C. LA CONFRONTATION AVEC LA RÉALITÉ DES PRÉCONISATIONS ISSUES DE LA RGPP

Votre rapporteur spécial a souhaité évaluer dans quelle mesure les préconisations théoriques de la RGPP avaient effectivement pu, en pratique, être mises en oeuvre par la réforme de l'administration centrale de l'outre-mer. Or, sur plusieurs aspects, dont certains constituaient des éléments majeurs de la réforme proposée, l'écart est important entre la théorie et sa mise en oeuvre, ce qui n'est pas sans porter préjudice à la DéGéOM .

1. L'abandon du choix pour une « administration de mission »

Le principal point de discordance entre les objectifs initiaux de la réforme et sa réalisation porte sur la transformation de l'administration centrale de l'outre-mer en une administration de mission, qui devait se traduire par l'abandon d'une grande partie de ses tâches de gestion de crédits .

Comme l'a relevé Philippe Leyssène, ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'Océan indien, la DéGéOM, administration de mission, gère aujourd'hui plus de crédits que les anciennes Dapaf et Daesc. Didier Pérocheau, adjoint au sous-directeur chargé du service des politiques publiques à la DéGéOM, a estimé pour sa part, lors de son entretien avec votre rapporteur spécial, que la délégation « n'est bien sûr pas une administration de mission ».

a) Une nouvelle répartition des crédits qui ne modifie pas les grands équilibres

Le projet de loi de finances pour 2009 présenté par le Gouvernement proposait des modifications dans la répartition des crédits entre la mission « Outre-mer » et les autres missions du budget de l'Etat, censées permettre sa transformation en administration de mission. Toutefois, ces modifications sont restées peu significatives et n'ont pas entraîné une réduction de la masse des crédits gérés par le ministère.

Ainsi, certaines dotations obligatoires versées aux collectivités d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie ont été transférées vers la mission « Relation avec les collectivités territoriales », gérée par la DGCL au ministère de l'Intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales 19 ( * ) . Les rapporteurs spéciaux relevaient dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2009 qu'au « total, ce sont environ 100 millions d'euros de crédits qui sont exclus de la mission « Outre-mer ». Vos rapporteurs spéciaux estiment que ce transfert est justifié puisque la marge de manoeuvre du secrétariat d'Etat à l'outre-mer sur ces dotations était nulle » 20 ( * ) .

Toutefois, dans un sens opposé, certains crédits ont été nouvellement rattachés à la mission « Outre-mer ». C'est le cas des crédits consacrés par les autres départements ministériels à la politique contractuelle dans certaines collectivités, à hauteur de 30,2 millions d'euros. Le principe recherché était que la DéGéOM centralise la gestion des dotations budgétaires destinées aux contrats de projet ou aux contrats de développement pour l'accomplissement des politiques publiques menées outre-mer.

Par ailleurs, suite notamment à l'adoption de la Lodeom, de nouveaux dispositifs ont été confiés à la gestion de l'administration centrale de l'outre-mer et inscrits dans le périmètre de la mission « Outre-mer » : une nouvelle action a été créée pour le financement du fonds exceptionnel d'investissement, à hauteur de 40 millions d'euros et une nouvelle sous-action a été créée pour financer l'aide au fret, destinée à compenser les surcoûts de l'importation et de l'exportation de matières premières et de produits, pour 27 millions d'euros.

Dans la poursuite de ce mouvement, les crédits consacrés au financement des prêts bonifiés octroyés par l'agence française de développement aux collectivités territoriales d'outre-mer ont été rattachés par la loi de finances pour 2010 au périmètre de la mission outre-mer.

Ces évolutions dans la répartition de la gestion des dotations versées aux collectivités vont dans le sens de la clarification préconisée par la RGPP. En matière de dotations, l'objectif de la RGPP n'était pas, en effet, de dispenser la DéGéOM de toutes tâches de gestion mais de transférer à la DGCL la gestion de dotations de droit commun.

b) Au total, le montant des crédits gérés par la DéGéOM a augmenté

Toutefois, les autres modifications préconisées par la RGPP, qui devaient conduire à supprimer de la mission « Outre-mer » la majorité des crédits qu'elle contenait, n'ont pas été mises en oeuvre .

