Audition de M. Jean-Claude MANUGUERRA,
président du
Comité de lutte contre la grippe
(mardi 30 mars 2010)
M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Jean-Claude Manuguerra, président du Comité de lutte contre la grippe.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean-Claude Manuguerra prête serment.
Je vous remercie.
Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, après avoir satisfait aux obligations de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique. Vous avez la parole.
M. Jean-Claude Manuguerra - Dois-je commencer par mon exposé ou par les liens avec l'industrie pharmaceutique ?
M. François Autain, président - Je pense qu'il faut commencer par vos liens d'intérêts éventuels. Ceci est prévu par une loi qui n'est pas très connue mais qui remonte pourtant à sept à huit ans. Cette loi de 2002 n'a, il est vrai, fait l'objet d'un décret qu'en 2007. On entend parfois les experts s'exprimer dans les médias ; aucun ne fait jamais état de ses liens avec tel ou tel laboratoire. Ceci est pourtant intéressant, surtout s'il parle d'un produit fabriqué par le laboratoire avec lequel il a des liens d'intérêts, sans vouloir mettre en cause leur bonne foi ou leur honnêteté.
Il est donc préférable que vous commenciez par faire état de vos liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, si vous en avez.
M. Jean-Claude Manuguerra - Cela va être quelque peu compliqué : les déclarations publiques d'intérêts sont en effet des formulaires donnés par différents instituts, dont la présentation est assez variable d'un institut à l'autre. La difficulté est que le Comité de lutte contre la grippe a une histoire mouvementée et peu claire - j'y reviendrai.
La déclaration publique d'intérêts que j'ai faite, qui a été actualisée le 12 janvier, comporte, depuis la création du Comité, une invitation au deuxième ou troisième congrès européen sur la grippe, qui a lieu tous les deux ans à Vilamoura, au Portugal et qui est organisé par le laboratoire Roche.
M. François Autain, président - Quel médicament fabriquent-ils ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Ils fabriquent et distribuent l'oseltamivir.
Je ne suis resté que deux jours à ce congrès ; j'ai également été invité par le collège canadien des directeurs de services des hôpitaux publics du Canada à un séminaire sponsorisé par un des « corporated members » du laboratoire Roche dans lequel je suis intervenu pour une présentation et ai reçu, à ce titre, une rémunération personnelle ponctuelle en mars 2009.
M. François Autain, président - Etiez-vous déjà président du CLCG ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui, c'était en mars dernier.
M. François Autain, président - Etes-vous président depuis le début ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Je vais y revenir.
J'ai repris toutes les notifications budgétaires de mon laboratoire, qui a été créé en 2002. Je n'ai perçu aucun crédit de recherche de la part de l'industrie du vaccin.
M. François Autain, président - De quel laboratoire parlez-vous ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Il s'agit de la cellule d'intervention biologique d'urgence dont je suis responsable à l'Institut Pasteur. Nous n'avons donc pas de contrat de recherche avec des laboratoires pharmaceutiques, qu'il s'agisse de médicaments, de vaccins ou de diagnostics.
J'ai voulu remonter avant la création officielle du Comité ; effectivement, j'ai retrouvé un don à mon laboratoire de la part des produits Roche datant de mars 2007. Il a été notifié le 28 mars 2007 pour un montant de 2 250 euros. J'ai ici la version papier. Ceci est donc ma déclaration d'intérêts et de lien avec le laboratoire Roche.
A combien de temps voulez-vous remonter ?
M. François Autain, président - Généralement, c'est entre trois et cinq ans.
M. Jean-Claude Manuguerra - En juillet 2007, je me suis rendu à un congrès mondial intitulé « Options pour le contrôle de la grippe », qui a lieu tous les quatre ans, auquel les produits Roche m'avaient invité à participer, sans rémunération personnelle. Je n'y suis resté que deux ou trois jours. Venant d'une autre destination, je n'ai profité que du billet de retour de la part de Roche, en billet de groupe.
Je pense qu'il n'y a rien d'autre.
Vous m'avez demandé ma position sur les travaux de cette commission. J'ai deux points de vue, celui du citoyen ou du partisan de la démocratie parlementaire respectant les prérogatives des assemblées en matière de création d'une commission d'enquête, et celui du président du CLCG. En tant que tel, je m'efforcerai de répondre du mieux possible aux questions que se pose la commission.
Je saisirai cette occasion pour expliquer le fonctionnement du CLCG, dégager autant que possible le rationnel, faire comprendre les avis qui ont été émis et aussi dissiper la suspicion - si c'est possible - qui plane autour de l'expertise, qui nous blesse très profondément au sein du Comité.
Ainsi que je l'ai fait lors d'une table ronde organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, je déclare ma solidarité totale avec le Comité que je préside.
La grippe est un ennemi imprévisible ; c'est une maladie causée par des virus. Je suis virologiste ; c'est donc un angle qui m'intéresse particulièrement. Ces virus sont doués d'une grande plasticité génétique, source d'innovation naturelle permanente. La grippe frappe plus ou moins tous les ans lors d'épidémies saisonnières.
Elle marque aussi de manière plus spectaculaire les siècles par des pandémies dont l'ampleur et la sévérité varient grandement et sans qu'aucune ne ressemble jamais à une autre.
La grippe constitue donc un véritable fléau de santé publique, à tel point qu'un réseau mondial a été constitué deux ans avant que l'OMS elle-même ne soit créée, en 1948, pour surveiller cette maladie.
Depuis la création de ce réseau de surveillance mondiale, le monde a affronté deux pandémies, celle de 1957, avec deux à quatre millions de morts, puis celle de Hong Kong, en 1968, avec un à deux millions de victimes.
Dans les deux cas, le vaccin est arrivé trop tard et les morts ont laissé un souvenir amer s'agissant d'une maladie à prévention vaccinale.
L'idée qui est développée depuis plus d'une dizaine d'années est qu'il n'est pas inéluctable que nous subissions les épidémies sans les anticiper, sans essayer d'amoindrir leur impact, voire de les prévenir. C'est toute l'idée des plans de lutte dans la première version de l'OMS datant de 1999 et celle de l'ancêtre du plan français de 1995.
Les plans globaux ou nationaux ont bien sûr évolué pour tenir compte des nouvelles caractéristiques de la menace, des nouveaux moyens de lutte. L'influence de la grippe aviaire, avec son taux de létalité énorme de 60 %, a été prépondérante dans la préparation, notamment dans l'élaboration des stocks d'antiviraux et de masques - constitués largement avant le début de la pandémie de 2009 - dès 2007 me semble-t-il.
Les plans ont des boîtes à outils à utiliser en fonction de la situation. Tout d'abord, la pandémie a été asynchrone dans l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud mais aussi en Europe. La densité du phénomène n'a pas été la même partout et il faut, lorsqu'on compare les recommandations de l'OMS à celle des différents pays, comprendre que celles de l'OMS s'adressent de façon globale à l'ensemble de ses 193 Etats membres et doivent donc être adaptées en fonction de l'état sanitaire des pays et de leur développement.
En France, en 1995, une cellule de lutte contre la grippe a été mise en place ; elle s'est réunie pour la première fois en juillet 1995 suivant les recommandations d'un groupe de travail multidisciplinaire qui, à la demande du directeur général de la santé de l'époque, avait élaboré des stratégies de prévention et de contrôle des épidémies de grippe en France.
Cette cellule, depuis le départ, est coordonnée par la direction générale de la santé (DGS) et avait reçu pour mission de conseiller celle-ci sur les moyens à mettre en oeuvre face à une épidémie de grippe en France. Elle s'est réunie depuis 1995 à intervalles réguliers et a été mobilisée lors d'épisodes d'épidémies spécifiques : la « grippe du poulet » de 1997-1998, le virus saisonnier H3N2 en 2000 et le SRAS - Syndrome respiratoire aigu sévère -, de manière plutôt efficace et en bonne articulation avec l'OMS.
Depuis cette date, la cellule de lutte contre la grippe a continué à jouer son rôle d'expertise sur les mesures à mettre en oeuvre pour contrôler et réduire l'impact d'une épidémie de grippe ou d'une pandémie grippale. Il lui revenait, à partir des données scientifiques disponibles, d'aider à la définition des stratégies de prévention, de thérapeutique et de prophylaxie médicamenteuse.
La cellule était composée, depuis 2003, de membres représentant le Conseil supérieur d'hygiène publique de France - devenu en 2007 le Haut Conseil de la santé publique -, le Comité technique des vaccinations (CTV), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), l'Institut de veille sanitaire (InVS), des directeurs des centres nationaux de référence des virus grippaux et des représentants de réseaux de médecins généralistes et pédiatres - le réseau « Sentinelles » et le réseau des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) - ainsi que de personnalités qualifiées.
Je suis devenu président de la cellule le 1 er janvier 2003 ; M. Lucien Abenhaïm était alors directeur général de la santé. La cellule fonctionnait comme un groupe de travail du Conseil supérieur d'hygiène publique de France non permanent. C'est ce qui explique en partie la raison pour laquelle nous n'avons pas continué à être un groupe de travail du Haut Conseil lorsqu'il a été créé.
