B. UNE ADMINISTRATION DÉSTABILISÉE PAR LE MANQUE CRIANT DE DISPOSITIFS D'ACCOMPAGNEMENT DE LA RÉFORME

1. Un rythme de réorganisation excessivement rapide

La réforme de l'administration centrale de l'outre-mer a volontairement fait l'objet du calendrier extrêmement resserré qui figure ci-dessus, ce qui n'a pas été sans inconvénient . Alexandre Rochatte, sous-directeur, chef du service de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'Etat, et Juliette Amar, chef du département de l'évaluation des politiques publiques et de la prospective à la DéGéOM, ont évoqué, devant votre rapporteur spécial, une « réorganisation à marche forcée ».

En effet, malgré le retard pris pour mettre en oeuvre certaines étapes-clefs de la réforme, la date de création de la délégation n'a pas été décalée durant le processus. Ainsi, le ministère de l'outre-mer reconnaît lui-même que le délai entre la nomination du préfigurateur de la future délégation, en mai 2008, et la création de la DéGéOM, le 1 er septembre, était trop court, de même que celui entre les mesures réglementaires prévoyant l'organisation de la DéGéOM, qui datent du 9 juillet 2008, et la création de la délégation. Denis Robin, directeur de cabinet, et Olivier Jacob, directeur-adjoint du cabinet de la ministre chargée de l'outre-mer ont ainsi estimé, lors de leur audition par votre rapporteur spécial, que la RGPP de l'administration centrale outre-mer avait « peut-être un peu pêché par optimisme » en termes de délais de mise en oeuvre.

Une des solutions qui aurait pu atténuer les effets négatifs de ce rythme de réforme aurait été, comme l'a suggéré Philippe Leyssène, ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'Océan indien, lors de son audition par votre rapporteur spécial, de nommer l'un des deux directeurs des anciennes directions comme préfigurateur de la réforme. Cela aurait garantit une certaine continuité et une grande connaissance de la structure en cours de réorganisation.

Par ailleurs, le ministère reconnaît un certain manque d'anticipation des conséquences de la réforme, lié à la rapidité avec laquelle il a été décidé de la mettre en oeuvre : « les conditions nécessaires à la conduite d'une réforme « qualitative » dans un contexte de restriction budgétaire n'ont pas été suffisamment anticipées, partagées dans le temps et définies entre les services de l'outre-mer et les directions support du ministère de l'Intérieur » 10 ( * ) .

Ainsi, l'équipe du bureau des ressources et de la coordination, pivot de la procédure de recrutement, n'a pas pu être constituée suffisamment en amont de la réorganisation. Le dispositif de suivi individualisé des agents a dès lors été sous dimensionné par rapport aux besoins liés à la réforme.

Il en a résulté, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès de Didier Pérocheau, adjoint au sous-directeur chargé du service des politiques publiques, et Véronique Deffrasnes, chef du département de la cohésion sociale, de la santé et de l'enseignement au service des politiques publiques, une période de transition particulièrement difficile durant laquelle se côtoyaient des nouveaux arrivants assez peu au fait du fonctionnement de l'administration centrale outre-mer et des équipes encore présentes mais sur le départ, donc largement démotivées .

2. Des lacunes dans l'accompagnement
a) L'absence d'instance de pilotage

La contrainte de temps a également influé sur le processus d'accompagnement au changement dont le ministère chargé de l'outre-mer reconnaît qu'il « n'a pas fait l'objet, notamment de la part des fonctions support, de tout l'appui nécessaire , soit en amont des recrutements pour garantir aux nouveaux arrivants un maintien de rémunération, soit au moment de l'arrivée des agents pour accompagner les prises de fonction » 11 ( * ) . Cette analyse recoupe les constats dressés par Olivier Diederichs, inspecteur général de l'administration, qui a fait état, lors de son audition par votre rapporteur spécial, de « la faiblesse des outils mis en place pour accompagner le changement ».

En effet, aucune instance de pilotage de la réforme n'a été créée et le renouvellement des effectifs de la délégation est intervenu parallèlement au transfert au ministère de l'Intérieur, le 8 juillet 2008, de la fonction « rémunérations et gestion de corps », ce qui n'était pas propice à un bon encadrement de la réforme.

De manière générale, votre rapporteur spécial estime que la conduite de la réorganisation de l'administration centrale de l'outre-mer aurait été facilitée par une meilleure anticipation de la mutualisation des fonctions « support » avec les services du ministère de l'Intérieur et s'interroge sur la pertinence de mener ces deux réformes concomitamment.

b) Une gestion des ressources humaines défaillante

Ces lacunes se sont notamment manifestées en matière de gestion des ressources humaines dans une période où cette compétence devait être particulièrement sollicitée, ce qui a été très préjudiciable au bon déroulement d'une réforme au cours de laquelle l'ensemble des postes de l'ancien périmètre de la Daesc et de la Dapaf faisaient l'objet d'un avis de vacance .

