PREMIÈRE PARTIE - LA CONSTRUCTION DE L'ENTREPRISE UNIQUE

I. UNE ORGANISATION EN CHANTIER

A. L'INSTITUTION PAR LA LOI D'UNE SOCIÉTÉ NATIONALE DE PROGRAMME INTÉGRÉE

1. Le constat d'une structuration inadéquate du groupe d'entreprises France Télévisions
a) Un ensemble complexe de sociétés et de filiales

L'article 44 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000, marginalement modifiée par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, témoignait de la volonté du législateur de rassembler une large partie des chaînes publiques au sein d'un groupe unique. Ce groupe a pris la forme d'une société-mère, dénommée France Télévisions et d'un ensemble de filiales, dont elle détient l'intégralité, la majorité ou une part du capital.

Avant la réforme engagée en 2009 , la société France Télévisions était chargée par le législateur de définir les orientations stratégiques , de coordonner et de promouvoir les politiques de programmes et l'offre de services, de conduire les actions de développement en veillant à intégrer les nouvelles techniques de diffusion et de production et de gérer les affaires communes des sociétés nationales de programme (SNP) dont elle détenait la totalité du capital, à savoir France 2, France 3, France 5 et Réseau France Outre-mer (RFO).

À ces quatre SNP dont le régime est fixé par la loi et qui sont constituées en filiales de la société France Télévisions, s'était ajoutée une autre société fille dénommée France 4, détenue à 89 % par la société France Télévisions et à 11 % par la société ARTE-France. Sans être qualifiée explicitement par la loi de SNP, France 4 était née de la possibilité laissée à France Télévisions, dans la perspective du déploiement de la télévision numérique terrestre (TNT), de créer des filiales ad hoc pour éditer des services de télévisions diffusés en mode numérique, ne donnant pas lieu à un paiement spécifique des usagers et répondant à des missions de service public.

En outre, France Télévisions contrôlait indirectement des sociétés de coproduction en matière de cinéma, France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, elles-mêmes filiales des SNP France 2 et France 3. Il est en effet imposé aux SNP souhaitant investir en parts de coproducteur dans le financement d'une oeuvre cinématographique de passer par l'intermédiaire d'une filiale propre à chacune d'elles et ayant cet objet social exclusif.

D'autres filiales de diversification sans mission de service public direct étaient encore organisées sous forme de sociétés anonymes, comme France Télévisions Publicité (FTP) la régie publicitaire, France Télévisions Distribution (FTD) chargée de la gestion des droits dérivés ou Multimedia France Production (MFP), filiale de production télévisuelle gérant également du doublage et du sous-titrage.

La société France Télévisions n'avait pas la qualité de société nationale de programme et n'était donc pas investie d'une mission de conception et de programmation d'émissions audiovisuelles . Elle constituait une holding contrôlant un ensemble particulièrement complexe de filiales.

La maîtrise du capital des filiales par la société-mère était assortie d'un contrôle effectif des chaînes par les dirigeants du groupe. En effet, l'article 47-1 de loi du 30 septembre 1986 modifiée prévoyait que le président du conseil d'administration de la société France Télévisions soit également président des conseils d'administration des sociétés France 2, France 3, France 5 et RFO . De plus, les directeurs généraux de ces mêmes sociétés devaient être désignés par le conseil d'administration de la société France Télévisions sur proposition de son président.

b) Les bénéfices modestes de la holding

Depuis la loi du 1 er août 2000, la société France Télévisions était chargée de coordonner et de promouvoir les politiques de programmes et l'offre de services des chaînes publiques. Chaque chaîne constituée en SNP demeurait en effet formellement indépendante tant du point de vue de la ligne éditoriale que de la gestion.