Par ailleurs, en avril 2006, la DGS a mandaté un groupe d'experts composé de membres du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, du Comité technique des vaccinations et de la cellule de lutte contre la grippe afin d'assurer le développement des vaccins prépandémiques et pandémiques A (H5N1) par les différents laboratoires pharmaceutiques producteurs de vaccins contre la grippe.
L'OMS, comme l'Union européenne, insistaient dans leurs recommandations sur la nécessité que les Etats membres se dotent d'un groupe national d'experts dédiés à la pandémie grippale.
Tout n'a pas été linéaire. Jusqu'au début de l'année 2007, il n'existait aucun texte affirmant l'existence de la cellule de lutte contre la grippe ou du groupe d'experts chargés de l'audition des laboratoires pharmaceutiques producteurs de vaccins contre la grippe, d'où le décret procédant à la création du Comité.
Durant un an et demi, nous avons fonctionné en apesanteur. Nous nous sommes réunis une fois par mois, nous avons remis des documents à la DGS. Quand le Conseil supérieur d'hygiène publique de France existait, nous faisions valider nos travaux par le Haut Conseil. Dans le cas présent, nous n'avions pas à le faire. Il a donc fallu officialiser à nouveau le Comité.
Le décret du 25 juillet 2008 et sa version consolidée de septembre 2009 ont procédé à la création du CLCG dont les missions reprennent à la fois celles de la cellule de lutte contre la grippe et du groupe d'experts chargés de l'audition des laboratoires pharmaceutiques.
J'ai personnellement remis des déclarations publiques d'intérêts au Conseil supérieur de l'hygiène publique de France ; je l'ai fait à nouveau lorsque le Comité a été créé officiellement.
M. François Autain, président - Lorsque ce Comité a été constitué, vous avez donc immédiatement fait part de vos liens d'intérêts.
M. Jean-Claude Manuguerra - Personnellement, non...
M. François Autain, président - Le public n'en a eu connaissance qu'en novembre 2009. Que s'est-il passé entre juillet et novembre 2009 ?
Madame la ministre, que j'ai interrogée sur ce sujet, m'a indiqué avoir immédiatement demandé aux membres du Comité de se mettre en conformité avec la loi. Sa déposition étant sous serment, je la crois. Vous ne pouvez donc que me confirmer qu'elle vous a donc sollicité dès 2008 pour vous demander de rendre publiques vos déclarations d'intérêts. C'est bien la vérité ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Tout n'est pas aussi linéaire...
M. François Autain, président - Rien ne l'est dans cette affaire, je l'ai bien compris !
Je croyais que cela allait s'arrêter en 2008 mais l'absence de linéarité semble se poursuivre.
M. Jean-Claude Manuguerra - Le problème est qu'après 2008, on est entré dans la pandémie.
Je pense que les déclarations publiques d'intérêts ne constituaient alors pas la priorité des experts, ni du ministère.
M. François Autain, président - Les membres du Comité n'ont donc pas répondu à la sollicitation du ministre qui leur demandait de publier leurs liens d'intérêts.
M. Jean-Claude Manuguerra - Certaines personnes avaient déjà réalisé des déclarations publiques d'intérêts du fait de leur appartenance à d'autres instances.
Pour ce qui me concerne, la déclaration que j'avais faite en 2008 pour le Conseil supérieur ne nécessitait pas de modifications et celle-ci a été réutilisée. Il en a été de même pour la plupart des autres personnes faisant partie d'autres comités ou d'autres agences.
M. François Autain, président - Je comprends mais la loi oblige, dès qu'un comité est créé, que ses membres rendent publics leurs liens d'intérêts.
L'article L. 1451-1 du code de la santé publique dispose que les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, à l'occasion de leur nomination ou de leur entrée en fonction, adressent aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale une déclaration mentionnant leurs liens directs ou indirects avec les entreprises, établissements ou organismes dont les dossiers pourraient être soumis à l'instance dans laquelle ils siègent, ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs. Cette déclaration est rendue publique et est actualisée à leur initiative dès qu'une modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués.
Il n'est pas indiqué que l'on est exempté de cette disposition en cas de pandémie. Il est évident que cela n'a pas été fait. Si tel avait été le cas, on aurait pu immédiatement savoir s'il existait ou non des liens d'intérêts entre tel et tel membre du Comité et tel ou tel laboratoire.
Or ce Comité a été créé en 2008 et la loi à laquelle je fais référence est de 2002. Elle s'appliquait donc en 2008 et vous n'avez pas répondu à la sollicitation de votre ministre, ce qui est encore plus grave.
M. Jean-Claude Manuguerra - On peut jouer sur les mots...
M. François Autain, président - Je ne joue pas sur les mots ! J'ai demandé à Madame la ministre si elle avait rappelé l'existence de ce texte aux différents intéressés. Elle m'a répondu par l'affirmative. Pourquoi sommes-nous donc restés plus d'un an sans que la loi soit appliquée ?
Vous invoquez la pandémie mais elle ne constitue pas pour moi une raison valable !
M. Jean-Claude Manuguerra - Le CLCG s'est mis en place après les nominations de juillet 2008. Fin 2008, quinze déclarations publiques d'intérêts (DPI) sur dix-sept étaient déposées...
M. François Autain, président - Où étaient-elles déposées ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Devant les différentes instances.
M. François Autain, président - De quelles instances s'agit-il ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Le Haut Conseil de la santé publique pour certains, où les déclarations des membres du CTV ont été déposées.
Lorsque le décret est paru, nous n'avions pas de règlement intérieur ; or, l'article 5 du règlement intérieur du Comité signalait l'obligation de procéder à une DPI mais nous n'avions pas de formulaires. Nous avons donc adopté ceux du Haut conseil de la santé publique.
La relance de la procédure prévue au printemps a ensuite été retardée par l'arrivée de la pandémie grippale.
M. François Autain, président - Vous n'aviez pas besoin de règlement intérieur pour appliquer ce décret !
M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne suis pas spécialiste de la loi même si, en tant que citoyen, je suis censé ne pas l'ignorer...
M. François Autain, président - Le ministre vous l'avait rappelée !
M. Jean-Claude Manuguerra - Sur quel intervalle de temps déposer une DPI ?
M. François Autain, président - C'est codifié !
M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne connaissais personnellement que celle que j'ai faite pour l'AFSSAPS qui est très différente. On ne demande d'y indiquer que des liens répétés. Quel type de contrat doit-on donc déclarer, sur combien de temps ? Pour déclarer ses impôts, il existe un formulaire. S'agissant de la DPI, nous n'en avions pas !
M. François Autain, président - Avant de procéder à celle-ci, vous avez donc voulu établir un formulaire, est-ce bien cela ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui. Les premières déclarations ont donc utilisé les formulaires d'autres comités, notamment du Haut Comité de la santé publique ou du Comité technique des vaccinations.
M. François Autain, président - Pourquoi celui-ci ne vous convenait-il pas ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Non, car il n'était adapté qu'aux industries du vaccin et non à celles du médicament.
M. François Autain, président - Il existe des laboratoires qui ne fabriquent pas que des vaccins.
M. Jean-Claude Manuguerra - Nous sommes des experts et non des spécialistes de la loi. Nous l'appliquons...
M. François Autain, président - En l'occurrence, elle n'a pas été appliquée !
M. Jean-Claude Manuguerra - C'est à l'administration de faire appliquer la loi ! Or, l'administration fonctionne avec des dates limites et des formulaires. On ne peut remplir une DPI sans formulaire. Comment faire ?
M. François Autain, président - Vous avez cité l'exemple du Haut Conseil de la santé publique, du Comité technique des vaccinations, de l'AFSSAPS. Il y a des tas d'exemples. En une journée maximum, on établit un formulaire et en une semaine, tout le monde peut avoir déclaré ses liens d'intérêts. Or, il a fallu attendre novembre 2009...
M. Jean-Claude Manuguerra - Quinze DPI étaient déjà déposées au printemps 2009 !
Expert, ce n'est pas un métier à temps complet. Lorsqu'une institution est « formatée », les experts sont « formatés » et répondent comme il faut. Ce n'est pas aux experts d'organiser les DPI. Leur devoir est de remplir ce qu'on leur demande dans un format prédéfini.
M. François Autain, président - Vous reconnaissez donc que Mme la ministre a bien attiré votre attention, lorsque vous avez été nommé, sur l'existence de cette législation et sur le fait que vous deviez faire connaître vos liens d'intérêts le plus rapidement possible ? Vous ne le niez pas ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Absolument pas !
M. François Autain, président - Vous avez donc attendu pour le faire un certain nombre de mois, le temps nécessaire pour vous d'établir un formulaire qui vous permette enfin de pouvoir codifier ces liens d'intérêts ?
M. Jean-Claude Manuguerra - C'est cela sans l'être.
M. François Autain, président - Croyez-moi, je n'essaye pas de vous blesser mais de savoir pourquoi la loi n'est pas appliquée.