Ainsi, par exemple, la gestion du dispositif de compensation à la sécurité sociale des exonérations de charges sociales spécifiques à l'outre-mer n'a pas été transférée à la mission « Travail et emploi », alors même que la marge de manoeuvre du ministère sur ces crédits est nulle. Or, ce dispositif représente 1,1 milliard d'euros en 2010 soit plus de la moitié des crédits de la mission.

Il en est de même de la ligne budgétaire unique (LBU) consacrée au logement en outre-mer. Dotée de 254,5 millions d'euros en autorisations d'engagement pour l'année 2010, la LBU n'a pas été transférée à la mission « Ville et logement », contrairement à ce qui avait été envisagé dans le cadre de la RGPP.

Force est de constater qu'au total, les évolutions proposées pour l'architecture de la mission « Outre-mer » et donc pour les prérogatives de l'administration centrale n'ont conduit à une diminution ni du montant des crédits gérés par elle ni du nombre de dispositifs budgétaires à sa charge. Au contraire, comme le soulignaient les rapporteurs spéciaux dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour l'année 2010 21 ( * ) , « les crédits de la mission « Outre-mer » augmenteront, en 2010, de 6,4 % en autorisations d'engagement (AE) et de 6,3 % en crédits de paiement (CP) par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2009. Cette hausse poursuit un mouvement entamé en 2009, année pour laquelle le volume global de la mission « Outre-mer » avait augmenté de 19,2 % en AE et de 16 % en CP. Sur trois années (2008-2010), la progression des crédits s'établit à + 17,7 % en AE et + 14 % en CP ».

Ainsi, lors de leur audition par votre rapporteur spécial, Alexandre Rochatte, sous-directeur, chef du service de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'Etat, et Juliette Amar, chef du département de l'évaluation des politiques publiques et de la prospective, ont estimé que leur travail actuel n'était pas celui d'une administration de mission. La mise en oeuvre de la réforme atteste donc l'abandon d'une de ses priorités initiales, qui visait à transformer l'administration centrale de l'outre-mer en administration de mission, grâce à un large transfert des crédits dont la gestion était à sa charge vers les autres missions du budget général de l'Etat .

c) Une justification plus politique que technique

Dans les réponses qu'il a adressées à votre rapporteur spécial, le ministère chargé de l'outre-mer tente de justifier la répartition actuelle des crédits, en opposition avec les préconisations de la RGPP.

Il indique ainsi que si, « dans le cadre de la RGPP, il avait été proposé que les crédits consacrés aux exonérations de charges sociales soient transférées au ministère chargé de l'emploi. Cette orientation n'a pas été retenue, compte tenu du caractère spécifique des exonérations en vigueur outre-mer ». S'il est vrai que le régime d'exonérations est spécifique à l'outre-mer, sa gestion ne présente en revanche aucune spécificité par rapport à celle des autres dispositifs d'exonérations de charges sociales applicables en métropole et dont la gestion est à la charge du ministère de l'emploi.

Le ministère explique par ailleurs que « les crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » sont destinés au financement de dispositifs d'intervention qui soit représentent un enjeu majeur en termes de politique publique outre-mer, soit sont spécifiques à ces territoires ». Ces affirmations sont vraies mais ne suffisent pas à justifier que ces crédits soient gérés par le ministère chargé de l'outre-mer.

Ainsi, les crédits de l'action 4 sont essentiellement destinés au financement de l'agence de santé de Wallis et Futuna. Le ministère chargé de l'outre-mer indique que « la RGPP avait préconisé le transfert des crédits destinés à l'agence de santé au budget du ministère de la santé. Toutefois, ce ministère n'avait pas souhaité ce transfert, au motif qu'il ne dispose pas de ligne budgétaire adéquate, le financement des hôpitaux relevant des agences régionales de santé ». Or, comme l'ont indiqué à votre rapporteur spécial Didier Pérocheau, adjoint au sous-directeur chargé du service des politiques publiques, et Véronique Deffrasnes, chef du département de la cohésion sociale, de la santé et de l'enseignement, la DéGéOM ne dispose évidemment pas de l'expertise nécessaire à la gestion intégrale d'un hôpital. Le fait que le ministère de la santé ne dispose pas, pour l'instant, de la ligne budgétaire adéquate, ne doit pas servir à justifier une répartition des crédits qui semble largement sous-optimale.

