2. L'obligation des États membres du Conseil de l'Europe de coopérer pour réprimer les crimes de guerre
L'arrivée à échéance du mandat du TPIY en 2013 devrait conduire les cours nationales des pays concernées à poursuivre les procédures entamées pour réprimer les crimes de guerre perpétrés dans la région dans les années quatre-vingt dix.
La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme estime néanmoins que les conditions pour mener à bien les procès ne sont pas satisfaisantes, en raison notamment du refus par nombre d'États membres du Conseil de l'Europe d'extrader leurs propres ressortissants. La commission constate dans le même temps que les normes du Conseil de l'Europe en matière d'extradition, qu'il s'agisse de la Convention européenne d'extradition ou de ses trois protocoles, ne sont pas respectées et que la coopération juridique entre les États concernés n'est pas suffisamment développée. La commission insiste aussi sur la faible adhésion des États membres à la Convention européenne sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, signée par la France en 1974 mais non ratifiée depuis. La résolution adoptée invite également les États membres qui ne l'auraient pas fait à ratifier le statut de Rome instituant la Cour pénale internationale.
Le texte invite les États membres à ne pas accorder la nationalité à une personne inculpée de crimes de guerre dans un autre État et à introduire dans leur législation le principe aut dedere aut iudicare (extrader ou poursuivre). Il les incite également à améliorer la coopération entre les parquets nationaux au sujet des crimes de guerre.
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a, quant à elle, souhaité que ces procès se déroulent dans la plus grande transparence :
« Le mandat des juges du TPI pour l'ex-Yougoslavie prendra fin en 2013. La tâche de ce tribunal sera alors reprise au sein des différentes cours nationales, en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en Serbie.
À l'origine, ces cours s'occupaient principalement de cas transférés depuis le TPIY. Aujourd'hui, des procès sont également menés au sein de ces États en fonction de leur législation, sans transfert préalable depuis le TPIY.
L'implication des États dans la répression des crimes de guerre varie cependant d'un pays à l'autre. Aux yeux des experts, les autorités judicaires de Bosnie-Herzégovine semblent les plus avancées en la matière.
La prochaine étape sera celle de la coopération judiciaire. Les différences entre les législations nationales, voire régionales si l'on songe aux deux entités de Bosnie-Herzégovine, justifient la lenteur de cette collaboration, qui se traduit notamment par l'impossibilité de procéder à des extraditions.
Des institutions et des procédures judiciaires efficaces sont pourtant indispensables à la stabilité dans la région. Elles ne peuvent toutefois être mises en place sans le soutien de la population, les cours demeurant en effet des institutions relativement inaccessibles à la société.
Ce manque de visibilité, voire de transparence, peut contribuer à brouiller tout à la fois leur image et l'impact de leurs missions. Il convient donc d'accompagner toute initiative destinée à sensibiliser le public. Malgré le travail de relations publiques effectué par les porte-paroles judiciaires, les cours ont toujours un discours incomplet sur leurs tâches pourtant cruciales. De plus, l'accès de la société civile aux audiences, même s'il a progressé, doit encore être amélioré.
Cette publicité du débat judiciaire doit contribuer à éclairer les opinions publiques sur les enjeux des procès. Elle ne peut être valable que si elle s'accompagne d'un travail objectif des médias locaux sur le sujet. La politisation excessive des grands médias dans les pays de l'ancienne Yougoslavie est une donnée qu'il convient de ne pas négliger.
Les organisations paneuropéennes comme la nôtre ont un rôle déterminant à jouer et se doivent d'encourager ce travail de communication, qui doit aider les populations concernées à effectuer leur devoir de mémoire.
N'en doutons pas, l'absence de publicité objective des travaux des cours contribuerait à rendre vaine toute tentative de réconciliation durable entre les pays de l'ex-Yougoslavie. Ce silence favoriserait en effet un phénomène d'amnésie collective au sein de certaines populations. L'absence d'information autour des procès pourrait en outre conduire les victimes à considérer qu'il existe une réelle impunité à l'égard des criminels de guerre. »
Mme Gisèle Gautier (Loire-Atlantique - UMP) a, quant à elle, insisté sur le rôle du Conseil de l'Europe pour aider les Balkans occidentaux, au-delà du soutien aux procédures judiciaires en cours :
« Les guerres de sécession qui ont déchiré la Yougoslavie font naître des interrogations de première importance quant à l'exercice de la justice internationale. Le TPIY et ses déclinaisons nationales contribuent-ils ou sont-ils un obstacle à l'autocritique et la réconciliation dans des sociétés meurtries ? Renforcent-ils ou nuisent-ils à la stabilité politique nécessaire à la reconstruction de communautés anéanties et d'économies à la dérive ?
Si les membres de tous les groupes ethniques ont commis des crimes, durant les cinq premières années de fonctionnement de ce tribunal, les Serbes ont été surreprésentés par rapport aux autres groupes, ce qui a donné l'impression, y compris aux adversaires du régime de Milosevic, qu'il était anti-Serbe et rendait une justice politique.
On peut regretter que le procès de Milosevic n'ait pu parvenir à son terme. Mais la condamnation du seul Milosevic, pour justifiée qu'elle aurait été, n'aurait guère contribué à une véritable autocritique dans les pays de l'ex-Yougoslavie sans un traitement analogue des criminels de guerre croates, bosniaques et albanais du Kosovo. L'arrestation du général Ante Gotovina, puis celle du Kosovar Ramush Haradinaj, à l'époque Premier ministre du Kosovo, constituent à cet égard des signaux intéressants.
Je m'interroge en outre sur la nécessité d'une justice internationale. Slobodan Miloeviæ aurait pu être jugé à Belgrade. Il existait des motifs pour cela. La police serbe a assassiné certains de ses opposants et de ses adversaires politiques comme son ancien mentor, Ivan Stamboliæ, et elle a tenté par trois fois d'éliminer un leader de l'opposition. Un procès à Belgrade aurait permis un examen plus serein du passé.
La communauté internationale ne doit pas être dupe, les procès des auteurs de crimes de guerre ne vont pas pour autant marginaliser les extrémistes et les nationalistes. Il est vrai que les pressions exercées par l'Union européenne sur la Croatie et la Serbie pour qu'elles arrêtent et livrent un certain nombre de suspects, ont donné des résultats, la menace d'un gel des négociations d'adhésion y étant pour beaucoup.
Mais il est peu probable que de futurs procès apportent à eux seuls la stabilité dont ont besoin les pays de la région, dont les structures restent fragiles, et qu'ils suffisent à garantir leur évolution vers la démocratie. A l'exception de la Slovénie, la marche vers la démocratie des pays issus de l'ex-Yougoslavie demeure délicate. Les guerres, les nettoyages ethniques, les embargos et les sanctions ont non seulement provoqué un traumatisme psychologique, mais conduit au marché noir, à la contrebande, à la corruption à grande échelle et au règne des mafias.
Nous devons, en conséquence, soutenir politiquement et économiquement les Balkans occidentaux. Nous ne devons pas, dans le même temps, abandonner toute autre forme de soutien. L'Union européenne a, à cet égard, un rôle particulier à jouer. Elle est porteuse d'une espérance. Les Balkans occidentaux doivent s'affranchir aussi de leur passé et se tourner vers l'avenir. »