C. LA SITUATION DE LA DÉMOCRATIE EN EUROPE ET L'ÉVOLUTION DE LA PROCÉDURE DE SUIVI DE L'ASSEMBLÉE

Le travail de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi, auprès d'une dizaine de pays (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Géorgie, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldavie, Monaco, Monténégro, Russie, Serbie, Turquie et Ukraine) en vue d'y garantir le plein respect des droits de l'Homme, la démocratie et la prééminence du droit, lui confère une expertise certaine sur la situation de la démocratie en Europe. L'une des principales difficultés que celle-ci rencontre demeure la bonne tenue du processus électoral. Si elle reconnaît un certain nombre de progrès dans les pays concernés et souligne que les résultats reflètent, dans la totalité des cas, la volonté des électeurs, elle note ainsi d'importances carences et des violations manifestes en Russie, en Azerbaïdjan et en Arménie.

M. François Rochebloine (Loire - UMP) s'est interrogé sur la pertinence de la procédure de suivi concernant ces deux derniers pays :

«Le rapport de la commission de suivi sur ses activités au cours de la période récente illustre de manière frappante les inégalités dans la perception des libertés essentielles que nous évoquions précédemment à propos de la crise de la démocratie.

Comme souvent dans notre Assemblée, il est conçu dans une sorte de perspective idéale qui aurait pour aboutissement une société « pure et parfaite », comme disent les économistes, où la liberté serait la valeur de base et où les institutions politiques, notamment, bénéficieraient pleinement des acquis de notre expérience commune.

Cette méthode offre un certain avantage de neutralité rationnelle qui est, dans une certaine mesure, nécessaire à la crédibilité de la procédure de suivi. L'introspection dans les pratiques politiques, les lois, les procédures judiciaires d'un Etat est par définition et sans jugement de valeur une ingérence dont la justification doit être aussi incontestable que possible.

L'expérience montre que cette introspection a souvent une grande utilité : elle permet à des pouvoirs politiques soucieux, par exemple, de ne pas perdre la face dans le débat interne à leur pays, de prendre des mesures difficiles en invoquant une autorité extérieure et reconnue. Elle peut aussi détourner de la tentation de commettre des fautes contre la liberté et la démocratie, ou en limiter de manière bienvenue le déploiement.

Cependant, j'aimerais que dans ses appréciations, la commission de suivi tienne aussi compte du fait que les pays où elle exerce ses activités sont en relation directe, parfois délicate, avec d'autres pays qui peuvent exploiter à leur profit les conclusions qu'elle publie à propos de leurs antagonismes.

On comprendra que j'aie été sensible, à cet égard, à la dissymétrie des développements consacrés par le rapport à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici, je souhaite que toutes les forces politiques et les autorités arméniennes se persuadent toujours davantage du fait que le respect des libertés publiques et une vie réellement démocratique sont la meilleure garantie de la cohésion d'une nation. Mais il faudrait sans doute regarder d'un peu plus près cette singulière démocratie héréditaire qu'est l'Azerbaïdjan. Je n'ai jamais entendu dire que l'opposition qualifiait par avance les élections législatives en Arménie de « farce », terme appliqué par l'opposition azérie à la prochaine consultation du même type organisée à Bakou. Cela mérite pour le moins une attention supplémentaire. J'aimerais d'ailleurs, personnellement, évaluer sur place, et sans parti pris, l'exactitude de cette appréciation.

Car, en dépit des observations que je viens de présenter, je suis personnellement très attaché à cette forme éminente de collaboration et de dialogue qu'est la procédure de suivi. Je remercie M. le rapporteur de son excellent travail. »

La commission relève également que l'efficacité des parlements tient principalement à leur représentativité et à leur capacité à se muer en lieu de dialogue entre les différentes forces politiques. Cette acception du rôle du pouvoir législatif est fortement tempérée par les menaces qui pèsent sur les forces politiques d'opposition dans certains pays ou le recours abusif des partis d'opposition aux stratégies de boycott du Parlement.

