Audition de M. Bruno LINA,
directeur du Centre national de référence des virus de la grippe
pour le Sud de la France,
chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon
(mercredi 31 mars 2010)

M. François Autain, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Bruno Lina, directeur du centre des virus de la grippe pour le Sud de la France, chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Bruno Lina prête serment.

M. François Autain, président - Avant de passer à votre déclaration liminaire, je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, que s'applique l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, selon lequel vous devez nous faire connaître, si vous en avez, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Cela vaut non seulement pour une commission d'enquête mais pour toute intervention dans la presse, à la radio, à la télévision, etc.

Vous vous êtes beaucoup exprimé. C'est l'intérêt d'ailleurs de cette audition, car nous avons de la matière, ce qui n'est pas toujours le cas. A aucun moment je n'ai constaté que vous faisiez référence à ces liens, soit en disant que vous n'en aviez pas, soit en disant que vous en aviez, conformément à la loi de 2002, qui a été complétée par un décret paru en 2007. Cette loi s'applique depuis 2007. Or, j'ai constaté qu'en ce qui vous concerne, mais vous n'êtes pas le seul - vous êtes à peu près tous dans ce cas -, vous ne l'appliquiez pas. Pourquoi ? Est-ce parce que vous ne la connaissiez pas ou est-ce parce que vous estimiez qu'elle était inutile ? J'aimerais vous entendre sur ce point et sur le sujet qui nous intéresse, à savoir la gestion de cette épidémie de grippe.

Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire, puis de répondre aux questions de notre rapporteur M. Alain Milon, ici présent, ensuite à celles des commissaires, membres de la commission. Monsieur le professeur, vous avez la parole.

M. Bruno Lina - Je vais commencer par citer mes conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Il ne s'agit pas de conflits, mais de liens. Ce n'est pas la même chose.

M. Bruno Lina - Pour tout vous dire, j'étais ce matin à l'Institut de veille sanitaire (InVS) pour faire un exposé devant un certain nombre de personnes. Je viens de rallumer mon ordinateur parce que j'ai la liste. Elle a été affichée sur la première diapositive.

C'est, honnêtement, un changement de comportement, puisque je ne le faisais pas. Je le faisais sur demande, mais pas spontanément. Lors des discussions avec les médias, je ne le faisais pas, par méconnaissance de cette loi, ce qui n'est pas une réponse acceptable. Depuis qu'on me demande de le faire, je le fais. Sachez, monsieur le président, que les journalistes ne les donnent pas. J'ai gardé des mails et certains me répondent : « Je ne souhaite pas les mettre. »

Certains le font, d'autres disent qu'ils ne souhaitent pas le faire, parce qu'ils considèrent que le sujet n'est pas tout à fait en ligne avec ce qu'on pourrait imaginer comme étant des déclarations ou des conflits d'intérêts.

M. François Autain, président - Vous ne considérez pas cela comme blessant ou inquisitorial ? Un certain nombre de vos collègues se sont exprimés dans la presse, considérant qu'il y avait actuellement un acharnement, en raison sans doute d'un certain nombre de questions, du type de celles que je viens de vous poser ; que cela procédait d'un acharnement contre les experts.

M. Bruno Lina - Absolument pas, je n'ai pas le sentiment de recevoir des coups sur la tête parce qu'on me demande de citer les industriels avec lesquels j'ai des programmes de recherche.

M. François Autain, président - Ce n'est pas une honte, au contraire.

M. Bruno Lina - Il y a peut-être des clarifications à faire. Certains conflits d'intérêts sont liés au fait que des relations directes s'installent, qu'elles sont bipartites. D'autres relations sont plus compliquées : elles se font dans le cadre de programmes de recherche. Quand on fait un programme de recherche de type F8, on doit avoir un partenaire industriel. Ce partenaire apparaît-il comme faisant partie des conflits d'intérêts ou pas ?

M. François Autain, président - Nous n'allons pas prolonger le débat, mais j'estime qu'il est tout à fait normal qu'un chercheur travaille avec l'industrie pharmaceutique. Ce qui est plus contestable est que ce même chercheur soit celui qui conseille le Gouvernement sur les produits qui sont fabriqués par le laboratoire que ce chercheur conseille.

Je serais partisan qu'il existe une plus grande étanchéité entre le public et le privé. Ceci n'est pas votre faute. Comme vous le dites souvent : « Ce n'est pas moi qui ai demandé ». Ce n'est pas contre vous. Ces critiques sont beaucoup plus adressées contre le Gouvernement et les autorités sanitaires.

M. Bruno Lina - Je vais essayer de me présenter, car le panorama peut sembler complexe. Je suis PU-PH aux Hospices civils de Lyon en virologie. A ce titre, je dirige un laboratoire de virologie qui s'appelle le Laboratoire de virologie Est des Hospices civils de Lyon et emploie une trentaine de techniciens et une dizaine de biologistes. Dans ce service sont hébergés deux centres de référence : le Centre national de référence pour la grippe pour le Sud de la France et le Centre national de référence pour les entérovirus et les poliovirus. Ces deux centres nationaux de référence sont aussi des centres affiliés à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en tant que National Reference Centre et National Polio Laboratory. Ce qui m'amène, dans le cadre de ces activités de référence, et à l'OMS, à jouer un rôle au sein de l'OMS de Temporary Adviser pour des questions qui touchent à la grippe, aux entérovirus ou aux poliovirus.

A côté de cette activité hospitalière, j'ai une charge d'enseignement universitaire et je dirige aussi une unité de recherche CNRS (Centre national de la recherche scientifique), dont la thématique principale est la recherche sur la grippe et les pathogènes respiratoires. C'est une unité qui compte à peu près quarante-cinq à cinquante personnes, dont une dizaine de chercheurs statutaires.

Du fait de cette position, à la fois de chercheur, de référent grippe et de virologue, mes rôles d'expertise pour la fonction publique sont nombreux. Si on veut faire la liste des instituts français pour lesquels j'ai été amené à faire des expertises dans les cinq années passées, on peut citer l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut Pasteur, l'Agence nationale de la recherche (ANR), la Direction générale de la santé (DGS) et le ministère de la recherche.

Je joue le rôle d'expert aussi pour l'OMS, comme je vous l'ai expliqué, dans le cadre d'activités de référence : pour la National Institutes of Health (NIH) aux Etats-Unis pour toutes les questions qui touchent à la grippe ; pour les Pays-Bas, la Finlande, l'Allemagne qui m'envoient régulièrement des dossiers à évaluer sur les questions de grippe ; pour l'European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) à Stockholm ; pour la Commission européenne chargée d'instruire les programmes de recherche ; pour le G 7 plus Mexique, en lien avec la DGS. L'AFSSAPS m'a demandé de participer à un groupe de travail deux fois à l'European Medicines Agency (EMA).

Cela fait beaucoup de rôles d'expertise dans le cadre de ce que j'appelle la fonction publique, cadre qui échappe à l'industrie privée, vraiment ciblé sur des programmes de recherche, sur des informations à fournir dans le cadre de structures labellisées, dépendantes de l'Etat, des Etats étrangers, ou de l'Europe.

A côté de cela, j'ai des liens avec des industriels qui me demandent de participer à ce qu'ils appellent des Boards quand il s'agit de liens, de réunions qui se passent à l'étranger. Des réunions se tiennent de temps en temps. Je pourrai vous expliquer ce que signifient ces réunions, quel est leur contenu. Il s'agit de différentes sociétés comme Roche, Sanofi, Novartis, GSK ; dans d'autres domaines, la société BioCryst, la société Medimune, la société BioMérieux, la société Argene, et probablement dans un avenir proche, la société AstraZeneca.

M. François Autain, président - Vous arrivez à être présent dans votre service ?

M. Bruno Lina - Oui.

M. François Autain, président - Cela paraît extraordinaire. Je suis très admiratif. Vous ne devez pas avoir besoin de beaucoup de sommeil. C'est votre force.

M. Bruno Lina - Je dors peu. Ce sont des noms qui s'alignent, mais il ne s'agit pas forcément de réunions très fréquentes. Parmi ces interventions, j'ai oublié de citer Boiron.

M. François Autain, président - C'est l'homéopathie.

M. Bruno Lina - Je fais partie des gens qui considèrent qu'en tant qu'hospitalo-universitaire, j'ai une fonction d'enseignement, ce qui vous explique, en partie, pourquoi j'accepte de communiquer avec la presse. Je considère qu'il y a des messages d'enseignement à faire passer. L'éducation de chacun peut être aussi relayée par la presse. Je préfère que quelqu'un qui a la prétention de connaître la grippe mieux que d'autres personnes fasse passer des messages qui soient clairs dans la mesure du possible, non ambigus et étayés par une certaine connaissance de fond, en toute modestie.

Lorsqu'une société comme Boiron me demande de venir faire une intervention devant les gestionnaires de la société, j'accepte. En sachant que pour ces interventions, je suis en général face à un tableau noir ou à un écran et je leur fais trois ou quatre heures d'explication sur ce qu'est la grippe, sur ce que peut être une grippe pandémique, sur les tenants et les aboutissants d'une épidémie de grippe et de sa gestion. En général, je ne suis pas rémunéré pour ce genre d'intervention. Je ne demande pas de rémunération ; cela fait partie de mon travail.