Ainsi, par exemple, plusieurs interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial lui ont indiqué que certaines personnes avaient appris la mise à la vacance de leur poste par la réception du courrier électronique général appelant les personnels à candidater sur leur poste. On conçoit que pour des personnels dont certains occupaient leurs fonctions depuis plus de dix ans, de telles méthodes de réorganisation aient pu être particulièrement mal vécues. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer, a insisté lors de son audition par votre rapporteur spécial sur le « traumatisme engendré par la rapidité du changement » au sein de son administration et sur la « brutalité humaine » de ce changement, ce qui recoupe les constats opérés par l'inspection générale de l'administration, Olivier Diederichs ayant évoqué un « enfantement douloureux » pour la DéGéOM et le sentiment d'une « violence psychologique forte ».

Le ministère de l'outre-mer reconnaît l'absence de « définition de procédures clairement établies et partagées permettant d'articuler le soutien nécessaire à la mise en place de la nouvelle structure [et] , après le 1 er septembre 2008, de suivi conjoint de l'avancement de la réforme afin de lever ensemble les difficultés rencontrées ». Il en résulte que la réaffectation des derniers agents issus de l'ancien périmètre de la Daesc et de la Dapaf et non reconduits à la DéGéOM n'est toujours pas close, deux ans après la disparition de ces anciennes directions.

c) Trois délégués généraux en quinze mois

On peut ajouter aux raisons qui expliquent ces lacunes rencontrées dans le pilotage de la réforme le fait qu' en moins de quinze mois, la toute nouvelle DéGéOM a connu successivement trois délégués généraux à l'outre-mer . Cette instabilité n'a probablement pas été très propice à la continuité et au suivi de la mise en oeuvre de la réforme :

- Eric Pilloton, préfet, de septembre 2008 à mars 2009 12 ( * ) ;

- Richard Samuel, préfet, de mars à décembre 2009 13 ( * ) ;

- Vincent Bouvier, préfet, depuis le mois de décembre 2009 14 ( * ) .

3. Les difficultés liées au rattachement de la DéGéOM au ministère de l'Intérieur

Outre les problèmes rencontrés dans la mise en place de la DéGéOM, plusieurs difficultés ont émergé dans la mise en oeuvre du rattachement de la DéGéOM au ministère de l'intérieur.

a) En matière de gestion des ressources humaines

En matière de ressources humaines, le rattachement à l'administration du ministère de l'Intérieur a posé et continue de poser plusieurs problèmes .

D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, certains emplois sont comptabilisés dans le plafond d'emploi de la DéGéOM, alors même que les agents concernés n'assurent pas effectivement de missions pour le compte de la délégation. Il est impératif que la répartition des emplois soit clarifiée afin d'éviter que les politiques de maîtrise des effectifs et de la masse salariales auxquelles l'ensemble de l'Etat se soumet ne pèsent davantage sur la DéGéOM que sur le ministère de l'Intérieur. Cela permettrait notamment de remédier au sentiment, très répandu au sein des personnels rencontrés par votre rapporteur spécial, que le ministère de l'Intérieur a « fait sa RGPP sur le dos de l'administration centrale de l'outre-mer ».

Par ailleurs, comme dans d'autres domaines, est apparue une insuffisante prise en compte par le ministère de l'Intérieur du particularisme des recrutements nécessaires au fonctionnement de l'administration centrale outre-mer . Ainsi, en particulier, l'alignement à la baisse du régime indemnitaire de l'administration centrale de l'outre-mer sur celui du ministère de l'Intérieur a été préjudiciable, alors même qu'il constituait pour l'outre-mer un outil nécessaire pour attirer au sein de sa structure des effectifs à profils de haut niveau et aux origines professionnelles variées.

Enfin, les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial ont regretté l'excessive rigidité des calendriers des commissions administratives paritaires dans le contexte de renouvellement de personnels d'une telle ampleur. Cette rigidité n'a pas facilité la mise en oeuvre de la réforme.

b) En matière budgétaire et logistique

Outre ces aspects relatifs aux ressources humaines, la DéGéOM rencontre des difficultés à suivre ses dépenses de fonctionnement, les éléments budgétaires tels que la consommation des crédits et les montants globaux d'engagement lui étant communiqués tardivement par le ministère de l'Intérieur.

Certains personnels de la DéGéOM rencontrés par votre rapporteur spécial ont également signalé un allongement des délais pour l'ensemble des demandes d'intervention des fonctions « support », notamment en matière de logistique. Ces fonctions n'étant plus sur place, rue Oudinot, mais centralisées au niveau du ministère de l'Intérieur, il est logique que les procédures d'intervention soient plus longues.

Ces difficultés peuvent toutefois être considérées comme logiques et de faible gravité dans le cadre d'une réorganisation qui se déploie progressivement.

4. Une réforme compliquée par un contexte particulièrement exigeant pour l'administration centrale de l'outre-mer

La DéGéOM a dû faire face, au cours de sa réorganisation, aux contraintes habituelles liées au fonctionnement de toute administration centrale. Elle a notamment été sollicitée pour l'élaboration du projet de loi de finances pour l'année 2009 pendant l'été 2008.

