B. UNE GOUVERNANCE SIMPLIFIÉE ET RÉNOVÉE

1. La nécessaire conjugaison de la simplification des instances et de l'accroissement de la transparence des décisions
a) Une unification bénéfique des conseils d'administration

Aux termes de l'article 47-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans la rédaction issue de la récente loi sur la nouvelle télévision publique, le conseil d'administration de la société France Télévisions comprend quinze membres pour un mandat de cinq ans :

- le président désormais nommé par décret du Président de la République et non plus par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ;

- deux parlementaires désignés respectivement par les commissions chargées des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

- cinq représentants de l'État ;

- cinq personnalités indépendantes nommées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel à raison de leur compétence ;

- deux représentants du personnel.

Dans la situation antérieure, le conseil d'administration de la société France Télévisions, constitué dans des conditions semblables à celles qui prévalent aujourd'hui, hormis le cas particulier de la nomination du président, coexistait avec les conseils d'administrations des sociétés nationales de programme et des filiales ad hoc .

À France 2, France 3 et France 5, les conseils d'administration étaient construits de la même manière. En étaient membres le président de France Télévisions, deux parlementaires désignés respectivement par l'Assemblée nationale et par le Sénat, deux représentants de l'État nommés par décret, une personnalité qualifiée nommée par le CSA choisie parmi les personnalités qualifiées nommées par la même autorité au conseil d'administration de la société France Télévisions et deux représentants élus du personnel. Le conseil d'administration de RFO était bâti sur des bases similaires, le nombre de représentants de l'État étant porté à quatre et le nombre de personnalités qualifiées nommées par le CSA porté à trois. En revanche, le conseil d'administration de France 4 était plus original et reflétait le fait que la société n'avait pas été directement créée par une loi. Y figuraient quatre personnes désignées sur proposition de France Télévisions, trois autres par l'État, une autre encore désignée sur proposition d'Arte France, ainsi que deux personnalités qualifiées désignées sur proposition de France Télévisions en fonction de leurs compétences et choisies en dehors des collaborateurs des actionnaires de la société.

Les membres des différents conseils d'administration, hors cas particulier comme le président, n'étaient pas les mêmes, ce qui empêchait la plupart des conseils d'avoir une vision globale de l'activité du groupe et renforçait la dispersion de l'information et de la stratégie . De plus, la prise de décisions opérationnelles était significativement ralentie et compliquée par la nécessité de consulter successivement plusieurs conseils d'administration coresponsables. Le rassemblement des conseils d'administration en un seul organe de pilotage reprenant les pouvoirs reconnus jusque là aux conseils des chaînes et de la holding devrait simplifier la prise de décisions, accroître la réactivité de l'entreprise et faciliter la construction d'une stratégie lisible à moyen terme .

En outre, les différents représentants de l'État chargés de la tutelle (direction du budget, agence des participations de l'État, direction générale des médias et des industries culturelles) ainsi que les parlementaires membres du conseil d'administration bénéficieront d'une perspective moins fragmentée sur l'activité de France Télévisions. Les risques de perte d'information et de suivi de l'activité des chaînes semblent pour l'instant écartés d'autant que les dispositions du nouveau règlement intérieur et la pratique de la direction tendent à plus de transparence. Vos rapporteurs souhaitent que le conseil d'administration bénéficie toujours à l'avenir d'une information financière claire et précise sur les nouveaux domaines fonctionnels de l'entreprise unique , qui se sont substitués à l'ancienne structuration par chaîne.

POUVOIRS DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE FRANCE TÉLÉVISIONS

« Au titre de ses pouvoirs généraux visés à l'article L. 225-35 du code de commerce, le conseil d'administration :

« a) détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en oeuvre ;

« b) se saisit, sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et dans la limite de l'objet social, de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ;

« c) procède aux contrôles et vérifications qu'il juge opportuns.

Sans préjudice des pouvoirs susvisés, le conseil d'administration, conformément à l'article 7 de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, délibère sur les grandes orientations stratégiques, économiques, financières ou technologiques de l'activité de la société.

