6. Les déterminants socioculturels et économiques

Les comportements individuels sont fortement influencés par des déterminants socioculturels et économiques.

a) Les déterminants socioculturels
(1) Le maintien de cultures nationales alimentaires spécifiques

Les comportements alimentaires sont ancrés socialement et culturellement.

Certes, le développement économique associé à l'industrialisation du système alimentaire et la mondialisation des marchés tendent à uniformiser les comportements alimentaires. Ce phénomène est bien connu pour les pays en voie de développement qui, au fur et à mesure qu'ils s'intègrent dans l'économie mondiale, abandonnent leur alimentation traditionnelle au profit d'un régime alimentaire plus occidental.

Néanmoins, cette convergence de l'alimentation n'empêche pas le maintien de spécificités nationales.

En Europe par exemple, le clivage entre les pays du Sud et les pays du Nord reste fort en ce qui concerne la part de la viande et des fruits et légumes dans l'alimentation.

De même, le poids des normes sociales réglant le comportement alimentaire varie selon les pays.

En France, l'alimentation reste relativement plus réglée socialement que dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis.

Le rythme alimentaire des Francais

Le modèle traditionnel français se caractérise par un rythme alimentaire quotidien basé sur trois repas principaux, auxquels peut s'ajouter un goûter, notamment chez les enfants. Ce rythme traditionnel persiste tel qu'illustré dans l'étude INCA 2, principalement aux âges extrêmes. Il est respecté par 86 % des 55-79 ans et 74 % des 3-10 ans. En revanche, seulement 44 % des 18-34 ans et 34 % des 15-17 ans ont pris trois repas par jour pendant les 7 jours de l'étude. En effet, dans ces catégories d'âge, le petit-déjeuner n'est pas systématiquement pris (39 % des 18-34 ans et 50 % des 15-17 ans). Ces différences avec l'âge existaient déjà en 1998-99 (INCA 1), mais se sont accentuées en 2006-07 (INCA 2). Ainsi, à l'effet âge lié au mode de vie particulier des jeunes adultes, semble s'ajouter un effet génération qui conduit à une déstructuration plus marquée du rythme alimentaire entre 15 et 35 ans.

Source : Etude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires (INCA 2), 2006/2007

Ainsi, la prise alimentaire est structurée autour de trois repas pris à heure fixe complétée, essentiellement pour les enfants, par un goûter vers 16h.

L'horaire de repas en France et au Royaume-Uni

Le sociologue Claude Fischler a souligné le rôle protecteur d'un modèle alimentaire contrôlé socialement par rapport à un modèle reposant sur l'individualisation de l'alimentation. Alors que cette dernière est favorisée à la fois par la publicité mais également par le discours médical, elle apparaît assez illusoire et peut favoriser le développement de troubles du comportement alimentaire.

Les recherches en psychologie sociale montrent que dans les sociétés occidentales, les individus sont soumis à un conflit psychologique qui oppose leur recherche de plaisir (à travers des aliments gras et sucrés) à leur aspiration de santé et de minceur.

En l'absence de normes sociales qui puissent orienter leurs décisions et compte tenu de la multiplicité des informations (souvent contradictoires) à leur disposition, ces individus vont s'imposer des règles alimentaires qu'ils ne pourront pas respecter. Chaque transgression s'accompagne alors d'un sentiment de frustration tout en créant des obsessions alimentaires. Des repères physiologiques aussi essentiels que le sentiment de faim ou de satiété tendent à disparaître : s'instaure alors un cercle vicieux dans lequel chaque perte de contrôle de la prise alimentaire suscite un stress qui sera compensé émotionnellement à travers l'alimentation...

Même si le schéma présenté constitue un cas extrême, il souligne les risques liés à l'individualisation de l'alimentation.

Or, les sociétés contemporaines tendent à fixer de moins en moins de règles en matière d'habitudes alimentaires, phénomène baptisé par le sociologue de « gastroanomie ».

(2) Des différences significatives de culture alimentaire entre les classes sociales

De nombreuses études montrent la permanence des différences de structure de la consommation opposant les cadres aux ouvriers et ce malgré l'uniformisation des modes de vie.

Selon l'étude de l'INSEE publiée en 2009 sur cinquante années de consommation en France, les postes traditionnellement sous-représentés chez les ménages les plus pauvres sont les poissons et produits de la mer, les boissons alcoolisées, les fruits frais et transformés. Chez ces ménages modestes, les produits surreprésentés sont les produits céréaliers, les corps gras et les viandes.

L'étude réalisée en 2008 par Faustine Régnier sur l'intégration des normes d'alimentation et l'appartenance sociale montre également d'importantes disparités des goûts et des représentations collectives de l'alimentation selon les classes sociales.

« Interrogés sur leurs goûts au quotidien, les individus de catégorie aisée établissent immédiatement une relation entre ce qu'ils déclarent aimer manger, la santé et la ligne, souci de santé et souci de minceur étant souvent mêlés, en particulier chez les femmes. Appétences et impératifs diététiques sont concordants : les individus ont du goût pour ce qu'ils considèrent être bon pour la santé. Les principes diététiques modèlent les pratiques alimentaires quotidiennes, contraintes par un système de prescriptions et d'interdits au nom d'impératifs de minceur et de santé.