Mais, en outre, elle a été confrontée à deux chantiers de grande ampleur qui ont compliqué davantage encore la mise en oeuvre de sa réorganisation : les Etats généraux de l'outre-mer et la loi pour le développement économique des outre-mer .

a) Les Etats généraux de l'outre-mer (EGOM) et le comité interministériel de l'outre-mer (CIOM)

Au mois de décembre 2008 a éclaté en Guyane une crise sociale majeure dont la revendication principale portait sur le niveau des prix des carburants. La contestation a pris de l'ampleur et s'est étendue aux départements français d'Amérique, sur le fondement identique d'un niveau des prix trop élevés et d'une baisse de pouvoir d'achat. A partir du 20 janvier, la Guadeloupe a connu une grève générale violente au cours de laquelle un syndicaliste est décédé, dans la nuit du 17 février. Ce n'est finalement que six semaines après le début de la grève qu'un accord de sortie de crise a été signé, le 4 mars 2009.

Souhaitant répondre aux inquiétudes que révélait cette crise sociale, le Président de la République a annoncé, le 19 février 2009, l'ouverture d'un « débat sans tabou. Un débat où chacun pourra apporter sa contribution » et qui a pris la forme des Etats généraux de l'outre-mer (EGOM), ouverts officiellement le 22 avril 2009.

Les EGOM ont représenté une charge de travail particulièrement lourde pour l'administration centrale. Dans un premier temps, ils ont été conduits dans des ateliers mis en place localement, par les préfets et hauts-commissaires, avec l'appui de personnalités représentatives localement et choisies pour leur capacité d'expertise et d'animation. Ils ont abouti, le 1 er octobre 2009, aux premières décisions prises par le Comité interministériel de l'outre-mer (CIOM) présidé par le Président de la République.

Durant cette phase de synthèse, le ministère chargé de l'outre-mer indique que « la charge de travail, dans cette phase de préparation du CIOM, a été considérable. Tous les départements du service des politiques publiques y ont consacré l'essentiel de leur temps » 15 ( * ) . En effet, le CIOM a adopté 137 décisions qui concernent la totalité des collectivités territoriales d'outre-mer et couvrent des champs sectoriels très larges. Toutefois, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès de Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer, « la DéGéOM n'a pas été pleinement impliquée dans la préparation des EGOM », en raison des difficultés résultant de sa réorganisation qui l'empêchaient de pouvoir assurer de manière satisfaisante la coordination des Etats généraux.

C'est donc dans ce contexte de crise sociale grave puis d'organisation d'une consultation sans précédent des populations ultramarines que la mise en place de la DéGéOM a dû être effectuée .

b) La loi pour le développement économique des outre-mer (Lodeom)

Le projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer a initialement été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008, au moment même de la double réorganisation de l'administration centrale. Ce projet avait pour ambition de redonner du souffle aux économies ultramarines en favorisant leur développement endogène. Il s'inscrivait dans la lignée des lois d'orientation de 2000 16 ( * ) et de 2003 17 ( * ) et constituait donc, en matière économique et financière, le projet législatif majeur du Gouvernement pour la législature.

En raison du calendrier parlementaire, le projet de loi n'a finalement été discuté au Sénat qu'au mois de mars 2009. Or, entre temps, la crise sociale avait éclaté aux Antilles et en Guyane. Le contexte était donc différent et nécessitait des ajustements au projet initial. Par ailleurs, la loi de finances pour l'année 2009 était intervenue et avait également rendu nécessaires plusieurs modifications au texte. Elle avait en particulier réformé le régime des exonérations de charges sociales spécifique à l'outre-mer et mis en place un plafonnement spécifique des dépenses fiscales liées à l'impôt sur le revenu applicables en outre-mer 18 ( * ) .

La DéGéOM a donc eu à gérer, en plus de sa propre réorganisation et des conséquences de la crise sociale aux Antilles et en Guyane, l'adaptation et la discussion par le Parlement de ce projet de loi essentiel puis, à partir de la promulgation de la Lodeom le 27 mai 2009, l'élaboration de ses textes d'application . Ainsi, Denis Robin, directeur de cabinet, et Olivier Jacob, directeur adjoint du cabinet de la ministre de l'outre-mer, ont jugé que ce n'était que depuis la fin de la crise aux Antilles et en Guyane et l'achèvement des Etats généraux de l'outre-mer qu'il était devenu possible de mettre en place le management nécessaire à la création dans de bonnes conditions de la DéGéOM.


* 10 Réponses aux questionnaires adressés par votre rapporteur spécial.

* 11 Réponses aux questionnaires adressés par votre rapporteur spécial.

* 12 Décret du 3 septembre 2008.

* 13 Décret du 11 mars 2009.

* 14 Décret du 25 novembre 2009.

* 15 Réponses aux questionnaires adressés par votre rapporteur spécial.

* 16 Loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.

* 17 Loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

* 18 Voir respectivement les articles 159 et 87 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page