« Il approuve le budget annuel et, dans des conditions fixées par son règlement intérieur, les principaux engagements financiers de la société, en particulier le programme des investissements et les prises, extensions et cessions de participations financières, et autres actifs. Il est consulté sur la politique de programmation et sur les modifications substantielles de la grille des programmes.

« Il approuve le projet de contrat d'objectifs et de moyens de la société, ainsi que ses avenants, et délibère sur l'exécution annuelle de celui-ci conformément au II de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication.

« Le conseil d'administration est consulté sur le projet de cahier des charges ou toute modification de celui-ci.

« Il exerce les pouvoirs qui lui sont confiés par le cahier des charges.

« Le conseil d'administration autorise les cautions, avals et garanties à donner au bénéfice «de tiers dans les conditions prévues par les articles L. 225-35 et R. 225-28 du code de commerce.

« Le conseil d'administration adopte un règlement intérieur ayant pour objet de préciser son mode de fonctionnement ainsi que celui des comités spécialisés qu'il institue dans le respect des dispositions législatives et réglementaires applicables, y compris les présents statuts. Le règlement intérieur détermine notamment les engagements dont la nature ou le montant justifient qu'ils soient soumis au conseil d'administration. »

(Article 12 du décret n°2009-1263 du 19 octobre 2009 portant approbation des statuts de la société nationale de programme France Télévisions)

b) Des efforts de transparence à poursuivre

Il était d'usage dans le groupe France Télévisions que les contrats et conventions ne soient pas présentés pour approbation aux administrateurs, y compris aux représentants de l'État, quels qu'en soient les montants . Une information du conseil d'administration après la conclusion des accords était éventuellement assurée. Rien dans les statuts ou le règlement intérieur n'empêchait cette pratique discutable. Seuls les responsables du contrôle général et financier placés par l'État auprès de l'entreprise pouvaient examiner les projets de contrat avant leur conclusion, dès lors que leur montant dépassait 2 millions d'euros.

Tout en insistant sur les obligations de confidentialité s'imposant aux administrateurs, le nouveau règlement intérieur approuvé lors de la réunion du 9 avril 2009 témoigne d'un souci de transparence accru . Ce type de document est classique dans la plupart des entreprises pour régler les travaux du conseil et préciser le partage des responsabilités avec les organes de direction opérationnels. Pourtant, France Télévisions ne s'en était jusque-là jamais dotée. Le texte participe du renforcement et de la modernisation de la gouvernance de France Télévisions et contribue à l'installation d'un climat de confiance entre le conseil et la direction, au moment où la constitution de l'entreprise unique exige précisément une vigilance et une cohérence accrues.

Le règlement intérieur distingue nettement les points sur lesquels sont exigés une information, un examen, une consultation ou une approbation du conseil d'administration . Il prévoit notamment que le conseil approuve les accords cadres avec les organisations professionnelles du secteur de la création audiovisuelle et cinématographique et le contrat cadre de représentation et de reproduction conclu avec les sociétés d'auteurs. Plus généralement, il revient au conseil d'approuver « les opérations significatives susceptibles d'affecter la stratégie de la société et de son groupe, de modifier sa structure financière et son périmètre d'activité dès lors qu'elles ne s'inscrivent pas dans le contrat d'objectifs et de moyens » (art. 5).

De plus, le règlement intérieur renforce le rôle des comités spécialisés du conseil pour améliorer l'information des administrateurs. Il crée ainsi un comité des rémunérations qui aura pour responsabilités principales de proposer au conseil la rémunération à allouer aux administrateurs et mandataires sociaux et de se prononcer sur les systèmes de rémunération et d'incitation des dirigeants de France Télévisions. En outre, le nouveau règlement intérieur transforme le comité d'audit en comité d'audit et des comptes et relance le comité stratégique jusque là inactif.

