficace.

Mme Michèle André, présidente

Cela devance la deuxième table ronde que nous allons installer dans quelques minutes. Je ne vais pas pouvoir prendre toutes les questions, sauf si elles s'adressent vraiment à Karima et à Fatou. On aura plusieurs moments d'échanges. Je vais remercier Christelle Hamel, Emmanuelle Piet, Fatou et Karima.

Je vais demander aux animatrices et animateurs de venir à cette tribune pour la deuxième table ronde, que je vais laisser présider par la vice-présidente Christiane Kammermann, qui est là à mes côtés. Je demande à Catherine Morbois de venir. Catherine Morbois était déléguée régionale au ministère des droits des Femmes en Ile-de-France. Je demande à Latifa Drif, membre de l'association départementale du planning familial de Montpellier, à Christine Jama, juriste et directrice de « Voix de femmes » de nous rejoindre.

Nous allons aussi installer les représentantes des pouvoirs publics avec Clémentine Blanc, magistrate, qui représente le Bureau des droits des personnes et de la famille à la Direction des Affaires civiles et du Sceau, ainsi que Claudine Serre, diplomate, chef du Bureau de la protection des mineurs et de la famille à la Direction des Français de l'étranger. Je laisse la présidence à Christiane qui va animer ce débat.

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