M. François Autain, président - Vous avez déclaré le 4 mars 2010 à l'Agence France-Presse (AFP) que « donner des déclarations d'intérêts sans qu'il y ait des sommes derrière, cela ne sert à rien » .

M. Bruno Lina - Je le maintiens.

M. François Autain, président - Seriez-vous d'accord pour montrer l'exemple ?

M. Bruno Lina - Tout à fait. Cet après-midi, je vais vous donner des chiffres complets.

M. François Autain, président - Vous nous préparez cela et vous nous l'adressez.

M. Bruno Lina - Je peux vous l'adresser sans aucun problème. Je peux vous dire que sur ma déclaration d'impôts de l'année dernière, que vous pouvez allez voir, cela représente une somme inférieure à 5 000 euros sur la totalité de l'année.

M. François Autain, président - C'est presque du bénévolat.

M. Bruno Lina - Ce n'est pas du bénévolat.

M. François Autain, président - Presque.

M. Bruno Lina - Il y a 5 000 euros. En tant que professeur des universités - praticien hospitalier (PU-PH), j'ai signé une déclaration de services exclusifs publics ; je n'ai donc pas de consultation privée non plus. Je considère que je suis un fonctionnaire de l'Etat, qui obéit à des ordres donnés par mon employeur qui est l'Etat français.

M. François Autain, président - Nous passons au vif du sujet.

M. Bruno Lina - Concernant cette gestion de l'épidémie, sachez que je fais partie du Comité de lutte contre la grippe depuis maintenant de nombreuses années. Je suis membre de ce comité de lutte comme membre de droit, en tant que directeur d'un Centre national de référence. Le décret définit qu'il y a des membres qui sont nommés et des membres de droit. C'est à ce titre que j'y suis.

Entre parenthèses, le message qu'on nous a fait passer à l'époque était de dire que la déclaration publique d'intérêts des membres de droit n'était pas quelque chose d'obligatoire.

M. François Autain, président - En quelle année était-ce ?

M. Bruno Lina - C'était cette année. C'est à ma demande que cette déclaration a été mise en ligne sur le site du ministère.

M. François Autain, président - Mme la ministre nous a dit au contraire que c'est elle qui vous l'avait demandé.

M. Bruno Lina - Nous avons eu un échange et on a dit qu'il fallait la mettre en ligne.

M. François Autain, président - Elle vous l'aurait demandé dès 2008. Il y en a un des deux qui ment.

M. Bruno Lina - Je n'ai pas le souvenir, mais...

M. François Autain, président - Ce ne peut pas être la ministre qui ment.

M. Bruno Lina - Je ne pense pas qu'on puisse dire des choses pareilles.

M. François Autain, président - On ne sait pas trop quand et comment s'est effectuée cette publication des liens d'intérêts. Elle a été tardive. Elle est intervenue en novembre 2009, alors que le comité a été créé en juin 2008 et que, de 2008 à fin 2009, il ne s'est rien passé. Il y a eu votre initiative. Quand est-elle intervenue ?

M. Bruno Lina - Durant l'été.

M. François Autain, président - Mme la ministre nous a dit qu'elle était intervenue auprès des comités dès juillet 2008.

M. Bruno Lina - Je vais essayer d'éclairer le problème. Il faut considérer deux choses pour la déclaration publique d'intérêts. Une déclaration publique d'intérêts avait été faite, mais elle n'était pas appliquée et, à l'époque, elle était incomplète. Ma déclaration publique d'intérêts a été faite tôt, mais elle était incomplète. On l'a remise à jour à l'occasion de discussions, et c'est à ma demande qu'elle a été mise en ligne. On m'a dit qu'on n'était pas obligé de la mettre en ligne, mais j'ai dit que j'étais d'accord pour le faire et que je le souhaitais.

M. François Autain, président - Qui vous a dit qu'on n'était pas obligé de la mettre en ligne ?

M. Bruno Lina - Quelqu'un de la DGS.

M. François Autain, président - Quelqu'un de la DGS vous a dit cela.

M. Bruno Lina - Il m'a dit qu'on n'était pas tenu de la mettre en ligne.

M. François Autain, président - Il y a discussion. Je me tourne vers les juristes : il y a obligation de mettre en ligne à partir de 2008.

Il n'y avait pas d'autres moyens à ma connaissance. Qu'est-ce qui différencie une déclaration privée d'une déclaration publique ?

M. Alain Milon, rapporteur - La rendre publique ne veut pas nécessairement dire la mettre en ligne.

M. François Autain, président - Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Alain Milon, rapporteur - M. Bruno Lina est simplement tenu de prévenir qu'il a des liens d'intérêts.

M. François Autain, président - Ce point étant provisoirement clarifié, vous avez la parole pour parler enfin de la gestion de la grippe.

M. Bruno Lina - Il y a eu plusieurs périodes sur la gestion de cette crise. Je participe au Comité de lutte contre la grippe. Je ne suis pas au Comité technique des vaccinations, je ne suis pas au Haut Conseil de la santé publique. Je ne suis que dans le Comité de lutte contre la grippe (CLCG). Le Comité a été sollicité à de multiples reprises pendant cette gestion de crise. Je pense que monsieur Jean-Claude Manuguerra a dû vous expliquer comment cela s'était passé. Il y a eu de très nombreuses sollicitations, parfois tous les deux jours, au début de la crise. L'objectif était de récupérer un maximum d'informations au CLCG sur la demande de saisines qui transitaient via le directeur général de la santé, de répondre à certaines questions qui se posaient au fur et à mesure des informations qui sortaient et de synthétiser les informations que nous pourrions avoir, du fait de nos relations avec les Etats étrangers qui avaient à faire face au début de l'épidémie, avant que le virus n'apparaisse en France.

Il y a eu beaucoup de travail au tout début, à la fin du mois d'avril. Progressivement, le travail de fond s'est installé sur les différents points qui ont pu être discutés au sein du Comité de lutte avec l'ensemble du groupe.

Le groupe, comme vous le savez, fonctionne de façon collégiale. Il n'y a pas de vote. Des avis sont émis et sont transmis ensuite au directeur général de la santé. Avant d'être réellement actés, ils passent soit par le Comité technique des vaccinations, soit par le Haut Conseil de la santé publique.

M. François Autain, président - Que se passe-t-il s'il n'y a pas consensus ?

M. Bruno Lina - Je vais vous étonner, mais en pratique, nous n'avons jamais eu une absence de consensus dans les séances ou les conférences téléphoniques auxquelles j'ai assisté.

L'intérêt du fonctionnement de ce comité de lutte tient à la diversité des personnes qui y participent. On a des épidémiologistes, des virologues, des pneumologues, des pédiatres. Toutes les spécialités ne sont pas représentées.

Le groupe a une taille relativement importante. Lorsque nous sommes tous présents, nous sommes un peu moins de vingt personnes. Des représentants de la DGS sont physiquement présents pour assister aux débats, pour éventuellement nourrir la discussion et clarifier les questions qui sont posées. Le travail du Comité de lutte contre la grippe est extrêmement convivial, facile, sans langue de bois. Quand il y a une discussion, elle est menée à son terme, ce qui permet justement d'avoir des positions consensuelles.

M. Alain Milon, rapporteur - Sur la contribution du Comité de lutte, vous parlez d'un pneumologue. Il me semble que c'est assez intéressant, mais il paraîtrait que cela serait arrivé assez tard dans la constitution du comité, et semble-t-il, contre l'avis de certains virologues.

M. Bruno Lina - Non, ou alors ce sont des discussions qui ont eu lieu lorsque je n'étais pas là ; ou alors c'est une discussion qui a eu lieu en dehors du Comité de lutte contre la grippe. Je ne vois pas pourquoi on ne voudrait pas d'un pneumologue.

M. Alain Milon, rapporteur - Pourquoi aussi tardivement ? C'est en août ou septembre 2009. C'est bien cela ?

M. Bruno Lina - Il aurait fallu que je sorte les compositions, car ma mémoire fait défaut de temps en temps. Il me semble qu'historiquement, avant 2005-2006, il y avait un pneumologue qui ne venait plus. Il était toujours officiellement listé, mais il n'en faisait pas partie. Lorsqu'il y a eu un phénomène de renouvellement, il a fallu attendre un certain temps et il est vrai qu'à un moment, il n'y avait pas de pneumologue qui assistait à nos discussions.

M. François Autain, président - Ce qui est toujours dommage.

M. Bruno Lina - Avoir des discussions enrichies par des compétences croisées est l'objectif de ce genre de groupe, car on ne peut pas tout savoir.

On a reçu dernièrement un courrier que le directeur général de la santé a fait passer à l'ensemble des membres du Comité de lutte contre la grippe nous remerciant de notre implication dans la gestion de cette crise et de notre disponibilité. Objectivement, sans faire d'angélisme, l'implication des membres du Comité est d'une vitalité extrêmement importante. Nous étions tous surpris car, lorsqu'on faisait une conférence téléphonique le 8 mai, tout le monde était là. Quand nous en faisions une à nouveau le 10 mai, tout le monde était encore là. Il y avait vraiment une volonté de conduire au mieux l'ensemble des réflexions et des questions et de répondre aux questions qui nous étaient posées le plus clairement possible. Je reste à votre disposition si jamais il y a des choses que je n'ai pas dites.