En matière financière, le comité d'audit et des comptes, qui comprend quatre administrateurs, se réunit en régime normal quatre fois par an. Il a pour tâche d'évaluer la qualité et la fiabilité de l'information financière produite par France Télévisions. À cette fin, il recommande au conseil d'administration les commissaires aux comptes, se réunit avec eux pour examiner les normes comptables avant de passer en revue les comptes proprement dit. En outre, il veille à la qualité et aux résultats de l'audit interne et examine la politique de maîtrise des risques du groupe. À cet égard, la construction de la nouvelle organisation demande la plus grande vigilance pour que la qualité de l'information financière et la gestion des risques ne se détériorent pas . La transformation en entreprise unique nécessitant une ample redéfinition des procédures de reporting et de décision ainsi que des circuits financiers, il serait judicieux de renforcer la fonction d'audit interne au sein de France Télévisions .

Il convient également de noter que la présidence du comité d'audit et des comptes est pour l'instant assurée par le représentant de l'agence des participations de l'État (APE), alors que le droit commun des sociétés refuse une telle confusion de l'actionnaire et de l'auditeur. Cette situation semble provenir du manque de profils financiers au sein du conseil, qui aboutit par défaut au choix du représentant de l'APE. Sans doute serait-il utile de renforcer l'expertise économique et financière du conseil d'administration en y nommant des personnalités qualifiées extérieures à l'État et susceptibles d'assurer la présidence du comité d'audit et des comptes.

Le comité stratégique a d'ores et déjà joué un rôle moteur dans l'accroissement de la transparence . D'une part, il a proposé que le conseil d'administration soit saisi pour approbation des engagements en dehors des programmes d'un montant supérieur à 10 millions d'euros. D'autre part, il a constitué en son sein un sous-comité des engagements, composé de deux personnalités qualifiées et d'un administrateur représentant l'État.

Le sous-comité des engagements est chargé d'émettre un avis consultatif sur les acquisitions de programmes, avant la signature des contrats , dès lors que leur montant dépasse certains seuils fixés en fonction de la nature des programmes (15 millions d'euros pour le sport, 10 millions d'euros pour les programmes de stock et de flux). Une présentation devant le conseil d'administration sera ensuite assurée au moment de la signature. En dessous des seuils, c'est la direction générale de l'entreprise qui est pleinement compétente. Avant que la nouvelle procédure soit actée et le sous-comité des engagements saisi formellement, l'avis de la présidente du comité stratégique a déjà été sollicité par anticipation lors de l'acquisition des droits sur la coupe du monde de football. Après un examen critique du dossier, notamment de la position des chaînes privées comme M6 et de la conduite de la négociation par France Télévisions, un avis favorable a été rendu à cette occasion. Cette évolution récente constitue une avancée très significative dont vos rapporteurs se félicitent et qu'il faut poursuivre afin que les engagements financiers les plus lourds soient systématiquement approuvés par le conseil d'administration .

2. Le conseil d'administration comme lieu naturel d'élaboration de la stratégie de long terme de l'entreprise

Le défaut d'information du conseil d'administration pourtant censé veiller à la bonne marche de France Télévisions a pu être expliqué pour partie par la présence de représentants du secteur audiovisuel préoccupés de la défense des intérêts de clients ou de fournisseurs du groupe. La commission pour la nouvelle télévision publique avait souligné le risque de conflit d'intérêt que faisait naître la composition du conseil d'administration de France Télévisions . En prévoyant dans la loi du 5 mars 2009 que les personnalités désignées par le CSA doivent être des personnalités indépendantes nommées à raison de leur compétence et en supprimant les contraintes de nomination d'au moins une personne issue du mouvement associatif et d'une autre au moins issue du monde de la création ou de la production audiovisuelle ou cinématographique, le législateur a entendu exclure que les personnalités qualifiées du conseil d'administration puissent être des clients ou des fournisseurs de la société France Télévisions .

Cependant, ainsi que le relève la Cour des comptes, « la composition du conseil d'administration de France Télévisions, avant comme après l'intervention de la loi du 5 mars 2009, l'apparente davantage à une instance de conciliation d'intérêts contradictoires qu'à un organe délibérant. Ce constat tient notamment à la présence en son sein, de personnalités qualifiées ou de dirigeants d'organismes publics qui représentent en fait des intérêts qui ne coïncident pas directement avec l'intérêt social de l'entreprise » 1 ( * ) . De ce point de vue, la présence au conseil d'administration de la présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), en tant que représentante de l'État, mérite examen. En effet, le CNC est un établissement public de l'État qui assure une mission de soutien aux producteurs de cinéma et de télévision, avec lesquels France Télévisions est directement amenée à négocier des achats de programme.