M. Jean-Claude Manuguerra - Les questions que vous posez ne sont pas blessantes. C'est la suspicion qui peut l'être.
M. François Autain, président - Si vous ne voulez pas que l'on vous suspecte, il faut être transparent ! Quelle honte y a-t-il à avoir des liens avec un laboratoire ? Au contraire !
M. Jean-Claude Manuguerra - Encore une fois, ce n'est pas à nous d'administrer la DPI, ni de juger s'il existe ou non un conflit d'intérêts.
M. François Autain, président - Lors de votre nomination, avez-vous adressé une lettre à votre ministre en lui indiquant vos liens d'intérêts, comme elle vous l'avait demandé ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Au moment de ma nomination, il n'y avait pas de liens d'intérêts supplémentaires par rapport à la déclaration que j'avais faite en tant que membre du groupe de travail du Haut Conseil de la santé publique.
M. François Autain, président - Et pour les autres membres du Comité ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Les autres membres avaient des fonctions différentes.
M. François Autain, président - Leur avez-vous dit qu'il fallait qu'ils fassent état de leurs liens d'intérêts ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne pense pas que ce soit à moi de le faire mais à l'administration.
M. François Autain, président - C'est donc une défaillance de la DGS qui explique ce retard dans la publication des liens d'intérêts des membres du CLCG ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Ceci résulte effectivement d'une absence de gestion des DPI pour le CLCG.
M. François Autain, président - C'est donc le directeur et non la ministre !
M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne sais à quel niveau se situent les responsabilités. Je ne suis pas spécialiste des arcanes ministériels.
Les experts ne sont pas là pour organiser la gestion des DPI ; on ne peut les inventer. On a beaucoup travaillé après 2009. La rédaction de notre règlement intérieur et son approbation par l'ensemble du groupe ont pris un certain temps. Pour ce qui est des DPI, je ne puis en dire davantage. Si on nous demande quelque chose, nous l'appliquons.
En France, les missions du CLCG sont d'apporter au ministre, au travers de la DGS, l'expertise collective, médicale et scientifique sur l'ensemble des mesures à mettre en place pour contrôler et réduire l'impact d'une épidémie de grippe ou d'une pandémie grippale.
Même si les procédures ont évoluées au cours du temps, jusqu'à ce jour, les avis du CLCG ont toujours obtenu le consensus de ses membres.
L'expertise collective est atteinte après une discussion collégiale et franche d'où doit se dégager la meilleure solution. Elle n'est pas définie comme l'addition d'expertises mais a une dimension de plus.
Je dois également préciser que lorsque les avis du CLCG ont porté sur les vaccins et la vaccination, le CLCG a fonctionné en tant que groupe de travail du CTV qui a élaboré les recommandations à partir des avis du CLCG. Lorsque j'ai rapporté l'avis du CLCG au CTV, on m'a demandé de remplir une DIP.
Une fois les recommandations entérinées par le CTV, celles-ci sont reprises par la commission spécialisée « maladies transmissibles » du HCSP qui entérine définitivement ces avis.
Trois comités successifs sont donc nécessaires pour parvenir à l'avis du HCSP.
Ce fonctionnement est une indication selon laquelle les avis du CLCG ne sont pas le fruit d'influences extérieures de la part des laboratoires. Je rappelle que la moitié des membres du CLCG représentent des agences ou institutions publiques - InVS, AFSSAPS, DGS, service de santé des armées, centres nationaux de référence.
A aucun moment ces membres de droit n'ont fait part d'un quelconque désaccord. Je ne vois pas comment une influence aurait pu être exercée sur l'ensemble de ces experts aux origines différentes et qui ne sont pas nommés de la même façon.
M. François Autain, président - Je ne vous ai pas accusé d'une quelconque influence ni prétendu que tel ou tel organisme pouvait en avoir sur le Comité. J'ai simplement dit que la loi n'avait pas été appliquée.
M. Jean-Claude Manuguerra - J'ai d'ailleurs répondu que je pensais que la loi devait être appliquée avec rigueur.
Entre le 25 avril 2009, le lendemain de l'alerte pandémique lancée par l'OMS, et le 31 janvier 2010, le CLCG, l'AFSSAPS, le HCSP et l'InVS ont émis 114 avis ; 43 proviennent du CLCG. Le CLCG a rendu environ un avis écrit et validé par les membres tous les six jours et demi et, sur les 150 premiers jours entre mai et juin, week-ends et jours fériés compris, un avis tous les cinq jours.
Les réunions étaient téléphoniques ou physiques selon le cas et duraient entre une heure et demie et deux heures. C'est une charge de travail considérable pour des experts comme nous. Personnellement, je devais gérer un laboratoire recevant nuit et jour des prélèvements et travaillant en tandem avec le Centre de référence pour réaliser les premiers examens. On a dit que le virus n'était pas nouveau. Il l'était assez pour nous poser des problèmes de diagnostic assez importants !
Après avril 2009, l'intensité a été telle que nous avons été très occupés. J'insiste également pour dire que mes collègues ont été extrêmement disponibles.
L'épidémie de grippe A (H1N1)v était-elle une pandémie ? La réponse découle des définitions des phases du plan de l'OMS dans sa version 2009 ; cette version date de début avril, juste avant le début de la pandémie. La nouvelle version du plan de l'OMS a été adoptée après deux ans de travail qui ont impliqué environ 135 scientifiques et 48 pays, avec une phase de discussions sur Internet qui a recueilli 600 réponses.
L'OMS a fonctionné avec différents groupes de conseils et d'experts qui ont des finalités quelque peu différentes, d'une part le Comité d'urgence de pandémie grippale - pour ma part, je n'ai pas compris pourquoi la liste de ses membres n'était pas connue...
M. François Autain, président - Pourquoi n'a-t-on pas eu plus d'informations ?
M. Jean-Claude Manuguerra - On devrait en effet en avoir plus. On trouve, par ailleurs, parmi ces groupes d'experts, le SAGE, un groupe d'experts de la vaccination mais non de la grippe, le réseau global de surveillance de la grippe et les centres mondiaux de l'OMS. Depuis septembre, il existe un nouveau comité qui comprend 11 membres, dont je fais partie, le conseil scientifique et technique auprès du programme global « grippe ». Les membres en sont connus.
Ces comités d'experts pondèrent éventuellement les directions prises par l'OMS. Il y a là différents groupes et je ne vois pas comment les experts de l'OMS pourraient être manipulés.
Je pense que le flou de mes réponses à vos questions précises sur les DPI vient du fait que le CLCG a été dans l'expectative durant un certain temps, à la suite de la disparition du Conseil supérieur de l'hygiène publique de France.
M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Pourriez-vous nous expliquer le rôle du Comité de lutte contre la grippe que vous présidez dans la préparation de la stratégie gouvernementale de lutte contre la grippe A (H1N1)v ? Comment s'est articulé le travail du CLCG avec les travaux du Haut Conseil de la santé publique ? Quelles étaient les instances susceptibles de saisir le CLCG de questions concernant la grippe ? Un ou plusieurs des membres du CLCG ont-ils été amenés à participer aux travaux des autres instances d'expertise ou des agences sanitaires sur la grippe ? Quels sont les liens entre le CLCG et les groupes d'experts de l'OMS ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Le CLCG, depuis sa création, a obligation de rédiger un rapport annuel. Nous en avons donc rédigé un pour 2008/2009.
M. François Autain, président - Pouvez-vous nous le communiquer ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Bien sûr, je vous le laisserai et vous enverrai même une version électronique.
Il présente la phase pré-pandémique et post-pandémique. On voit comment s'articule l'audition des laboratoires. A chaque fois, des recommandations sont émises. Généralement, une partie concernait directement les recommandations vaccinales. Par exemple, existe-t-il des populations plus vulnérables à vacciner en premier ? Quel est l'ordre de priorité de vaccination de ces populations d'un point de vue médical et scientifique ? Ce sont là des questions purement médicales que nous traitions en tant que groupe de travail du CTV, qui rapportait ensuite devant le HCSP. Nous avions dans le Comité même des membres du CTV et du HCSP, de manière à fluidifier l'information et à faire en sorte que tout puisse fonctionner normalement.
Cette partie s'achevait sous forme d'un avis public au HCSP qui pouvait servir de base aux décisions prises par les pouvoirs publics.
M. François Autain, président - Votre avis, lui, n'était pas public ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Non. Statutairement, nous sommes rattachés à la DGS. J'ai posé la question de savoir pourquoi nous ne constiturions pas un groupe de travail comme par le passé. Cela aurait résolu tous les problèmes. On nous avait dit au départ que le HCSP, au moment de sa constitution, ne souhaitait pas intégrer la cellule de lutte contre la grippe, dont le rythme d'expertise n'était pas compatible avec celui des réunions du HCSP.
Or, en matière de grippe, les choses évoluent de semaine en semaine et parfois de jour en jour.
Nous avons cependant essayé de garder une certaine cohérence. Tout ce qui touchait à la vaccination devenait public au travers des autres comités.