M. François Autain, président - Vous ne pouvez pas tout dire. Monsieur le rapporteur va sans doute combler les lacunes, si lacune il y a. Je lui passe la parole pour les questions.

M. Alain Milon, rapporteur - Il s'agit d'une série de questions. Je vais, si vous le voulez bien, les poser une par une, et vous y répondrez, ce qui permettra à nos collègues de rebondir s'ils le souhaitent.

Les mesures prises dans le cadre de la préparation à une éventuelle crise H5N1 ont certainement permis d'accélérer la mise au point de « réponses vaccinales » pour la grippe H1N1. Malgré cela, même dans les pays qui ont consenti de très importants efforts pour mettre en place la vaccination dans les plus brefs délais, le virus a été plus rapide que le vaccin. Cette constatation ne doit-elle pas conduire à remettre en cause la priorité donnée à la « réponse vaccinale » aux pandémies grippales, d'autant plus que l'efficacité clinique des vaccinations antigrippales est, on le sait, relative ? Dans quelles voies devrait, selon vous s'orienter, la recherche d'une réponse efficace aux pandémies grippales ?

M. Bruno Lina - Cela fait partie des avis que le Comité de lutte contre la grippe a donnés assez précocement. Nous considérions tous, de façon consensuelle, que la vaccination était un des piliers, voire le pilier de la lutte contre la pandémie. Quand on a affaire à une dynamique épidémique pandémique, il y a énormément d'incertitudes au début. Certaines sont relatives à la rapidité de diffusion du virus ; d'autres à la rapidité de son évolution et de son extension. L'évolution du virus lui-même peut changer au cours d'une épidémie. C'est ce qu'on a observé en 1968, où le virus a évolué dans une toute première phase de la pandémie.

La diffusion épidémique peut être plus ou moins rapide. On avait modélisé l'évolution qui montrait qu'en cas de retards de mise à disposition des vaccins, la stratégie d'utilisation des vaccins pouvait être modifiée selon un certain nombre de critères ; mais les modèles ne sont là que pour étayer un travail, pas pour prédire l'avenir.

Reprenons l'histoire. Le virus émerge, mais la vraie première vague d'épidémie ne commence qu'en janvier ou février. La vaccination prenait son sens à ce moment-là, en termes de répulsion d'un facteur collectif. Il s'est passé que ce virus a diffusé beaucoup plus vite. Le virus a été plus rapide que le vaccin, comme vous le disiez. L'épidémie est née en partie avant que le vaccin ne soit disponible. Finalement, la stratégie vaccinale n'est plus la même. Elle cesse de devenir collective, pour devenir individuelle.

Les vaccins contre la grippe ont une efficacité relative : ils ne protègent pas à 100 %. Il n'empêche que c'est une arme utile qui est co-efficace pour réduire à la fois la mortalité et la morbidité liées à la grippe. Un certain nombre de travaux qui évaluent la vaccination saisonnière, qui n'est pas la même chose qu'une vaccination pandémique, s'appuient sur des études d' effectiveness contre des études d' efficacy . C'est un peu technique, vous me direz si vous comprenez ou pas la nuance.

L' effectiveness , c'est mesurer un effet contre un syndrome clinique. L' efficacy , c'est mesurer un effet contre une infection virale prouvée. Quand on prend les études qui regardent les essais où on cherche à éviter une infection virale prouvée, le résultat de la vaccination contre la grippe est bien supérieur à celui qu'on mesure lorsqu'on fait un essai versus un syndrome grippal.

On sait que d'innombrables syndromes grippaux sont dus à d'autres choses que le virus de la grippe. Quand on est dans une perspective de pandémie, où on a un ennemi unique qui va donner une bouffée épidémique massive - ce n'est pas toujours le cas, mais c'est ce qui était modélisé -, avec une capacité de réponse rapide ciblée sur le virus qui n'aurait pas évolué, on s'attend à avoir des niveaux d'efficacité qui soient de l'ordre d'une population générale, tout en incluant les personnes âgées chez qui cela marche moins bien, et les plus jeunes chez qui cela marche bien, de l'ordre de 60 à 70 %. C'est considérable quand on est dans une épidémie maximale. Cela réduit la circulation du virus. C'est une protection en anneau, en quelque sorte, qui se répercute sur l'ensemble de la population.

C'est la raison pour laquelle le Comité de lutte contre la grippe n'a jamais été ambigu sur l'intérêt de la vaccination. On a toujours dit que c'était un des piliers ou le pilier principal de la lutte contre la grippe.

Lorsque la bouffée épidémique commence avant que le vaccin ne soit disponible, on ne peut pas rester les bras croisés. C'est la raison pour laquelle d'autres mesures pouvaient être potentiellement utilisées ; ce sont les mesures d'hygiène, pour lesquelles une énorme promotion a été faite. Je pense que cela a été un vrai succès. Il faut citer aussi l'utilisation des antiviraux. C'est la prise en charge des patients en termes de prévention et de traitement des cas. Dans les plans pandémiques qui ont été faits, il a toujours été dit qu'il fallait utiliser des antiviraux, de façon à réduire l'impact et la mortalité de la grippe pandémique.

Dans les états précoces de l'évolution pandémique, nous avions dit qu'il était très important de traiter systématiquement tous les cas, de façon à ralentir la progression de l'épidémie au maximum et à éviter les transmissions silencieuses pour gagner du temps, dans le but que cette course entre le virus et le vaccin soit gagnée par le vaccin. Il s'agit en tout cas de se donner les moyens, le plus possible, de gagner cette course.

Pour répondre spécifiquement à votre question, l'efficacité clinique des vaccins est relative même s'il est certain qu'elle présente malgré tout un bénéfice. La réponse vaccinale, telle qu'on a pu l'apporter au cours de cette pandémie, était décalée par rapport à ce qu'il aurait été souhaitable de faire pour avoir une protection collective. Elle était à peine en temps pour pouvoir avoir une réponse individuelle, puisque l'épidémie et la vaccination ont commencé à peu près en même temps.

On ne maîtrise absolument pas la fourniture de doses - c'est ce que j'ai compris - ni le début de l'épidémie.

M. François Autain, président - On maîtrise la commande, tout de même.

M. Bruno Lina - Oui, jusqu'à un certain point. Pour parler sans langue de bois, l'ensemble des pays ont passé des commandes.

M. François Autain, président - Il y avait quelques rares exceptions.

M. Bruno Lina - Il y a toujours des exceptions qui justifient la règle. On peut en parler, car c'est intéressant. Dans l'absolu, ceux qui n'ont pas pris de vaccin s'en sortent bien.

J'ai entendu aussi, de la part de l'OMS, qu'un certain nombre de pays qui n'avaient pas demandé le vaccin ont crié au secours à un moment donné, maintenant ils ont beau jeu de dire que...

Au cours d'une pandémie, la question des vaccins est une question extrêmement difficile, et on ne l'avait pas anticipée à la bonne mesure.

M. François Autain, président - C'est le moins qu'on puisse dire.

M. Bruno Lina - On a appris beaucoup de choses au cours de cette pandémie. C'est une expérience supplémentaire. On a beaucoup axé de données sur la pandémie de 1918 ; il y a eu beaucoup de relais sur 1918, qui fut une pandémie catastrophique. Tout le monde admet que cette dernière est une situation particulière exceptionnelle et que le risque qu'elle se reproduise est faible. Je considère, mais c'est un avis strictement personnel, que la pandémie 2009 est une pandémie particulièrement exceptionnelle par l'absence d'impacts cliniques. Les deux vraies pandémies qui se ressemblent, en termes d'impact, sont celles de 1957 et 1968 où il y a eu une dynamique épidémique qui a ressemblé à une pandémie, sans excès et sans défaut.

M. François Autain, président - Si je vous comprends bien, on a été beaucoup trop vite.

M. Bruno Lina - Oui, on le sait maintenant. Dans les travaux du Comité de lutte contre la grippe, on se réunissait à tour de bras, de façon à essayer d'intégrer et d'analyser au maximum les informations qui étaient disponibles. Les informations disponibles de début mai étaient très alarmantes.

M. Alain Milon, rapporteur - Quand vous parlez de l'épidémie de 1918 et les conditions exceptionnelles qu'on connaît, qui ont fait que cette épidémie était exceptionnelle, est-ce que, d'un point de vue géographique, pour celle de 2009, on n'aurait pas pu prendre cette exception géographique des pays de l'hémisphère Sud, dont l'état sanitaire est nettement moins élevé que les pays de l'hémisphère Nord par exemple ?

M. Bruno Lina - Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire.

M. Alain Milon, rapporteur - Les populations de l'hémisphère Nord sont plus protégées contre une pandémie grippale que les populations de l'hémisphère Sud. N'aurait-on pas pu prendre cela en considération dès le départ ?

M. Bruno Lina - Je pense que le différentiel de l'état sanitaire en Australie, en Nouvelle-Calédonie, même au Chili, par rapport à ce qu'on a en Europe, n'est pas si important que cela. Je ne crois pas.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est surtout l'Australie et le Chili, plus que le Mexique, qui ont influencé les décisions prises par l'OMS, et ensuite au niveau local par la France.

