II. UN RENFORT IMPORTANT POUR GÉRER LES CRISES DANS LA DURÉE

Passé les premiers jours d'une crise, les forces d'active des armées, de la protection civile et des secours ayant été sollicitées de façon continue pendant plusieurs journées d'affilée, les pouvoirs publics, si l'événement l'impose, peuvent prévoir d'installer un dispositif dans la durée.

A l'issue des nombreuses auditions qu'elle a effectuées, la mission estime que l'emploi principal des réserves en temps de crise se situe là, dans ce renfort des forces d'active, pour leur permettre de tenir dans la durée.

S'agissant de la réserve militaire, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a indiqué, comme il a été dit, que les armées devaient pouvoir être en mesure de déployer en six mois 30 000 hommes à l'extérieur, 5000 hommes dans le cadre d'une opération nationale et 10 000 hommes sur le territoire national. Il a semblé à la mission que la capacité des armées à maintenir ce dispositif dans la durée était incertaine.

Car, si ces contrats opérationnels ont été établis dans le cadre de la refonte du format des armées, ils n'ont pas pris en compte les réductions budgétaires supplémentaires qui seront imposées au ministère de la défense dans le cadre de sa contribution à la réduction des déficits publics. Dès lors, la contribution des réserves au maintien dans la durée n'en sera que plus importante.

Il faut en outre noter que la tension sur les effectifs des armées ne concerne pas seulement les scénarios les plus « dimensionnants » mais également les scénarios de dispersion des armées dans de multiples opérations sur un nombre important de théâtres à l'étranger.

De l'avis des personnes consultées, en cas de crise majeure, ou pire encore de crises multiples qui s'installeraient dans la durée, la nécessité de relever les effectifs tous les quatre mois conduirait inévitablement à recourir de façon croissante aux réservistes.

C'est pourquoi la mission a interrogé les délégués aux réserves des différentes armées pour savoir à quelles fonctions, à quels emplois seraient consacrés les réservistes. A cette question, la mission a eu la surprise de constater qu'il n'existait pas de réponse bien établie qui ait fait l'objet, au sein des états-majors, d'une réflexion interarmées.

Il ressort toutefois des consultations sur l'hypothèse H3, que les différentes armées ont à l'esprit des scénarios d'emploi assez proches.

Dans l'armée de terre, les 24 000 réservistes pourraient se voir confier sur le territoire national, dans le même contexte que le personnel d'active, des missions de protection : sécurisation des points sensibles, protection des communications, contrôle de l'accès au territoire, participation à la défense NRBC. Ils pourraient également être affectés dans les Missions intérieures (MISSINT) (Vigipirate, Héphaïstos, etc.) ou comme compléments individuels renforts d'état-major ainsi qu'au sein du soutien général au fonctionnement quotidien de l'armée de terre.

Dans la marine, l'emploi des quelque 6 400 réservistes pourrait également être nécessaire à toute opération de grande ampleur pour :

- assurer le renforcement des postures de sûreté et en particulier de la protection des points sensibles et des unités ; de nombreux emplois de fusiliers marins qui en temps de paix sont convoqués pour un petite nombre de jours d'entraînement, mais qui seraient rappelés pour des durées significatives en situation de crise. Ils seraient employés pour assurer les surveillances statique et dynamique par moyens terrestres ou nautiques des sites de la marine ou des sites interarmées dont la protection est confiée à la marine ;

- assurer le renforcement de la sauvegarde maritime, incluant les actions de surveillance du littoral et le contrôle naval, emplois de guetteurs sémaphoriques pour armer en catégorie 1 (veille permanente) les 13 sémaphores de catégorie 2, la mise en oeuvre du contrôle naval est essentiellement assurée par des réservistes, ce dispositif renforce considérablement la capacité de renseignement en mer et contribue à dissuader le piratage et le terrorisme maritime ;

- contribuer aux capacités de déploiement des forces ; le déploiement et le soutien des forces seront assurés, entre autres, par des cargos rouliers affrétés. Les réservistes de la marine marchande sont susceptibles d'être employés pour conduire ces navires dans les zones à risque ;

- remplir des fonctions opérationnelles en état-major, en complément du personnel d'active, les renforts état-major et les permanences opérationnelles sont assurés, entre autres, par des réservistes y compris au profit des préfets maritimes pour coordonner l'action de l'Etat en mer en cas de crise ;

- renforcer durablement les soutiens spécialisés ; assurer la continuité du fonctionnement des structures organiques ou opérationnelles sur lesquelles les marins sont susceptibles d'être déployés en renfort ou en relève.