Par ailleurs, les questions portant sur la qualité des vaccins relevaient plutôt du CLCG ; c'est pourquoi nous avons fusionné le groupe auditionnant les firmes et les autres. Nous avons travaillé de manière confidentielle, certaines conclusions du Comité faisant notamment ressortir le fait que certains vaccins n'étaient pas bons.
M. François Autain, président - Pourquoi est-ce resté confidentiel ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Avant l'octroi de l'AMM, les dossiers n'étaient pas publics. Comme vous le savez, il est possible d'anticiper des commandes et des stratégies - ce qui a été fait dans différents pays, notamment aux Etats-Unis, avant que l'AMM ne soit donnée.
Nous avons dit clairement les choses mais cela n'a pu être officialisé, les laboratoires présentant des données qui n'étaient pas encore publiques. Un des laboratoires a ainsi eu de la chance qu'il s'agisse de H1N1 et non de H5N1, car il aurait été hors course.
On pouvait également nous poser la question de savoir, sur le plan médical, scientifique et éthique, par quel groupe commencer la vaccination et avec quels objectifs.
Il a toujours été clair pour le Comité que, s'il existait un vaccin efficace, il devait être proposé à tous ceux qui le souhaitaient mais, en cas de ressources limitées, on a parfois indiqué des priorités, qui ont été reprises par le HCSP.
Certaines personnes appartiennent effectivement à plusieurs comités. Dans le cadre du HCSP, nous constituions donc, pour ce qui est du seul vaccin, un groupe de travail du CTV.
M. François Autain, président - Qu'en est-il par rapport aux commissions sur les maladies transmissibles, la grippe étant une maladie transmissible ?
M. Jean-Claude Manuguerra - En effet, nous étions un groupe de travail et nous avions été mis de côté pour des questions liées davantage - je pense - au HCSP qu'au ministère au moment de la constitution de ce dernier.
Nous l'avons regretté car nous sommes restés dans l'expectative durant une bonne année.
M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas que cette complexité peut nuire à l'efficacité du dispositif ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Non, pas en ce qui concerne l'expertise. Je siège dans le Comité depuis 1995 ou 1996. Il existe peu de gens travaillant depuis longtemps sur le sujet. Le Comité reste donc le même depuis plusieurs années. Nous nous sommes toujours réunis, même lorsque nous n'existions pas - suivant en cela la recommandation de l'OMS - pour que l'expertise perdure et que le groupe soit opérationnel en cas de crise. On nous a ainsi sollicités même lorsque nous n'existions pas officiellement.
Qui saisit le CLCG ? Il peut être saisi par la DGS ou par le président du CTV. Le CLCG a aussi la capacité de s'autosaisir et nous avons utilisé cette possibilité plusieurs fois lorsque nous pensions que certaines questions qui ne nous étaient pas posées étaient importantes.
Les membres du CLCG participent-ils à d'autres agences ? Oui, plus ou moins bien et plus ou moins complètement. Le nombre de personnes travaillant sur la grippe en France est relativement limité. Les gens ayant des compétences dans différentes disciplines ne sont donc pas nombreux et les agences se tournent donc toujours un peu vers les mêmes. Un certain nombre de membres du CLCG sont, comme la directrice du centre de référence France Nord ou moi-même, également membres du groupe de travail sur l'influenza aviaire de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Nous travaillons dans ces groupes depuis le début sur la pandémie grippale et l'aspect zoonotique.
D'autres personnes sont experts pour le compte de l'AFSSAPS, qui est représentée en tant que telle dans le CLCG. Dans les agences, les DPI sont bien organisées.
M. Alain Milon, rapporteur - Quels sont les liens entre le CLCG et les groupes d'experts de l'OMS ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Il n'y a pas de lien organique. L'OMS essaye à la fois de rassembler des compétences dans des disciplines qu'elle veut voir représentées dans ses comités, et de réaliser un dosage géopolitique des différentes régions où elle est présente. Les gens sont le plus souvent nommés en tant que personne et non représentant d'un Etat. On peut trouver certains membres du CLCG - mais assez peu - dans des comités de l'OMS mais à ma connaissance aucun dans le comité d'urgence.
M. Alain Milon, rapporteur - Lors de sa réunion du 5 mai, le CLCG a contesté les fondements de la déclaration faite deux jours auparavant par Nancy Cox, chef du département grippe du Center for Disease Control (CDC) américain, sur l'absence de marqueurs de virulence de la grippe espagnole chez le virus A (H1N1)v. Pour quelles raisons ? Votre mission au Mexique du 5 au 10 mai vous a-t-elle donné l'occasion de vous faire une opinion sur la virulence du virus A (H1N1)v ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Mon rapport sur mon voyage au Mexique a en effet fait couler beaucoup d'encre...
M. François Autain, président - Nous avons été un peu déçus ! C'est un rapport « tiers mondiste » : vous alliez là-bas afin de voir si on ne pouvait pas les aider.
M. Jean-Claude Manuguerra - Vous avez une lecture qui n'est absolument pas celle de l'esprit dans lequel je l'ai écrit ! Le Mexique fait partie de l'initiative globale de sécurité sanitaire des pays du G7, plus Mexico. Les Etats-Unis, entourés du Canada et du Mexique, participent à un groupe de pays développés - même si le Mexique n'atteint pas le niveau des pays du G7 sur le plan de son développement.
L'intérêt du rapport ne réside pas dans la contradiction avec ce que dit Nancy Cox mais dans la préfiguration de ce que nous allions avoir en France, où nous avons été confrontés à peu près aux mêmes problèmes. Très vite, le nombre de cas augmente. On doit donc mettre en place un diagnostic dans des laboratoires extrêmement centralisés, comme le Laboratoire de diagnostic fédéral, et les capacités sont vite dépassées.
Lorsque le virus n'était pas encore arrivé aux Etats-Unis et au Canada, les Américains et les Canadiens ont apporté une grande aide. Quand le virus s'est développé chez eux, ils ont dû renoncer à traiter les échantillons mexicains. On ne savait pas non plus très bien ce qui se passait là-bas en termes de létalité du virus - et c'est d'ailleurs encore un mystère pour moi. Le virus n'était-il pas en train de se transformer ? L'OMS, à Genève, nous pressait d'analyser tous les virus. Or, il arrive un moment où l'on ne peut plus tous les analyser, ni quantifier le nombre de cas ou établir un diagnostic pour chaque cas.
On a connu le même problème en France ; c'est pourquoi on a arrêté les diagnostics systématiques et choisi de ne les réaliser que pour des raisons médicales - pour les femmes enceintes par exemple - ou de n'établir qu'une surveillance dans la population, comme le font les GROG en particulier, en prélevant des échantillons au hasard afin d'avoir une bonne représentativité de la situation.
Après le dépistage au cas par cas des premières infections suspectes, on a basculé dans une surveillance de population sur échantillons, comme pour la grippe saisonnière. Il ne s'agit pas bien entendu des mêmes outils. Pendant ce temps, nous avons connu une sorte d'angle mort durant lequel nous n'avons pas eu de données.
Le Mexique a connu de telles difficultés. Les Etats-Unis les ont abordées quand je m'y trouvais et il était clair qu'on allait connaître la même situation en France, ce qui n'a pas manqué de se produire.
M. François Autain, président - La grippe est prévisible !
M. Jean-Claude Manuguerra - Pas le virus ! Il ne s'agit pas de prévisions mais de scénarios probables. Les journaux ont affirmé qu'on ne savait pas déterminer le nombre de cas de grippes : on n'a jamais su le faire et c'est un important problème méthodologique pour la grippe saisonnière ! Ce n'est pas une maladie chronique. Cela dépend également beaucoup du système de santé ; c'est pourquoi on a aussi un certain nombre de données très disparates.
Il ne s'agit donc pas d'une mission « tiers mondiste », pour reprendre votre expression, car cela nous a également servi !
M. François Autain, président - Disons que j'ai été déçu !
M. Jean-Claude Manuguerra - J'ai en effet lu dans la presse que le rapport n'existait pas. Lorsqu'on me demande un rapport, c'est comme pour une analyse en laboratoire, le résultat s'adresse au patient et au prescripteur qui décident ensuite si le résultat doit être communiqué ou non à des tiers. Je ne pouvais donc le rendre public jusqu'à ce que le « prescripteur », pour poursuivre l'analogie, décide de le faire.
On a même prétendu que le rapport avait servi pour des commandes de vaccins : rien ne figure sur les vaccins. C'était beaucoup trop précoce.
M. Alain Milon, rapporteur - Lors de sa réunion du 10 mai, suite à une saisine urgente de la DGS, le Comité indique que la vaccination de l'ensemble de la population est recommandée uniquement pour la phase pré-pandémique. Il est fait mention de la possibilité d'une « mémoire éventuellement protectrice » chez les plus de 65 ans, en fonction de données publiées le 8 mai par le CDC et du fait qu'une vaccination partielle de la population est « suffisante pour obtenir une réduction très significative de l'impact de la grippe ». Ces données pouvaient-elles justifier l'idée d'une vaccination partielle de la population si les vaccins étaient livrés après le début de la pandémie et donc une commande réduite de vaccins ?