M. Bruno Lina - Au Chili, ils ont eu une épidémie un petit peu décalée. En Australie et en Nouvelle-Calédonie, ils ont très bien détaillé l'épidémie. Nous avons eu beaucoup d'informations, en termes d'impacts en particulier. Nous étions surpris de voir les taux d'attaque, le nombre d'infectés, qui était inférieur à ce qu'on avait imaginé : de l'ordre de 16 %, de mémoire, en Nouvelle-Calédonie. Je n'ai plus le chiffre pour l'Australie, mais cela devait être similaire.

Une réunion organisée par l'Institut de veille sanitaire s'est tenue en septembre en France à la Maison de la Chimie. C'était un retour d'expérience de l'hémisphère Sud. Plusieurs représentants de pays étaient venus parler. J'ai retenu schématiquement trois messages : l'épidémie semblait le fait d'un virus qui ne présentait aucun facteur de pathogénicité. Tout le monde était d'accord là-dessus.

M. François Autain - N'aurait-on pas pu réviser la menace ?

M. Bruno Lina - Je voudrais juste terminer ; ensuite on pourra reposer la question.

Deuxièmement, la mortalité de ce virus était inférieure à ce qu'on s'attendait. Toutefois, l'ensemble de ces pays ont dit que leurs services de réanimation ont été débordés. Quand on est un paranoïaque du virus grippal comme moi, on connaît la capacité de ce virus à se transformer pour devenir dangereux, sans aller dans les exemples de H5N1. On sait que ce virus a des capacités de transformation et de mutation qui peuvent lui conférer un facteur de virulence qui n'existe pas à l'instant t, mais qui existe à l'instant t + 1. On sait que la dimension de l'épidémie dans l'hémisphère Sud est forcément inférieure à ce qu'on pourrait observer dans l'hémisphère Nord, du fait de la faible densité de population : il y a vingt à 25 millions d'habitants en Australie, ce qui est à peine le double de ce qu'il y a en région parisienne ; la surface couverte n'est donc pas du tout pareille. On ne peut transposer ce qui se passe dans l'hémisphère Sud que sur certains points, mais pas sur tout.

M. François Autain, président - Vous pensez qu'il n'était pas possible de corriger la menace, de dire que c'était moins grave qu'on ne l'avait pensé ?

M. Bruno Lina - Je cite ce que dit M. Kejii Fukuda, le responsable de l'OMS pour la grippe.

M. François Autain, président - Je ne sais pas si c'est une référence.

M. Bruno Lina - Si, c'est quelqu'un de formidable.

M. François Autain, président - Oui, il est formidable, mais il a été contesté.

M. Bruno Lina - On peut le contester. Il faudra que nous regardions le côté positif de ce qu'il a fait aussi, car il y a des choses qui sont remarquables. Quand on connaît sur le fond les capacités de ce virus à évoluer, on se dit toujours que baisser la garde est extrêmement dangereux.

M. François Autain, président - On peut être paranoïaque de tous les fléaux. On ne va plus pouvoir vivre.

M. Bruno Lina - L'idée est d'avoir en tête, en permanence, les capacités du virus, de savoir ce qu'il peut devenir et d'être prudent, de savoir que le pire n'est pas le plus probable, mais que c'est quelque chose qui peut impacter. Dans ces conditions, si on est suiveur, et non en anticipation, on a beaucoup de « casse ». C'est ce que beaucoup d'entre nous avaient en tête. Méfions-nous de ce virus : il a des capacités d'évolution, il a un pouvoir pathogène qui était réel. Quand on dit que les services de réanimation étaient pleins, ils étaient pleins de gens qui, au cours de la grippe saisonnière, ne sont jamais en réanimation.

Quand on fait le bilan des hospitalisés en réanimation pour la grippe saisonnière, cela tend vers zéro. Il n'y en a pas ou très peu.

M. François Autain, président - Les personnes âgées n'ont pas le temps d'y arriver.

M. Bruno Lina - Non. Quand on a des pneumonies aiguës virales, telles qu'on a pu les observer, où il faut mettre des gens sous assistance ventilatoire extracorporelle pendant des semaines, cela ne se voit jamais au cours de la grippe saisonnière. On a vu que ce virus avait fait une mutation à un moment donné. On en a parlé dans les médias : il s'agissait d'une mutation à une position 222 de son hémagglutinine, qui donnait à ce virus la capacité d'infecter plus de cellules au sein du poumon lorsqu'il était en infection pulmonaire.

Les patients qui présentaient ces infections faisaient statistiquement plus de formes graves que les autres. Il y a toujours un potentiel de mutation. Comme on est avec un virus où le curseur de dangerosité est à zéro, si le curseur bouge, il bouge vers un. Il ne peut pas aller en dessous.

M. François Autain, président - Tout est imprévisible dans un cas de grippe. Il ne faut pas faire de prévisions et pourtant vous passez votre temps à en faire.

M. Bruno Lina - On me demande, à un moment donné, de prendre position.

M. François Autain, président - Vous ne devriez pas.

M. Bruno Lina - On essaie de montrer les incertitudes. On les a relayées. On a dit en permanence que nos avis étaient révisables en fonction de l'évolution de la situation. Je ne veux pas jouer l'oiseau de mauvais augure. Ceux qui pensent que le problème de la pandémie est terminé ont probablement tort, parce qu'on n'est qu'après la première vague, qu'il va y avoir une recirculation de ce virus l'hiver prochain, vraisemblablement.

M. François Autain, président - Il n'y a pas de raison.

M. Bruno Lina - Peut-être verra-t-on au cours du deuxième hiver ce qu'on n'a pas vu au cours du premier.

M. François Autain, président - En tout cas, pour le mois d'avril, on est tranquille.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous dites qu'on risque de voir le virus H1N1 revenir l'année prochaine. Les laboratoires que nous avons consultés parlent de mettre le virus H1N1 dans la vaccination saisonnière de l'année prochaine. Il semblerait que les cibles de la grippe saisonnière et celles du H1N1 ne sont pas les mêmes. Quel est l'intérêt de mettre du H1N1 dans la vaccination saisonnière ?

M. Bruno Lina - Regardons ce qui s'est passé au cours des pandémies précédentes. Chaque fois qu'un virus pandémique a émergé, les virus saisonniers précédents ont disparu. Quand le H2N2 est apparu en 1957, le H1N1 a disparu. Il n'affectait plus l'homme, ceci jusqu'en 1968, où le H2N2 a disparu et c'est le H3N2 qui est apparu. Ce n'est qu'à l'occasion de 1977 que le H1N1 est réapparu, avec vraisemblablement une intervention humaine. C'est en fait une conséquence de manipulations humaines de ce virus, qui a entraîné sa sortie et la recirculation de ce virus.

M. François Autain, président - Vous faites allusion aux manipulations de M. Albert Osterhaus qui a croisé un H5N1 avec un H1N1. Vous avez entendu parler de cela. Je suis un peu effrayé.

M. Bruno Lina - Vous ne devriez pas.

M. François Autain, président - Si jamais il s'échappe du laboratoire, vous vous rendez compte !

M. Bruno Lina - Il faut le faire dans de bonnes conditions. Les virologues, comme la plupart des scientifiques, ne sont pas des apprentis sorciers. Ce sont des gens raisonnables qui définissent les conditions dans lesquelles peuvent se faire telle ou telle manipulation. On essaie d'être raisonnable.

M. François Autain, président - Quand j'ai vu ce documentaire à la télévision l'autre soir, j'ai été effrayé. Ce M. Albert Osterhaus m'a profondément inquiété. C'est pourtant un très grand virologue.

M. Bruno Lina - C'est un ami. Je vous garantis que c'est quelqu'un de raisonnable. Sachez que ce qu'on voit à la télévision n'est pas forcément le reflet de ce qui a été dit par l'individu qui a été interviewé. Pour revenir à la question, il se passe aujourd'hui que le H1N1 saisonnier n'existe plus. Il n'y en a plus. Le dernier a été isolé au cours de l'année 2009.

Mme Christiane Kammermann - Mais il peut recirculer.

M. Bruno Lina - Il le peut potentiellement, mais pour l'instant il n'y a plus de réservoir humain.

Mme Christiane Kammermann - Il peut recirculer par la suite.

M. Bruno Lina - En revanche, celui dont on est sûr qu'il circulera l'année prochaine, est le H1N1 qui est né au Mexique.

M. François Autain, président - Le variant.

M. Bruno Lina - Le variant ou le PDM (pandémique). Je préfère l'appeler le mexicain, c'est plus clair. On a un virus H1N1 qui a disparu, et qui a été remplacé par l'autre.

M. François Autain, président - Pourquoi faire une vaccination H1N1 puisqu'il a disparu ?

M. Bruno Lina - Non, l'ancien a disparu. C'est le nouveau. La vraie question qui se pose est la suivante : que va-t-il arriver au H3N2 ? L'autre sous-type de virus Influenza A circulait, mais il n'y a que des détections extrêmement isolées de ce virus aujourd'hui. Quand on regarde sur l'inventaire que les centres de référence ont dans les virus isolés, le H3N2 représente moins de 1 % des viseurs. Il a lui aussi aujourd'hui tendance à disparaître.