Au final, ce ne sont donc pas des critères techniques qui semblent avoir présidé à la répartition des crédits entre la mission « Outre-mer » et les missions des ministères sectoriels. A l'issue de l'ensemble des entretiens que votre rapporteur spécial a pu avoir au cours de son contrôle, il apparaît davantage que le choix politique a été fait de ne pas déposséder le ministère chargé de l'outre-mer d'une trop grande partie de sa masse budgétaire. En effet, le poids du ministère auprès de ses interlocuteurs, que ce soit les populations ou les élus d'outre-mer, tient en partie au fait qu'il est en mesure de débloquer des crédits . Le risque a donc été identifié que faire de la DéGéOM une « administration de mission » transforme le ministère en coquille vide, sans poids politique.

Par ailleurs, une grande partie des personnes auditionnées par votre rapporteur spécial, à l'image de Philippe Leyssène, ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'Océan indien, ont jugé que la mise en oeuvre de la RGPP s'était faite sur des bases faussées par une méconnaissance de ce que faisait réellement le secrétariat d'Etat à l'outre-mer antérieurement à sa réorganisation. Cette méconnaissance peut aussi expliquer l'objectif de transformation en une « pure » administration de mission ait dû être abandonné en cours de mise en oeuvre de la réforme.

Au final, si le choix politique de ne pas déposséder la DéGéOM de l'ensemble de ses crédits budgétaires peut s'expliquer, il apparaît toutefois que toutes les conséquences n'ont pas été tirées de cette prise de distance par rapport aux orientations initiales de la réforme.

2. Une gestion des crédits qui pèse sur les effectifs consacrés aux autres missions de la DéGéOM
a) La gestion des crédits budgétaires par la DéGéOM a été rationnalisée

Comme l'indique le ministère chargé de l'outre-mer, à l'occasion de la mise en place de la DéGéOM, la gestion et le suivi des dépenses d'intervention de la mission outre-mer ont été fortement rationnalisés, « par la concentration au sein d'un département unique, le département de la dépense de l'Etat, de l'ensemble des activités liées à la fonction budgétaire et comptable, à l'exception de celles ayant trait aux dépenses du service militaire adapté » 22 ( * ) . Des économies d'échelle importantes ont ainsi pu être réalisées.

Le nombre de postes dédiés à ces activités a ainsi été fortement réduit : - 12,3 emplois en équivalent temps plein travaillé (ETPT) pour la gestion (soit - 71 %) et - 4,3 ETPT pour le pilotage (soit - 55 %) 23 ( * ) .

Evolution du nombre de postes dédiés à la gestion de crédits et au pilotage

Nombre de postes DéGéOM (effectif cible)

Nombre de postes vacants

Nombre de postes Daesc / Dapaf en charge du même périmètre

Différence

Evolution

Gestion de crédits de politiques

5

2

17,3

- 12,3

- 71 %

Pilotage

3,5

1

7,8

- 4,3

- 55 %

Source : ministère chargé de l'outre-mer

Sur les 3 ETPT aujourd'hui en fonction en qualité de gestionnaires de la mission, la DéGéOM estime à 1 ETPT le temps consacré à la gestion proprement dite des crédits gérés en administration centrale (préparation des engagements juridiques et des paiements, en liaison avec les autres départements de la délégation, saisies sur le progiciel accord, relations avec les tiers subventionnés, synthèse des dépenses au niveau du budget opérationnel de programme (BOP) central) et à 2 ETPT le temps consacré au suivi des BOP locaux et à la synthèse du programme.

En ce qui concerne le pilotage, 2,5 ETPT sont consacrés au suivi des crédits de la mission, tant en termes de préparation budgétaire, notamment celle du projet de loi de finances, que de suivi d'exécution, incluant le suivi de l'activité et de la performance.

b) Vers un renforcement des effectifs en charge de la gestion des crédits ?

Malgré l'effort de réalisation effectué sur les fonctions de gestion des crédits et la réduction des effectifs en charge de cette gestion, le maintien d'une activité de gestion des crédits au sein de la DéGéOM porte préjudice à la fonction d'évaluation des politiques publiques. Ainsi, les 8,5 ETPT qui, en effectif cible, devraient contribuer à cette gestion, auraient dû, selon les projections initiales de la RGPP, participer à la fonction d'évaluation.