M. Jean-Claude Manuguerra - La date du 10 mai concerne la vaccination contre la grippe saisonnière 2009/2010.
On s'est posé la question de savoir si on devait la décaler.
M. Alain Milon, rapporteur - Vous disiez pourtant qu'une vaccination partielle de la population était suffisante pour obtenir une réduction très significative de l'impact de la grippe...
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui. On connaît les populations à risques ; contrairement à la grippe pandémique, où chaque individu entre 5 et 60 ans était concerné, la grippe saisonnière concerne les plus de 65 ans et les personnes atteintes de certaines affections de longue durée (ALD). La stratégie concernant la vaccination antigrippale réside dans la prévention des cas graves et de la mortalité. Ce n'est pas forcément celle concernant la pandémie.
M. Alain Milon, rapporteur - Les laboratoires proposent d'incorporer l'antigène du H1N1 dans le futur vaccin saisonnier. Est-ce une bonne solution dans la mesure où ces vaccinations concernent essentiellement les populations de 65 ans et plus, elles-mêmes immunisées contre le H1N1 ?
M. Jean-Claude Manuguerra - La vaccination antigrippale lors de la saison prochaine avec ou sans antigène pandémique fait partie d'une saisine que nous avons reçue. Nous en avons traité une première partie autour de la question de savoir si l'on continuait la vaccination actuelle, jusqu'à quand et si l'on devait s'attendre à une seconde vague. La réponse est que tant que le virus circule, il existe un bénéfice individuel en faveur de la vaccination H1N1 pandémique ; dès que le virus aura cessé de circuler, il n'y en aura plus et cela ne pourra plus fonctionner.
M. François Autain, président - Il circule toujours.
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui mais à des niveaux négligeables.
M. François Autain, président - On ne vaccine donc plus ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Non, plus en France, c'est pratiquement terminé.
M. François Autain, président - Pourtant les médecins peuvent maintenant vacciner.
M. Jean-Claude Manuguerra - Le vaccin est utilisable quand ils le veulent. C'est à eux de décider. Il peut aussi y avoir des gens qui se rendent dans l'hémisphère Sud. Mais on a estimé qu'il n'y aurait pas de deuxième vague cette année.
La seconde partie de la saisine portait donc sur le fait de savoir quoi faire. On a décidé d'attendre la réunion de l'OMS pour savoir si le virus a beaucoup évolué ou non et si l'on pouvait garder le même vaccin pour l'année prochaine. Le virus n'ayant pas beaucoup changé, les antigènes pourraient être réutilisés la saison prochaine.
Par ailleurs, est-ce un vaccin bivalent associé à l'antigène pandémique ou incorpore-t-on les trois en même temps ? Cela pose un problème et constitue l'objet d'une saisine sur laquelle nous devons réfléchir dans le cadre du HCSP, qui a diligenté sur ce sujet un groupe de travail qui comprend une partie du CLCG.
M. François Autain, président - On vient d'apprendre que l'OMS avait décidé d'inclure dans le vaccin contre la grippe saisonnière le H1N1.
M. Jean-Claude Manuguerra - La réunion de février devait statuer sur l'antigène à incorporer dans le vaccin. Le H5N1 ne circulant plus, c'est le H1N1 pandémique 2009 qui doit être inclus comme valence H1N1 ; or, si l'on inclut le H1N1 pandémique, ce sera dans des vaccins sans adjuvant. Il s'agira de l'inclure comme un virus devenu saisonnier mais on ne peut avoir de bivalent plus un H1N1 pandémique avec adjuvant, le vaccin bivalent n'ayant pas d'AMM. Le vaccin est trivalent ou monovalent pandémique.
M. François Autain, président - Quelle est la différence entre un H1N1v pandémique - celui ci semblant ne plus beaucoup varier - et un H1N1 saisonnier ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Le virus A (H1N1)v est étonnamment stable.
M. François Autain, président - Il reste pandémique puisque l'on demeure toujours en phase 6 du plan « Pandémie grippale » de l'OMS.
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui, pour l'instant.
M. François Autain, président - Vous allez cependant l'intégrer dans le vaccin saisonnier...
M. Jean-Claude Manuguerra - Le groupe de travail n'a pas encore travaillé sur ce sujet.
M. François Autain, président - C'est ce que l'OMS semble avoir dit...
M. Jean-Claude Manuguerra - L'OMS a dit que s'il existait un antigène à mettre dans un vaccin, ce serait celui du H1N1v.
M. François Autain, président - Les laboratoires y travaillent : ils sont en train de fabriquer les vaccins saisonniers avec cette souche ! Il perd donc automatiquement son caractère pandémique dès lors qu'on l'intègre dans le vaccin saisonnier !
M. Jean-Claude Manuguerra - Les vaccins sont pandémiques lors de l'introduction de ce nouveau virus dans l'espèce humaine.
M. François Autain, président - Ce nouveau virus H1N1v a pourtant frappé une population qui n'était pas naïve, les plus de 60 ans l'ayant déjà eu !
M. Jean-Claude Manuguerra - Les populations n'étaient pas complètement naïves ; l'immunité provenait d'un contact avec un lointain « parent » du H1N1 mais cette immunité n'était pas si forte. Les personnes âgées infectées mourraient autant que les jeunes.
M. François Autain, président - Mme Françoise Weber nous a confirmé que cette année nous ne craignions rien, étant donné la « clémence » du virus pour les personnes âgées.
M. Jean-Claude Manuguerra - Je ne serai pas aussi catégorique ; cela étant, ce ne sont pas les plus de 65 ans qui ont été prioritairement désignés pour la vaccination contre la grippe H1N1.
M. François Autain, président - En tout état de cause, il perd son caractère pandémique dès lors qu'il est intégré dans le vaccin saisonnier.
M. Jean-Claude Manuguerra - Non, le virus est pandémique lorsqu'il est nouveau pour la population humaine.
M. François Autain, président - Il n'était pas complètement nouveau !
M. Jean-Claude Manuguerra - Si ! Pasteur a bien montré que la génération spontanée n'existe pas. C'est le berceau de la microbiologie. Il ne peut y avoir de microbe qui naisse d'une génération spontanée. Il s'agit forcément de la « progéniture » d'un ou de plusieurs microbes. Mais il demeure nouveau en lui-même.
Pour ce qui est du virus auquel on a affaire, imaginez une équipe de huit gènes qui doivent collaborer, tout comme une équipe de football : certaines combinaisons peuvent donner des équipes de rêve en termes de coopération fonctionnelle ! C'est cette combinaison qui est nouvelle. On y trouve huit gènes dont un prépondérant pour l'antigène, le H1, composant que les personnes âgées ont déjà rencontré.
Mais tous les autres gènes du virus proviennent de virus animaux n'ayant pas circulé chez l'homme, mis à part un, peu important. Ce virus présentait donc les caractéristiques d'un virus nouveau. Un virus est généralement pandémique pendant les deux premières saisons, mais ayant connu un certain « succès », il devient ensuite saisonnier. Le H3N2 était ainsi pandémique en 1970 en France ; l'année d'après, il est devenu saisonnier. Depuis, il l'est resté.
M. François Autain, président - Pensez-vous, compte tenu du « succès » obtenu par le H1N1, que l'on ait des chances qu'il devienne saisonnier ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui, car, comme les autres virus pandémiques, il a supplanté ses « compétiteurs ». Le virus H1N1 saisonnier ne circule plus.
M. François Autain, président - Va-t-il falloir vacciner tous les enfants dans ce cas ?
M. Jean-Claude Manuguerra - On ne sait pas tout ! La grippe apporte une grande leçon d'humilité...
M. François Autain, président - La commission d'enquête aussi !
M. Jean-Claude Manuguerra - Il s'agit d'une grande question. La physionomie des personnes atteintes de la grippe A et qui en sont mortes ne présentait pas la physionomie habituelle des décès dus à la grippe saisonnière. La saison à venir va-t-elle avoir un profil du type de celui de la grippe espagnole ou de celui de la grippe saisonnière ? La question reste ouverte.
C'est une des difficultés du groupe de travail qui doit statuer sur la stratégie à définir.
M. François Autain, président - Si jamais il devient saisonnier, la pandémie perdure donc ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Non, il faudra un nouveau virus. Cette pandémie sera finie. Soit le virus s'installe définitivement et deviendra comme les autres, soit il ne s'implante pas et disparaîtra. La question n'est pas encore résolue par l'OMS.
M. Alain Milon, rapporteur - Dans sa réunion du 12 mai, le CLCG estime qu'un schéma vaccinal en deux doses ne serait pas aberrant. Pourquoi ?
M. Jean-Claude Manuguerra - L'idée du développement des vaccins et du suivi de celui-ci consistait à faire le constat qu'on allait être pris de cours quoi qu'il arrive. On n'espérait même pas avoir un vaccin pour lutter contre la pandémie ; le contraire aurait été miraculeux.