Globalement, je ne sais pas ce qui va se passer. Il va falloir voir ce qui se passe dans l'hémisphère Sud. L'hémisphère Sud est un endroit où on va pouvoir de nouveau surveiller l'évolution de ce virus. Il peut y avoir plusieurs possibilités : la disparition du H3N2 et du H1N1 ; donc plus que le H1N1 pandémique qui résiste avec le virus de type B ; la circulation du H3N2 et du H1N1 pandémique et le virus B, ou les trois virus H1N1 saisonnier, H1N1 pandémique et H3N2.

Vous avez raison, la cible vaccinale n'est pas du tout la même entre le vaccin saisonnier et le vaccin pandémique, mais si le virus devient un virus saisonnier, ce qui est très hautement probable, il va changer de spectre. La pandémie est vraiment une situation très particulière en termes de patients atteints : les femmes enceintes ne sont touchées qu'au cours des pandémies. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas, mais c'est ainsi. Une fois que la vague pandémique est terminée, c'est fini. Les femmes enceintes sont à risques, mais comme les autres, alors qu'au cours d'une pandémie elles sont cinq à dix fois plus à risques. Tous les travaux le montrent, et cela a été retrouvé dans l'ensemble des situations.

La campagne vaccinale de l'hiver prochain est quelque chose d'extrêmement compliqué.

M. François Autain, président - Par rapport à la vaccination pour la pandémie, est-ce plus compliqué que ce que nous avons vécu ou est-ce plus simple ? Si c'est plus compliqué, c'est désespérant.

M. Bruno Lina - Ce n'est pas le même genre de complications. Là, nous aurons les vaccins avant que le phénomène épidémique ne commence, en unidoses et sans Thiomersal.

M. François Autain, président - Sans adjuvant ?

M. Bruno Lina - Il existe déjà des vaccins avec adjuvants dans le saisonnier.

M. François Autain, président - Oui, mais c'est l'exception. Je souhaiterais que cela reste l'exception.

M. Bruno Lina - Ils ont l'intérêt des adjuvants. On pourra éventuellement en reparler et je vous expliquerai pourquoi. On a une situation compliquée dans le sens où on sait qu'on va avoir une épidémie. On sait que cette épidémie respectera l'espace temporel d'une épidémie plus classique, mais on ne sait pas qui va être l'acteur.

M. François Autain, président - C'est comme tous les ans.

M. Bruno Lina - Sauf que, tous les ans, on a une grippe saisonnière. Comme je vous le disais tout à l'heure, je ne sais pas si on va avoir une grippe saisonnière ou une deuxième vague pandémique. Pour la deuxième vague pandémique, il ne s'agit pas de jouer les oiseaux de mauvais augure.

M. François Autain, président - Vous ne l'avez jamais été. Je vous le rappellerai tout à l'heure. Ce sera le florilège de vos déclarations, si vous le permettez.

M. Bruno Lina - Il faut imaginer que l'on pourrait avoir l'hiver prochain la dangerosité, la gravité du virus que nous n'avons pas eues cet hiver, mais il faut espérer que cela n'arrivera pas. Si c'est lié à un virus pandémique, il peut y avoir une dimension d'épidémie supérieure à ce qu'on voit avec une grippe saisonnière.

M. François Autain, président - Rassurez-nous, monsieur, les personnes âgés seront toujours protégées ?

M. Bruno Lina - C'est une bonne question.

M. François Autain, président - Elle est totalement désintéressée, bien entendu.

M. Bruno Lina - Il semble aujourd'hui que les personnes âgées restent protégées.

M. François Autain, président - C'est une bonne nouvelle.

M. Bruno Lina - On en reparlera après l'épidémie dans l'hémisphère Sud. Si le virus change, je ne sais pas si vous serez encore protégé.

M. François Autain, président - On nous a dit qu'il était très stable.

M. Bruno Lina - Pour l'instant, oui. Il est très étonnant qu'après avoir donné deux vagues épidémiques, même si ces vagues épidémiques étaient moins importantes, que ce virus reste aussi stable. C'est en totale contradiction avec la présence d'une population immunisée avant. Au contraire, cela a tendance à pousser le virus vers une modification, mais il n'a pas bougé. Il y a une incohérence.

M. Alain Milon, rapporteur - J'ai encore une question sur le dispositif pandémique qui a été mis en place : vous semble-t-il suffisant ? Que faudrait-il mettre en plus sinon pour être sûr d'être bien préparé ?

M. Bruno Lina - On devrait rappeler objectivement que, dans le dispositif pandémique, certaines choses ont fonctionné. Je parlais des mesures d'hygiène...

M. François Autain, président - C'est sûr. Qu'en est-il des masques ?

M. Bruno Lina - C'est autre chose. On a surestimé le besoin de masques. Très clairement.

M. François Autain, président - Que va-t-on faire des stocks ? Vous ne savez pas, et moi non plus.

M. Bruno Lina - En termes d'équipement des hôpitaux, pour le renforcement des unités de réanimation, cela aussi est un succès. Globalement, les hôpitaux français ont été très sollicités, en particulier en pédiatrie. Concernant la mise en oeuvre - je parle pour ma boutique - aux Hospices civils de Lyon, il y a eu un accompagnement de la part de la direction générale pour que cela se passe le mieux possible.

L'échec a concerné globalement tout ce qui tournait autour de la prise en charge au niveau communautaire, médecine de ville, aussi bien lorsqu'il s'agit de la protection des individus dans la campagne de vaccination, où il y a manifestement des choses à modifier dans l'organisation.

Deuxièmement, dans le cadre des recommandations et des avis que le Comité de lutte avait été amené à donner, nous étions toujours en temps réel, par rapport à la réalité de l'épidémie et des informations qu'on avait sur ce virus et sur sa diffusion. Il est vrai que de temps en temps, il y avait un décalage entre les messages qu'on passait et le relais de ce message vers la population générale ou la mise en oeuvre d'actions qu'on essayait de mettre en place.

De temps en temps, il y avait un décalage, parfois de plusieurs jours, parfois plus long que cela. On était parfois inquiet car on avait l'impression que les messages qui étaient cohérents à un certain moment ne l'étaient plus à d'autres. Je pense notamment aux antiviraux et à leur utilisation. Le moment où on a dit qu'on pouvait commencer à utiliser de façon abondante les antiviraux a été en fin d'épidémie. Le problème était pratiquement réglé et le message a été perçu comme : « on veut utiliser le stock à tout prix » .

Nous avions des arguments pour expliquer pourquoi nous changions notre fusil d'épaule, pourquoi on avait dit qu'au début il fallait traiter tout le monde. Comme je vous l'ai expliqué, il fallait éviter la transmission. Puis du fait de l'absence de dangerosité du virus, nous avons dit qu'il n'était peut-être pas nécessaire de traiter tout le monde puisqu'il y a beaucoup de formes de virus.

Il y a eu une période où il y avait des virus « confondants » qui faisaient croire qu'il y avait une épidémie de grippe ; ce n'était pas la grippe mais l'autre virus qui circulait. Puis il y a eu le moment où l'épidémie de grippe est partie, alors que dans le même temps, on a eu des informations venant de pays étrangers qui disaient que la prise en charge thérapeutique systématique augmentait la survie, qu'il y avait moins de décès au sein de populations équivalentes lorsqu'on faisait un traitement systématique versus ceux qui ne recevaient pas le traitement. Il est donc très difficile d'être en phase en permanence entre nos avis qui étaient discutables, le relais et la mise en oeuvre de l'action consécutive à ces avis.

Je terminerai avec la vaccination qui s'est révélée extrêmement compliquée. Je ne veux pas discuter sur les aspects politiques de cette affaire mais sur l'aspect de sa mise en oeuvre. La difficulté que le Comité de lutte contre la grippe anticipait vis-à-vis de cette vaccination a été liée au fait qu'on pensait que la taille de l'épidémie serait plus importante que ce qui a été observé. De fait, on craignait que les généralistes soient très sollicités pour prendre en charge les patients et qu'ils n'aient pas le temps ou la possibilité de s'organiser sereinement pour avoir à gérer toute la logistique de la vaccination qui était très lourde, avec ces fiches à remplir de traçabilité liées aux deux doses et à la pharmacovigilance.

On avait l'impression qu'ils n'arriveraient pas à tenir le rythme à la fois de la vaccination pour le faire rapidement et de la prise en charge des patients qui devait être, dans la mesure du possible, en temps réel. Les patients ne devaient pas venir trois jours après le début des symptômes ; cela n'aurait servi à rien.

La logique d'utiliser d'autres structures que les cabinets médicaux pour la vaccination a été pilotée un peu par cela. On a vu ensuite qu'une machine s'était enclenchée et qu'il était impossible d'en modifier la structure. Est venue ensuite une contrainte d'organisation qui était le délai de livraison des vaccins et le type de vaccin livré, en sachant que c'étaient des vaccins multidoses, et qu'il fallait a priori que l'ensemble du flacon soit utilisé pour éviter le gaspillage.

Beaucoup de choses ont rendu cette vaccination extrêmement difficile. Il est clair - c'est un avis personnel - que c'est vraiment là que s'est situé le défaut de l'organisation à tous les échelons.