Au-delà du détail de sa composition, il est important que le conseil d'administration devienne véritablement le lieu de discussion de la stratégie globale de l'entreprise . Certes le nouveau règlement intérieur prévoit que toutes les décisions importantes sont présentées, débattues ou décidées au conseil, de sorte que tout ce qui touche à l'intérêt social de l'entreprise y est abordé. Cependant, happé par l'examen des affaires courantes, des fluctuations de l'audience, des mouvements de grille, de la situation financière et surtout, pour le moment, par le suivi du chantier de la réorganisation, le conseil débat encore trop peu des perspectives de long terme de l'entreprise .

La loi du 5 mars 2009 et les décrets du 23 juin et du 19 octobre 2009 définissant le cahier des charges et approuvant les statuts de France Télévisions, auxquels il convient d'ajouter l'avenant au contrat d'objectif et de moyens (COM), définissent le cadre juridique de l'entreprise, ses missions et les obligations diverses qui lui incombent. Sont ainsi définies de façon plus ou moins précise les contraintes pesant sur France Télévisions, les grandes finalités justifiant son existence même et les résultats qui sont attendus d'elle notamment sur le plan de la programmation. Il n'en demeure pas moins que la société conserve une large autonomie éditoriale et de gestion. Il lui revient donc de définir les étapes intermédiaires, les voies et les moyens qui lui permettront durablement de satisfaire ses missions de service public dans un contexte mouvant.

France Télévisions ne peut pas se contenter de l'avenant au COM comme document de planification stratégique . Comme l'a souligné notre ancien collègue Michel Thiollière, dans l'avis 2 ( * ) qu'il a rendu en décembre 2009 au nom de la commission de la culture et de la communication du Sénat, cet avenant, qui constitue à bien des égards un nouveau COM d'une durée de deux ans, arrivera rapidement à échéance, dès 2012, ce qui introduit un déphasage préjudiciable par rapport au prochain mandat de président de l'entreprise qui court sur la période 2010-2015. Au total, le COM 2009-2012 souffre d'imperfections non négligeables : un certain manque d'ambition en matière de promotion des valeurs identitaires du service public , une tendance parfois à l'incantation pour décrire la politique d'harmonisation et d'innovation, la répétition des dispositions législatives et réglementaires relatives au média global, un défaut plus général de hiérarchisation et de priorisation des objectifs . Plutôt qu'un document opérationnel mettant un point final à la stratégie de développement de France Télévisions, il faut plutôt y voir une base de travail utile. La conclusion du COM ne peut donc pas exonérer l'entreprise d'une réflexion prospective approfondie sur l'évolution du secteur audiovisuel, les mutations du paysage concurrentiel, les transformations des modes de consommation des médias et les développements techniques à venir.

Le conseil d'administration a naturellement vocation à assumer cette tâche en collaboration avec la direction et les services. À cet égard, la réactivation du comité stratégique qui s'est déjà réuni trois fois depuis novembre 2009 doit être saluée. Aux termes du règlement intérieur du conseil d'administration, il a pour objet de formuler des avis sur la définition et la mise en oeuvre des orientations de France Télévisions et d'évaluer le positionnement du groupe dans son environnement concurrentiel, technologique et réglementaire. C'est en son sein que des objectifs prioritaires pourront être définis et que des questions traitées ordinairement de façon isolée et cloisonnée pourront être connectées transversalement et replacées dans une perspective de plus long terme. La montée en puissance du comité stratégique devrait apporter une contribution significative à la constitution d'une entreprise pleinement intégrée, à l'identité affirmée .


* 1 Cour des comptes , France Télévisions et la nouvelle télévision publique, rapport public thématique, octobre 2009, p. 18.

* 2 Avis n° 161 (2009-2010) du 15 décembre 2009 au nom de la commission de la culture

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