Quels que soient les efforts d'intégration, notamment financière, et la recherche de synergies engagés depuis 2000 afin de renforcer le niveau groupe, gagner en transversalité et mutualiser des moyens, la segmentation par chaînes était restée le trait principal et structurant de France Télévisions . Or, cette indépendance et ce cloisonnement des chaînes compliquaient la coordination des investissements et des programmes dans la mesure où chacune d'entre elles entendait poursuivre une politique de programmation et de création autonome. Paradoxalement, en empêchant l'avènement d'une identité de groupe incarnée dans les programmes, la segmentation n'a pas véritablement garanti la clarification des lignes éditoriales et le renforcement des identités individuelles de chaque chaîne , notamment de France 3 et de France 4. L'inachèvement de l'intégration pesait donc à la fois sur France Télévisions dans son ensemble et sur chaque chaîne en particulier.

Outre la génération inévitable de doublons, ce défaut de cohésion affaiblissait la capacité de négociation commerciale du groupe France Télévisions, ce qui se traduisait par des surcoûts et une perte de compétitivité sur un secteur rendu toujours plus concurrentiel par le développement rapide de la TNT et des nouveaux médias en ligne.

Enfin, la segmentation organisationnelle conduisait mécaniquement à une segmentation des statuts des personnels et de la gestion des ressources humaines . La négociation collective se déroulait pour l'essentiel au sein de chaque entreprise, même si des accords collectifs étaient conclus au niveau du groupe. Il était ainsi fait obstacle à l'élaboration d'une politique de ressources humaines unifiée du groupe France Télévisions.

Ainsi, jusqu'à la fin de la renégociation globale engagée depuis la réorganisation, France 2, France 3 et RFO appliquent non seulement la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles (CCCPA) en tant que membres de l'Association des employeurs du service public de l'audiovisuel (AESPA), mais aussi la convention collective nationale des journalistes (CCNJ) et son avenant audiovisuel pour leurs salariés journalistes. De son côté, France 4 a retenu la convention collective nationale des chaînes thématiques adhérant à l'Association des chaines conventionnées éditrices de services (ACCESS), tandis que France 5 et la société-mère France Télévisions respectent des accords d'entreprise spécifiques signés respectivement en 1996 et en 2003.

Au total, l'éclatement du groupe France Télévisions en une myriade de filiales conduisait à une dilution de l'identité du service public de l'audiovisuel ainsi qu'à des coûts supplémentaires qui ne se justifiaient pas au regard de ses missions.

2. La fusion-absorption juridiquement opérée par la loi du 5 mars 2009

La loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a refondu les dispositions de l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986 pour substituer aux différentes sociétés existantes une société nationale de programme unique, dénommée France Télévisions . En lui conférant la qualité de société nationale de programme, le législateur a donné à la société France Télévisions pour objet principal non plus simplement de coordonner l'activité des chaînes mais de concevoir et de programmer directement des émissions audiovisuelles .

De plus, il est fait obligation à la nouvelle entreprise unique de tenir compte du développement des technologies numériques pour assurer l'accès de tous les publics à ses programmes. Elle a également désormais pour mission d'éditer et de diffuser plusieurs services de communication audiovisuelle, y compris des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), dont les caractéristiques respectives sont précisées par son cahier des charges. Il lui est donné la possibilité d'éditer ces SMAD par l'intermédiaire de filiales dont la totalité du capital est détenue, directement ou indirectement, par des personnes publiques. Ces dispositions font donc du développement du média global non seulement une opportunité pour France Télévisions, mais également une obligation constitutive du service public audiovisuel . De ce point de vue, la constitution de l'entreprise unique intégrée va de pair avec un élargissement des missions de service public qui lui sont confiées.

En conséquence de l'institution de l'entreprise unique, toute référence aux anciennes sociétés nationales de programme détenues par la holding France Télévisions disparaît, sans entraîner ni la disparition des antennes existantes dont elles étaient le support juridique, ni la dilution des différences éditoriales.