M. Alain Milon, rapporteur - Une dernière question encore et je laisserai mes collègues continuer. C'est un constat. Nous devons convenir que la chronique de la pandémie annoncée a donné l'impression d'être dominée par une « pensée scientifique unique » , privilégiant une vision plutôt catastrophiste. Une telle unanimité dans un sens ou dans l'autre correspond-elle à la réalité d'un débat scientifique ? Peut-elle favoriser la qualité du débat public et celle de l'information au public ?

M. Bruno Lina - Je vous remercie beaucoup de cette question. Très honnêtement, à un moment donné, on s'est interrogé. On est trop consensuel. Je ne me suis pas posé la question en juillet, mais plutôt en octobre ou novembre, lorsqu'on s'est dit que cela ne se passait pas comme on pensait.

Il est vrai qu'on a été très consensuel. Je vous l'ai dit tout à l'heure et tous les membres du comité vous le diront. Il n'y avait pas de voix dissonante, on n'a pas entendu quelqu'un qui nous a dit : vous surestimez complètement, si cela se trouve, cela ne va pas du tout se passer ainsi ; cela va très bien se passer.

M. François Autain, président - Je l'ai entendu.

M. Bruno Lina - Pas dans le Comité de lutte contre la grippe, et très peu des virologues.

M. François Autain, président - Je l'ai entendu dans la bouche du professeur Marc Gentilini.

M. Bruno Lina - J'ai eu l'occasion d'en discuter plusieurs fois avec le professeur Marc Gentilini. Ce qui le gêne, ce sont les coûts.

M. François Autain, président - Cela nous gêne aussi.

M. Bruno Lina - M. Marc Gentilini ne discute pas la réalité de la pandémie, ni le fait qu'une pandémie est un vrai problème de santé publique. Il n'est pas sur la même longueur d'onde. Sur l'aspect pensée unique et tester nos hypothèses - est-on sûr d'avoir une réponse à la mesure de l'événement ? -on a probablement eu le défaut d'avoir « le nez dans le guidon » , de ne pas avoir eu la possibilité de prendre du recul et de se dire : « Faisons une pause ; analysons et suggérons des mesures correctives. » Cela ne s'arrêtait jamais.

Tout d'abord, on ne nous a pas demandé de le faire ; ensuite on n'a pas eu l'initiative de le faire. On fait ce qu'on appelle dans notre jargon des autosaisines. Nous ne les avons pas faites. Ce serait clairement une modification de comportement si jamais - je ne l'espère pas - une nouvelle pandémie émerge. Je pense qu'on n'aurait pas du tout la même approche. C'est l'expérience qui fait dire cela. A la lumière des vraies pandémies du passé, le constat en santé publique et en décès est lourd à chaque fois.

M. Michel Guerry - Pas par rapport à une grippe saisonnière.

M. Bruno Lina - Je ne parle pas de la pandémie de cette année. Je parle de pandémies antérieures. En 1968, on estime qu'il y a eu 30 000 décès en France, ce qui est considérable. L'objectif était vraiment d'éviter cela.

M. François Autain, président - Concernant les pandémies, j'ai constaté que le nombre de décès au XX e siècle avait tendance à diminuer. D'une pandémie à l'autre, cela a tendance à diminuer. Pourquoi est-ce que cela ne continuerait pas ? Il faut quand même donner le moral aux gens. Ce n'est pas catastrophique, cet élément est plutôt générateur d'espoir. Cela a l'air de continuer car avec la pandémie H1N1 on a encore moins de morts qu'avec les précédentes pandémies.

M. Bruno Lina - C'est même caricatural. En termes de calcul de mortalité, on ne compare pas tout à fait les mêmes choses. On a plus de morts qu'au cours d'une grippe saisonnière avec cette pandémie, cinq à dix fois plus. En revanche, en termes de mortalité en absolu, quand on fait mortalité et surmortalité calculées, il y en a dix fois moins. C'est une réalité. Il y en a dix fois moins que ce qu'on observe au cours d'une grippe saisonnière, et il y en a cent fois moins que ce qu'on craignait.

M. François Autain, président - Alors qu'on en prévoyait deux cents fois plus selon l'article du Monde du 29 août 2009.

M. Bruno Lina - Est-ce moi qui ai donné ce chiffre ?

M. François Autain, président - Non, ce n'est pas vous. J'ai remarqué qu'il y avait un certain décalage entre le titre et le contenu de l'article. Avez-vous terminé votre réponse ?

M. Bruno Lina - Oui, si elle vous satisfait.

M. François Autain, président - Je passe la parole à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann - Vous avez parlé de l'épidémie de 2009. Il y avait une absence de sens clinique. Vous avez dit cela tout à l'heure. Il n'y avait pas beaucoup de sens clinique. Vous faisiez un diagnostic assez rapide, pour cette grippe A (H1N1)v.

Deuxièmement, concernant la vaccination de l'hiver prochain, vous avez dit qu'elle serait extrêmement compliquée. Comment et pourquoi ? Peut-être n'ai-je pas bien compris.

M. Bruno Lina - Sur le diagnostic de la grippe, en pratique, au cours de cette vague épidémique, les laboratoires de virologie ont fait un effort considérable pour essayer d'étayer au maximum le diagnostic, en particulier pour les adultes et les enfants qui venaient à l'hôpital, de façon à ce qu'on ait un diagnostic en temps réel pour pouvoir orienter les patients dans les zones dites à haute identité virale et les autres à basse identité virale. Tous les hôpitaux étaient organisés ainsi. Cela permettait de flécher les patients et, éventuellement, de faire sortir les patients de l'hôpital quand ils n'étaient pas dangereux.

Mme Christiane Kammermann - Dans le cas d'une grippe ordinaire.

M. Bruno Lina - Il y en a eu beaucoup heureusement. Pour ce qui est du diagnostic clinique, on a vu une surestimation du nombre de cas de grippe dans une période qui couvre le mois de septembre et début octobre. Ceci était lié au fait que ce n'était pas un virus de la grippe qui donnait les signes cliniques et qui était responsable de l'épidémie de viroses respiratoires, c'était un rhinovirus. Ceci a été communiqué à l'Institut de veille sanitaire et a été publié dans la revue du Center for Disease Control and Prevention (CDC) européen : on a très clairement vu qu'il y avait une séquence de circulation du virus respiratoire. Pendant les mois de septembre et octobre, on a eu un tout petit peu de grippe à la rentrée scolaire, mais c'est tombé très vite. Nous avons eu ensuite une énorme épidémie de rhinovirus.

Mme Christiane Kamermann - Ce n'était pas un signe clinique du H1N1.

M. Bruno Lina - A partir de fin octobre, le virus a vraiment commencé à circuler, d'abord en Ile-de-France, puis dans le reste de la France. On a vu apparaître de vraies grippes qui s'accompagnaient de signes cliniques, mais on ne peut pas s'appuyer sur le clinique pour faire du diagnostic.

Concernant l'explication de la vaccination de l'hiver prochain, la difficulté consiste à savoir quel va être le virus responsable de l'épidémie, en sachant que la grippe saisonnière a comme cible les personnes âgées, les asthmatiques, les insuffisants respiratoires, etc. On les connaît très bien, ce sont ceux que l'assurance maladie identifie et pour lesquels elle envoie un bon de prise en charge.

Si la grippe qui circule l'hiver prochain n'est pas la grippe saisonnière, mais la deuxième vague de la grippe pandémique, ceux qui font les formes graves ne sont pas les mêmes : ce sont les enfants, les femmes enceintes. En termes de recommandation d'utilisation du vaccin et de stratégie d'utilisation du vaccin, il va falloir dire vers qui la vaccination sera dirigée préférentiellement. Plusieurs options vont s'ouvrir. Aujourd'hui aucune décision n'est prise en termes de stratégie vaccinale.

M. François Autain, président - Au niveau de l'OMS, il n'y a aucune décision ?

M. Bruno Lina - Ils ont identifié les souches qui sont les candidats vaccins. Ils n'ont pas encore fait de recommandation de stratégie vaccinale. Dans les souches qui sont dans le candidat vaccin, il n'y a pas le H1N1 saisonnier, il a disparu ; il n'y a que le H1N1-PDM. La difficulté est de savoir vers qui va s'orienter cette vaccination. C'est la difficulté.

M. Michel Guerry - L'OMS a déclaré que c'était une pandémie de niveau 5, voire 6 à un certain moment. A quel moment et jusqu'à quand la pandémie de niveau 5 a-t-elle été déclarée ?

M. Bruno Lina - Je vous donne les dates très précisément. La pandémie niveau 5 a été déclarée, à ma connaissance, à la fin du mois de mai et le niveau 6 a été déclaré le 11 juin. Je crois que c'est le 29 mai et le 11 juin. Pour la phase 6, c'est le 11 juin ; pour la phase 5, je crois que c'est le 29 avril, excusez-moi, mais je vais vérifier pour ne pas faire d'erreurs. Actuellement, pour l'OMS, nous sommes toujours en niveau 6.

M. François Autain, président - Vous avez demandé avec insistance à ce que la France passe au niveau 6. C'est le Comité qui l'a demandé.

