3. Le renforcement de la répression des violences

- L'article 16 (art. 41-1 du code de procédure pénale) établit une présomption de refus de recours à la médiation pénale en cas de demande d'une ordonnance de protection.

Les associations de femmes, au cours de leur audition, ont rappelé qu'elles militent depuis plusieurs années en faveur de la prohibition du recours à la médiation pénale dans les cas de violences au sein du couple ou qui sont commises par un « ex ». En effet, la médiation pénale, dont l'efficacité repose sur l'égalité entre deux protagonistes, leur parait par nature inadaptée dans le cadre d'un couple qui se caractérise par la domination de l'auteur de violences sur sa victime. Conformément à ce raisonnement, certains parquets ont déjà banni le recours à la médiation pénale dans les affaires de violences conjugales : cet article généralise cette bonne pratique.

- L'article 17 (art. 222-13-1 [nouveau] du code pénal) crée un délit de violences psychologiques : pour l'essentiel, sa rédaction s'inspire de l'article 222-33-1 du code pénal qui définit le harcèlement moral au travail et l'adapte aux relations de personnes ayant eu une relation de couple : « Le fait de soumettre son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ou un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin à des agissements ou des paroles répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie susceptible d'entraîner une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. »

Du point de vue juridique, depuis la fin du XIX e siècle, la jurisprudence admet que les violences peuvent ne pas se limiter à des atteintes physiques mais peuvent consister en des violences psychologiques : dans un arrêt du 19 février 1892, la chambre criminelle de la Cour de cassation affirmait ainsi que les violences réprimées par la loi peuvent s'entendre de celles qui « sans atteindre matériellement la personne sont cependant de nature à provoquer une sérieuse émotion ». Plus récemment, et par exemple,  en l'absence de tout contact physique direct entre l'agresseur et l'agressé, deux prévenus ont pu être condamnés pour violence volontaire : l'un adressait par la voie postale des lettres anonymes contenant des papiers sur lesquels il dessinait des croix gammées et des cercueils et, dans certains cas, des écrits injurieux (arrêt du 13 juin 1991 - bulletin criminel 1991, n° 253) ; l'autre avait mis une annonce sur le minitel rose ainsi libellée : « Jeune fille de 21 ans cherche homme viril » mentionnant les nom, prénom et domicile d'une ancienne amie (arrêt du 17 juin 1992 - Bulletin criminel 1992, n° 243). Le droit français permet donc de condamner des agissements qui sans atteindre matériellement la personne sont cependant de nature à provoquer un « choc émotif ».

Au-delà du « choc émotif » provoqué par des actes ponctuels, la chambre criminelle précise, dans un arrêt du 2 septembre 2005, que le délit de violence peut être constitué d'un « comportement de nature à causer sur la personne une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique ». De façon plus spécifique, le fait de harceler autrui au téléphone constitue d'ores et déjà le délit d'appels téléphoniques malveillants réitérés dans le droit en vigueur (art. 222-16 du code pénal).

Constatant cependant que le harcèlement moral qui se caractérise par la répétition d'agissements ou de paroles à l'origine d'un préjudice n'est sanctionné que dans le cadre des relations de travail, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité la transposition de cette notion dans les relations de couple.

En complément des nombreux développements qui sont intervenus sur ce sujet et sur la base des auditions qu'elle a pu effectuer, votre rapporteure a entendu deux principales inquiétudes relatives à l'application d'un tel dispositif.

En premier lieu, le représentant de l'Association nationale des juges d'application des peines (ANJAP) a fait observer que le harcèlement moral était d'ores et déjà difficile à prouver dans le cadre professionnel : « Il risque de le devenir encore bien plus dans les relations de couple qui se développent le plus souvent à l'abri des regards extérieurs et en l'absence de témoins objectifs. Les juges pourraient alors être conduits à prendre leur décision sur la base des déclarations des protagonistes et des autres membres de la famille souvent mineurs et placés dans un rôle d'arbitre du conflit entre leurs parents. Très vraisemblablement, les certificats médicaux produits par les victimes constitueront dès lors un élément de preuve déterminant. Or les constatations médicales objectives sont particulièrement difficiles et l'établissement d'un lien entre le préjudice et le processus de harcèlement est difficile à établir : les classements sans suite des plaintes risquent de se multiplier, faute de caractérisation suffisante, et, devant les tribunaux, le doute profitera à la personne poursuivie. »

Une seconde objection formulée par certaines associations de femmes concerne les risques d'utilisation abusive de ce dispositif par des conjoints violents et particulièrement pervers qui tenteraient de se présenter eux-mêmes comme victime de harcèlement conjugal. En même temps, témoignant de la fréquence de l'utilisation du silence et du mutisme comme instrument de violence psychologique elles se sont interrogées sur la difficulté de leur prise en compte au niveau juridique.