M. François Autain, président - Il n'a pas servi à grand chose !
M. Jean-Claude Manuguerra - On verra ! Toutes les études ne sont pas faites : il faudra revenir sur ce sujet.
M. François Autain, président - Vous allez peut-être me démontrer qu'il a servi à quelque chose - mais répondez déjà à la question du rapporteur...
M. Jean-Claude Manuguerra - L'idée était donc de développer des vaccins avec AMM sur le modèle du virus le plus probable, extrêmement dangereux, le H5N1.
La grosse difficulté résidait dans le fait que le H5N1 est un virus extrêmement peu immunogène ; le marqueur d'efficacité biologique que l'on utilise pour les vaccins ne satisfait absolument pas aux critères utilisés par l'Agence européenne du médicament. Il a donc fallu adopter une stratégie capable de développer assez d'anticorps. S'agissant du H5N1, seule l'utilisation d'adjuvants associés à deux vaccinations donnait une réponse suffisante pour l'obtention de l'AMM, l'avantage résidant dans le fait que l'adjuvant permettait d'élargir la palette de réponses au virus et de s'affranchir des variations qui perturbent beaucoup l'efficacité du vaccin classique.
Les vaccins ont obtenu leur AMM sur le schéma de deux doses avec adjuvant. Lorsque le H1N1 est apparu, on ne connaissait rien de ce virus et on était dans le schéma des vaccins « maquettes » dans lesquels on substitue l'antigène, toutes choses égales par ailleurs. On a testé l'efficacité de la séroconversion et les premiers essais utilisant le H1N1, avec ou sans adjuvant, ont commencé fin août 2009 - pour la plupart mi septembre. Les premiers résultats ont été connus entre mi-octobre et mi-novembre 2009.
Tant que l'on n'avait pas les résultats des essais cliniques sur l'efficacité du vaccin, on devait rester dans le cadre de l'AMM pour les vaccins « maquettes » avec adjuvants, soit deux doses. Lorsque les résultats sont arrivés, on a su qu'une dose suffisait dans la plupart des cas.
M. Alain Milon, rapporteur - Le 16 juin, le modèle de stratégie vaccinale élaboré par le CLCG indique qu'une vaccination commencée trente jours après le début de la pandémie n'a aucun impact sur l'évolution de celle-ci.
Le 23 juin, dans le compte rendu de l'avis soumis au CTV, il est fait mention de l'intérêt individuel que conserve la vaccination même après ce délai de trente jours.
Etant donné les incertitudes sur la protection offerte par le vaccin et le recours curatif aux antiviraux, quelle est la justification médicale de la mise à disposition de vaccins pour l'ensemble de la population si l'intérêt de la vaccination est individuel ?
M. François Autain, président - Très bonne question !
M. Jean-Claude Manuguerra - Il existait deux approches concernant le vaccin.
Les modèles que l'on a fait tourner - peu d'équipes sont capables de le faire et on bute là sur une difficulté de ressources - étaient ceux demandés par le CLCG à l'InVS et à l'INSERM pour le H5N1.
On avait estimé qu'il ne fallait pas vacciner avant la phase 4. Dans les dossiers d'AMM relatifs au H5N1, les modèles réalisés à la demande des autorités françaises démontraient qu'une vaccination suffisamment précoce, avec une efficacité vaccinale telle que celle présentée dans les dossiers d'AMM, on pouvait espérer en vaccinant d'abord les enfants avoir un impact sur le déroulement de l'épidémie en France.
On pouvait même espérer, avec une couverture suffisante, en vaccinant suffisamment tôt, endiguer une vague épidémique en France. C'est ce que l'on appelle la stratégie collective : comment empêcher la diffusion d'un virus grippal par une immunité collective ?
M. Alain Milon, rapporteur - Ne pensez-vous pas que l'on a plus endigué l'épidémie en fermant les écoles lorsqu'un ou deux enfants étaient malades ou en les laissant chez eux le temps nécessaire ? Cela n'a-t-il pas davantage joué que la vaccination ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Cette stratégie ne peut fonctionner que si l'on vaccine avant le début de la pandémie - ce qui n'a pas été le cas.
M. François Autain, président - Je pense que l'on s'est trompé d'épidémie ! On a pris une grippe H1N1 pour une grippe H5N1 !
M. Jean-Claude Manuguerra - Le modèle existait déjà...
M. François Autain, président - On aurait peut-être pu faire preuve d'un peu d'imagination et revoir le plan ! Là, on a foncé...
M. Jean-Claude Manuguerra - Non, on n'a pas foncé : le 16 juin, on n'avait pas les éléments.
M. François Autain, président - Vous avez pourtant acheté 94 millions de vaccins !
M. Jean-Claude Manuguerra - Le CLCG n'achète rien ! Il donne des éléments sur des faits médicaux.
M. François Autain, président - On vous a bien demandé votre avis !
M. Jean-Claude Manuguerra - Comme je l'ai dit, notre avis a été donné en fonction des stratégies envisagées.
M. François Autain, président - Vous avez acheté des vaccins sans avoir défini la stratégie ni savoir ce que vous alliez en faire ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Encore une fois, le CLCG n'achète pas de vaccins mais donne des pistes...
M. François Autain, président - Avez-vous donné un avis et conseillé d'acheter 94 millions de vaccins ? Aviez-vous alors une stratégie ?
J'ai l'impression - mais la commission d'enquête ne fait que débuter - que l'on a acheté ces vaccins sans savoir ce qu'on allait en faire !
M. Jean-Claude Manuguerra - Les avis du CLCG sur les vaccins ont été rendus publics par le HCSP. Pour ce qui est de la stratégie, la difficulté résidait dans la possibilité de cibler ceux qui avaient le plus de risques de développer un oedème aigu du poumon ou une détresse respiratoire aiguë.
M. François Autain, président - Les personnes âgées ne risquaient rien !
M. Jean-Claude Manuguerra - Il ne s'agit que de 20 % de la population.
M. François Autain, président - Ce n'est pas si mal !
M. Jean-Claude Manuguerra - Mais il reste 80 % à immuniser.
M. François Autain, président - C'est déjà moins que 100 % !
M. Jean-Claude Manuguerra - Je suis d'accord avec vous. En outre, on n'avait pas anticipé le fait que l'on pouvait éventuellement n'administrer qu'une seule dose mais on ne peut inventer des données qui n'existent pas.
M. Alain Milon, rapporteur - Le 5 mai, le CLCG avait décidé de créer un groupe de travail pour actualiser la fiche technique sur la stratégie et les modalités d'organisation de la vaccination. Ce groupe a-t-il rendu des travaux ? Quelles étaient ses conclusions ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Nous n'intervenons que sur les modalités d'ordre médical ou scientifique : qui vaccine-t-on en premier ? Donne-t-on un vaccin adjuvanté à tout le monde ? A partir de quel âge peut-on le donner ?
En revanche, les modalités pratiques et logistiques de la vaccination ou du circuit de délivrance des antiviraux nous échappent complètement. Nous n'avons pas d'avis à émettre, étant totalement incompétents sur ces questions.
Si votre question est de savoir s'il faut des centres de vaccination ou recourir à des généralistes, celle-ci ne fait pas partie des compétences du CLCG.
M. Alain Milon, rapporteur - La question était de savoir si vous aviez recommandé 94 millions de doses ou non.
M. Jean-Claude Manuguerra - Nos propositions étaient fonction des ressources et de ce que l'on voulait faire. Nous avons toujours dit que si la chose était possible et si l'on disposait des ressources, le vaccin devait pouvoir être proposé à tous ceux qui le souhaitaient.
M. François Autain, président - Même s'il ne servait à rien ?
M. Jean-Claude Manuguerra - En mai et juin, bien malin qui pouvait dire ce qu'allait donner un nouveau virus !
M. François Autain, président - En septembre, vous aviez des informations sur ce qui se passait dans l'hémisphère Sud. Vous auriez pu corriger le tir !
M. Jean-Claude Manuguerra - L'hémisphère Sud n'avait pas encore eu le temps de mettre la vaccination en oeuvre...
M. François Autain, président - Sans vaccin, le taux de mortalité n'était tout de même pas énorme !
M. Jean-Claude Manuguerra - Cela dépend. Ce qui s'est passé en Argentine était un peu à l'image de ce qui s'était passé au Mexique. 20 % de la population vit au Sud de l'équateur, où les hivers ne sont pas aussi rigoureux que dans l'hémisphère Nord. Or, on sait que la mortalité associée à la grippe saisonnière vient également du fait que la morbidité est accrue par les surinfections bactériennes, qui connaissent un pic en hiver lorsque la saison est rigoureuse.
Le terrain où le virus peut rencontrer un accident génétique et muter dépend de la taille des populations virales, qui dépend elle-même de la taille des populations humaines qui peuvent être infectées. Or, si dans l'hémisphère Sud nous avions des données fiables - les systèmes de santé étant pour certains à peu près comparables à ceux des pays développés - la situation en Nouvelle-Zélande par exemple, qui compte 4 à 5 millions d'habitants dans un environnement assez dispersé, n'a rien à voir avec la population de Grande-Bretagne et ne correspond donc pas à l'image de ce qui se passe dans l'hémisphère Nord.