M. Bruno Lina - Oui, je l'ai demandé et j'étais convaincu. La raison pour laquelle j'ai demandé ce passage - ils n'ont d'ailleurs pas suivi ma demande - tient au fait que le sentiment ressenti était qu'il y avait une dynamique évolutive importante à l'étranger, des cas qui s'accumulaient en Angleterre et en Espagne, et une augmentation progressive du nombre de cas en France, ceux-ci restant toutefois limités. Quand on sait la lourdeur de mise en place d'un certain nombre d'outils liés à la pandémie, le message du passage au niveau 6 était pour anticiper la mise en place d'un certain nombre d'outils qui sont dans le plan pandémique au moment de la phase 6.

Le jeu de la direction générale de la santé a été relativement bon : ils ont décidé d'utiliser des outils théoriquement adaptés à la phase 6, tout en restant en phase 5. C'est la modélisation qui a été faite. Objectivement, en France, on est aujourd'hui en niveau 5, qui correspond à une dangerosité en même temps qu'à une diffusion épidémique, tandis que la définition-type de l'OMS est une définition purement d'extension géographique et pas de dangerosité. C'est la raison pour laquelle il y a une nuance entre les deux.

M. Michel Guerry - Ceci est difficile à faire comprendre aux populations. Selon l'OMS, on est toujours en niveau 6.

M. Bruno Lina - Oui, nous sommes actuellement toujours à ce niveau.

M. Michel Guerry - Dira-t-on un jour qu'on n'a plus de niveau 6 ? Le H1N1 a disparu pour le moment, mais peut-être reviendra-t-il. L'OMS va-t-elle dire un jour que c'est fini et qu'on est en niveau 0 ?

M. Bruno Lina - Dans les différentes phases épidémiques, il y a la phase 6, la phase 7 et la phase 1 qui correspond à ce que vous appeliez la phase 0. La phase 7 est la phase postpandémique. C'est une phase de consolidation.

M. Alain Milon, rapporteur - Le passage d'une phase 6 à une phase 7 est le plus important.

M. Bruno Lina - Il va y avoir un jeu sémantique. Cette phase 7 va s'appeler « post-pic ». Elle ne s'appellera pas 7.

M. François Autain, président - C'est beaucoup plus simple.

M. Michel Guerry - C'est difficile à faire comprendre à la population qui n'est pas avertie. La pandémie de 2009 est exceptionnelle. Elle a été déclarée exceptionnelle début mai. Elle était très alarmante. C'est ce que vous nous avez dit tout à l'heure. Puis, le virus a disparu plus vite que l'arrivée du vaccin. Le virus a disparu à quelle date ?

M. Bruno Lina - Le virus n'a pas disparu. Il y a une discordance entre ce que je peux entendre et ce que j'intègre. Selon moi, le problème n'est pas en France. C'est un problème international. Aujourd'hui en Uruguay, il y a une épidémie de H1N1.

Du fait des informations qu'on intègre des différentes régions du globe, le virus H1N1 disparaît à l'instant t d'un pays, mais à l'échelle planétaire, il est toujours là, et il est toujours en train de circuler. Il y a encore quinze jours il était responsable d'une épidémie en Afrique de l'Ouest.

Ce qui veut dire que l'OMS, lorsqu'elle établit un stade 6, c'est à la lumière de l'échelle planétaire. Je suis bien d'accord. En revanche, du point de vue franco-français, je peux vous dire qu'on n'isole aucun niveau de la grippe H1N1. Il n'y en a plus.

M. Michel Guerry - Nous sommes toujours en niveau 5.

M. Bruno Lina - Selon ce que j'ai compris, si on passe en post-pic, un certain nombre d'outils ne pourront plus être utilisés. C'est cadré pour n'être utilisé qu'en phases 5 ou 6. Si on change de stade, on ne peut plus utiliser les mêmes moyens que ceux qu'on avait si on ne changeait pas de stade.

M. Michel Guerry - Si on ne peut plus utiliser les mêmes moyens, puisque le virus avait disparu en France avant l'arrivée du vaccin, nous aurions dû, peut-être en restant en niveau 5, réfléchir, commander moins de vaccins et considérer qu'on n'en avait plus besoin si les choses continuaient à évoluer dans le bon sens. Allez-vous dans ce sens ?

M. Bruno Lina - Acheter des vaccins pour 47 millions de Français est un choix politique.

M. François Autain, président - Ce n'est pas scientifique, je l'ai bien compris.

M. Bruno Lina - C'est quelque chose qui a été décidé à l'instant t.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés. Cela n'a pas été décidé à l'instant t.

M. Bruno Lina - Il y a un moment donné où la décision a été prise.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés.

M. Bruno Lina - Sur le nombre ? Non. J'ai relu les travaux. Nous avons été questionnés le 10 mai sur la vaccination. Nous avons répondu que, conformément à ce qui est écrit dans le Plan pandémie, la vaccination restait un pilier de la lutte contre la grippe et qu'elle devait être proposée. C'était dans la réflexion du H5N1, dans les étapes très précoces. C'est très différent.

M. Michel Guerry - La lettre d'intention de pré-réservation a été passée mi-mai 2009 à GSK.

M. Alain Milon, rapporteur - Le 15 mai.

M. Michel Guerry - A ce moment-là, on se disait que le virus avait disparu.

M. Bruno Lina - Entre le 15 mai et le 20 mai 2009, il y avait une dynamique épidémique extrêmement importante. C'est le moment, au contraire, où le virus s'étendait à toute vitesse. On avait des informations extrêmement fragmentaires qui venaient de différents pays qui ont des systèmes de santé moins performants que le nôtre pour le recueil d'informations, notamment le Mexique qui nous a passé des signaux très alarmants au début, avec des populations malades, avec 10 % de mortalité. J'ai encore ces messages. Jusqu'à fin mai, on était dans une situation qui, pour nous, était alarmante.

M. François Autain, président - Ces chiffres étaient erronés.

M. Bruno Lina - Ils étaient erronés, mais nous ne le savions pas.

M. François Autain, président - Vous n'avez pas été consultés.

M. Bruno Lina - Non.

M. François Autain, président - C'est une décision politique. C'est une décision qui n'a pas de fondement scientifique.

M. Bruno Lina - On n'a pas eu de questions nous demandant combien il fallait acheter de doses. Ce n'est pas choquant qu'on ne nous ait pas posé la question.

M. Michel Guerry - Dernière question, monsieur le professeur. Peut-être ai-je mal compris. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il y avait un certain nombre de morts. On a enregistré en France 310 décès, alors que d'habitude, pour une grippe saisonnière, c'est entre 2 000 et 6 000. Dans le monde, les chiffres doivent être erronés avec le Mexique, il y a eu 7 000 décès pour H1N1 alors que pour une grippe saisonnière, c'est entre 250 000 et 600 000. Je viens de l'industrie. Je trouve que ces chiffres sont un peu surprenants. Ces chiffres pouvaient permettre de ne pas commander autant de vaccins. Autrement on n'en sort pas.

M. François Autain, président - On n'en est pas sorti.

M. Bruno Lina - Malheureusement, ces chiffres existent. Ils sont réels. Personne ne reniera ces chiffres, aussi bien pour la grippe saisonnière que pour la grippe pandémique. Il y a une énorme différence. Quand l'OMS parle de quelque 7 000 décès, ce sont tous des décès virologiquement prouvés, pour lesquels on a eu un prélèvement virologique positif en grippe. La surmortalité observée et enregistrée entre 250 000 et 500 000 décès chaque année à l'échelle planétaire du fait de la grippe correspond à des décès imputés. Ce ne sont pas des décès pour lesquels on a une information virologique. C'est la somme des pics de surmortalité observés dans les différents pays. C'est ainsi que c'est calculé.

En France comme dans les autres pays, nous n'avons pas eu ce pic de mortalité hivernale qu'on observe habituellement avec chaque épidémie. Lorsqu'on regarde les mortalités directes induites par la grippe de façon annuelle - l'Institut de veille sanitaire fait un recueil depuis deux à trois ans des mortalités - sur le bon bleu de décès, il est marqué grippe. Il y en a entre sept et vingt par an en France au cours des grippes saisonnières. Les bons de décès marqués grippe sont en nombre infime.

Tout le monde meurt d'abord d'une insuffisance cardio-respiratoire. Quand on compte les 300 000 décès, ce sont les personnes qui sont mortes très vite. Ce sont ces deux chiffres qu'il faut comparer, mais il faut aussi comparer la surmortalité qui est de 2 à 6 000 versus zéro.

M. François Autain, président - Donc la vraie grippe est peut-être moins meurtrière qu'on ne le pense.

Mme Patricia Schillinger - Je souhaiterais avoir quelques précisions. On a pu voir chacun autour de nous comment cela se passait. J'ai vu des arrêts maladie de trois jours pour grippe. On ne peut pas avoir la grippe juste trois jours et revenir travailler. J'ai eu une grippe. On est très malade pendant une semaine et il faut une semaine supplémentaire de convalescence. Comment avez-vous pu comptabiliser les cas ? Il est vrai que les tests sur la grippe ont été faits au début. Il y avait vraiment des tests réels de confirmation.