De plus, le ministère de l'outre-mer estime que, compte tenu de « l'inscription en 2009 et 2010 de nouvelles dépenses gérées au niveau de l'administration centrale et [...] suite notamment aux décisions du comité interministériel de l'outre-mer qui devraient induire des charges supplémentaires en termes de gestion et de suivi, le renforcement de ce département, dont l'effectif est encore aujourd'hui incomplet au regard de l'effectif cible fixé lors de la mise en place de la DéGéOM, s'avère particulièrement nécessaire » 24 ( * ) . Il est donc probable qu'outre le pourvoi des postes vacants, un renforcement des effectifs en charge du pilotage et de la gestion des crédits soit nécessaire dans un avenir proche.

Il est à craindre que ce renforcement se fasse au détriment des fonctions de la DéGéOM sur laquelle elle était censée se recentrer dans le cadre de sa transformation en administration de mission.

c) Un même service pour l'évaluation et la gestion des crédits

Enfin, le fait d'avoir conservé, au sein de l'administration centrale de l'outre-mer, des fonctions de gestion des crédits et des politiques publiques a nécessité une modification de l'organigramme initialement prévu par la RGPP pour la DéGéOM.

Ainsi, comme l'indiquait Anne Bolliet, la fonction d'évaluation, qui devait être une des priorités de la réorganisation aurait dû à ce titre être confiée à un service spécifique. Or, a finalement été créé, au sein de la DéGéOM, un « service de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'Etat ». Le même service est donc en pratique chargé de l'évaluation des politiques publiques et de la gestion budgétaire des lignes de crédit de la mission « Outre-mer », ce qui est symptomatique de l'écart entre la réforme mise en oeuvre et le projet initial.

3. Une administration ancrée auprès du ministère de l'Intérieur

Enfin, la réorganisation de l'administration centrale de l'outre-mer a conduit à l'ancrer davantage auprès du ministère de l'Intérieur, par l'intégration de la DéGéOM à l'administration centrale de ce ministère .

La RGPP n'avait finalement pas préconisé un rattachement direct de la DéGéOM au Premier ministre. Toutefois, le choix restait ouvert et cette possibilité, initialement envisagée et souhaitée par les rapporteurs spéciaux de votre commission des finances, restait envisageable.

Force est de constater que ce rattachement est aujourd'hui rendu plus hypothétique et malaisé à mettre en oeuvre, en raison de la mutualisation des services supports de la DéGéOM avec ceux du ministère de l'Intérieur. Cette mutualisation aura donc eu pour effet pervers, en supprimant l'autonomie historique de l'administration centrale outre-mer, de rendre encore un peu plus complexe la transformation de la DéGéOM en une structure rattachée au Premier ministre disposant de réelles prérogatives interministérielles.


* 19 Les dotations concernées sont la dotation spéciale de construction et d'équipement des établissements scolaires (DSCEES) de Mayotte, la dotation globale de fonctionnement (DGF) des provinces de Nouvelle-Calédonie, la dotation globale de construction et d'équipement des collèges (DGCEC) de Nouvelle-Calédonie, la dotation globale de compensation (DGC) versée à la Nouvelle-Calédonie au titre des services et établissements publics transférés et la DGC de la Polynésie française.

* 20 Rapport général n° 99 - Tome III - Annexe 18 (2008-2009), projet de loi de finances pour 2009, mission « Outre-mer », Marc Massion et Eric Doligé, rapporteurs spéciaux, fait au nom de la commission des finances.

* 21 Rapport général n° 101 - Tome III - Annexe 18 (2009-2010), projet de loi de finances pour 2010, mission « Outre-mer », Marc Massion et Eric Doligé, rapporteurs spéciaux, fait au nom de la commission des finances.

* 22 Réponses aux questionnaires adressés par votre rapporteur spécial.

* 23 Hors ETP gestionnaires de crédits ayant fait l'objet d'une mutualisation dans le cadre de la suppression du programme 160 et du redéploiement des crédits correspondants vers les programmes « fonctions support » 216 et 108.

* 24 Réponses aux questionnaires adressés par votre commission des finances.

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