M. François Autain, président - Pourtant, les choses se sont à peu près déroulées de la même manière dans l'hémisphère Nord et dans l'hémisphère Sud !
M. Jean-Claude Manuguerra - Pas comme au Mexique, ni comme en Argentine !
M. François Autain, président - Malgré le vaccin !
M. Jean-Claude Manuguerra - Oui.
M. François Autain, président - A quoi a-t-il donc servi ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Il faut faire des études. Je ne puis répondre à cette question.
M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez recommandé la réactivation du réseau GROG. Vous semble-t-il avoir fonctionné efficacement pour l'élaboration de vos avis ?
M. Jean-Claude Manuguerra - La réactivation des réseaux était automatique à partir du moment où on arrêtait le passage obligatoire par le centre 15. Dès lors qu'on a recours à la médecine générale, il faut disposer d'un outil de surveillance : les réseaux de surveillance de généralistes et de pédiatres, notamment les GROG.
Leur réactivation permettait également d'obtenir une information sur la circulation du virus dans la population générale de manière à ajuster les recommandations d'utilisation des antiviraux.
M. François Autain, président - La parole est à présent aux commissaires.
Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez dit que le débat sur le fait de savoir s'il valait mieux recourir à des centres de vaccination ou aux généralistes ne relevait pas des compétences du CLCG. Vous avez cependant indiqué que cela dépendait des ressources destinées à acquérir des vaccins. Vous avez donc une réflexion plus étendue que celle portant sur la stricte virologie.
Y a-t-il eu un débat au sein du CLCG sur la façon dont les Français recevaient les messages ? Aux Etats-Unis, on a assisté à un travail intense sur ce thème ; c'est pourquoi l'adjuvant n'a pas été ajouté. Les Etats-Unis ne sont pas opposés aux adjuvants. Ils savaient toutefois que la population n'en voulait pas et ont fait le choix de ne pas en ajouter. Or, les Etats-Unis comptent 15 % de vaccinés alors que nous n'en comptons que 8 % !
Avez-vous débattu de la façon dont les gens pouvaient accueillir le Thiomersal, par exemple ?
M. Jean-Claude Manuguerra - S'il existe des produits de santé dont on pense qu'ils puissent être utiles, on les recommande pour tout le monde si c'est possible. Si cela ne l'est pas, on procède par cercles concentriques. Nous ne sommes pas dans un monde virtuel et on sait bien qu'il peut exister des problèmes de ressources.
Pour ce qui est de l'aspect pratique, au départ, un plan d'experts a été présenté au Conseil supérieur de l'hygiène publique de France (CSHPF) le 27 juin 2003 malgré l'épidémie de SRAS. La date nous avait été imposée par la DGS de l'époque. Nous pensions alors que la grippe était avant tout une maladie de ville. C'est pourquoi ce plan était, dans cette version de 2003, beaucoup plus pragmatique et axé sur le recours à la médecine de ville.
Mais le plan était très conceptuel. Les autorités ayant besoin d'un plan plus opérationnel, il a été réécrit par le secrétariat général de la défense nationale et il a été décidé, pour des raisons d'organisation de l'Etat, de recourir aux centres 15. Les experts n'étaient pas d'accord avec cette décision. Nous avons donc ensuite dû travailler dans le cadre de cette organisation.
Par ailleurs, contrairement aux premières versions du plan, où le ministère de la santé assurait la manoeuvre jusqu'au moment où interviennent des questions de sécurité publique, le nouveau plan donne la priorité au ministère de l'intérieur. Cela a constitué un tournant considérable. Il faut donc également prendre en compte l'influence du ministère de l'intérieur sur les décisions de la logistique du plan pandémique et pas seulement celle du ministère de la santé.
Des débats ont effectivement pu avoir lieu entre nous. Certains médecins généralistes qui siègent dans le CLCG sont sensibilisés au problème. On a donc bien senti qu'il allait falloir basculer du centre 15 vers les médecins généralistes. On l'a évoqué mais on ne nous posait pas de questions sur l'organisation. On aurait pu s'en autosaisir, cela n'aurait rien changé !
M. Serge Lagauche - Avez-vous eu connaissance du moment à partir duquel les laboratoires ont été prêts à livrer les vaccins en nombre ?
D'après ce que nous a dit Madame la ministre, en juillet, au moment d'enclencher la commande ferme, les laboratoires ne prévoyaient pas une livraison avant mi-octobre ou fin octobre. Si la pandémie s'était développée entre temps, on aurait connu un certain retard. Je peux comprendre qu'on ait, pour commencer, prévu une double vaccination mais on connaît le comportement d'une population quant à sa volonté ou non de se faire vacciner. A-t-on porté à votre connaissance les chiffres de commandes éventuelles du nombre de vaccins, sachant qu'il existe un délai pour vacciner toute une population ? Vous a-t-on interrogés sur la fourchette qui vous paraissait plausible pour lutter contre la pandémie ? Pourquoi une telle quantité, sachant que l'on avait un fort pourcentage de chances de ne pouvoir matériellement les utiliser, faute de bras suffisants et de leur arrivée tardive en cas de pandémie ?
M. Jean-Claude Manuguerra - Une fois les décisions prises, il est difficile de les modifier car on ne peut aller dans un sens, puis dans l'autre. Les contrats ont été passés au début de l'été. En France, on a estimé pouvoir ralentir la pandémie par la fermeture des classes et autres mesures qui n'ont pas été prises ailleurs. Le démarrage a été plus tardif que dans d'autres pays. Je pense que ceci est dû aux mesures du plan français - mais on ne peut le prouver. Peut-être le pourra-t-on plus tard grâce à des études rétrospectives.
On pensait que la pandémie démarrerait de façon précoce et qu'on n'aurait pas de vaccins ; en revanche, on a constaté, lors de pandémies précédentes, notamment celle de la grippe espagnole, l'existence de deux vagues, la deuxième arrivant plusieurs semaines, voire plusieurs mois après.
On pouvait donc espérer que la première vague soit bénigne et peu importante et que cela nous laisserait le temps de vacciner la population en attendant une deuxième vague plus sévère. Il n'y avait toutefois aucun moyen de savoir si celle-ci aurait lieu. Comparaison n'est pas raison et on ne pouvait prévoir ce qui allait se passer réellement.
Pour ce qui est des capacités des laboratoires, tous les ans, pour la grippe saisonnière, des souches virales sont choisies à partir desquelles un vaccin est élaboré ; les variations de productivité, en fonction de la souche et des laboratoires, sont considérables.
Au début de la fabrication des vaccins, on a su indirectement, puis directement, que la production de la souche vaccinale utilisée par les grands laboratoires internationaux avait un rendement très peu élevé - entre un tiers et la moitié de ce qui était attendu. Sans augmentation de la productivité, le risque de ne pas honorer les délais prévus était réel.
On avait donc des doutes en juillet-août puis les choses se sont équilibrées mais on ne pouvait calibrer la réponse.
Jusqu'à ce que la vague - ou la vaguelette - pandémique diminue, on ne pouvait être sûr de rien. Le 25 novembre, on a détecté en Norvège un mutant qui avait des capacités de fixation dans les alvéoles et qui était associé aux cas les plus graves. Dès lors, on s'est dit qu'une mutation du virus était probable. Mais il s'est avéré qu'il s'agissait en fait de virus touchant des personnes immunodéprimées qui avaient développé ces mutations. Le virus n'avait pas eu le temps d'entamer une transmission d'homme à homme. Nous étions le 25 novembre : à n'importe quel moment, la situation pouvait donc déraper.
M. François Autain, président - Pourquoi a-t-on décidé, fin janvier, d'interrompre la vaccination dans les centres de vaccination alors qu'on n'était pas sûr qu'il n'y aurait pas de deuxième vague ?
L'un de vos collègues m'a dit que fin avril, il était impossible de savoir s'il n'y aurait pas de deuxième vague. Fin mars, il n'y en avait toujours pas !
M. Jean-Claude Manuguerra - Je suis ravi que l'on me pose la question de savoir si l'on n'a pas fait trop de vaccins parce qu'il n'y a pas eu beaucoup de morts ! Tant mieux s'il n'y en a pas eu !
M. François Autain, président - Ce n'est pas non plus parce qu'on a de l'argent qu'il faut le dépenser !
Je suis convaincu que s'il n'y avait pas eu de vaccin, les choses se seraient déroulées de la même façon. Le HCSP indique clairement que commencer la vaccination plus d'un mois après le début de la circulation active du virus ne sert à rien en termes de mesure barrière.
La protection individuelle apparaît donc comme le grand argument éthique : il fallait que tout le monde puisse se protéger, même si on n'en avait pas besoin. Le 12 octobre était la date choisie pour la vaccination des médecins : le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'ont pas répondu en foule. Les taux ont été surévalués par Madame la ministre - sans doute au service de sa cause - mais ils sont de l'ordre de 4 à 10 %. C'est ridicule !