Votre rapporteure estime cependant que trois arguments amènent à préconiser le maintien de cette nouvelle incrimination :

- il s'agit tout d'abord d'adresser un message particulièrement clair à la fois aux auteurs et aux victimes de harcèlement, en leur faisant prendre conscience de l'anormalité des comportements qu'ils infligent ou qu'elles subissent ;

- en second lieu, il a été observé, notamment au Canada, que l'aggravation de la sanction des violences physiques se traduisait par une augmentation de la pression psychologique au sein des couples : ce phénomène de transfert invite donc le législateur à fixer un nouveau palier de protection adapté à l'évolution des comportements ;

- enfin, il convient de souligner que la mise en oeuvre de tous les moyens permettant de pacifier les relations de couples se justifie, en fin de compte, par le devoir de protection des enfants témoins, dont le sort est trop souvent passé sous silence.

Pour ces raisons, votre rapporteure estime que le législateur doit prendre le pari que cette disposition pénale aura plus d'effets bénéfiques que d'inconvénients.

- L'article 17 bis (nouveau) (art. 132-80 du code pénal) aggrave les contraventions sanctionnant les violences commises au sein du couple

Il comble ainsi un vide juridique relevé par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 décembre 2009 selon lequel la circonstance aggravante liée à la qualité de conjoint, concubin ou partenaire de la victime, qui a été étendue au cas des ex-conjoints ou concubins par la loi du 4 avril 2006, ne s'applique que pour les seuls délits et crimes.

Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, qui ne sont normalement frappés que des contraventions, pourront dès lors être aggravées lorsqu'elles sont commises par un ancien conjoint, un ancien concubin ou un ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.

- L'article 18 (art. 224-5-3 et 224-5-4 [nouveaux] du code pénal) vise à améliorer la prévention et la répression des mariages forcés.

La loi du 4 avril 2006 a renforcé les possibilités d'annulation des mariages et en portant l'âge légal de celui-ci à 18 ans, pour les femmes comme pour les hommes.

La mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes avait envisagé la création d'un délit spécifique de contrainte au mariage, visant à punir quiconque force autrui à se marier contre son gré. Or les associations entendues par votre rapporteure ont fait observer qu'ériger la contrainte au mariage en délit spécifique serait susceptible non seulement de stigmatiser certaines familles mais aussi de dissuader certaines jeunes filles de se signaler auprès des services de police et de gendarmerie : elles seraient en effet tentées de faire prévaloir leur loyauté à l'égard de leurs parents et craindraient avant tout qu'ils puissent être emprisonnés à la suite de cette démarche.

Votre rapporteur constate que le texte adopté par l'Assemblée nationale a pris en compte cette objection. Écartant l'idée de créer un délit spécifique, il prévoit que la contrainte à conclure un mariage ou une union devient une circonstance aggravante des violences physiques ou psychologiques exercées dans ce but. Pourront ainsi incriminées les violences et les menaces qui ont été exercées pour contraindre au mariage, en fonction de leur gravité.

- L'article 18 bis (nouveau) prévoit que les autorités françaises doivent tout mettre en oeuvre pour organiser rapidement le rapatriement des personnes résidant habituellement en France victimes de mariage forcé à l'étranger .

- L'article 19 (art. L. 1153-1 du code du travail, article 222-23 du code pénal, article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) harmonise les différentes définitions du harcèlement sexuel qui coexistent dans le droit positif.

- L'article 20 (art. 222-22 du code pénal) supprime la mention d'une présomption de consentement à l'acte sexuel dans le cadre du mariage qui subsiste dans le droit en vigueur, et dont un conseiller à la Cour de cassation entendu par la mission d'information de l'Assemblée nationale a pu se demander si elle avait une portée juridique réelle. Il tire ainsi toutes les conséquences de l'article 11 de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, qui a consacré, à l'article 222-22 du code pénal, la jurisprudence reconnaissant le viol entre époux .

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