L'article 3 du décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 portant cahier des charges de France Télévisions reprend en les aménageant pour les différentes antennes les anciennes dispositions de l'article 44 de la loi de 1986 qui définissaient les lignes éditoriales des différentes sociétés nationales de programme. Ainsi, France 2 demeure la « chaîne généraliste de la communauté nationale, [...] placée sous le double signe de l'événement et de la création cinématographique et audiovisuelle française et européenne, et [qui] joue un rôle majeur en matière d'information et de sport ». France 3 est caractérisée comme une « chaîne nationale à vocation régionale et locale, chaîne de la proximité, du lien social et du débat citoyen [...] [qui] contribue à la connaissance et au rayonnement des territoires ». « Chaîne de la jeunesse et des nouvelles générations », France 4 a pour vocation « d'attirer et de fidéliser les jeunes et les jeunes adultes en exposant les nouveaux talents » tandis que France 5 reste « la chaîne du décryptage, du partage des savoirs et de la transmission des connaissances ». RFO garde sa spécificité en assurant la continuité territoriale des programmes des services de télévision et de radio de la métropole vers l'outre-mer et de l'outre-mer vers la métropole et en conservant via les Télé Pays « une ligne éditoriale proche des cultures et environnements des territoires ultra-marins français ».

La constitution de l'entreprise unique s'est effectuée par une fusion-absorption juridiquement ordonnée par l'article 86 de la loi du 5 mars 2009 et réputée intervenir à la date du 1 er janvier 2009. Les statuts de la nouvelle société nationale de programme unifiée ont ensuite été approuvés par le décret n° 2009-1263 du 19 octobre 2009.

Afin de garantir la continuité juridique des activités et des patrimoines des sociétés absorbées, il est prévu que l'ensemble des biens, droits et obligations des sociétés nationales de programme France 2, France 3, France 5 et RFO soient transférés à la société France Télévisions du seul fait de la loi . Ces transferts emportent dissolution de plein droit et sans formalité des sociétés absorbées. Le cas particulier de France 4, détenue conjointement par France Télévisions et par ARTE-France a été subordonné au rachat préalable de la participation financière d'ARTE par France Télévisions, la fusion-absorption se déroulant ensuite dans les mêmes conditions que pour les autres filiales.

Ne sont pas en revanche intégrées au périmètre de la nouvelle société nationale de programme France Télévisions les filiales de production cinématographique et audiovisuelle (France 2 Cinéma, France 3 Cinéma et MFP), non plus que la régie publicitaire FTP et la société de droits secondaires FTD. L'organisation en filiales de ces activités qui ne touchent pas directement au coeur de métier de France Télévisions paraît adéquate . Elle ne gêne pas la construction d'une stratégie financière et éditoriale cohérente, alors que la fusion-absorption de ces sociétés aurait probablement conduit à les recréer à l'identique sous forme de service ou de direction interne sans bénéfice pour l'entreprise.

La transformation du statut des sociétés nationales de programme ne pouvait manquer d'avoir des effets juridiques sur les accords collectifs en vigueur. La loi du 5 mars 2009 a renvoyé explicitement aux dispositions de l'article L. 2261-14 du code de travail pour régler le sort des conventions collectives et accords collectifs de travail obligeant les sociétés absorbées ou leurs établissements. Ceci revenait à exiger l'ouverture de négociations dans les trois mois suivant la mise en cause des accords ou conventions existants du fait de la fusion et à prévoir que les conventions ou accords continuent de produire leurs effets pendant un délai maximal d'un an. À l'expiration de ce délai et en l'absence de nouvel accord ou convention, les salariés conservent le bénéfice des avantages qu'ils ont individuellement acquis.

En outre, pour garantir le bon déroulement des négociations sur la nouvelle convention collective, il a été décidé que les organisations syndicales considérées comme représentatives au niveau du groupe le seraient, à titre transitoire et jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles, au niveau de l'entreprise unique. La CGT, la CFDT, la CGC, la CFTC, FO et le SNJ étaient ainsi désignés comme interlocuteurs légitimes de la direction.

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