Un processus électoral déficient peut, par ailleurs, conduire l'opposition à agir hors du cadre parlementaire. Parallèlement, les parlements ne bénéficient pas toujours des compétences adaptées et des qualités d'expertise requises. Une telle situation implique la mise en place de programmes de coopération adaptés avec le Conseil de l'Europe ou l'Union européenne.

M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a souhaité insister sur les problèmes que posent ces manquement constatés quant à la crédibilité du Conseil de l'Europe :

« Je tiens tout d'abord à saluer la grande qualité du rapport de M. Marty qui a travaillé avec la rigueur intellectuelle que nous lui connaissons.

Ce rapport, qui porte sur le fonctionnement des institutions démocratiques de huit Etats membres du Conseil de l'Europe, est plus concentré que le précédent. Il est désormais thématique et analyse l'efficacité des Parlements dans ces Etats. Il s'agit d'un travail très précieux que notre Assemblée, sur la base des conclusions des différents corapporteurs de sa commission de suivi, est sans doute la seule institution à effectuer. Il poursuit deux objectifs : la recherche de la vérité et la progression des Etats concernés.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce rapport ?

Tout d'abord, il est impartial et aucun pays ne saurait se prévaloir d'un prétendu « double standard » pour justifier ses manquements, dont il est le seul à porter la responsabilité. On le sait, certains États membres sont prompts à dénoncer un manque d'objectivité de notre organisation à leur égard. Ce rapport montre qu'il n'en est rien et que ses exigences sont élevées pour tous. C'est aux pays visés d'en tirer les conséquences et d'apporter les modifications nécessaires, qu'elles soient d'ordre constitutionnel, législatif ou réglementaire, pour respecter leurs engagements. Le Conseil de l'Europe peut et doit les y aider. Encore faut-il que l'approfondissement des valeurs démocratiques figure à l'agenda politique des gouvernements, ce qui n'est manifestement pas toujours le cas.

Force est de constater, en effet, et c'est ma deuxième conclusion, que la marge de progression dans certains Etats membres reste très grande. Le rapport ne peut d'ailleurs que susciter notre inquiétude, car il porte sur le coeur de l'exercice de la démocratie : les modes de désignation du pouvoir législatif, la réalité de la séparation des pouvoirs et le fonctionnement des assemblées parlementaires.

Or les « graves insuffisances », relevées par notre collègue conduisent à s'interroger sur le caractère véritablement démocratique de certains Etats membres. Peuvent ainsi être rappelés : un processus électoral portant atteinte au pluralisme politique, une législation électorale défaillante, une opposition brimée, des parlements réduits à un rôle de chambre d'enregistrement, des médias aux ordres, la liberté d'expression bafouée, des journalistes assassinés...

Ces violations flagrantes des principes les plus élémentaires de la démocratie et de l'Etat de droit existent dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe. L'appartenance à notre organisation ne saurait se limiter au rôle de caution démocratique sur la scène internationale.

La résolution que nous allons voter ne doit pas rester incantatoire. À ce titre, et c'est ma troisième conclusion, notre Assemblée doit probablement élargir la diffusion de ses travaux et accentuer la pression sur les Etats qui ne progressent pas suffisamment, voire qui régressent. Le suivi de nos travaux devrait être amélioré. Le rapport rappelle que bien des engagements de certains Etats n'ont jamais été mis en oeuvre, ce qui n'est pas admissible.

Peut-être devrions-nous faire évoluer nos méthodes et introduire une procédure de « questions cribles » en séance qui offrirait aux membres de l'Assemblée la possibilité de poser des questions très précises aux autorités des pays concernés sur les suites qui ont été données aux conclusions de la commission de suivi. Ce serait un moyen pour renforcer notre propre crédibilité. »

La résolution adoptée par l'Assemblée rappelle les exigences qu'elle a formulées individuellement à tous les Etats concernés par la procédure de suivi. Elle rappelle ainsi les trois principaux volets de la mission de la commission de suivi : élections et pluralisme politique, dialogue entre les partis politiques au Parlement et contrôle parlementaire des activités de l'exécutif.

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