Ensuite, il y avait beaucoup de malades, comme tous les ans, en raison de refroidissements. Il y avait aussi ces grippes de trois jours qui n'étaient rien d'autre qu'un rhume. Je ne sais pas si les médecins sont vraiment formés à cela. Cela fait peut-être des années qu'on dit qu'il vaut mieux rester à la maison et avoir un arrêt pour grippe. Je ne sais pas. Je m'y perds un peu, j'avoue.

M. Bruno Lina - Au cours de cette pandémie, on a appris aussi que les formes bénignes de la grippe peuvent avoir des spectres très différents. Il existe des grippes graves et des grippes asymptomatiques. Quand je parle de grippe, je parle d'infection par le virus de la grippe. Certaines personnes font une infection brève avec le virus de la grippe et n'ont aucun symptôme. On estime que cet hiver une part importante de la population a fait des formes asymptomatiques. Elles sont documentées. Ce sont des personnes pour lesquelles on a trouvé le virus et qui n'avaient pas de symptôme.

Entre ces deux éventails qui sont les deux extrêmes, il y a un très grand nombre de formes cliniques de grippe assez frustres, qui correspondent à ce que vous expliquez : ce sont des grippes de deux ou trois jours. Une personne, un enfant n'était pas bien vingt-quatre heures, quarante-huit heures, allait mieux ensuite et n'avait plus de signe clinique, mais il excrétait toujours le virus puisque l'excrétion virale dure aussi de façon plus longue qu'au cours de la grippe saisonnière. C'est aussi ce que nous avons constaté.

La diversité clinique observée est donc extrêmement importante qui tirait plutôt vers des formes asymptomatiques, plus qu'avec la grippe saisonnière. Ceci est aussi une surprise.

M. François Autain, président - Avant de lever la séance, je voudrais faire une observation et poser une question. Au fil du temps, je me suis aperçu que l'appréciation que vous portez sur cette crise est évolutive. Le 15 mai 2009, on vous posait la question suivante dans le journal Le Progrès : « Dans l'Hexagone, sur combien de victimes les autorités et les chercheurs tablent-ils ? » Vous avez répondu : « 35 % de la population française devraient être infectés, soit environ 20 millions de personnes, la létalité - c'est-à-dire le taux de mortalité, tout le monde l'a compris - du virus étant de 1 %, il faut donc s'attendre de 20 à 30 000 morts sur notre territoire. »

Je passe tout de suite au 10 septembre 2009. En quelques mois, je pense que ce qui s'était passé dans l'hémisphère Sud n'était pas étranger à l'évolution qu'on enregistre. A la question : « Peut-on informer sans alarmer ? » , vous avez répondu avec beaucoup de sagesse : « J'ai tendance à penser que oui. Pour moi, la meilleure façon d'éviter la panique ou des réactions irrationnelles est d'expliquer les choses en veillant à tenir un discours logique et cohérent, et surtout en sachant rester à sa place. Par exemple, je me refuse à faire des prévisions sur le nombre de morts qui pourraient survenir dans notre pays. »

Je constate qu'une révolution s'est opérée chez vous en trois mois. Je regrette que vous n'ayez pas fait cette prise de conscience plus tôt.

Après l'observation, voici la question. Vous avez dit que le professeur Albert Osterhaus était un ami. Vous devez avoir beaucoup d'amis dans le domaine de la virologie. Nous allons probablement auditionner un autre professeur, M. Thomas Jefferson. Celui-ci n'a aucun lien d'intérêts avec les laboratoires. Dans, une étude réalisée avec son association Cochrane et publiée dans le British Medical Journal de novembre, il a indiqué que, pour la grippe saisonnière, l'oseltamivir avait des effets limités, voire nuls.

J'aimerais savoir si vous entretenez des relations avec ce genre de chercheurs et si vous avez des observations à faire en ce qui concerne cet article, car il m'a semblé, à vous entendre, que votre position concernant le Tamiflu, pour prendre le nom commercial, n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde.

M. Bruno Lina - Pas du tout.

M. François Autain, président - Pouvez-vous nous dire ce qui vous chiffonne ?

M. Bruno Lina - Je ne connais pas M. Thomas Jefferson personnellement. Je le connais de réputation. Je sais que les travaux de la Cochrane sont des travaux respectables, avec une volonté d'expliquer, de comprendre. Ces travaux sont très ambitieux et très compliqués à réaliser. Il y a des méta-analyses avec des bases de données souvent très hétérogènes. Une méta-analyse est une synthèse de plusieurs essais pour essayer de faire comme s'il n'y avait qu'un seul essai. Vous prenez un essai fait en Grande-Bretagne, en Espagne, en Italie, en Afrique du Sud. Il y a une démarche scientifique logique à faire cela. Cela augmente la puissance statistique et permet théoriquement de mieux voir les nuances. C'est très difficile à faire. M. Thomas Jefferson le fait plutôt bien, en général.

Je pense qu'il faut prendre tous les mots qui sont employés : on parle de grippe saisonnière et non pas de grippe pandémique. Dans le cadre de la grippe saisonnière, il est clair que les essais cliniques réalisés, ceux qui sont disponibles, ne peuvent pas montrer d'intérêt vrai sur la grippe. L'outil utilisé pour évaluer l'efficacité n'est pas celui qui peut permettre de montrer quelque chose. Vous êtes médecin, je crois.

M. François Autain, président - Il y a très longtemps. Je n'étais pas « grippologue ».

M. Bruno Lina - Tout le monde connaît la grippe. Nous avons maintenant 65 millions d'experts. La maladie grippale comporte deux périodes : une période virologique et une période immunologique. Vous avez la phase de multiplication du virus ; vous avez ensuite la phase où vous avez la réponse immunitaire, celle de l'hôte qui lutte contre le virus, mais il n'y a plus de virus.

Que fait un antiviral ? Il lutte contre le virus. Si on veut voir un effet de l'antiviral, il faut mesurer la diminution de la charge virale des prélèvements faits chez des patients traités versus ceux qui sont non traités, et analyser la différence.

En revanche, si vous voulez faire une différence clinique sur les symptômes consécutifs à la réponse immunitaire post-infectieuse, votre antiviral n'est pas un anti-inflammatoire. Il ne lutte pas contre la réponse immunitaire. Il ne fait qu'être un antiviral. On doit positionner ce produit pour ce qu'il est, et pas pour plus que ce qu'il n'est pas.

L'intérêt des antiviraux est plus en termes de différence clinique, éventuellement de maîtrise de la réputation virale que de contrôle des symptômes. C'est ce qu'on a montré avec la grippe pandémique. Si on traite quelqu'un, l'objectif est d'empêcher qu'il fasse des formes graves, ce n'est pas tellement de réduire la durée de ses symptômes. Peu importe à la limite. Il faut qu'on arrive à casser sa réputation de virus pour que ce virus n'arrive pas au niveau pulmonaire et ne provoque pas une infection pulmonaire. Les antiviraux sont utiles pour ce positionnement et le Tamiflu fonctionne pour cela, mais il ne faut pas vouloir faire faire au Tamiflu ce qu'il ne peut pas.

M. François Autain, président - Je ne vous parlais que de la grippe saisonnière.

M. Bruno Lina - Ce que je viens de vous dire pour la grippe pandémique peut être transposé pour la grippe saisonnière.

M. François Autain, président - Vous avez l'air de dire que pour la grippe saisonnière le Tamiflu n'est pas indiqué.

M. Bruno Lina - Quand mes enfants sont malades, je leur donne du Tamiflu.

M. François Autain, président - Vous faites un diagnostic.

M. Bruno Lina - Je fais des tests à la maison. Je continue à faire tourner le laboratoire à la maison. Quand on donne ces traitements très tôt, on casse rapidement...

M. Alain Milon, rapporteur - La campagne qui avait été menée disait bien qu'il fallait donner le Tamiflu dans les premières heures, à symptomatologie réduite.

M. Bruno Lina - Exactement.

M. François Autain, président - A condition de faire un test avant. Il y a une grippe H1N1 pour 1 200 virus. Ce n'est pas pour autant une grippe.

M. Bruno Lina - Sauf que dans notre perception d'une pandémie, à un moment donné les personnes qui présentent des signes de grippe, si on est au cours du pic épidémique de pandémie, la « chance » qu'elles soient infectées par le virus est extrêmement élevée.

M. François Autain, président - On n'en sait rien s'il n'y a pas de test.

M. Bruno Lina - On en fait beaucoup. On est capable d'avoir le paysage des virus qui circulent. Même si on ne teste pas tout le monde, on sait qu'il y a du virus respiratoire Syncytial, s'il y a du rhinovirus ou s'il y a de la grippe. On le sait à peu près. L'enjeu, à un moment donné, a été de dire : on se fiche de savoir si c'est grippe ou pas grippe ; le plus important est d'être capable de donner le traitement le plus précocement possible à toute personne qui serait infectée par le virus de la grippe. Cela veut dire que c'est un traitement « en excès », qui peut être proposé à d'autres personnes qui n'ont pas la grippe.

M. François Autain, président - Monsieur le professeur, nous vous remercions infiniment d'avoir répondu à nos questions avec beaucoup de clarté et un sens pédagogique développé. Je ne m'étonne pas que vous soyez autant sollicité. Nous avons appris beaucoup et nous vous en remercions.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page