Dans l'armée de l'air, les quelque 6 000 réservistes pourraient être amenés à renforcer les effectifs du personnel d'active et mis à disposition des unités, notamment en cas :

- d'activation des centres de commandements ;

- de permanence de commandement H24 au niveau de l'administration centrale ;

- de veille permanente assurée dans tous les PC, états-majors et centres opérationnels des commandements, directions et services ;

- de prises de postures d'alerte (dispersion sur la plate-forme, desserrement hors plate-forme) ;

- d'activation des terrains de complément ;

- de renforcement de la surveillance de l'espace aérien (emploi des SARAA ...) ;

- de renforcement des moyens de défense sol-air de l'armée de l'air (mise en oeuvre du guet à vue...) ;

- de renforcement des dispositifs de protection des emprises militaires ;

- d'aide aux services publics ;

- de remplacement du personnel projeté en opération sur le théâtre national ;

- de remplacement du personnel d'active mis hors de combat ;

- de relève du personnel d'active pour permettre à celui-ci d'être affecté à des tâches pour lesquelles il est plus spécialement préparé ;

- de soutien d'une activité opérationnelle intense pendant quelques jours ;

- de constitution de bases support pour assurer la survie des unités.

Sur les théâtres extérieurs, dans un conflit de longue durée, une structure spécifique centralisée (CABA 117) dédiée aux personnels de réserve partant en OPEX permettrait de former un nombre croissant de réservistes.

Certes, aujourd'hui, l'engagement des réservistes dans les unités projetées reste limité

En 2008, 771 réservistes ont effectué 54 200 jours en opérations extérieures. Dans ce cadre, la durée moyenne d'activité de ces réservistes est nettement supérieure à celle des autres réservistes puisqu'elle est de 100 jours pour l'armée de terre, de 80 jours pour la marine et l'armée de l'air et de 45 jours pour le service de santé alors que la moyenne, pour l'ensemble des réservistes des armées hors gendarmerie, se situe à 21 jours.

On trouve ainsi, dans ces opérations, des réservistes spécialisés, en tant qu'interprètes en Afghanistan ou dans l'opération « Beryx » de secours aux populations d'Indonésie suite au Tsunami. De nombreux réservistes servent en tant qu'experts dans un domaine particulier (aéronautique, système d'information et de communication, protection, renseignement, etc.).

Des réservistes sont également employés dans les états-majors des opérations extérieures aux côtés des forces alliées, et dans le même contexte que le personnel d'active dans des opérations d'envergure nationale, voire internationale, au sein des forces françaises déployées.

Afghanistan, Vallée de Jegdaley. Opération Réginu 96 ( * ) .

Ces réservistes, souvent recrutés pour des qualifications spécifiques qui viennent enrichir les compétences des armées, ne participent que rarement aux opérations de combat, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.

On peut imaginer que, sur un engagement de longue durée, les armées puissent faire monter en puissance ce dispositif. La mission a cependant bien conscience que l'utilisation des réserves à grande échelle supposerait d'avoir levé un certain nombre d'obstacles.

Le premier d'entre eux est la disponibilité des réservistes sur la longue durée. En effet, la projection de réservistes en OPEX et MCD nécessite une disponibilité importante induite par les délais de préparation opérationnelle et par l'exécution proprement dite de la mission, comprise entre 151 et 210 jours d'activité en fonction du déploiement.

Peu de salariés peuvent ainsi s'absenter de leur entreprise plusieurs mois. Même pour des professions libérales, une absence de cette durée est forcément délicate. Ainsi le médecin-chef des services Luc GUILLOU, délégué aux réserves du service de santé des armées, a-t-il évoqué devant la mission l'exemple d'un médecin généraliste réserviste, parti en Bosnie, qui non seulement éprouva des difficultés pour payer son remplaçant dans la mesure où sa rémunération en tant que réserviste ne suffisait pas à couvrir cette dépense, mais qui dut attendre deux années avant de voir sa clientèle se reconstituer.

D'autres obstacles sont juridiques, nous les étudierons ci-après, ils concernent les conditions de mobilisation des réservistes et la durée de leur engagement, d'autres enfin concernent le cadre d'emploi de ces réservistes.

La montée en puissance du dispositif supposerait l'emploi collectif de réservistes en unités constituées auxquelles seraient confiées non seulement des tâches mais des missions.

Or cet emploi en unités constituées reste très marginal aujourd'hui et essentiellement cantonné aux missions Vigipirate. Aussi l'utilisation plus massive des réservistes conduirait sans doute inévitablement à des tâtonnements sur leur emploi.

Sans doute les armées gagneraient-elles à envisager ce scénario et à anticiper l'emploi des réservistes dans ce contexte pour cerner les besoins des armées et définir une doctrine d'emploi en conséquence.


* 96 (c) ADJ Dominique DHE / SIRPA TERRE image

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page