À l'inverse, en milieu modeste, les individus déclarent avoir le goût des choses bonnes parce qu'elles sont bonnes au goût, et non parce qu'elles sont bonnes pour la santé, ni même favorables à la minceur. Le lien entre alimentation et santé n'est jamais immédiatement établi, sauf quand il s'agit des enfants ou dans les cas d'une maladie avérée. »

b) Le poids des contraintes économiques
(1) Les inégalités sociales face à l'obésité

L'enquête santé et soins médicaux de l'INSEE est réalisée tous les dix ans environ et porte sur des sujets aussi divers que la consommation de soins, les maladies des enquêtés et leur état de santé perçu. Dans la mesure où le poids et la taille des personnes est renseigné (sur une base déclarative), elle permet de connaître l'évolution de la prévalence du surpoids et de l'obésité.

1981

1992

2003

2008

Surpoids Hommes

30,0

30,9

34,8

37,9

Obésité Hommes

5,3

5,5

9,8

10,4

Surpoids Femmes

16,3

17,9

21,2

22,0

Obésité Femmes

5,3

6,2

10,2

11,5

Source : Enquête santé et soins médicaux de l'INSEE.

Il apparaît donc que l'augmentation de la prévalence du surpoids et de l'obésité a commencé vers le début des années 90.

Néanmoins, l'examen de cette évolution par catégorie sociale professionnelle montre que si tous les milieux sont touchés, ils le sont dans des proportions variables et que les disparités entre catégories se sont accrues au fil des années.

Les résultats de la dernière étude ObEpi de 2009, montrent que l'obésité est deux fois plus répandue dans les catégories les moins favorisées (16 % chez les ouvriers, 15 % chez les employés) que dans les catégories plus aisées (8 % pour les cadres supérieurs. La hausse de la prévalence de l'obésité chez les adultes entre 1997 et 2009 a été la plus importante chez les ouvriers (+ 82 %) et les employés (+ 88,5 %), la plus faible chez les cadres supérieurs (+ 37,9 %).

Les écarts sont encore plus considérables au sein de la population féminine : alors que la prévalence de l'obésité est de 4 % chez les cadres, elle est de 16 % chez les ouvrières.

Le revenu est un facteur important. L'obésité concerne 22 % des adultes vivant dans un foyer aux revenus inférieurs à 900 euros, contre 6 % de ceux qui ont un revenu mensuel supérieur ou égal à 5 301 euros.

Le niveau de diplôme joue un rôle encore plus important. Selon l'étude ObEpi, le taux d'obésité est trois fois plus élevé chez les personnes d'un niveau d'instruction équivalent à celui de l'école primaire (24 %) que celui des diplômés d'un 3ème cycle d'études supérieures (7 %).

(2) Contraintes budgétaires et prise alimentaire

La part de l'alimentation dans le budget total des ménages a fortement chuté depuis près d'un siècle. Aux Etats-Unis, un famille dépense en moyenne 9,9 % de son revenu en nourriture, contre 25 % dans les années 20.

Néanmoins, pour les personnes à faible revenu, l'alimentation continue d'être un poste important et la contrainte budgétaire est le principal facteur structurant des choix alimentaires.

Le poste alimentation peut occuper jusqu'à 50 % du budget des ménages français les plus défavorisés, alors qu'il représente 15 % en moyenne nationale.

Ces derniers sont obligés d'adapter leur budget à l'impératif de satiété pour le moindre coût. Ils vont donc opter pour des produits gras, qui ont un haut rendement calorique par unité financière, et délaisser les fruits et légumes dont la densité énergétique est faible et les prix élevés.

Une chercheuse de l'INSERM, Nicole Darmon, a calculé qu'un individu devait disposer d'au moins 3,5 euros par jour pour pouvoir bénéficier d'une alimentation équilibrée.

« Nos résultats suggèrent que des connaissances en nutrition peuvent atténuer l'impact négatif des contraintes de coûts, mais seulement chez des personnes soumises à une contrainte budgétaire modérée et prêtes à s'écarter considérablement des habitudes alimentaires françaises », en privilégiant par exemple le foie, les abats, les moules, le pain et le riz complet.

D'autres études ont montré la stigmatisation que représentaient les régimes « adaptés » aux faibles revenus, qui ne font qu'accentuer la distance avec les consommateurs ordinaires du reste de la société.

Les contraintes de budget orientent les choix alimentaires vers une alimentation de faible densité nutritionnelle et de forte densité énergétique.

Il convient de rappeler que la France compte huit millions de pauvres selon les statistiques de l'INSEE publiées en 2010 (sur la base de chiffres de 2008).

Quant aux 2 millions de bénéficiaires de l'aide alimentaire, à l'absence de ressources économiques s'ajoute le manque cruel des équipements rudimentaires pour cuisiner. Ainsi, l'étude ABENA de 2004/2005 sur les comportements alimentaires et les situations de pauvreté a constaté que 30 % d'entre eux n'ont pas de réfrigérateur, 50 % n'ont pas de four, 30 % n'ont pas de plaques de cuisson.

Page mise à jour le

Partager cette page