Le 12 novembre, on commence la vaccination générale mais on n'a commencé celle des enfants que le 25 novembre. Imaginons que l'on veuille protéger les enfants de moins de 9 ans : il faut deux doses à trois semaines d'intervalle. Ils seront immunisés biologiquement au mieux fin décembre, au moment où pratiquement la circulation active du virus est en train de faiblir au point qu'officiellement, le 14 janvier, l'InVS annonce la fin de la pandémie.
Quand on prend en compte ces considérations qui sont le résultat de la lecture attentive des avis du HCSP, ne peut-on estimer que cette vaccination n'a servi à rien ? La preuve en est que le taux de mortalité et le type de morbidité ne sont pas différents, malgré la vaccination, de ce que l'on a rencontré dans les pays de l'hémisphère Sud qui, eux, n'avaient pas accès - et pour cause - à la vaccination. C'est pourquoi on devrait tirer un certain nombre d'enseignements de cette situation !
Considérez-vous, comme Mme la ministre, n'avoir commis aucune erreur et, si c'était à refaire, le referiez-vous sans tirer aucun enseignement de la crise qui vient de se dérouler ?
On a actuellement affaire à des gens qui disent que c'est la faute du virus, qui a manipulé les experts et non la faute des experts ! Ne peut-on essayer de voir si les mesures qui ont été prises n'étaient pas disproportionnées par rapport à la menace ? La menace n'a-t-elle pas été surestimée ? N'était-il pas possible, en septembre, de la revoir à la baisse et d'en tirer les conséquences ?
La revente des vaccins aurait, par exemple, fort bien pu être envisagée avant, lorsqu'on a su qu'il ne fallait plus qu'une injection. Pourquoi conserver cette masse de vaccins qu'on a été obligé de chercher à revendre en vain ?
Toutes ces incohérences ne sont absolument pas mises en doute par ceux qui ont participé à l'élaboration de ces décisions. C'est ce qui me peine : je ne sens aucune trace de doute, sans même parler d'autocritique !
M. Jean-Claude Manuguerra - Avant de répondre, je voudrais dire que l'avis du HCSP sur cette question résulte de celui soumis par le CLCG au CTV, qui l'a transmis au HCSP. Tous ces avis ont été élaborés par nous-mêmes mais ne sont pas présentés comme tels puisque nous n'existons pas pour l'extérieur. Il n'y a donc pas d'opposition entre les comités sur ce sujet.
Je pense en effet qu'il va falloir en tirer des leçons mais de manière constructive, en évitant les excès. L'OMS a déjà entamé, avant les polémiques, toute une réflexion sur la question de savoir ce qui n'a pas fonctionné, ce qui n'a pas été bien fait.
L'hémisphère Sud n'a pas connu de vraie saison et, pour l'instant, cela ne change donc pas grand chose.
Pour ce qui concerne les leçons à en tirer, chacun va devoir faire son autocritique, sans flagellation excessive malgré tout. Je pense qu'il ne va pas falloir non plus se précipiter sur les conclusions. Il existe un certain nombre de données dont nous ne disposons pas encore qui vont nous y aider.
Une étude à l'échelle européenne portant sur l'efficacité vaccinale, pilotée par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, devrait nous permettre d'obtenir des informations.
Il va également falloir s'appuyer les uns sur les autres pour collecter ces données. Le groupe de sécurité sanitaire des pays du G7, plus Mexico, travaille déjà sur les leçons à tirer de la gestion de la grippe A (H1N1), comme la nécessité d'une gradation des réponses en fonction de la sévérité du virus.
M. François Autain, président - La grippe n'est pas le seul fléau de santé publique ! Il en existe d'autres et il faut essayer d'évaluer la menace le plus correctement possible. Lorsqu'on s'est trompé, il ne faut pas hésiter à la revoir à la baisse. Je pense qu'il était possible de le faire en septembre avec les données à notre disposition, sans prendre de risques extraordinaires vis-à-vis de la population. C'est ce que je reproche aux experts qui ont conseillé le ministère.
Certes, le ministère ne vous a sans doute pas incités à verser dans l'optimisme puisqu'on essayait de paniquer les Français - en vain d'ailleurs puisqu'ils se sont montrés très sages et se sont très peu fait vacciner. Finalement, ce sont eux qui ont apprécié correctement le risque en se transformant en experts citoyens.
J'admire les experts virologues, qui fabriquent les vaccins mais il y a aussi ceux qui sont sur le terrain - les généralistes, les cliniciens, les sociologues. On n'en a pas entendu parler. Or, je pense qu'ils ont un rôle à jouer dans ce domaine. J'espère que ce qui vient de se passer nous permettra d'adopter une position plus mesurée vis-à-vis d'une pandémie.
On a déploré trois pandémies au XX e siècle. Je reconnais que les choses sont mal parties pour qu'on n'en ait que trois au XXI e siècle mais elles sont de moins en moins meurtrières. C'est un sujet de satisfaction. La grippe de 1918 a été particulièrement meurtrière, la suivante beaucoup moins et la dernière encore moins - sans parler du SRAS, H5N1 et H1N1, qui relèvent plus des fantasmes que de véritables pandémies !
Ce sont là des considérations d'ordre philosophique ou sociologique mais il faut parfois redescendre sur terre et faire preuve de réalisme. Lorsqu'on se trompe, il ne faut pas avoir peur de le reconnaître. Tout le monde peut commettre des erreurs !
M. Jean-Claude Manuguerra - Les experts sont prêts à reconnaître lorsqu'ils se trompent mais il faut mesurer les mots. On ne peut parler d'« experts citoyens » ! En France, l'adhésion à la vaccination a varié en fonction de l'imminence du danger. Tant qu'il n'y a pas eu de morts en France, les centres de vaccination sont restés vides ; lorsqu'un jeune garçon de 6 ans ou un jeune adulte de 23 ans sont morts, les centres se sont remplis. On a même reproché aux préfets de ne pas en faire assez ! Si le risque s'était avéré, le Gouvernement ou l'administration auraient sans doute été critiqués pour ne pas avoir donné accès assez rapidement au vaccin.
Il est facile a posteriori de réécrire l'histoire. Le 25 novembre, un dérapage n'était pas impossible. Qu'aurait-on fait alors ? On aurait finalement réclamé les doses mais on n'aurait pas forcément eu gain de cause ! On ne peut changer sans arrêt de politique, ni dire que les gens qui se sont abstenus ont eu raison de le faire ou qu'il s'agissait d'« experts citoyens » !
M. François Autain, président - Vous n'avez pas idée des ravages que cette gestion de la crise a produits dans le jugement que porte la population sur la vaccination ! On a nourri les ligues anti-vaccinales et décrédibilisé la parole publique. Imaginez demain que le danger soit véritable : on ne vous croira plus ! C'est très grave à mon sens et c'est pourquoi il y a intérêt à reconnaître ses erreurs. On peut se demander pourquoi le scénario n'est pas celui prévu et reconnaître qu'on a peut-être eu tendance à exagérer. On doit se poser des questions et c'est pourquoi je vous demandais - il me semble que la réponse a été positive - si vous alliez tirer des enseignements de cette crise.
M. Jean-Claude Manuguerra - Un certain nombre d'enseignements relèvent de la communication. Il faut aussi que les citoyens acceptent des circonstances où l'Etat et la puissance publique ne seront pas à même de les protéger. Il faut en effet reconnaître que dans le cadre de scénario moyen, on ne pourra sauver tout le monde. C'est une question de balance bénéfices-risques. Je ne suis pas sûr que le message sur le fait que le danger zéro n'existe pas passe dans la population !
M. François Autain, président - Si vous criez au loup et que le loup n'est pas là, la fois suivante, on ne vous croira plus ! Avant de déclarer la prochaine pandémie, il faudra s'y prendre à deux fois et être sûr de son coup - d'autant que la pandémie dépend beaucoup de ce que veut en faire l'OMS, qui a la maîtrise de sa définition ! Elle en change d'ailleurs tous les deux ou trois ans, à tel point qu'on ne sait plus très bien où on en est aujourd'hui, ni la différence qui existe entre une pandémie ou une épidémie de grippe saisonnière. Il y a là des éclaircissements à apporter à la population car il existe actuellement une vague de scepticisme vis-à-vis de tout ce qui s'est passé, lourde de dangers pour l'avenir.
M. Jean-Claude Manuguerra - C'est aussi la première situation d'urgence sanitaire qui s'est appliquée depuis l'entrée en vigueur du Règlement sanitaire international, qui donne à la coordination internationale un aspect très important. Cela a également servi d'exercice international. Il faut donc apprivoiser ce nouveau règlement.
M. François Autain, président - Cela nous a coûté très cher !
M. Jean-Claude Manuguerra - Je pense qu'on pourra en tirer des leçons qui montreront que cela en valait la peine !
M. François Autain, président - Nous vous remercions infiniment de vous être livré à toutes nos questions. Vous y avez répondu avec beaucoup de franchise.