b) Le processus de délimitation des « zones noires » : manque de transparence et confusion

Dans son pré-rapport, votre mission avait souligné que la cartographie des « zones de danger mortel » avait été mise en place de manière précipitée .

Elle confirme que, sur la base de relevés effectués juste après le passage de la tempête Xynthia, un premier zonage a été élaboré par les experts nationaux et les services préfectoraux, puis transmis au ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer (MEEDDM) dès le 21 mars -soit trois jours, à peine, après la publication de la circulaire fixant les critères de définition des « zones noires » .

Entendus par votre mission, les experts nationaux ont indiqué que, sur la base de ce premier zonage, des expertises complémentaires avaient été menées pour trancher les cas les plus complexes et pour « vérifier que [la première cartographie] ne contenait aucune aberration » 30 ( * ) . Dans le même temps, un dialogue itératif s'est noué entre les cabinets ministériels, les services centraux et les services préfectoraux afin d'affiner et de préciser le tracé des « zones de danger mortel ».

Ainsi finalisée, la délimitation des « zones noires » a été rendue publique les 7 et 8 avril 2010 . Au total, plus de 1 500 habitations (dont 915 en Vendée et environ 600 en Charente-Maritime), réparties sur une vingtaine de communes, étaient concernées.

(1) Un zonage élaboré sans concertation préalable

Votre mission avait marqué, dans son pré-rapport, son accord avec le principe selon lequel les zones de danger mortel devaient être déclarées inhabitables.

Toutefois, elle n'a pu qu'être étonnée en prenant connaissance des conditions dans lesquelles le zonage a été élaboré.

Dans son pré-rapport, elle avait ainsi relevé que certaines des données utilisées comme critère des « zones noires » n'avaient pu être appréhendées que de manière théorique, abstraite et indirecte.

Comme l'ont admis les experts nationaux lors de leur audition, le zonage a été largement réalisé « à dires d'experts » : faute de temps, certains éléments (comme la vitesse de déferlement de la vague, ou la possibilité de mettre en place des ouvrages de protection performants) n'ont pas pu faire l'objet d'une vérification empirique.

De même, la cartographie des « zones de danger mortel » a été mise en place sans concertation avec les populations, ni avec les élus locaux . Ce manque de dialogue a été mal vécu par les sinistrés, qui auraient souhaité être associés à l'élaboration du zonage et qui ont déploré le caractère unilatéral de l'action de l'Etat. Cette incompréhension n'a pu, d'ailleurs, que se renforcer lorsque la cartographie a été rendue publique et qu'il est apparu que des propriétés qui n'avaient pas -ou peu- été inondées avaient été incluses dans les périmètres de « danger mortel », tandis que d'autres, qui avaient subi de fortes inondations, s'en trouvaient exclues : votre mission a ainsi constaté que, tandis que des zones exposées à un risque sérieux et manifeste avaient été classées en « zone jaune » (comme, par exemple, dans la commune de Port-les-Barques), d'autres avaient été incluses dans une « zone noire », alors même qu'elles ne semblaient pas présenter un degré de risque suffisant pour justifier cette classification.

À titre d'exemple, M. Pierre Beurel, propriétaire d'une maison de Loix-en-Ré et membre du collectif des associations de victimes de l'après Xynthia, a indiqué devant votre mission que sa maison avait été classée en « zone noire » alors même qu'elle ne répondait pas aux critères posés par la circulaire du 18 mars 2010 31 ( * ) et que, dans d'autres communes de l'Île-de-Ré très gravement touchées par la tempête et où des hauteurs d'eau proches de deux mètres avaient été constatées, aucune « zone d'extrême danger » n'avait été instituée.

Cette situation a nourri la suspicion des sinistrés à l'encontre des « zones noires » -dont certains ont soupçonné qu'elles avaient été définies en fonction de critères financiers, plutôt qu'en fonction du degré de risque que présentaient les parcelles concernées.

Par ailleurs, au vu du nombre élevé de maisons classées en « zone noire », les membres de votre mission ont été surpris d'apprendre , en entendant les experts nationaux, que seuls 10 % du zonage avaient été modifiés entre le 21 mars et le 7 avril -ce qui implique nécessairement que 90 % de la cartographie ont été fixés en l'espace de quatre jours.

Ce constat est d'autant plus préoccupant que, toujours selon les experts nationaux, ces 10 % de variation sont principalement dus à un changement de classification de certaines parcelles , qui sont passées de la « zone noire » à la « zone jaune », et inversement : en d'autres termes, la délimitation globale des zones « à risque » n'a quasiment pas évolué depuis le 21 mars.

À cet égard, votre mission avait accueilli favorablement les déclarations des experts nationaux qui, le 6 mai 2010, avaient précisé que des expertises complémentaires étaient en cours depuis le début du mois d'avril et qu'elles permettraient, grâce à une meilleure prise en compte des remarques des élus locaux et grâce à des diagnostics de terrain, de réviser le zonage rendu public le 7 avril 2010.

Toutefois, la cartographie des « zones noires » n'a pas été modifiée en profondeur depuis lors , et les sinistrés de Charente-Maritime ont affirmé n'avoir vu aucun expert sur le terrain depuis le 8 avril -sauf dans quelques cas où de nouveaux relevés ont été effectués sur les pourtours des « zones d'extrême danger » pendant une demi-journée.

Enfin, votre mission constate que le devenir des « zones oranges » avait fait l'objet de très longues incertitudes . Alors que l'État avait promis aux sinistrés que le sort de ces « zones intermédiaires » serait réglé sous quinze jours à compter de la parution du zonage, il a fallu atteindre le milieu du mois de juin (c'est-à-dire plus de trois mois et demi après le passage de Xynthia) pour que le classement de certaines d'entre elles en zone noire ou jaune soit définitivement décidé 32 ( * ) . De tels délais sont inadmissibles et vont à l'encontre de la philosophie de ces périmètres, dont la définition rapide devait justement donner des assurances à ceux dont la maison avait été dévastée.


* 30 Compte-rendu de l'audition de MM. L'Her, Vidal et Goutx.

* 31 Il a en effet affirmé que la hauteur d'eau constatée sur le terrain était de 73 cm, que sa maison était dotée d'une zone-refuge et qu'elle était située à plus de 500 mètres de la digue la plus proche.

* 32 Il s'agit des « zones oranges » instituées dans le village des Boucholeurs, à Fouras, à Aytré et à Port-des-Barques. Deux autres « zones oranges » (celle de Loix-en-Ré et celle de Nieul-sur-Mer) avaient été classées en « zone noire » à la fin du mois d'avril 2010.

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